Chapitre 17
Hayden revint avec un seau de plage, Alec s'en alla donc pour nous laisser seuls.
« Aro n'a pas été aussi fâché que je le pensais, m'annonça-t-il. C'est un peu comme s'il s'attendait à ce que je te transforme sans sa permission.
« Tu aurais dû la demander ? M'enquis-je.
« Pour te transformer moi-même, oui, m'apprit-il. Il préfère le faire lui-même, à cause du lien de création.
Je crois que j'avais déjà entendu un truc comme ça mais je ne m'en souvenais plus.
« Assis-toi, m'ordonna Hayden.
Je m'assis donc en tailleur, au milieu du cachot. Hayden se baissa devant moi et déversa les petits cailloux qui remplissaient le seau.
« Bien, tu vas remettre ces cailloux dans le seau, un par un.
Il s'était adossé aux barreaux de la grille, près de l'ouverture et croisa les bras pour me regarder... jouer ? J'alternai mon regard entre les cailloux et le seau désormais vide. La tâche me semblait irréalisable et pourtant, il ne s'agissait que de remettre des cailloux dans le seau, ce que ma logique caractérisait comme ridiculement facile.
« Et bien ?
« Je ne pense pas que j'y arriverai.
Il haussa un sourcil.
« Les nouveaux-nés nous rient au nez quand on leur demande de faire cet exercice. Comment sais-tu que tu n'y arriveras pas ?
« Euh... réfléchis-je.
Puis cela me vint, dans ma partie consciente.
« C'était mon instinct, je crois. Je viens seulement de réaliser pourquoi cet exercice qui m'a l'air accessible à un gamin de deux ans me semble impossible : si c'était effectivement facile, tu ne me demanderais pas de faire quelque-chose d'aussi idiot et inintéressant que ça.
Il m'offrit un sourire.
« Ton instinct est bien développé, c'est une bonne chose. Il comprend plus vite que ta conscience. Allez, commence.
Je pris un caillou entre mon pouce et mon index et le caillou devint poussière. Je tentai avec un autre et j'eus le même résultat. Au bout du 24e caillou, j'étais énervée et allai plus vite.
« Stop, m'ordonna Hayden au 37e caillou réduit en poussière.
Je m'arrêtai, mon index et mon pouce emprisonnant les grains de poussières restés prisonniers.
« Vitesse humaine, lança-t-il.
Je soupirai et repris l'exercice. Le 42e était moins atteint, une partie du caillou n'était pas en poussière alors je laissai tomber cette partie dans le seau, jetant un œil à Hayden pour voir s'il se formalisait de ma tricherie, il se contenta de me sourire. Au 126e, il me dit que je n'y mettais pas du mien alors je me concentrai. Il restait la moitié du tas de cailloux à mettre dans le seau, l'autre moitié était en poussière et il n'y avait toujours qu'un quart de caillou dans le seau. C'était désespérant.
Je fis une pause en fixant le tas de cailloux et la poussière de cailloux qui était retombé dessus. Je n'arrivais pas à doser ma force et ça m'énervait royalement. ''Il y a peut-être un autre moyen'' mais quel autre moyen y avait-il ? Des points fourmillaient quelques-part dans mon esprit mais cela ne m'aida pas du tout. Puis les scintillements du radar s'activèrent à leur tour. Je voyais les particules aller-et-venir entre Hayden et moi, son aura, la mienne et en regardant les cailloux, je vis que des particules allaient des cailloux vers moi. Comme des électrons attirés par mes atomes. Je plaçai ma main au-dessus, paume à plat vers les cailloux et les particules se dirigeaient vers le point de mon corps le plus proche des petites pierres, attirées par ma paume mais les cailloux restèrent en place. J'osai un regard rapide vers Hayden, sans les poser dans ses yeux, il me scrutai, s'interrogeant sur ce que je faisais ou étais sur le point de faire. Je ne savais pas ce que je faisais mais mon instinct savait et je supposai que j'allai le comprendre bientôt. Alors, je vis le mouvement, ça a été faible d'abord puis plus franc. Quelques cailloux se surélevèrent entre le tas et ma paume. Je testai de déplacer ma main et les cailloux suivirent le mouvement comme accrochés à un fil, toujours attirés par ma paume mais retenu par la gravité d'une force équivalente. Je déplaçai ma main au-dessus du seau et relâchai les cailloux qui tombèrent dedans. J'offris un sourire espiègle à Hayden.
« Bordel, quel est ton don ?
« Je ne sais pas, admis-je.
« Je connais un vampire qui pourrait le savoir, je t'en ai parlé, tu te souviens ?
J'essayai de me rappeler mais aucun souvenir ne me vint.
« Eleazar, tenta-t-il.
Ça me disait quelque-chose. Oh, ça y était, je me souvenais et le souvenir n'aida pas à maintenir ma colère tranquille.
« Oui, c'est bon, je me souviens. Celui à cause de qui tu es un vampire et par extension, à cause de qui j'en suis un.
Je grondai, le bruit fit vibrer ma cage thoracique. La colère me submergea et je décidai de me lancer à la poursuite de ce vampire pour le tuer. Je me cognai fort contre Hayden avant la sortie du cachot et il me propulsa en arrière.
« Calme-toi, Tamsyn.
Je devais le tuer, j'étais en colère.
« Stop, tu te calmes, ordonna-t-il.
J'émis un grondement. C'était de sa faute, c'était lui qui lui avait fait ça.
« C'est de sa faute, grognai-je. Je veux le tuer.
« Reprends tes esprits, ne laisse pas ton instinct te guider. Raisonne-toi, tu ne sais même pas où il est, réfléchis, comment vas-tu le trouver ?
« Je suis un vampire à cause de lui, rageai-je en essayant de l'esquiver pour passer.
Mais il avait prémédité mes gestes et m'avait renvoyée contre le mur. Je grognai davantage.
« Non, c'est moi qui aie fait ça.
Je grondai.
« Tamsyn, c'est moi qui t'aie transformée.
« Il t'a transformé...
« Non, tu te trompes, c'est Aro qui m'a transformé.
Je grondai davantage.
« Et merde... souffla-t-il. Tamsyn stop.
Il gronda à son tour quand il vit que j'allais réessayer de le traverser et je me collai au mur, cessant de gronder. Hayden se trouvait devant moi et posa la main contre mon cou, du côté droit, là où il m'avait mordue. Je me détendis et sentis mon instinct cesser de me contrôler. Il fit glisser son pouce entre le haut de mon cou et ma mâchoire inférieure.
« Voilà, dit-il doucement. Tu peux m'en vouloir pour t'avoir transformée mais tu ne peux pas en vouloir à Aro de me l'avoir fait.
« Mais je ne peux pas t'attaquer, fulminai-je.
« Tu ne peux pas attaquer Aro non plus, contra-t-il. Si tu le fais, tu te feras tuer.
Je grondai, il ne s'en formalisa pas et attendit que j'arrête.
« Tu t'es calmée ? S'enquit-il.
Je hochai la tête.
« Bien, reprends l'exercice.
Je soupirai d'agacement – vraiment, ça s'arrêtait là ? – et m'assis près du tas de cailloux et du seau. Hayden passa à côté, se baissa et renversa les cailloux que j'avais mis dedans plus tôt.
« Hé ! Rouspétai-je.
« Tu as triché, refais-le sans ton don.
Je râlai mais repris l'exercice de mauvaise grâce. Je finis par réussir à ne plus les briser et même à faire en sorte qu'ils ne s'effritent plus. Je comprenais alors pourquoi ça s'était arrêté là, non seulement l'exercice m'aidait à contrôler ma force et ma vitesse mais ça me détournait de la colère que je ressentais.
« Très bien, me félicita-t-il.
Pour une raison étrange, ça me fit plaisir qu'il soit content de moi. Je jouais avec la poussière que j'avais produite pendant qu'il me regardait, perdu dans ses pensées. Je me demandais quand j'allais pouvoir sortir du cachot mais surtout quand j'allais revoir Tyler. Il fallait que je le retrouve parce que je l'aimais. Ça faisait trop longtemps que je ne l'avais vu et je ne lui avais pas parlé depuis... des semaines, peut-être bien. Il devait se demander pourquoi je ne répondais pas à ses messages. J'avais cependant peur que ma condition de vampire ne me fasse obtenir qu'un refus de la part des Volturi si je leur demandai de le revoir.
« Tu crois que je pourrais voir Tyler ?
Je réalisai qu'il n'allait peut-être pas être content que je lui demande cela mais il était là et j'avais cette question.
« Comment comptes-tu lui expliquer tes changements physiques ?
Je réfléchis.
« J'avais une solution.
« Je t'écoute ?
« Je l'ai oubliée, fis-je piteusement.
« Essaye de te souvenir de ce que tu pensais à ce moment. C'était forcément pendant ta transformation.
« Comment tu le sais ?
« Avant, tu ne savais pas que tu allais devenir un vampire, après, tu n'aurais pas oublié.
Je hochai la tête et me relevai. Souviens-toi, souviens-toi...
« Un traitement thérapeutique ! M'exclamai-je.
Je me calmai devant mon entrain un peu trop exagéré.
« Pardon, un traitement thérapeutique, repris-je plus doucement. Mais, euh... je vais devoir m'inventer une maladie pour avoir subi ça.
« Inutile, tu avais une tumeur.
« Quoi ? Fis-je, me levant et me précipitant sur lui.
Je m'arrêtai pile devant lui et mon don surgit, allumant son radar pour me faire voir les particules et les auras. Fascinée, je laissai mon regard se promener sur son bras puis sa main, que je pris, il se laissa faire sans rien dire. Je me rappelai alors ce qu'il m'avait dit, j'essayai de me souvenir mais... oh.
« Pourquoi je ne m'en souvenais pas ?
« Ta mémoire est encore en train de subir des changements, il y a des trucs que tu oublies.
Je me sentis triste et je me rappelai pourquoi quelques secondes après. Tyler m'avait quittée parce que j'étais mourante.
« J'allais mourir, soufflai-je.
« Et je t'ai transformée.
Je triturai ses doigts pour admirer les altérations que ça provoquait dans nos auras, ignorant la colère parce qu'elle semblait ne pas vouloir me quitter. Je ne faisais que l'ignorer, comme si je passais constamment près d'elle mais la contournait au dernier moment.
« Ça me rend toujours furieuse, remarquai-je. J'ai envie de te tuer, je ne sais pas ce qui me retient.
« En partie parce que je suis ton créateur.
« Et l'autre partie ?
« Regarde-moi.
Je laissai passer l'air entre mes dents pour montrer mon agacement. Il soupira, agacé lui aussi.
« J'aurais préféré mourir.
Quelque-chose dans mon esprit n'était pas d'accord avec ce que je venais de dire. Mon instinct probablement.
« Je ne pouvais pas te laisser mourir, me confia-t-il.
« Pourquoi pas ? Ça ne fait pas si longtemps qu'on se connaît...
« Le temps n'a pas d'influence, je t'avais dit que je n'avais pas connu le deuil par moi-même, je n'avais pas encore perdu quelqu'un que j'aimais assez pour le ressentir. Quand Emelyne m'a dit que tu allais mourir, tout le scénario est passé dans mon esprit, j'ai réalisé que je ne survivrais pas si tu mourrais, je n'avais pas le choix, je devais te transformer.
Ça n'avait aucun sens dans mon esprit. Pourquoi mourrait-il, si je mourrais ? Je savais ce qu'était le deuil mais je ne pensais pas l'avoir déjà vécu.
« Je l'ai pas connu non plus, le deuil.
Il me fixa d'un regard étrange que je voyais dans ma vision périphérique. Je tenais toujours sa main mais j'avais arrêter de jouer avec l'aura et mon don s'était éteint.
« Tu ne t'en souviens pas mais ce n'est pas plus mal, ne cherche pas à te rappeler de ça.
Je hochai la tête.
« Ça marchera ?
« Quoi ?
« L'excuse du traitement thérapeutique ? Pour me remettre avec Tyler...
« Peut-être, supposa-t-il.
« Tu veux bien ?
« Que tu te remettes avec Tyler ? Sûrement pas, refusa-t-il. Mais tu dois le revoir, sinon tu ne seras jamais débarrassée de lui.
« Ce n'est pas logique, ce que tu dis, lui fis-je remarquer.
« Si tu le revois, tu réaliseras que tu ne l'aimes plus, alors que si je t'oblige à rester loin de lui, tu penseras à lui... tout le temps. Pourquoi t'accrocher à lui alors qu'il t'avait quittée, on n'en serait pas là, aujourd'hui.
« Tu ne connais pas les humains, réalisai-je.
« Je connais les vampires, contra-t-il.
Je haussai les épaules. Je savais que j'avais raison. Revoir Tyler allait raviver davantage nos sentiments l'un pour l'autre. C'était le grand amour de ma vie. Je ne supporterais pas de le perdre... c'était ce truc de vampire... il était ça.
« Je veux Tyler, réclamai-je.
Hayden se crispa fermant les yeux. Sa main se transforma en poing dans ma main mais il ne la retira pas. J'attendis qu'il m'autorise à avoir Tyler mais il était toujours crispé. Finalement, il se détendit et rouvrit ses yeux.
« Peux-tu me regarder ?
Je secouai la tête, il soupira encore.
« Que penses-tu qu'il soit, bordel ?
« Mon âme-sœur.
Il se figea une demi-seconde avant de retirer sa main et se reculer.
« Non, là c'est trop, s'énerva-t-il. Reste-là.
Il disparut et quelques secondes plus tard, Demetri apparut devant la porte.
« Tu me l'as encore énervé, se moqua-t-il.
« Il est parti où ?
« Se calmer, je suppose. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
« Je voulais retrouver mon âme-sœur mais il veut pas.
Il se figea.
« Ton...
il s'arrêta, m'évalua.
« Qui es ton âme-sœur, Tamsyn ?
« Tyler, répondis-je.
« Merde, je comprends mieux.
« Il est jaloux, c'est ça ?
« Ouais, c'est ça. C'est difficile pour lui, ménage-le.
Je hochai la tête. J'allais essayer.
