Chapitre 6 : Sœur de cœur
J'avais envoyé un message sur le téléphone du service de sécurité pour les prévenir de la venue à l'improviste de la fille de l'ambassadeur d'Allemagne. Mais même s'il n'était pas une heure convenable pour recevoir des invités, cela n'étonnait plus personne de la voir débouler en pyjama rose avec un de ses propres gardes qui l'avait accompagné jusqu'au portail de la résidence. Être des filles de hauts fonctionnaires ne voulaient pas forcément dire que nous étions sages comme des poupées, nous étions jeunes et tant que nous étions discrètes, nos pères fermaient les yeux pour ce genre de petit débordement qui ne faisait de mal à personne. Ce n'était donc pas la première fois que ma meilleure amie débarquait au milieu de la nuit et cela ne serait certainement pas la dernière fois non plus.
Mina avait un statut particulier en tant qu'amie proche de la famille et avait des accès spécifiques qui lui permettaient de passer le portail sécurisé de la résidence juste avec un scan rétinien. Comme deux autres de mes amis proches qui constituaient notre petite bande d'amis. Ainsi je l'attendais dans le hall d'entrée, assisse dans l'escalier central de la résidence.
Mon temps d'attente ne fut guère plus long que dix minutes pour la voir ouvrir la porte d'entrée comme une catcheuse en claquant la porte contre le mur, me faisant sursauter face à ce fracas qui avait brisé le silence de plomb qui régnait dans la maison.
- Bah vas'y réveille toute la maison, grondais-je ayant peur que cela réveille vraiment quelqu'un, notamment mon père.
Wilhelumina était grande, plus grande que moi, elle mesurait un mètre quatre-vingt-un, une véritable perche. C'était une belle rousse coiffée d'un carré droit juste au-dessus des épaules, des yeux d'un bleu océan envoûtant, un visage fin et délicat. Mais cette délicatesse était trompeuse, car elle était aussi brute qu'un mammouth.
- Si c'est pour râler tu peux juste te taire et me faire un câlin de retrouvaille ? Me répondit-elle en haussant un sourcil.
Je soupirai, déjà fatiguée de l'animal, mais je me levai pour l'enlacer. La demoiselle était sportive et c'était donc sans grande difficulté qu'elle décolla mes pieds du sol quand elle passa ses bras autour de mon corps pour tourner sur elle-même en étant dans son étreinte.
- Tu m'as manquée tête d'autruche ! S'exclama-t-elle.
J'aimais cette fille, vraiment, mais des fois je me demandais comment c'était possible tellement elle était chiante.
- Tu me manques moins quand tu me portes comme si t'étais mon mec, Mina, râlais-je une nouvelle fois.
- Tu me manques moins quand tu ouvres ta bouche pour casser l'ambiance, réagit-elle en me laissant retrouver un contact avec le parquet. Et j'suis ta meuf, donc j'ai le droit de faire ce que je veux de toi.
- T'es ma meilleure amie, rectifiai-je.
- Ça veut dire la même chose, répondit-elle en posant ses mains sur ses hanches.
Sa capacité de réflexion dépassait toute logique, seule une jumelle pourrait parfaitement la comprendre, mais heureusement pour cette terre, elle n'avait qu'un grand frère qui n'avait pas une once de son caractère. Je soupirai, et ne répondis rien de plus, sachant pertinemment que cela userait de ma patience plus qu'autre chose et sans aucun résultat probant à la fin.
- J'ai apporté mon maillot de bain, me dit-elle d'une voix enjouée en sortant un bikini vert de son petit sac qui pendait sur son épaule.
- Pourquoi faire ? Demandais-je septique.
- Pour aller dans ta piscine, morue.
- À 2h du matin ?
- Oui, pourquoi t'as un rendez-vous ? Cingla-t-elle de manière sarcastique.
- Avec le sommeil, oui.
- Bah il fera la queue, alors va chercher ton bikini, moi, je vais direct dans ta piscine !
Elle partit en trottinant comme une chèvre sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit. Mina et ses idées farfelues m'en avaient fait voir des vertes et des pas mûres durant ces quatre ans d'amitié. Elle était déjà bien difficile à supporter en général, mais quand elle était avec Saturino, un ami de la bande, c'était pire que tout. Aussi fou l'un que l'autre.
Je remontai dans ma chambre pour prendre un simple bikini bordeaux et l'enfilai. De toute façon, ça ou papoter dans la chambre, c'était du pareil au même, alors autant lui faire plaisir tant que je ne mouillais pas mes cheveux.
Dans la résidence, il y avait une piscine d'intérieure couverte, et si nous souhaitons profiter de l'air ou de la chaleur en été, il suffisait d'ouvrir les grandes baies vitrées coulissantes qui donnaient accès au jardin. Quand j'entrai dans la pièce, Mina était déjà dans l'eau à se laisser flotter comme une étoile de mer. Je m'approchai du bord et me contentait de m'y asseoir pour avoir simplement mes jambes dans l'eau chaude. Je n'avais pas grande envie de faire la petite sirène cette nuit bien que j'adorais me baigner en temps normal.
- Alors, c'était comment là-bas ? Demanda-t-elle en brisant le silence.
- Horrible, répondis-je en baissant les yeux sur mes pieds que j'agitaient doucement dans l'eau.
Elle se redressa et s'approcha de moi, jaugeant l'expression de mon visage pour déterminer si j'étais sincère et que nous devions passer dans un moment sérieux. Elle savait aussi bien que mon père, lire mes réactions. J'entrepris de lui raconter chaque détail de chaque journée en concluant par mon ressentis et mes doutes. Elle avait beau être d'une personnalité extravagante, c'était une meilleure amie parfaite, elle savait écouter d'une oreille attentive sans m'interrompre quand l'instant l'exigeait.
- J'aimerai beaucoup te dire de revenir tu sais, commença-t-elle en plantant son regard dans le mien. Mais ça serait stupide d'abandonner après seulement une semaine.
J'hochai la tête en stoppant mes mouvements de jambes, je le savais déjà, mais c'était rassurant de l'entendre de sa bouche. Comme le fait que cela avait été apaisant de me décharger de ce poids qui s'était accumulé sur mes épaules. Exprimer ce que j'avais réprimé durant ces cinq jours m'avaient pesé plus que je ne l'avais imaginé.
- Ils t'insultent en t'appelant princesse ? Traite-les comme si c'étaient des cloportes, ajouta-t-elle avec dédain.
- Jouer à leur jeu ne fera que me rabaisser à leur niveau, répondis-je, peu convaincue qu'avoir une attitude vulgaire était la bonne solution à mon problème.
Elle rit en s'éloignant pour nager un peu.
- Je ne t'ai jamais entendu insulter quelqu'un, pourtant des fois, y'avais qu'à regarder ton visage pour voir que tu incendiais une personne dans ta tête.
Je grimaçai, j'étais pourtant assez douée pour maîtriser mon faciès, mais elle semblait être en permanence connectée à moi avec un décodeur que mon père lui aurait filé uniquement pour elle.
- Je voulais dire, comporte-toi comme une princesse qui ne daigne pas s'intéresser au bas peuple.
- Les mépriser en gros ? Traduisais-je.
- D'une certaine manière oui. Jusqu'à qu'ils lâchent l'affaire, car plus tu leur accorderas de l'importance, plus ça te prendra à la gorge. Si quelqu'un sort du lot, tu le verras bien, et s'il y'a que des serpents et des vipères dans cette foutue académie, on débarque tous et on leur casse leurs dents à ces intellos et ces sportifs ! S'exclama-t-elle en faisant un mouvement brusque qui fit gicler quelques gouttelettes d'eau jusqu'à moi.
Le mépris n'était pas la solution miracle, et cela pouvait être à double tranchant. Soit cela pouvait se dérouler selon les dires de Mina, soit cela pourrait aggraver la situation, renforçant leurs mauvaises intentions à mon égard. Mais d'un autre sens, le mépris serait une barrière de défense qui m'aiderai à supporter mon isolement. Car je ne pouvais pas nier que cela m'avait plus atteint que je ne le croyais et je ne tiendrais pas longtemps si leurs attitudes persistaient.
Je n'irais pas jusqu'à les mépriser, enfin pas tous, car il y avait quelques personnes à qui cela sera bien plus facile d'éprouver un tel sentiment. Les deux pestes étaient visées tout particulièrement. Cependant, je pouvais aussi juste les ignorer. L'ignorance c'était tout aussi bien que le mépris.
- Et donc, il y a des beaux mecs dans ta pampa ? Reprit Mina, m'interrompant dans mes réflexions.
- Il y a quelques garçons plutôt mignons, mais vu comment ça se passe là-bas, je ne suis pas vraiment intéressée, dis-je en revoyant quelques petites pépites que j'avais pu croiser dans les couloirs ou apercevoir faire leurs sports tel le petit blond qui avait ramassé mon mouchoir avant mon départ par exemple, ou tout simplement Ushijima.
Je l'entendis souffler dans l'eau avec une expression déçue collée sur son visage, ce qui eut pour effet de faire des bulles. Puis, soudainement elle se redressa en se hissant sur le bord de la piscine pour poser ses fesses mouillées à côté de moi.
- Au faite, tu l'as vu Ushiwaka ? La super star du volley, questionna-t-elle de manière excitée.
Je clignai des yeux plusieurs fois, en essayant de trouver de qui elle pouvait bien me parler. Mais très vite, l'image de l'imposant tank me vient en mémoire. Le fameux champion, celui qui avait un fan club dont l'effectif était plus gros que le club de jardinage, d'équitation et d'art réunis en même temps.
- Tu parles d'Ushijima Wakatoshi ?
- Bah oui, qui d'autre, répliqua-t-elle, blasée.
- Je l'ai croisé quelques fois c'est tout, on n'est pas dans la même classe, répondis-je en ignorant son attitude.
- Alors il est comment ? Tu l'as vu jouer ?
Je soupirai, Mina était manageuse de l'équipe de volley masculine dans mon ancien lycée. Je ne pouvais pas la qualifier de fan incontestée de ce sport, et je dirais même qu'elle ne s'y aurait jamais intéressée si Saturino et Raphaël, le dernier membre de notre team, ne s'y étaient pas inscrits lors de notre dernière année au collège. Elle avait fini par céder à devenir leur manageuse à force de persuasion de leur part. Pendant ma première année de lycée avec eux, j'avais eu droit au même harcèlement, mais j'avais résisté comparé à la rousse. J'étais déjà venue à plusieurs de leur entrainement et de leur matchs, filant de temps en temps un coup de main à la manageuse qui s'était souvent retrouvée débordée, car l'équipe était constituée de piles électriques bordéliques et bruyantes. Et bien évidement, quand je leur avais annoncé que je me scolarisais à Shiratorizawa pour ma deuxième année, les garçons n'avaient fait que de parler de cet « Ace » super fort et super connu dans le monde du volley depuis qu'il était au collège. Information qui ne m'avait nullement intéressé et que j'avais finis par oublier jusqu'à que je rencontre le demi-dieu en personne.
- Je ne l'ai pas vu jouer et ça ne m'intéresse pas du tout, mais sinon, je dirais qu'il fait flipper. La première fois que je l'ai rencontré, j'ai cru qu'il allait me faire pleurer, dis-je en me remémorant ce moment où ma vie avait failli subitement s'arrêter.
- Oh ! Raconte-moi ! Exigea-t-elle trop curieuse en se penchant vers moi.
- Le premier jour, j'étais à la recherche de l'écurie, mais j'étais un peu perdue et il s'est passé le truc super cliché que tu vois que dans les shojo ou dans les comédies romantiques normalement, commençais-je à raconter.
- Quoi tu lui as foncé dessus, t'es tombée dans ses bras et PAF coup de foudre à Hollywood ? Dit-elle sur le ton de la moquerie, ne se doutant pas une seconde qu'elle n'était pas loin de la vérité.
- C'est presque ça oui, sauf que c'est lui qui m'a foncé dessus.
- Jure ? Demanda-t-elle après quelques secondes de blanc ayant certainement du mal à me croire.
- Je le jure. Il courait, je ne l'avais pas vu, et il m'a foncé dessus comme un bulldozer. S'il ne m'avait pas retenu, j'aurais certainement fini avec une fracture quelque part.
Elle éclata de rire certainement plus dépitée de mon inattention qu'autre chose en s'imaginant la scène dans sa petite tête tout en se laissant à nouveau glisser dans l'eau, m'éclaboussant au passage, ce qui me fit sursauter.
- Et donc c'était comment d'être dans les bras d'un mec qui a pour réputation d'envoyer que des boulets de canons à ses adversaires ? Questionna-t-elle en faisant semblant d'enlacer quelqu'un.
- Dur. Il est musclé comme une armoire à glace alors ça ne m'étonne même pas s'il a cette réputation. Commençais-je en agitant doucement, de nouveau, mes pieds dans l'eau, peut-être un peu gênée au fond de moi. Puis, l'expression de son visage est aussi fermée qu'une porte de prison, c'est pour ça que j'ai failli pleurer. Déjà que la collision m'avais fait mal, que j'avais failli mourir s'il ne m'avait pas retenu, mais en plus, il m'a lancé un regard comme s'il pouvait me punir juste en me fixant, terminai-je, cette fois-ci moins gênée, me rappelant le regard sévère qu'il m'avait adressé.
- Ça se trouve il s'imaginait te donner la fessée, gloussa-t-elle se callant à ma métaphore.
Moi, ça ne me faisait pas rire, et à cause d'elle j'avais l'image de moi, penchée sur ses genoux et la grande main de l'homme claquer mes fesses. Cumulé la force brute dont j'en avais beaucoup entendu parler à ce délire, je me voyais pleurer toutes les larmes de mon corps et ne plus pouvoir m'asseoir pendant une semaine à cause de la douleur. J'avais l'imagination beaucoup trop facile à stimuler, c'était malheureusement parfois troublant.
- Arrête tes bêtises, j'ai imaginé la scène et ça fait peur, lui dis-je en secouant les épaules pour chasser le frisson qui m'avait parcouru.
- Ou alors, commença-t-elle attendant que mon regard s'ancre dans le sien alors qu'elle s'approchait à nouveau du rebord, tu kifferais ça, en plus t'as pas nié la partie clichée du coup de foudre tout à l'heure, ajouta-t-elle d'un ton coquin en haussant plusieurs fois ses sourcils.
Je rougis un peu de ses allusions cochonnes. Je n'étais pas pudique, mais un peu plus qu'elle c'était certain. Et malgré tout, je trouvais qu'Ushijima avait un charme tout particulier. Il avait ce charisme qui forçait le respect, et peut-être même la soumission. Il dégagé une autorité masculine naturelle lui donnant un leadership incontestable. Il semblait si grand, si imposant que je trouvais cela presque majestueux. Il avait un côté totalement inaccessible qui le rendait attractif, je pouvais comprendre que beaucoup de filles de mon lycée craquaient pour lui sans jamais avoir osé avouer leur sentiment. Je ne pouvais pas le nier, je trouvais que ce garçon était le plus mignon que j'avais croisé entre les murs de Shiratorizawa, mais ça, je ne l'avouerai pas à Mina.
On est toujours tenté par ce qui semble impossible à obtenir.
- Cesses donc tes singeries, c'est déplorable, me contentai-je de lui répondre en feintant l'ennuie.
Elle se remit à rire de plus belle puis le sujet de discussion changea, m'intéressant un peu à sa rentrée à elle. Il était plus de quatre heures du matin quand nous décidâmes de sortir de l'eau pour aller se coucher. Sans avoir besoin de demander l'autorisation, ni mon consentement, elle monta avec moi dans ma chambre et nous nous endormîmes collées l'une contre l'autre, complétement ravagées par la fatigue.
Cette nuit-là, j'avais rêvé d'Ushijima sans pour autant me souvenir ce qu'il s'était passé dans mes songes. Certainement du fait d'avoir parlé de lui et imaginer des choses pendant la soirée. Mais très vite j'avais mis de côté ce détail, profitant de sortir le lendemain avec Mina dans les rues de Tokyo, rapidement rejointes par les deux garçons de notre groupe. Voir leur têtes et rires avec eux avait été un soulagement que je ne pouvais décrire. Comme une libération, ou une bouffée d'oxygène. J'avais conscience que je ne pourrais pas éternellement passer ma vie avec eux, car un jour viendra où je serai amenée à quitter ce pays, tout comme Mina. Mais c'était grâce ou à cause de cette épée de Damoclès constamment au-dessus de ma tête que je savourerai chaque instant du présent avec les personnes qui m'étaient cher dans mon cœur, car le temps était inlassablement compté. C'était dans de telles conditions que je me disais que j'avais été égoïste d'avoir changé d'école, mais d'un autre sens, j'avais le droit de vivre l'expérience que je souhaitai et que je devais m'habituer à ce que ma vie ne tourne jamais longtemps autour d'un individu en particulier.
Je ne trouverai probablement pas l'amour.
J'avais vu un véritable amour sincère se briser et j'avais peur de vivre la même chose alors que je visais à suivre les traces de mon père et de faire carrière dans la politique diplomatique. Je ne saurais dire si je serai capable d'éprouver ce genre de sentiment ou si c'était moi-même qui me l'interdisait. Quoi qu'il en soit, le dimanche soir, après mon cours de self-défense, je repensais à ce rêve, dont j'en avais oublié le contenu, durant le trajet de retour direction la préfecture de Miyagi, dans la ville de Sendai. Et je commençai à laisser ma conscience constituer des scénarios tous aussi différent les uns que les autres avec ce champion qui faisait tourner bien des regards sur lui. Nos chemins ne se croiserai jamais davantage que dans les couloirs, nos vies étaient différentes, nos objectifs sans aucun rapport, nous n'étions pas destinés à nous côtoyer. Alors je ne pouvais craindre de ressentir un quelconque sentiment amoureux, j'étais bien trop réaliste pour cela.
Du coup, ça me donnait le droit de rêver non ?
