Chapitre 7 : Isolement social
Mon réveil sonna plus tôt ce lundi matin. J'étais du genre matinal, je n'avais guère de difficulté à sortir de mon sommeil et mon corps semblait être assez réactif pour se remettre en marche. C'était donc à peine quelques secondes après les premières notes que je coupai la sonnerie de mon téléphone, une petite mélodie de chant d'oiseaux. C'était largement suffisant pour me sortir de ma léthargie car mon sommeil était léger. Contrairement à ma colocataire qui ressemblait à une tortue ayant besoin d'une sonnerie stridente à réveiller les morts pour daigner se lever. Et heureusement pour moi, grâce à ce trait de caractère, elle ne m'entendit pas descendre du lit superposé et continuait à dormir à poing fermé.
Il était six heures du matin, et je m'étais donc réveillée une heure et demi plus tôt afin de préparer le box pour la venue de Drogon prévue ce soir après les cours. Il avait été organisé qu'il devait arriver à Shiratorizawa à la fin des cours, et de ce fait, je devais prendre les devants pour que tout soit prêt à l'heure.
Dans cette petite chambre, il n'y avait pas énormément d'espace et pas de salle de bain privée, nous n'avions qu'un sanitaire avec un petit lavabo pour se laver les mains et les dents. Ce que je regrettais fortement, je n'aimais pas particulièrement partager ma toilette avec d'autres filles. Je tâtonnai dans le noir pour récupérer une tenue équestre et ma trousse de toilette sur mon bureau que j'avais préparé la veille.
Je refermai la porte de ma chambre vêtue simplement d'un short et un débardeur que je cachais sous un gilet en grosses laines pour déambuler dans le couloir du dortoir, me dirigeant vers les douches collectives. Je ne pris pas la peine de me doucher de suite, sachant très bien que je devrais en prendre une, une fois ma tâche finie si je ne voulais pas sentir les excréments de cheval en allant en cours juste après. Je troquai mon pyjama contre un pantalon en tissu flexible beige, un tee-shirt violet à l'effigie du lycée et enfilai la veste associée avec l'inscription « Académie de Shiratorizawa » gravé sur le dos. Une fois mes baskets de chaussées et mes cheveux attachés en une haute queue de cheval, je fis un détour pour retourner dans ma chambre et balancer ma tenue de nuit sur mon lit avant de retrousser mon chemin et sortir du bâtiment.
L'air frais de ce mois d'avril me saisit les joues et je regrettai de ne pas avoir pris au moins une écharpe avec moi. Mais je n'avais pas de temps à perdre pour faire demi-tour, ce n'était pas un peu de fraîcheur qui allait me rendre malade. J'enfonçai mon menton dans le col de ma veste fermée et fourrai mes mains dans les poches en entamant une marche rapide vers le réfectoire pour prendre mon petit déjeuner. La cafétéria commençait son service à six heures, pour ceux qui devaient se rendre à leur club le matin avant les cours, jusqu'à huit heures pour les autres.
Ma présence étant exceptionnelle, je ne savais pas qui je pourrai bien croiser à cette heure-ci et bizarrement, ça ne me stressait pas plus que ça. J'étais définitivement résolue à suivre les conseils de Mina depuis hier soir après avoir à nouveau échangé quelques piques avec Aïna dès mon retour sur le campus.
- Ohh mais ça ne serait pas De Villiers-san de si bon matin ? Entendis-je une voix enjouée derrière moi alors que je m'apprêtais à pousser les portes de la cafétéria.
Je me retournai pour voir Tendo Satori accompagné de Ushijima Wakatoshi, vêtue tous les deux de leur tenue de sport. Cela ne m'étonnait pas du tout de constater que le club de volley avait un entraînement matinal. Pour atteindre le niveau national il n'y avait pas de secret, c'était de pratiquer et encore pratiquer jusqu'à la limite de l'épuisement.
- Tendo-san, Ushijima-san, bonjour, répondis-je, attendant qu'ils arrivent à mon niveau.
- Hello Girl ! C'est la première fois que je te vois ici si tôt, répondit le rouquin en agitant ses deux mains pour faire coucou pendant qu'il s'approchait de moi.
Je n'étais présente en ces lieux que depuis une semaine jour pour jour, ce n'était pas comme si cela pouvait être aussi étonnant que cela puisque je n'avais pas encore établi de routine, mais je chassai cette réplique de ma tête, ne souhaitant pas la formuler à haute voix.
- Bonjour, se contenta de répondre stoïquement Ushijima.
Avec les dernières pensées qui m'avaient assailli ce week-end, je ne pus m'empêcher de retarder mon regard sur le champion. On ne pouvait clairement pas le caser dans la catégorie « BG béni par la nature » comme Semi Eita, son coéquipier, que j'avais pu rencontrer la semaine dernière, mais il avait un charme. Un charme qui m'attirait bien plus que la beauté presque parfaite du blond à qui je le comparait. Semi Eita était un diamant étincelant, parfait, sans imperfection, alors que Ushijima c'était un diamant brut, ni poli, ni travaillé : il était dans son état naturel.
- Alors qu'est-ce que tu fais de si bon matin ? Me demanda Satori en pencha sa tête sur le côté avec un sourire mutin sur ses fines lèvres.
Je sursautai, légèrement prise en flagrant délit de relookage de son ami et rien qu'à voir son regard et son petit air amusé, je savais qu'il m'avait complétement grillé. Heureusement pour moi, le champion, lui, ne semblait pas avoir remarqué quoi que ce soit.
- J'ai quelque chose à faire à mon club, répondis-je en restant digne, faisant comme si je n'avais pas été surprise la main dans le sac.
Ma réaction fit sourire Satori qui plissaient ses yeux, toujours avec un air amusé collé à son visage.
- Viens manger avec nous, reprit-il de sa voix presque guillerette en passant devant moi sans vraiment me laisser le choix.
Ce fut mon tour d'être amusée de son attitude enfantine. Contrairement à l'habitude que j'avais commencé à prendre de manger sans aucune compagnie humaine, je ne rechignai pas à le suivre avec Ushijima à côté de moi. Tendo ne semblait pas avoir de mauvaise intention à mon égard et ne m'avait à aucun moment considéré autrement que comme une camarade de sa classe. Je n'avais jamais senti le regard du jugement de sa part et c'était peut-être le moment de passer du temps en sa compagnie pour faire un peu connaissance avec le seul individu qui semblait sortir du lot, suivant ainsi les conseils de ma meilleure amie.
« Si quelqu'un sort du lot, tu le verras bien » avait-elle dit. C'était l'occasion de savoir si Tendo Satori était cette personne.
La cafétéria était bien calme comparé à l'ambiance animée dès sept heures avec l'arrivée de la plupart des élèves du campus. Je pouvais apercevoir que des personnes portant leurs tenues sportives éparpillées ici et là sur des tables dans un calme inhabituel pour les lieux. Ça me donnerait presque envie de me lever tous les jours plus tôt pour avoir un semblant de paix supplémentaire dans ma journée, et je pensais bien que j'allais sérieusement réfléchir à cette option.
Je ne saurai expliquer convenablement la sensation rassurante qui m'envahissait quand je sentais la présence de Ushijima derrière moi alors que nous faisions la queue pour nous servir. C'était comme si j'avais un bouclier et que je n'avais à m'inquiéter de rien, c'était apaisant, de ne pas devoir être sur mes gardes pour une fois.
- Tu es dans quel club De Villiers-san ? Reprit Tendo quand nous posâmes nos plateaux sur une des nombreuses tables inoccupées.
- D'équitation.
- Ohh tu es donc dans un club sportif, je m'en doutais ! S'exclama-t-il comme un enfant ravi d'avoir trouvé la bonne réponse à une devinette. J'aurais dû parier avec toi Wakatoshi-kun, reprit-il en se tournant vers le brun qui s'était installé à côté de lui.
- Je n'aime pas parier, se contenta de dire son interlocuteur en prenant une bouchée de son repas.
De mon côté, Tendo venait clairement de faire une très bonne impression dans mon estime. Pour de nombreuses personnes, l'équitation n'était pas considérée comme un sport, mais comme un loisir, en jugeant que c'était le cheval qui faisait tout le travail et que le cavalier était juste là pour le plaisir. Alors, entendre d'un sportif, d'un très bon niveau de surcroît, reconnaître que de monter à cheval était un sport à part entière, me prouvait que ce garçon était bien une pomme saine dans ce panier de fruit pourri.
- Tu sembles avoir un bon instinct, lui répondis-je avec un sourire sincère.
- C'est là tout mon talent !
S'en suivit des explications sur son fameux talent qu'il mettait un point d'honneur à utiliser dans son jeu au volley, ce qui le rendait particulièrement talentueux pour le poste qu'il occupait. Le repas continua où je passai les trois quarts du temps à l'écouter m'enseigner les différentes règles et les postes que l'on pouvait retrouver dans le volley sous le regard attentif d'un Ushijima silencieux. Je lançai de temps en temps quelques coups d'œil au brun, l'observant manger d'un air impassible qui semblait être continuellement imprégné sur son visage. Même quand nos regards se croisaient, il restait neutre de toute émotion, ne détournant les yeux uniquement que si je le faisais en première. Je n'osais pas interrompre Tendo dans son cours improvisé et lui dire que je connaissais déjà les bases du volley. Il semblait si passionné et enjoué à me faire découvrir l'activité qu'il pratiquait que je trouvais cela dommage de le couper dans sa bonne humeur.
- Et sinon, qu'est-ce que tu vas faire à ton club ce matin ? Reprit le rouquin une fois satisfait de ma facilité à comprendre les bases du volley, ignorant de la vérité.
Je n'eus pas l'occasion de lui répondre, car des plateaux venaient se poser à notre table.
- Salut les gars, dit un brun s'installant à mes côtés, puis posa ses yeux sur moi. Et euh ... la princesse.
Je serrai les dents en clignant des yeux quelques secondes sans pouvoir détacher mon regard du nouvel arrivant.
Cette maudite morue de Eira avait déjà réussi à faire circuler ce surnom en l'espace d'un week-end !?
J'avais bien trop largement sous-estimé son influence. Je me demandais comment avait-elle réussi son coup, mais alors que je le saluai simplement par politesse, je trouvais la réponse à ma question. Elle était cheerleader et était donc souvent en relation avec les clubs sportifs, notamment le meilleur de l'école. Elle avait dû le faire pendant son entraînement vendredi soir.
- La princesse mange avec nous ? Questionna Semi alors qu'il s'installait à la dernière place de libre à côtés de moi. Bonjour tout le monde.
Je me murai dans un silence dès que l'équipe de volley au complet avait pris place à table et discutait ensemble. Ils m'avaient quasi tous salués en utilisant le nouveau sobriquet qui m'avait été récemment étiqueté. Je fulminai intérieurement, la rapidité à laquelle l'équipe avait entendu et décidé de me nommer par ce surnom me sidérait.
Comment cette garce avait-elle réussi à les convaincre de m'appeler ainsi ?
- Je vais vous laissez, merci Tendo-san de m'avoir invité à partager ce repas en votre compagnie, les interrompis-je dans leur conversation en dissimulant les tremblements de ma voix du mieux que je le pouvais.
C'était à mon tour de ne pas laisser le choix à Tendo de répondre quoi que ce soit, car je lui avais déjà tourné le dos, déposant la moitié du contenu de mon plateau sur un tapis roulant et quittait la cafétéria la rage au ventre.
J'avais chaud, mon corps était bouillant de ressentit négatif que même la morsure du froid n'arrivait pas à m'atteindre. Sur le chemin vers l'écurie, je pris le temps de contrôler ma respiration afin de reprendre la maîtrise totale de mes émotions. Et une fois sur place, exécutant le travail, et la présence des équidés, cela m'aida amplement à un peu digérer cette mauvaise nouvelle. J'espérais seulement qu'Eira en avait parlé uniquement au club de volley, mais, ne voulant pas de nouveau sous-estimer l'ennemi, je préférais me préparer à entendre bien davantage de personnes m'interpeller au nom de princesse.
- Bonjour ?
J'étais dans un box à remettre de la paille propre après avoir fini de ramasser les excréments des chevaux quand une voix féminine résonna dans l'écurie. Je sortais la tête de l'embrasure du box pour apercevoir la présidente du club, Seikyoo.
- Bonjour Mori-san.
- Voilà qui est étonnant, je ne crois pas que c'était ton tour de venir nettoyer l'écurie ce matin, dit-elle en s'approchant de moi en pleine réflexion.
- J'ai échangée ma place avec Suzumi-san, expliquai-je.
- D'accord, mais à l'avenir, je voudrais être prévenue de ce genre de changement, me répondit-elle sur le ton de la réprobation.
Je lui présentai mes excuses et retournai terminer ma tâche. Je la sentis s'avancer à l'entrée du box dans lequel j'étais.
- Est-ce que tu vas bien ? Questionna-t-elle d'une voix presque suspicieuse.
- Oui, répondis-je en observant son air inquisiteur scotché sur son visage. Pourquoi ? Ne puis-je m'empêcher de questionner à mon tout.
- Tu à l'air … contrariée.
Étais-ce moi qui avait régressé dans ma capacité à être maître des expressions de mon visage ou étais-ce elle qui avait un don d'analyse accru ? Je ne pouvais pas nier qu'elle avait touché dans le mille et elle le savait, alors je préférais ignorer cette remarque et me concentrer sur ma tâche actuelle.
- Il te reste quoi à faire ? Reprit-elle sans être vexée d'avoir été ignorée de sa précédente remarque.
- Les nourrir, c'était le dernier box que j'avais à faire, dis-je en frottant mes mains l'une contre l'autre pour enlever les tiges de paille qui m'avaient collées les paumes et de remettre le cheval, que j'avais attaché juste à côté, dans son petit enclos tout propre.
- Je m'en occupe, va te changer, les cours commence dans trente minutes.
Je me rendis compte qu'elle portait en effet l'uniforme scolaire et non la tenue équestre. Absorbée dans mes pensées que je n'avais pas pensé un seul instant à faire attention au temps qui défilait et si elle n'avait pas pointé le bout de son nez ici, j'aurais probablement fini en retard. Je la remerciai plusieurs fois avant de courir vers les dortoirs pour pouvoir me laver.
À mon plus grand bonheur, Aïna n'était déjà plus là quand je déboulais dans la chambre et pris mon uniforme pour ensuite sauter dans une douche. J'étais habituée depuis mon enfance à sentir l'odeur qui accompagnait une écurie, mais je savais que pour les autres, ce n'était pas le cas. Alors pour ne pas à devoir subir de désagréable commentaire à ce sujet, je frottai vite mais fort ma peau sous le jet d'eau. Les japonais n'appréciaient pas le parfum, mais je pris quand même l'initiative de mettre un petit pischt, préférant qu'on me regarde mal pour ça que de puer le crottin.
J'entrai dans la salle de classe quelques minutes avant l'heure des cours. Tendo était déjà là, assis à sa place dans son uniforme scolaire et me fis un petit signe de la main auquel je répondis que faiblement. Je me remémorai les évènements de la cafétéria et c'était encore un peu coincé dans ma gorge.
- Il y a qu'une princesse pour regarder de haut un joueur de l'équipe de volley, entendis-je l'horripilante voix d'Eira qui avait observé la scène de sa table.
Normalement, j'aurais dû me munir d'un sourire hypocrite comme j'avais l'habitude de le faire dans ce genre de situation, mais contrairement à ce que j'avais pensé, ressentir du mépris envers elle me semblait si naturelle, que je n'avais pas pu le refouler.
- Ton manque d'éducation en matière de politesse et tes sous-entendus de provocation semble être un problème irrécupérable, lui dis-je d'un regard aussi froid que le ton de ma voix, c'est désolant, terminai-je en exprimant tout le dédain que je ressentais pour elle.
Elle piqua un fard, par colère et choc, ne s'attendant certainement pas à une attaque aussi directe de ma part. Mais c'était irrémédiablement finis les phrases enjolivées pour se dénigrer l'une à l'autre. Terminé de mettre des gants, terminé de jouer à leur jeu stupide. J'avais décidé de passer à l'offensive dans cette guerre. Elle ne put me répondre quoi que ce soit, car notre professeur pour la première heure de la journée, fit son entrée dès que la sonnerie retentie. Elle me lança un regard noir, visiblement, très mécontente d'avoir était aussi insultée devant toute la classe.
Mon espoir de la matinée s'était envolé au fil de la journée, écoutant péniblement les élèves chuchoter dans mon dos en me désignant comme étant la française aux allures de noble qui voulaient qu'on l'appelle uniquement sous le nom de « Princesse ». Certains regards étaient méprisants, pensant que c'était trop présomptueux de ma part, d'autres étaient admiratifs, trouvant le surnom approprié à ma personne, pensant aussi que c'était peut-être un véritable titre de noblesse que je possédais. Cela avait mis fin à mes autres questions, Eira avait réussi à les convaincre en disant que cela était mon souhait, et vu comment cela s'était répandu comme une traînée de poudre, le nier maintenant ne ferait que me porter préjudice, pensant que je chercherai juste à justifier mon arrogance par le mensonge.
Même pendant la pause du midi, malgré être seule à ma table, je voyais et j'entendais les gens parler à mon sujet, faisant naître en moi un mépris pour l'ensemble des élèves qui composaient l'académie. C'était uniquement quand je vis le 4x4 noir qui remorquait un Van de transport pour cheval, qu'un sourire s'étira sur mon visage et que la tension de mon corps s'évaporait. Je ne pus retenir mes larmes, heureuse de revoir mon cheval une fois qu'il avait mis son sabot au sol.
Il était mon seul allié ici à présent.
