Chapitre 14 : Difficile d'étudier avec ces volleyeurs.
Je me sentais bien. En paix. Dans une harmonie qui me faisait tellement défaut ces derniers temps, alors qu'à cet instant, je sentais la sérénité m'enserrer dans ses bras tel un havre paradisiaque aux allures d'une terre promise. Je me laissais m'y nouer, voulant goûter à cette volupté apaisante et enchanteresse durant chaque seconde qui m'était accordée. Espérant peut-être pouvoir ramener avec moi un peu de cette douceur bienveillante. Je ne savais pas vraiment où j'étais, mais je flottais dans une eau chaude, abandonnant toute résistance sur mon corps qui se ballotait et rebondissait sur les vaguelettes, laissant mon ouïe se faire submerger soudainement, m'imposant un silence sourd, mais salvateur. J'aimais cette sensation, d'être portée par la force de l'eau, par les sons qu'elle pouvait étouffer, m'aspirant dans une bulle qui m'était mienne. Mes pensées aimaient suivre le courant irrégulier, s'égarant un peu partout et nulle part en même temps. Les choses venaient et sortaient de ma tête sans signe d'envahissement. Jusqu'à que.
Jusqu'à que Ushijima Wakatoshi arrive tel un missile nucléaire qui avait été programmé pour entrer en puissance dans ma tête et à tout détruire à son impact.
Et maintenant qu'il s'était imposé en roi dominateur de ma conscience, je n'arrivais pu à le chasser, même un coup d'état me semblait perdu d'avance. Et comme pour me prouver la véracité de ce fait, il se matérialisa devant moi, faisant disparaître l'étendue fluide dans laquelle mon être s'y était comblé, me retrouvant contre mon grès, les pieds bien ancrés dans un sol dur et froid.
Je lui faisais face, homme qui arrivait avec tant de facilité à piéger mes pensées rationnelles et logiques dans quelque chose de plus primale, mais de plus tendre en même temps. J'avais beau faire appel à toutes les armes qui étaient à ma disposition, il ne s'effaçait pas, comme si mon subconscient refusait de le faire quitter les lieux. Je me sentais d'un coup, impuissante contre ce sentiment inconnu qui écrasait, dans cette guerre interne, toutes mes bonnes raisons de le faire partir.
Mais d'un sens, pourquoi le faire partir ? Alors qu'il était là sans être là ? Il était juste une manifestation de mes pensées, juste éphémère. Et entièrement à ma disposition. Une tentation si violente que je ne pouvais m'y refuser. C'était une trop belle occasion. Une occasion irréellement, seulement possible grâce à la magie de ma psyché. Alors, pourquoi me priver au fond ? Ici, dans ma bulle personnelle où seule moi en avait la clé, je pouvais faire ce que je voulais, je pouvais avoir ce que je m'interdisais dans l'autre monde, celui de la réalité.
Je l'observais à loisir car il est ne bougeait pas, c'était ma volonté. Mais je ne pouvais me résoudre à le toucher, même dans ma tête. Car j'avais peur, peur qu'il disparaisse, alors que c'était une stupide pensée, c'était moi qui contrôlais mon espace. Enfin presque, mon subconscient rodait toujours près de moi. Je voulais quand même profiter de lui, de sa présence fantôme autant qu'il m'en était permis, me demandant comment et pourquoi il arrivait si facilement à coloniser mon esprit. Alors que j'étais décidée à enfin poser ma main sur lui, mon monde idyllique s'effondra.
- De Villiers-san ?
Je sursautai, me relevant subitement de la table sur laquelle je m'étais affalée, m'étant faite prendre sournoisement par les bras de morphée sur mes devoirs et mon manuel de japonais. Je clignai des yeux, la vision encore floutée par ce sommeil, essayant de distinguer à qui appartenait la voix qui avait réussi à me sortir de ma léthargie surprise.
- Shirabu-san ? Kawanishi-san ? Questionnais-je la voix un peu enrouée par mon éveil soudain, en reconnaissant les recrues de l'équipe de volley.
- Pardon, je ne voulais pas te réveiller senpaï, me dit Taichi avec un sourire désolé.
Je bougeais la tête dans un mouvement de négation en affichant un petit sourire que je voulais rassurant.
- Ne t'excuses pas, tu as bien fait, ce n'est pas le bon endroit pour s'endormir.
En effet, on ne pouvait pas dire que la petite bibliothèque du bâtiment commun entre les dortoirs était le plus adapté pour faire une petite sieste. Mais la fatigue était arrivée en douce, comme un ninja, usant silencieusement de son arsenal qui m'avait emporté dans une défaite incontestable. Je ne me souvenais même pas avoir fermé les yeux et m'être complètement détendue sur la table, alors que j'étais venue ici pour me débarrasser des devoirs, qui avaient été donnés, en cette soirée veille de la Golden Week. Mais ma séance de musculation m'avait vidé de mon énergie, ainsi que la digestion du repas que j'avais ingurgité juste avant de venir, facilité par le manque de sommeil évident qui me tiraillait depuis plusieurs semaines. J'avais totalement lâché prise. Je regardai mes affaires qui avaient été un peu mise sens dessus-dessous. La page de mon cahier, qui m'avait servi d'oreiller, était chiffonnée, m'ayant certainement laissé une trace sur ma joue, comme une vengeance de ce mauvais traitement que je lui avais infligé.
- Vous venez étudier ? Demandais-je en frottant mes yeux comme une ultime tentative d'effacer les dernières traces de sommeil qui pouvaient encore être visible sur mon visage.
- Oui, on est venu rejoindre les autres, me répondit Taichi en désignant d'un mouvement de tête une table au fond de la pièce.
Au moment où je suivais des yeux le lieu qu'il m'indiquait, la silhouette élancée de Satori s'avança vers nous. Derrière lui, j'apercevais quelques membres de l'équipe de volley, qui avaient momentanément quitté des yeux leur manuscrit pour observer la scène.
- Vous l'avez réveillée alors qu'on a tous fait pour ne pas faire de bruit ! Dit Satori d'un ton réprobateur envers ses jeunes coéquipiers.
Je me retenais de rougir, un peu mal à l'aise d'avoir été si intensément emportée par le sommeil, que je n'avais rien entendu de leur venu en ces lieux. Alors que j'avais pourtant un sommeil léger. J'espérais ne pas avoir fait quelque chose qui pourrait être embarrassant, style ronfler ou baver sur mon cahier. Je glissai discrètement mes doigts sur le coin de mes lèvres afin d'en avoir la certitude. Un sentiment de honte m'envahit quand j'essuyai une fluidité collante, trahissant ce que j'avais redouté. Les titulaires de l'équipe de volley m'avaient vu dormir la bouche ouverte. Je crois que j'aurais un peu de mal à oublier la gêne qui m'habitait maintenant.
- Pardon senpaï, dirent les 1ères années en s'inclinant devant le rouquin.
- Vous serez pardonnés quand je vous verrais vomir vos tripes demain pendant l'entraînement intensif qui vous attends, leur dit Satori avec un sourire sadique. Allez zou, allez-vous installer là-bas, ajouta-t-il en un geste nonchalant de la tête pour désigner la place qu'ils occupaient.
Le regard carmin pétillant de malice de mon camarade de classe se posa sur moi pendant que les 1ères années obéissaient à ses ordres. J'étais pourtant douée avec les mots, mais je n'arrivais pas à formuler une phrase, un peu troublée par ma faiblesse. Satori tira la chaise en face de moi et prit place, posant ses coudes sur la table et laissa tomber son menton dans le creux de ses mains, avec un petit sourire joueur sur ses lèvres. Son attitude et son regard scrutateur termina le travail de me faire complètement rougir de honte. J'en détournai le regard.
- Ne sois pas à ce point gênée Prudence-chan, rit doucement Satori. C'est presque normal de s'endormir sur son cours de japonais littéraire, se moqua-t-il un peu.
- Mais je ne suis pas gênée, dis-je en redressant les épaules, prête à tout nier en bloc, entièrement manipulée par de la mauvaise foi.
Satori gloussa sans me quitter des yeux.
- Pas avec moi, me répondit-il simplement pour me faire comprendre que je pouvais ranger ma fierté mal placée avec le mensonge éhonté qui l'accompagnait.
Je voyais dans ses yeux que c'était peine perdue, il avait deviné. Son instinct de déduction était vraiment une arme incroyable, ce qui me laissait croire que je pourrais rarement lui mentir sans qu'il ne s'en rende pas compte. Mais ça me donnait l'impression qu'il me connaissait mieux que je ne le pensais, et ça, ça me faisait plaisir au fond de moi.
Un frisson me traversa l'échine, créant une chair de poule sur mes avant-bras nus car je portais qu'un simple top à manche court. J'avais comme la sensation qu'une source de chaleur m'avait quittée. C'était à ce moment-là que je captai le sourire joueur de Satori, redoutant ainsi quelque chose venant de sa part.
- Garde tes rougeurs pour ça ma p'tite, me dit-il dans un murmure taquin.
Il bascula sa tête sur une seule de ses mains pendant que l'autre pointait du doigt quelque chose plus bas derrière moi. Beaucoup trop curieuse de vouloir comprendre le sens de ses propos, je lançai mon regard par-dessus de mon épaule et aperçu un vêtement coincé entre mes reins et la chaise. Je le saisi, me demandant qu'elle fût cette chose et que faisait-elle ici. Je me pivotai sur le côté, de façon à ce que mes jambes ne soient plus dissimulées sous la table et tendit le vêtement devant moi. Il s'agissait sans nul doute d'une veste de sport de l'école, mais ce n'était pas la mienne puisque je ne l'avais pas apporté avec moi, et aussi parce qu'elle était trois fois trop grande pour ma taille. Je n'avais pas besoin de réfléchir cent ans pour en déduire d'où elle provenait, restait à savoir à qui elle appartenait. Je glissai mon regard vers Satori, pensant qu'elle était peut-être à lui, mais il portait la sienne sur ses propres épaules.
- Wakatoshi-kun, me répondit le rouquin à ma question silencieuse, guettant sans scrupule ma réaction.
Aussitôt, mes yeux se portaient vers le groupe au fond de la pièce et plus particulièrement sur le champion mentionné. Il avait la tête dans son cahier, à griffonner dessus. Il leva son visage vers son manuel qu'il avait posé un peu plus haut et reportait à nouveau son attention pour retranscrire quelque chose d'autre sur sa feuille. Il était aussi le seul du groupe à n'avoir qu'un tee-shirt noir comme simple vêtement sur le dos. Je ne pouvais pas plus rougir qu'actuellement, imaginant sans tarder la scène où le grand brun avait retiré sa veste pour la poser sur mes épaules pendant que j'étais en train de dormir. À baver sur mon manuscrit. Et qu'il avait dû le voir.
J'étais à deux doigts de vouloir enfouir ma tête dans la veste que je tenais dans mes mains, dans l'optique de cacher mon visage qui devait avoir entièrement changé de couleur. Cependant, je me rappelais à temps que ce n'était pas la mienne, alors je l'abattis au dernier moment sur mes genoux. Mon regard, grand ouvert, revient vers le visage satisfait de Satori.
- Si tu voyais ta tête, dit-il en ricanant comme un machiavélique petit lutin.
Je sentais mon cœur tambouriner dans ma poitrine sans comprendre exactement pourquoi il se mettait à battre aussi vite. Était-ce à cause de la taquinerie de Satori ? Juste un peu, avec mes amis de Tokyo, j'avais déjà écumé pire comme plaisanterie. Cela ne pouvait donc pas être la seule et unique raison pour avoir l'impression que mon organe vital allait sortir de ma cage thoracique. Je mis un peu plus de temps à admettre que c'était parce que la veste en question n'appartenait pas à n'importe qui. Elle était au garçon pour lequel j'éprouvais un crush que je ne voulais pas avouer.
Mes doigts serraient un peu l'étoffe dans laquelle je me perdis à contempler quelques secondes, me disant qu'elle devait être imprégnée de son odeur. Cela me donnait très envie de la porter à mon visage pour la humer et enfin découvrir à quoi pouvait bien sentir le champion. Mais je me retenais, avec difficulté.
- Je vais la lui rendre, dis-je en évitant le contact visuel avec Satori.
- Fais donc, me répondit le roux pendant que je me levais de ma chaise.
Le timbre de sa voix était toujours joueur, voir même un peu provocateur, me donnant l'impression qu'il ne m'en croyait pas capable. Ou au contraire, pour me pousser à le faire. J'étais mitigée.
Je m'avançai dans la direction où étaient installés le reste des volleyeurs. Il y avait les titulaires de l'équipe et les recrues qui avaient dû être choisis pour devenir remplaçant. Reon était en train de montrer quelque chose à Hayato sur son manuel, Ushijima était toujours concentré sur sa tâche et Eita faisait tourner, avec une moue ennuyée, son stylo entre ses doigts. Par faute de place, les nouveaux arrivants avaient rapproché une table de la leur pour ne pas être séparés et étaient en train d'installer leurs affaires au moment où je m'approchais d'eux.
Mon cœur n'avait pas cessé de s'affoler inexplicablement. Je me sentais ridicule en plus d'être honteuse et cela m'agaçait. Qu'est-ce qui clochait chez moi ? Où était donc passé mon calme olympien et mon sang-froid en toutes circonstances ?
Eita fut le premier à me voir puisque c'était le moins attentif à ses devoirs du groupe.
- Bonsoir Prudence, bien dormi ? Me questionna-t-il avec un sourire amical en cessant de jouer avec son stylo.
J'usai de courage et de volonté pour ne pas me dérober à son regard afin de conserver le peu de dignité qu'il me restait.
- Oui, désolée de vous avoir imposer cela.
- Ne t'excuses pas, tu étais si mignonne qu'on n'a pas osé te réveiller.
L'oxygène eut un mal fou à s'engouffrer dans mes poumons et je ne voulais pas voir le résultat que sa phrase avait eu sur mon visage. La chaleur qui me picotait les joues était assez parlante. Je donnerai n'importe quoi pour être partout, sauf ici.
- Ushijima-san, je voulais te rendre ta veste et te dire merci, dis-je pour fuir cette discussion embarrassante.
Le concerné, qui avait levé le nez de son cahier, à l'entente de mon prénom prononcé par son coéquipier, me fixait de son air impassible. J'essayai de bloquer toutes les pensées qui voulaient s'imposer de force dans mon esprit. Me répétant que je devais simplement le remercier, lui rendre sa veste et faire demi-tour, comme un mantra. Ses yeux verts glissaient sur mon corps quelques instants avant de revenir s'accrocher à mon regard.
- Garde-la, tu as froid.
J'avais tout sauf froid. Enfin, plutôt je n'arrivais pas à ressentir la fraîcheur sur mon corps tellement cette situation m'enflammait de l'intérieur. J'allais protester pour insister et la lui rendre, voulant juste suivre les directives que je m'étais imposée pour garder le contrôle de mes pensées qui ne demandaient qu'à s'égarer sur sa personne.
- Mais oui, regarde-toi tu trembles, entendis-je la voix un peu trop fourbe de Satori dans mon dos. Tiens Reon, prends ses affaires et donne-moi les miennes pour qu'elle s'installe avec nous.
Le grand métissé s'exécuta sans un mot, ressemblant le cahier, le manuel et la trousse, posée à côté d'Ushijima pour faire un échange avec ceux que lui tendait le bloqueur central. C'était en observant cet échange que je me rendis compte que c'était de mes affaires qu'il s'agissait. Je me retournai brusquement pour constater que plus rien m'appartenant n'était resté à l'endroit où j'avais élu domicile plus tôt dans la soirée. Quand je pivotais vers mon camarade de classe qui avait pris place à côté de Shirabu, il m'était impossible de louper son sourire si éloquent, triompher sur son visage.
- Enfile cette veste et va t'asseoir à côté de Wakatoshi-kun, dit-il en prenant le temps de détacher chaque mot, comme si je devais comprendre un sous-entendu camouflé dans cette phrase, ce qui me faisait froncer les sourcils.
Reon et Hayato regardaient Satori avec un sourire entendu. Comme s'ils étaient contents, comme si eux avaient parfaitement saisi le véritable sens des propos de leur coéquipier.
Mais content de quoi ?
La seconde suivant, la réalité me frappa enfin. C'était un traquenard, un piège. J'avais aveuglement mis les pieds dedans, et avec de l'élan en plus de ça. J'aurais dû m'en douter, les signes avaient été là. Mon indéchiffrable et fourbe camarade de classe n'avait pourtant pas été discret, par son ton joueur qu'il avait utilisé et par ses propos provocateurs qu'il avait employé. Cela avait été son but dès le départ et ma réaction le comblait de satisfaction.
À quoi joue-tu Satori ?
La question me brulait les lèvres, mais je laissais mes yeux parler pour moi, sachant très bien qu'il arriverait à l'interpréter et le comprendre correctement. Son regard rouge comme un feu incandescent se plissaient, étant plus mystérieux que d'habitude, me laissant aucune chance d'avoir une réponse aussi muette que ma question. La complicité soudaine de ses coéquipiers ne faisait qu'ajouter de nouvelles questions, qui elles aussi, restaient sans réponse. Il se tramait un truc, j'en avais la certitude. J'avais beau avoir l'impression d'avoir perdu une partie de mes capacités d'observations et de déductions, qui n'étaient certes incomparables à celles de Satori, je n'étais tout de même pas totalement dupe. La situation m'échappait complètement, et c'était quelque chose que je n'appréciais pas. J'avais horreur de perdre le contrôle et là, les choses semblaient indéniablement être hors de ma portée.
Je n'avais aucune idée de l'objectif de cette manœuvre, ni pourquoi elle était engagée, mais si je voulais des réponses, je me devais de suivre les règles que les garçons m'imposaient. Et des réponses, j'en voulais. Le contrôle, je voulais le récupérer.
Je passai mes bras dans la veste qui était restée dans mes mains. Les manches beaucoup trop longues pour moi me laissait à peine voir le bout de mes doigts, ainsi que le bas trop large, qui cachait le haut de mes cuisses. Heureusement que je portais un pantalon, car si j'avais la jupe de mon uniforme scolaire par exemple, elle aurait été pratiquement dissimulée et cela m'aurait donné la sensation d'avoir que cette simple veste comme seul barrage contre ma nudité. Je fermai le zip jusqu'au haut, laissant la douce odeur naturelle du brun cajoler mes sens olfactives, ravisant enfin cette envie qui ne m'avait pas quitté un seul instant depuis que j'avais eu le vêtement entre mes mains. Et cette odeur, elle ne me décevait pas le moins du monde, me donnant plus aucun désir de rendre le bien à son propriétaire. Bien au contraire, l'idée de l'emporter avec moi à la fin de la soirée était une tentation gourmande.
Je voulais jouer à ce jeu, si bien sûr cela en était bien un, mais l'intensité du regard d'Ushijima était pas loin de faire vaciller ma détermination nouvellement apparue. Mon cœur qui entre temps avait réussi à reprendre une cadence décente, repartit de plus belle, comme quand Drogon voulait retourner au galop de lui-même alors que je l'avais fait revenir au pas.
- Qu'est-ce que vous êtes en train de faire ? Demandais-je en m'installant à la place qui m'était imposée entre Eita et Ushijima.
Le brun qui, d'ailleurs, n'avait fait que suivre le moindre de mes faits et gestes pendant tout le processus. À l'instant où j'ai commencé à enfiler sa veste jusqu'au moment où je posais enfin mes fesses sur le siège entre lui et le blond.
- On est sur nos devoirs d'anglais, me répondit Eita.
- Qui me prend la tête si vous voulez mon avis, ajouta Hayato en face de moi, la mine contrariée, en fixant son manuel.
- Tu veux de l'aide ? Proposais-je.
Je savais que je n'avais pas la moindre chance de pouvoir travailler correctement sur mes propres devoirs, mon esprit était en effervescence de cette intrigante situation. Alors autant porter toute mon attention à ces volleyeurs pour tenter de démêler et arracher par moi-même les réponses que je convoitais. Et les savoir en difficulté sur quelque chose que je maîtrisais sans problème était une belle opportunité.
- Tu parles anglais ? Me demanda-t-il aussitôt.
La plupart des japonais pensaient presque automatiquement que tous les étrangers savaient parler anglais, car souvent, dès qu'il voyait un blanc, ils se disaient que c'était un américain. Chose qui parfois était agaçante pour l'avoir assez souvent vécue à Tokyo. Quand j'étais amenée à parler à un inconnu, natif de ce pays, souvent, il voulait me répondre en anglais bien que je l'avais interpelé en japonais. C'était un peu moins le cas au bout de quatre ans, car maintenant, mon accent n'était plus aussi médiocre qu'à l'époque, mais de temps en temps, la scène se manifestait tout de même. Bien que dans mon cas, je maîtrisais effectivement l'anglais, ce n'était pas forcément le cas pour tous les étrangers présents au Japon.
- Je le parle couramment.
- Ça doit être cool d'être bilingue, commenta Eita pensivement sans aucune trace de jalousie ou autre émotion négative.
J'avais envie de frimer, ma modestie se cacha soudainement pour laisser mon orgueil et mon arrogance prendre le dessus dans cette conversation.
- Certainement, pour ma part, je parle quatre langues couramment et je suis en train de terminer l'apprentissage d'une cinquième, répondis-je avec un sourire un peu trop suffisant.
- Genre vraiment ? Tu sais parler quelles langues ? Questionna Taichi qui semblait impressionné.
Il n'en fallait pas plus pour continuer à fanfaronner comme un paon.
- Le français, qui est ma langue natale, l'anglais, le mandarin, le japonais bien évidement, et je peux un peu près tenir une conversation en espagnol.
Je recevais des félicitations, gonflant à bloc mon égo outragement surdimensionné à l'instant présent.
- Quelle prétentieuse tu fais Prudence-chan, je vois que tes chevilles de là ou je suis, me taquina Satori en mordillant son stylo, la joue posée avec nonchalance sur le dos de sa main.
Je m'empourprai un peu. J'avais parfaitement conscience que je pouvais avoir un comportement de gamine prétentieuse et arrogante, et que c'était un de mes plus gros défauts. De ce fait, je me sentais toujours un peu gênée quand on me le faisait ouvertement remarquer.
- Désolée, dis-je un peu confuse.
- Ne t'inquiète pas, ça fait ton charme, dit-il en riant de ma réaction. Mais au fait, reprit-il la seconde suivante en se redressant correctement sur sa chaise sur laquelle il était avachi. Si t'es là, c'est que tu ne rentres pas à Tokyo pour la Golden Week ?
Nous étions mercredi soir, et la semaine parsemée de fériés débutait demain. Ce qui faisait que l'école s'était presque totalement vidée de ses occupants, ne laissant que les clubs qui avaient organisé une activité, c'est-à-dire, très peu.
- Non, je vais rentrer que vendredi soir, comme d'habitude, lui répondis-je en mettant le côté son commentaire au début de sa phrase.
- Tu restes pour ton club ?
- Oui, je vais m'entraîner.
- On pourrait peut-être passer te voir ? Demanda Eita en s'immisçant dans la nouvelle conversation.
- Si vous en avez le temps, mais j'imagine que si vous êtes là, c'est pour vous entraîner vous aussi, non ? Lui répondis-je en reportant mon regard sur lui.
- Mouais, on a invité l'équipe du lycée d'Aoba Johsai pour faire des matchs d'entraînement, mais ça va être un peu ennuyeux, ils sont moins fort que nous, dit-il en faisant un peu la moue.
Je ne répondis rien, ne pouvait que me fier à ses dires puisque je n'avais aucune idée de l'étendu des capacités de l'équipe qu'il venait de mentionner. J'avais uniquement connaissance des équipes qui avait joué contre celle de KAIS, ce qui se limitait seulement quelques-unes.
- Ça se traduit comment ce mot ?
La voix grave et profonde d'Ushijima à mes côtés me happa à lui instantanément. Mon rythme cardiaque s'emballa de façon erratique quand je rencontrais ses prunelles olive dans laquelle je me laissais inconsciemment m'y nouer. La proximité de nos corps, par le biais de nos bras qui se frôlait déjà quasiment depuis le début, était devenu inexistante maintenant qu'il s'était un peu penché vers moi en avançant son manuel pour me montrer le mot en question. La chaleur de son bras nu, collé au mien, traversa sa veste que je portais et c'était à deux doigts de me déstabiliser complètement. Je pris une longue inspiration pour me concentrer sur ce qu'il me pointait du doigt et lui répondit presque dans un murmure.
- Hum, et celui-là ? Enchaîna-t-il ne prêtant pas attention à mon soudain changement d'attitude.
Son souffle chaud effleura subtilement ma joue, brisant les barrières qui jusqu'ici, m'avait permis de ne pas rougir. Je répondais à nouveau à sa question un peu fébrile. Cette douce torture ne s'arrêta pas là, puisqu'il continua à accaparer mon attention et émoustillant mes sens, les mettant en émoi avec davantage de questions sur une autre traduction où sur une prononciation. Je me maudissais au fond de moi de me sentir si faible pour des gestes si pauvres. Je l'avais déjà pourtant touché une fois, le soir où j'étais resté près de lui à la salle de musculation. J'avais apprécié ce contact, beaucoup trop, au point où je m'étais dit que je ne devrais plus jamais le faire. Parce que j'avais ressenti l'envie de faire glisser ma main et sentir sa peau sous la mienne, de sentir la chaleur de son corps réchauffer ma paume. Cela n'avait été que son bras pourtant. Aujourd'hui encore, ce n'était que son bras, que son souffle, que sa voix. Que lui. Qu'un homme. Mais c'était à cause de cet homme que mon cœur tambourinait comme s'il était amoureux. Sauf que c'était impossible. Il ne le pouvait pas. Je connaissais le champion que depuis un mois, et mes rares échanges avec lui étaient si moindre qu'ils pouvaient se compter sur les doigts de mes mains. Et surtout, mon cœur ne devait pas être amoureux, je le lui interdisais.
- T'es toute rouge Prudence-chan, tu te sens bien ? Minauda la voix de Satori après quelques secondes de répit une fois que le brun avait repris sa position initiale.
Je fixai ce maudit volleyeur. Son sourire satisfait, son regard amusé parlaient pour lui. Oh qu'il avait inlassablement compris ce qui était en train de m'assaillir, et il semblait s'en réjouir. Et je n'en savais toujours pas pourquoi. Était-ce par simple plaisir sadique ? Ou pour une tout autre raison qui échappait à ma compréhension ? Dans tous les cas, je devais noyer le poisson face aux regards des garçons qui s'étaient aussitôt relevés vers moi. J'avais déjà eu mon compte de honte pour ce soir.
Seul Dieu pouvait en être témoin Satori, mais j'ai terriblement envie, ici et maintenant, de te le faire ravaler ton sourire digne d'un diable.
- Oui, je commence juste à avoir chaud avec la veste, dis-je dans un grand sourire maitrisé dans un mensonge éhonté. On reprend ? Qui a besoin d'aide pour ses devoirs d'anglais ? Demandais-je pour manipuler le sujet.
