Chapitre 15 : Le cheval des enfers
- Je te jure que si tu ne reviens pas toute suite, je t'envoie à la boucherie et je te cuisinerai moi-même pour te dévorer bien saignant ! Grondais-je contre mon cheval.
Sa réponse ? Un hennissement avant de repartir galoper plus loin quand j'étais plus qu'à quelque pas de lui en ce début de journée. Le soleil était timidement au rendez-vous, parfois camouflé par de moelleux nuages blancs. La température était encore fraîche, mais ce beau ciel bleu printanier était prometteur de douces chaleurs dans les heures à venir. Et malgré ça, ce temps ravissant n'arrivait pas à effacer les traces d'agacements qui me prenait à la gorge.
- Cheval tout droit sorti de l'enfer, arrête donc de faire courir ta mère ! Lui criais-je dessus alors que je voyais son arrière train donner des coups de sabots en l'air tellement il pétait la forme.
Ma journée venait à peine de commencer que je transpirais déjà. La raison ? Elle était toute simple. Je devais récupérer Drogon que j'avais déposé la veille au pré pour le panser, le sceller et commencer mon cours particulier. Mais mon fidèle compagnon ne semblait pas vouloir me faciliter la tâche et il était d'une humeur capricieuse. Je l'aimais, vraiment, de manière inconditionnelle, c'était mon bébé, mais dans des moments aussi irritants que celui-ci, il devenait juste un steak haché ambulant à mes yeux. Mon père aimait en rire car ce n'était pas la première fois que mon cheval avait un tel comportement. « Telle mère, tel fils » m'avait-il dit quand il avait enfin vu Drogon en action.
Licol en main, je pataugeai dans la terre rendue un peu boueuse à cause de la rosée du matin, je trottinai jusqu'à lui, ralentissant le pas pour ne pas le faire fuir à nouveau. J'avais déjà assez perdu de temps à lui courir derrière le cul pendant plus d'une vingtaine de minutes, manquant par deux fois de tomber à cause d'un trou ou de glisser dans de la boue. Je pris une voix douce pour l'amadouer, m'approchant de lui à pas de velours. Il broutait de l'herbe, remuant de temps à autre sa queue pour chasser les insectes volants qui venaient le déranger pendant le grignotage de cette verdure abondante. J'espérais pouvoir enfin lui mettre la main dessus après avoir parcouru en long, en large, et en travers le pré qui faisait plusieurs hectares sous le regard curieux des autres équidés présent. Et j'en avais ma claque.
Et que loué soit les anges, et tous les saints, et toutes les divinités dans toutes les croyances qui existaient sur cette terre : j'avais enfin posé ma main sur son encolure. Sans perdre un seul instant, j'attachai une partie du licol derrière ses oreilles, et laissais échapper un soupir de soulagement pendant que monsieur continuer à ruiner le sol fertile.
- Je te déteste et je t'aime à un point que tu n'imagines même pas, murmurais-je.
Je faisais partie de ce genre de personne, celle qui parlait à ses animaux, imaginant parfois qu'il pourrait peut-être me comprendre et par miracle, me répondre. Il releva la tête, mâchant l'herbe qu'il avait arraché en se tournant vers moi, créant ainsi la parfaite opportunité pour terminer de lui enfiler son filet en moumoute noire et rouge.
Le ramener jusqu'à l'écurie n'avait pas était sans peine, au début il avait refusé d'avancer pour diverses raisons qui échappaient à ma compréhension. Monsieur Le Cheval mesurant 1m75 au garrot, ce qui était plutôt grand pour sa race, avait vraiment décidé d'être casse-pied aujourd'hui. Il finit tout de même par se détendre une fois avoir parcourus la moitié du trajet, me poussant à me questionner sur sa santé mentale, comme par exemple s'il n'était pas affecté par un syndrome bipolaire. Mais alors que je pouvais apercevoir la structure de l'écurie en arpentant le sentier, seul accès à la vaste forêt qui entourait l'école et unique chemin pour parvenir au pré, j'entendis des voix hurler au loin dans mon dos.
- Prudence-chan éloigne-toi de ce démon !
- On arrive te sauver !
J'écarquillai les yeux par surprise. En me retournant brusquement, j'apercevais Satori et Eita à une centaine de mètres de moi, sortant des entrailles de la forêt en courant comme des forcenés dans ma direction. Je ne comprenais pas un seul instant la situation et de quel démon ils parlaient, imaginant toute suite un psychopathe ou un yokai, un démon japonais, roder à travers les cimes des arbres centenaires aux abords de l'école. Un frisson de terreur me parcourra l'échine, me donnant des sueurs froides.
Satori me saisit les épaules un peu trop brutalement et me poussa derrière lui dans un signe de protection. Dans ce mouvement si soudain et sans aucune once de délicatesse, digne des caractéristiques qui définissaient l'équipe de volley, je perdis des mains la cordelette qui me permettait de faire avancer Drogon avec moi. Eita s'était positionné à côté de son coéquipier et pointait un doigt accusateur vers mon cheval.
- Tu ne la mangera pas ! Asséna-t-il contre l'animal.
- Ne t'inquiète pas on ne le laissera pas te toucher, me dit Satori.
Par leurs brusques réactions, Drogon recula de quelques pas en hennissant, pas très rassuré des humains apparus devant lui qui le menaçait, mais il ne se montra pas pour autant agressif. Pas encore du moins. Et moi, je me retrouvais encore plus perdue que je ne l'étais déjà à contempler la scène par-dessus l'épaule du rouquin.
Mais qu'est ce qui se passe ?
- Que vous arrivent-ils ? Demandais-je confuse et tendue, ayant encore l'image d'un tueur pouvant toujours épier les proies potentielles que nous étions comme dans les films d'épouvantes.
- On te protège de lui, c'est un véritable diable ce cheval, répondit Satori, le regard plissé par la méfiance en fixant intensément mon cheval.
Je clignai plusieurs fois des yeux, laissant le temps à l'information d'être traitée par les mécanismes de mon cerveau et d'assembler doucement les pièces du puzzle ensemble. Cependant, il me manquait des éléments pour déchiffrer pleinement cette énigme insolite dans son entièreté.
- De Drogon ? Questionnais-je pour être sûre de tout à fait comprendre la situation.
- Peu importe son vrai nom, nous on l'a baptisé Hadès, répondit Eita en faisant des signes de la main vers nous pour nous inciter à reculer.
Satori me prit par les épaules une seconde fois et commença à m'entraîner avec lui, mais je m'extirpai de son emprise avec un mouvement souple des épaules. J'avais déjà assez galéré pour rapatrier Drogon jusqu'ici, il était hors de question de voir mon « dieu des enfers grec » se carapater maintenant qu'il était libre de mouvement et sous pression.
- On se calme les gars, tonnais-je un peu plus fort pour faire cesser ce cinéma et attirer leur attention vers moi. Qu'est-ce qui vous prends ?
- On te la dit, on te sauve de lui, il ne faut pas s'en approcher ou il va te manger, me répondit Eita en détournant son regard de mon destrier.
- Me sauver. De mon cheval. Qui voudrait me manger ? Répétais-je avec un peu de scepticisme les mains sur les hanches.
Ses deux grands gaillards qui pouvaient arborer un air si sérieux, si sévère, voir un chouilla menaçant pendant leurs matchs, ressemblaient à l'instant à deux enfants qui regardaient une adulte sans réussir à comprendre un seul mot de ce qu'elle pouvait leur dire. Leurs yeux étaient ronds de surprise et leur bouche un peu entrouvertes par la confusion. C'était tellement débordant de mignonnerie que mon irritation fondit comme neige au soleil.
- Comment ça ton cheval ? Tiqua aussitôt Satori avec une voix plus douce et incertaine.
- « Hadès », comme vous l'appelez, m'appartiens, je suis sa propriétaire.
Je ne pouvais quand même pas cacher le fait que j'étais légèrement vexée pour Drogon, ce n'était pas un surnom très gentil pour mon compagnon à quatre pattes. Ils avaient de la chance d'être si adorables à regarder avec leur tête abasourdit et déconfit, sinon, j'aurais certainement fait preuve de moins d'indulgence. C'était à ce moment-là que je vis Hayato et Reon nous rejoindre. Je pouvais aussi distinguer des silhouettes au loin se rapprocher de nous en courant.
- Il fait quoi en liberté ce démon ? Demanda Hayato le souffle court et le visage en sueur.
- Mais cessez donc de l'appelez ainsi ! M'offusquais-je en les contournant d'un pas décidé et de ramasser la corde avant que Drogon ne se mette à galoper comme un fou.
Je lui caressai l'encolure, lui murmurant des mots en français que je voulais apaisant, d'une voix douce pour ne pas le faire stresser davantage de la situation. Il était déjà nerveux à taper le sol avec ses sabots et en bougeant frénétiquement la tête face aux nouveaux arrivants. S'ils continuaient leur manège, il pourrait s'emballer et se cambrer, ce qui serait dangereux pour tout le monde. À mon contact et au son de ma voix, il se calma presque aussitôt, rassuré que je sois présente près de lui. Pour le féliciter d'avoir repris un comportement calme, je lui grattouillais l'encolure, ce qu'il apprécia.
- Il lui est arrivé un truc pendant la nuit pour être aussi gentil tu crois ? Entendis-je Eita.
- Je n'en sais rien, mais c'est suspect, lui répondit Satori.
- C'est peut-être un piège ? Je vous rappelle qu'il est perfide, ajouta Hayato.
Je tournai ma tête vers eux, gratifiant toujours mon cheval de caresses tendres pour le maintenir dans une humeur sereine. Ils étaient tous les quatre alignés devant moi, les bras croisés sur leur torse, le visage suspicieux. Leur tenue de sport imprégnée de sueurs sur certains endroits de leur tee-shirt, témoignant de leur effort pour ce jogging matinal.
- Mais de quoi parlez-vous à la fin ? Exigeais-je, voulant comprendre le sens de leurs propos.
- On passe souvent par ici pour faire notre footing quotidien, commença à m'expliquer Reon qui était resté le plus calme dans cette situation. Et il est souvent proche de la clôture quand on longe les prés. La première fois qu'on l'a croisé, on s'était arrêté pour le caresser parce qu'on n'avait jamais vu un cheval aussi grand. Sauf que la fois suivante, il a voulu manger mes cheveux, termina-t-il en fronçant ses sourcils.
- Moi aussi, dit Hayato.
- Moi il m'a donné un coup de tête dans le nez la semaine dernière, grogna Eita.
- Et moi il a voulu manger ma veste hier, enrichis Satori sur le même ton.
Je me mordis la lèvre pour ne pas rire. Mon imagination, toujours aussi facile à stimuler, créa facilement les scènes dans mon esprit : voir mon cher Drogon tenter d'arracher les cheveux de Reon et d'Hayato comme si c'était de l'herbe, donner un coup de tête à Eita parce qu'il voulait s'en doute un câlin et attraper la veste de Satori pour savoir quel goût cette chose pouvait avoir. Je riais à m'en tordre l'estomac, ne pouvant réprimer cet élan d'hystérie, pendant que les garçons se froissèrent. C'était à leur tour de se sentir vexé, les rôles s'inversaient.
- Ce n'est pas drôle du tout Prudence-chan ! S'exclama Satori en tirant une moue boudeuse.
- Oh que si, répondis-je entre deux rires en essuyant une larme du coin de mes yeux. Allez, assez discuté de vos bêtises, avançons, dis-je une fois calmée.
Ils établissaient une distance de sécurité disproportionnée avec moi et Drogon, me donnant une raison de plus de me moquer impunément d'eux. Leur intervention fantasque avait réussi à égayer mon humeur maussade et cela me donnais davantage envie de les taquiner.
- Alors comme ça on essaye de manger de la viande fraîche d'athlétiques volleyeurs ? Ça pourrait peut-être te donner des capacités spéciales, dis-je d'un ton espiègle, voir joueur, en regardant mon cheval.
Leur réaction ne se fit pas attendre et s'en offusquèrent, craignant un peu plus l'animal qu'avant. Mais alors que je continuais ce petit jeu exaltant, des pas martelant le sentier de terre se rapprochaient de nous alors que nous atteignîmes l'écurie. Je n'eus guère le temps de me retourner pour satisfaire ma curiosité et découvrir qui était arrivé jusqu'à nous, espérant secrètement croiser Ushijima, ce qui emballa légèrement mon cœur de cette éventualité désiré.
- Ah Prudence t'es enfin là ! Tu en a mis du temps à aller chercher ton cheval ! Me héla le coach qui sortait de l'entrepôt avec des barres sur son épaule pour monter les obstacles. On n'est pas là pour batifoler, t'as un entraînement intense qui t'attend, alors on n'a pas de temps à perdre, va toute suite le sceller ! Ordonna-t-il.
L'autorité du coach chassa toute suite mon humeur ludique pour reprendre un air plus sérieux. Il avait raison, j'avais perdu du temps, il n'y avait rien qu'à voir le club de volley qui avait déjà presque terminé leur échauffement matinal par de la course à pied pour me rendre compte de mon retard.
- Et bien, je vois qu'on n'est pas les seuls à avoir un coach démoniaque, murmura Hayato.
Encore une fois, je n'eus guère le temps de lui répondre que la voix de mon professeur tonna une nouvelle fois comme la foudre s'abattant sur la terre. J'aurais voulu les contredire, car il n'était absolument pas démoniaque, il avait toujours fait preuve de patience et de pédagogie pendant nos cours, il voulait seulement qu'on soit attentif et concentré dans notre activité en retour.
- Puisque tes copains ont du temps à te consacrer, ils vont venir m'aider à mettre en places les obstacles pour ton cours.
Les quatre titulaires de Shiratorizawa commençaient à protester, qu'ils n'avaient pas autant de temps qu'il pouvait le croire, car ils avaient leur propre entraînement qui les attendaient dans leur gymnase, mais ils n'osèrent pas plus que ça répliquer car ils étaient quand même un peu fautifs. Je leur souriais une dernière fois, pensant que c'était la justice du karma qui avait frappé pour avoir critiqué mon bébé d'amour. Je me dirigeai vers l'entrée des box pour m'occuper de mon cheval en leur faisant un dernier signe de la main, avec une moue un peu provocatrice. Mon envie de les chambrer n'avait pas vraiment si disparu que ça finalement.
- Ça vaut aussi pour vous les gars en bleu et blanc, ça ira plus vite avec des bras supplémentaires, continua-t-il d'ordonner tel un chef d'orchestre menant ses musiciens à la baguette.
- Heee, mais on n'a rien fait nous, en plus on n'appartient même pas à ce lycée, se plaignit un garçon d'une voix aux intonations presque chantonnantes.
Je tournai rapidement mon visage vers cette voix inconnue qui appartenait à un garçon tout aussi grand que les autres. Il avait des cheveux d'un chocolat onctueux, vaguement ébouriffé et un visage doux, presque angélique. Sa moue enfantine était des plus craquante, le rendant tout à fait charmant.
- Mais on dirait bien que ce cher Oikawa à peur de se froisser l'épaule à porter quelque chose de trop lourd pour lui ? Entendis-je tout de moins la provocation étouffée par la distance de Satori alors que je m'engouffrai dans la bâtisse.
Je levai les yeux vers le ciel, étant amusée de la manière si sournoise qu'avait mon camarade de classe à titiller les gens. Je me trouvais presque à regretter de ne pas pouvoir entendre la suite de la petite pique, exposant par ces mots, une certaine rivalité entre les deux équipes.
La fraction de seconde que j'avais pris pour entrevoir ce garçon ne m'avait pas permis de détailler le reste des personnes, vêtus d'uniformes sportives aux mêmes couleurs que les siennes qui l'accompagnait. Cependant, je m'étais souvenue avoir entendu Eita mentionner la présence d'une autre équipe de volley d'un lycée voisin pendant la Golden Week dans notre établissement, cela ne pouvait qu'être ces mêmes personnes. Le lycée d'Aoba Johsai si ma mémoire ne me faisait pas défaut.
Je passai devant le maréchal-ferrant en train de limer le sabot d'un cheval avant de lui mettre son nouveau fer. Seikyoo était à ses côtés et me salua d'un signe de la tête sans attendre une réponse de ma part, son attention totalement accaparée par les gestes métiers de l'homme qui s'affairait à proximité d'elle. J'attachai Drogon dans l'espace de pansage pour m'occuper de lui. J'avais déjà disposé mon matériel à mon arrivé pour organiser au maximum mon temps. Pendant que je m'appliquai, presque par un mécanisme de réflexe à le brosser pour lui retirer la poussière et la terre qui s'étaient accumulées sur son pelage, mes pensées s'envolaient dans le monde des songes. Je n'avais pas vu Ushijima parmi eux, et j'en venais à être un peu déçue, comme si je commençais un peu trop à réclamer sa présence. C'était déroutant, de me rendre compte à quel point j'avais envie de le voir sans raison particulière. Sans parvenir à modérer ces désirs, ressentant mon instinct me souffler de devenir plus entreprenante avec lui à chaque fois que je passais un peu de temps en sa compagnie.
Je décrottai les pieds de mon cheval en m'arrêtant sur une de mes réactions qui avait marqué mon esprit hier soir. Pendant que je répondais aux questions du champion sur ses devoirs d'anglais, mon cœur avait frappé presque douloureusement ma poitrine. Mes sens s'étaient retrouvées bouleversé à sentir la chaleur de son corps près du mien, à entendre sa voix près de mon oreille, sentir son souffle sur ma peau. Rien que d'y repenser ici et maintenant, mon cœur repartit de lui-même au galop.
C'était cette réaction-là que je parlais. Pourquoi cet organe, vital pour la circulation de mon sang, était à ce point en train de s'extasier pour des choses si ridicules ? Puis, je ne parle même pas du moment où j'avais dû rendre sa veste. Il m'avait raccompagné jusqu'à la porte de ma chambre pour récupérer son bien sans que j'attrape froid, initiative poussée par les réflexions de Satori. Et comme Ushijima semblait vouer une confiance aveugle envers son ami, il avait pris ses paroles au pied de la lettre. Mon cœur et mon esprit s'étaient emparés de ma conscience, me soufflant des choses envoûtantes, presque coquines. Comme le jeudi où j'avais simplement posé mes lèvres sur sa joue, j'avais eu l'irrépressible envie de goûter la chair rosé et charnue de ses lèvres. Et même de le faire entrer dans ma chambre, pour lui retirer son tee-shirt et plus encore. Ces pensées de tentations diaboliques avaient influencé mon sommeil et m'avait donné des rêves érotiques. Je m'étais réveillé toute chaude et transit de désir charnel. Foutus hormones en pagaille, j'avais encore du mal à effacer ces images cochonnes de mon esprit.
Alors que je soupirais lourdement, étant désespéré par mon propre comportement plus qu'étrange depuis quelques semaines, plus précisément depuis cette rencontre impromptue à la salle de musculation et doublement depuis le concours. Le cas d'hier n'était pas sans conséquences non plus. Comme si à chaque fois que ma route se retrouvait en face de la sienne, les choses empiraient, s'engrainaient comme un virus. Et c'était en posant le tapis violet sur le dos de mon cheval que je me rendis compte que c'était bel et bien le cas. Mon cœur et mon esprit se perdait un peu plus dès qu'Ushijima était près de moi. C'était une révélation indéniable. Incontestable. Et pourtant si malvenue.
Il fallait que je fasse quelque chose contre ça, mais pour l'heure, je devais penser aux qualifications préfectorales et me concentrer sur mon entraînement.
Je tentai du mieux que je pouvais de chasser le grand brun de mon esprit comme une mouche un peu trop tenace qui rodait trop près de mon visage, et qui revenait sans cesse quand vous la pensez enfin partit.
Quand je quittai la structure avec Drogon, enfin tous les deux prêts à se donner au maximum pour peaufiner mon niveau, les obstacles étaient tous en place dans la grande carrière. Mais il ne restait plus que la présence du coach dans les environs, les volleyeurs étaient déjà repartis à leur propre activité.
Contre toute attente, ma journée avait défilé sous mon nez sans que je n'en ressente la notion du temps. Faut dire que j'avais fait preuve d'acharnement féroce pour repousser au plus profond de ma tête l'image d'un champion envahissant. Le coach avait été aussi d'une aide inattendue. Ô combien avais-je dit plus tôt dans la matinée qu'il n'était pas démoniaque ? Cela avait radicalement changé pendant le cours de cette journée, comme si le diable avait échangé sa place avec lui pour me flageller de réflexions constantes sur mes performances de saut, mais pas que. Il m'avait poussé à vouloir dépasser mes limites, cherchant le moindre petit détail à corriger, que ce soit au saut d'obstacles qu'en cours de mise en selle qui avait suivi en début d'après-midi.
Pour mon égo, cela avait été un coup dur, presque comme un soldat à terre ayant perdu la vie. Mais je savais que c'était pour une bonne cause, pour être meilleure. Néanmoins, même en sachant cela, mon humeur, peu enclin à la réjouissance face à mes faiblesses insoupçonnées, le coach m'avait proposé de faire une balade dans la forêt pour clore cette journée éprouvante. Si au début j'étais septique de rester encore pour une heure ou deux de plus, un poids sur le dos de mon cheval, pensant avant tout au bien être de celui-ci, l'idée se volatilisa quand je le sentais encore en pleine forme pour gambader dans la nature. Je me disais ensuite qu'un petit tour au lac à quelques kilomètres de profondeur dans la forêt lui fera du bien, sachant qu'il aimait patauger dans l'eau, comme sa mère.
Étant finalement convaincue que cela n'était pas une si mauvaise idée que cela, le coach scella un cheval et nous empruntâmes ensemble le seul accès à la forêt depuis l'enceinte du lycée. Mes muscles avaient eu du mal à maintenir une posture correcte pour les quelques galops effectués où le terrain s'y apprêtait. Mais c'était en fin de compte salvateur de se sentir filler à toute à l'allure, le vent sifflant dans mes oreilles et de sentir Drogon sprinter comme un fou sous mes cuisses. Il eut sa récompense une fois arrivé au point d'eau que la nature avait laissé s'agglutiner pour former un lac, lui retirant temporairement son attirail pour le laisser profiter pleinement de son moment de pause humblement mérité. Il sauta, galopa, trottina dans l'eau tel un enfant en joie devant son jeu préféré, comme s'il n'avait pas du tout passé la journée à sauter et courir avec un humain sur le dos.
Mais toute bonne chose avait une fin, et le soleil était là comme un sablier pour mettre un terme à cette ivresse dans laquelle nos chevaux étaient. Bien de longues minutes fut nécessaire juste pour déjà arriver à les attraper pour leurs remettre les instruments de tortures sur leur dos, et nous par la même occasion. Si l'aller fut un défouloir au galop, le retour fut paisiblement rythmé au pas tout en douceur. Je comptais directement laisser Drogon au pré sur le passage, même si cela voulait dire devoir porter sa selle, son tapis et son filet à la main jusqu'à l'écurie. Au moins, je me disais que cela aurait le bénéfice de me faire dormir comme une souche au soir, retrouvant ainsi peut-être, un bon sommeil pour une nuit.
Cependant, quelque chose changea mes plans, et pas des moindre.
À mi-chemin sur le trajet retour, nous pouvions apercevoir plusieurs silhouettes au milieu du sentier. Des silhouettes ressemblant fortement à ses chers volleyeurs. Je reconnus la chevelure flamboyant de Satori et la carrure imposante d'Ushijima, ce qui eut pour effet de me faire ressentir une joie qui arrivait à éclipser mes douleurs musculaires. Mais au fur et à mesure que les sabots de nos chevaux nous rapprochaient d'eux, je pouvais discerner d'autre personnes inconnues, enfin presque. Les cheveux caramel du garçon de ce matin brillaient grâce aux rayons du soleil couchant, était assis sur un rocher en face d'un brun, en tirant une grimace de douleur.
Comme à son habitude, Satori fut le premier à remarquer notre arrivés et s'exclama avec un sourire fourbe, toute aussi visible dans l'éclat de ses prunelles carmin.
- Tiens, tiens, mais c'est Prudence-chan sur son cheval de l'enfer !
