Chapitre 17 : Être son ami
Si sa prise sur ma taille était au début empreint de force, elle l'était beaucoup moins après quelques minutes d'adaptation, me laissant moins la sensation d'étouffer dans l'étau que formait ses bras. La mise au pas de Drogon lui avait fait instantanément fermer son bagou de tombeur si confiant en lui et en son charme, ce qui m'avait fait sourire.
Certains membres des deux équipes avaient pris la décision de repartir en courant pour retrouver les coachs, ne laissant plus qu'Ushijima, Satori et « Iwa-chan » avec nous, dans un silence permettant d'apprécier les bruits que la nature nous offrait. Le souffle du vent qui balayait les feuilles des arbres s'intensifiait à cause du soleil en déclin dans le ciel doré, les insectes grouillants partout d'un buisson à un autre et les sabots de mon cheval frappant sur le sentier de terre. J'aimais le silence, c'était propice à la réflexion, mais avec le dos de Ushijima dans mon champ de vision qui ouvrait la marche, c'était plus une contrainte dérangeante. Même à travers la largeur de sa veste, je pouvais admirer ses larges épaules, son muscle trapèze développé et ses omoplates saillantes. J'ai toujours été sensiblement attirée pour les sportifs, et Ushijima était un régal pour mes yeux, à la limite de me faire baver. Il marchait d'un pas soutenu et ne semblait pas fatigué de l'allure rythmée par la vitesse des pas de mon cheval. Ses longues jambes n'étaient pas innocentes dans ce résultat, tout comme les deux autres garçons qui, eux non plus, ne semblaient pas avoir de peine à suivre la cadence imposée.
Il nous faudrait une bonne heure pour parcourir les 5km qui nous séparaient de l'enceinte du lycée et j'étais contente de sentir la chaleur corporelle d'Oikawa se diffuser dans mon dos alors que les températures chutaient à la même vitesse que l'astre solaire. Il n'avait pas non plus retiré ses bras enroulés autour de ma taille, m'enveloppant dans son cocon chaleureux, baigné par son odeur sucrée. Mon cœur me disait que j'aurais préféré sentir les mains du champion sur mon corps au lieu des siennes, alors qu'au même moment, mon esprit me chuchotait qu'au contraire, c'était bien mieux que les choses soient ainsi. Que cela ne m'aurait fait que davantage me perdre dans des sentiments que je devais éviter d'aggraver.
C'était si étrange d'avoir le cœur en contradiction avec ma raison, écoutant l'interminable dispute entre les deux comme deux amis en total désaccord. Un peu comme moi et Mina au sujet de l'amour.
- Prudence, c'est bien ça ton prénom ? Questionna la voix mielleuse de mon passager.
- Oui, et quel est le tiens ? Car je pense que je peux me permettre de t'appeler par ton prénom vu que tu as tes mains sur moi, lui répondis-je afin de rétablir une certaine égalité entre nous deux.
Je voulais aussi lui faire comprendre que ça ne serait pas avec des petits mots susurrés à mon oreille que j'allais perdre mes moyens, pensant au même moment que cela aurait été radicalement différent si c'était Ushijima à sa place. Je l'entendis glousser, ne se laissant pas pour autant démonter par mon audace située sur la même échelle que la sienne.
- Tooru, je m'appelle Tooru Oikawa, ravis de faire ta connaissance, dit-il d'un ton suave, en sentant son souffle chaud caresser mon oreille et le creux de mon cou.
À cet instant, je devais bien reconnaître qu'il était doué. Il savait jouer de ses charmes autant qu'il savait quoi faire pour provoquer une réaction sur le corps d'une jeune femme. Son souffle était comme une promesse sensuelle, qu'il pourrait accomplir tous mes désirs, que je n'avais qu'à les formuler. Je ne pus m'empêcher de ressentir un frisson agréable me parcourir le corps. Quand bien même il ne m'intéressait pas, je n'étais qu'une adolescente aux hormones en ébullition, totalement faible et sensible face à ce genre de choses. C'était encore une fois, une dissociation entre mon corps et mon esprit, à l'instar du conflit avec mes sentiments pour Ushijima.
- De même, est-tu plus rassuré maintenant Tooru ? Demandais-je, en faisant mine que cela ne me touchait pas.
- Beaucoup plus que si j'étais tout seul sur ce cheval, j'en suis certain, me répondit-il en l'entendant sourire, probablement amusé de ma réaction.
Ushijima tourna légèrement sa tête dans notre direction et son visage semblait se crisper en nous observant. J'étais un peu déçue de constater que ses prunelles vertes n'étaient pas ancrées dans les miennes, mais plutôt dans celles d'Oikawa. Mais alors que j'essayai de me raisonner en me disant que c'était probablement de l'inquiétude pour le volleyeur, Tooru resserra davantage son étreinte, soudant mon dos et son torse ensemble, il osa même poser sa tête sur mon épaule, rendant cette emprise un peu plus embarrassante et plus intime au possible. J'avais beau apprécier les contacts tactiles, j'avais néanmoins un peu de pudeur et cette proximité était quelque peu gênante avec un garçon dont je venais à peine de connaître le prénom. Voir même intrusif, jouant avec la limite du respect de l'espace personnel et du consentement. Il avait beau être mignon, à l'apparence inoffensif, l'image de la femme au Japon n'était pas la plus reluisante qui soit, et de ce fait, les hommes se permettait bien des choses qu'une femme ne devrait pas supporter. Mais ça, ce n'était pas qu'au Japon malheureusement. Ce geste, bien qu'indolore, frôlait cette frontière. L'apparence physique n'avait rien à voir dans l'équation de la malveillance, et qu'il était plus prudent de se méfier de tout.
- Merci Prudence-chan, si tu n'étais pas arrivée, j'aurais dû me faire porter par Iwa-chan ou Ushiwaka, et ça il en était hors de question ! ~ Dit-il en haussant un peu la voix pour être certain d'être entendu par les garçons présents, même si je n'avais aucun doute sur le fait qu'ils avaient déjà tout entendu de la conversation depuis le début.
Il ne profita pas plus de sa position, ses mains et son menton restaient figés à leur place, ne s'aventura nullement à des explorations indécentes, ce qui me rassurait légèrement sur ses intentions.
Oikawa Tooru n'était peut-être pas un pervers au final.
- La ferme sale bouse, et si tu lui fais un truc bizarre, t'es un homme mort. Que ce soit clair dans ta petite tête, lui répondit « Iwa-chan » sans lui jeter un seul regard.
- Je sais que tu es un homme violent Iwa-chan, mais sache que contrairement à toi, il ne m'est jamais venu à l'idée d'abuser d'une fille, dit-il à son ami sur un ton enjoué comme si c'était tout à faire naturel d'avoir cette conversation.
« Iwa-chan » tourna lentement son visage vers nous, le regard plus que luisant d'intention de meurtre.
- Viens me répéter ça en face de moi, répondit-il d'un ton menaçant en commençant à faire craquer les jointures de ses poings.
- Je rigole Iwa-chan, je rigole, ne me tue pas s'il te plaît, gémit aussitôt Tooru.
Les sourcils d'Ushijima se froncèrent et son air naturellement impassible me semblait un peu plus tendu, mais j'avais du mal à savoir si ce n'était pas plutôt mon cœur qui me faisait voir les choses sous cet angle, car le champion détourna le regard l'instant suivant. Je me disais que je devais simplement me faire des films, mais d'un autre côté, j'avais envie de croire qu'il avait réagis aux gestes et aux mots de Tooru, et que cela lui déplaisait. Mais c'était une pensée insensée et totalement dépourvue de bon sens. Pourquoi cela lui déplairait-il ? Pourquoi réagirait-il ? Je devais me rendre à l'évidence que c'était le fruit de mon imagination, que mon cœur espérait y avoir un signe d'attirance envers moi, mais je me devais d'ignorer cette réflexion qui ne ferait qu'empirer la situation. Cette histoire ne pouvait que mal finir si je continuais sans cesse à attendre ou espérer quelque chose qui ne viendra jamais et qui ne doit pas se produire.
Tourmentée dans mes pensées dans lesquelles j'essayais de convaincre mon cœur de mettre un terme à ce cinéma, la présence et les taquineries de Tooru étaient par moment une touche de couleur amusante dans mes grisonnantes réflexions. Ses questions curieuses et son appétence à vouloir combler le silence était distrayante, coupant l'alimentation à mon esprit, l'empêchant de divaguer sur l'imposante silhouette en face de moi. Il avait par ailleurs desserré cette étreinte envahissante à chaque fois qu'Ushijima se reprenait à regarder en face de lui, et il recommençait à l'instant où le champion de Shiratorizawa se retournait à nouveau vers nous. Ce qui m'amenait à me poser des questions sur son comportement, sur le but de ses manœuvres. Et sur ce qu'il pensait accomplir en le faisant. Y'avait-il une mésaventure entre les deux joueurs ? Une rivalité ? Mais quand bien même c'était le cas, que croyait-il faire en m'utilisant ? Essayait-il de le provoquer ? De l'énerver ? Ou bien … de le rendre jaloux ? C'était tellement incongru que cela m'en avait fait rire. On disait que les filles étaient compliquées, mais parlons-en de ces messieurs, parce que je ne comprenais vraiment rien à toutes ces actions.
Mes yeux n'avaient pas manqué une seule miette des quelques rares fois où Ushijima avait porté son attention sur nous malgré mon ignorance de la situation, et je notai aussi le silence plus que suspect de Satori, qui n'avait pas pipé un seul mot depuis le départ, et ça jusqu'à qu'on puisse apercevoir les lignes familières des bâtiments du lycée alors que la nuit avait commencé à poser son voile sombre sur le monde.
L'écurie me semblait dépourvue de présence humaine, me laissant déduire que les adultes nous attendaient au gymnase attribué au club de volley. C'était sans s'arrêter que nous descendîmes la longue allée qui bordait les carrières avant s'engager sur l'axe principal. À la bifurcation, je ressentais la légère tension dans ma poitrine s'envoler, ravie de voir que j'avais raison, et soulagée d'avoir pu ramener Tooru sans encombre. Les adultes allaient reprendre la relève. La maîtrise de mon sang-froid avait une certaine limite et c'était tout de même une situation stressante que d'avoir la responsabilité de rapatrier le blessé en toute sécurité.
Mon coach ne semblait pas surpris de me voir aussi sur le dos de Drogon, et le fait qu'il m'avait donné son casque avant de partir me faisait comprendre qu'il l'avait même anticipé. Je m'arrêtai en face d'eux, au milieu de l'allé, éclairée par la lumière artificielle des lampadaires, en étant au plus proche du bâtiment qui abritait l'infirmerie.
- Oikawa, ça va ? Comment va ta cheville ? S'enquit un homme d'un âge mûr en s'approchant le premier vers nous.
Il n'était pas aussi vieux que le crouton qu'avait Shiratorizawa comme coach, il avait de fins cheveux noirs sans l'ombre d'une trace d'un poil blanc, cependant, les rides sur son visage trahissaient de son âge avancé. Il avait la corpulence typique de l'ancien athlète qui avait cessé de faire du sport et qui du coup, avait pris un peu de poids pour garnir ses muscles autrefois saillants.
- Oui, oui, ça va déjà beaucoup mieux, lui répondit Tooru de sa voix chantante.
- L'entraînement est fini pour ce soir, il fait quasi nuit de toute façon, donc tu te reposes ce soir et on verra demain si tu retournes sur le terrain ou non, dit son coach le visage soulagé.
- Mais oui ça va aller, ne vous inquiétez pas coach, et puis grâce à Prudence-chan, je n'ai pas posé mon pied au sol, donc tout ira bien, ajouta-t-il en déplaçant ses mains qui étaient jusqu'à lors sur ma taille, vers mes épaules et les frotta doucement.
À l'évocation de mon prénom, son coach orienta son regard vers moi et m'adressa un sourire bienveillant.
- Merci de l'avoir ramené jusqu'ici, j'espère qu'il ne t'a pas trop importuné, il peut être irritant par moment, me dit l'homme en inclinant la tête en signe de remerciement.
- Heeee mais c'est faux ça ! Je suis toujours adorable ! S'exclama la diva dans mon dos.
- Je l'avais à l'œil, s'il avait fait un truc louche, je l'aurais assommé, répondit « Iwa-chan » à ma place.
- Merci Iwaizumi, dit le coach en lui adressant un signe de tête.
Je pouvais enfin mettre le véritable prénom sur le visage du garçon aux cheveux hérissés.
- Descend en première Prudence, ordonna mon coach en s'approchant à son tour vers nous.
J'hochai la tête et obéis en passant ma jambe par-dessus l'encolure de Drogon et de me laisser glisser au sol. Je n'aurais pas cru une seule seconde que mes jambes seraient incapables de supporter mon poids une fois les pieds sur le macadam, et si mon coach ne m'avait pas retenu in-extrémis, j'aurais certainement embrassé ce sol goudronné. Mes mains s'étaient agrippées comme elles le pouvaient sur sa veste alors que je sentais mes jambes trembler à cause de l'effort. J'avais passé ma journée à courir derrière Drogon ou à le monter, et à cette heure-ci, mes cuisses me faisaient clairement comprendre qu'elles ne pouvaient plus en supporter davantage pour aujourd'hui. La douleur musculaire était néanmoins pas au stade de me mettre complétement à genoux, mais juste assez pour me faire tirer la grimace et que je devrais me montrer vigilante dans mes déplacements pour le reste de la soirée.
- Tu tiens ? Questionna-t-il, voulant être certain que j'avais repris mon équilibre.
- Oui, ça m'a juste surprise.
- Ok, laisse-moi m'occuper de Drogon, tu as eu une rude journée toi aussi, va te reposer car demain on recommence.
J'hochai la tête, encore une fois obéissance face à ses instructions.
- Quelqu'un peut-il la raccompagner jusqu'à son dortoir ? Demanda mon coach en regardant les volleyeurs.
Quand je vis Semi ouvrir la bouche, ça ne me surprenait pas vraiment, mais cela m'interpellait. Je m'étais posée des questions à son sujet, car dernièrement, il n'avait plus trop fait preuve d'initiative pour tenter de me courtiser. Que ce soit comme hier soir ou comme aujourd'hui, il ne m'avait pas adressé son sourire charmeur, et n'avait fait aucune allusion pour me draguer. Il s'était plus comporté comme un ami, il avait même adopté un comportement similaire à celui que les autres membres de l'équipe de volley avaient envers moi. Pas que cela m'avait dérangé ou manqué, c'était même mieux ainsi, mais cela n'en resta pas moins surprenant un tel changement d'attitude. Alors d'un sens, le revoir saisir sa chance d'être près de moi me rassurait un peu. Il n'y avait là rien de narcissique, c'était plus dans le sens où je m'étais remise en question, si je n'avais pas fait ou dit quelque chose qui l'aurait peut-être blessé ou vexé. Du coup, le voir vouloir passer du temps avec moi, dissipait toutes ses questions qui avaient étés présentes dans mon esprit.
- Ushijima-san peut la raccompagner, dit Semi en échangeant un sourire entendu avec Satori, qui celui-ci, souriait aussi à son tour.
À aucun moment j'aurais parié qu'une telle éventualité puisse se présenter. Et à vrai dire, je ne la comprenais pas du tout. Elle me laissait d'ailleurs sans voix, j'avais même l'impression d'avoir raté un moment important qui apporterait l'explication logique aux propos qu'il venait te tenir. Mes yeux étaient ancrés dans ceux de Semi, qui lui-même me regardait tout aussi. J'essayai d'y trouver une réponse, mais il se contenta de me sourire, amicalement, bien loin de son habituel sourire charmeur qu'il me réservait en temps normal. C'était d'un non-sens, et encore une fois, je n'allais pas m'en plaindre, cela allait m'éviter des problèmes à rejeter sa déclaration s'il comptait en faire une, mais je n'aimais pas particulièrement ne rien comprendre à la situation. Qu'est ce qui avait changé ? Qu'est ce qui s'était passé ?
- Ushijima, prends soin d'elle, je compte sur toi, dit mon coach en s'adressant directement au champion.
Celui-ci hocha simplement la tête avant de glisser ses merveilleuse pupilles olive sur moi, éveillant encore une fois cette soudaine joie qui se répandant dans tout mon être. Je n'arrivais pas à empêcher cette réaction chimique d'éclore et de couler dans mes veines dès que j'avais son attention. J'en était contente, voir même un peu fière au final. Mais pas dans le mauvais sens, je me sentais comme chanceuse d'attirer son regard alors qu'il semblait être un garçon qui n'apportait que peu d'importance aux personnes qui l'entouraient, et vu que j'avais pour défaut l'arrogance, j'en éprouvais de la fierté.
Avant d'être totalement emportée par l'aura captivante d'Ushijima, mon coach sollicita mon aide pour assurer le maintien de Drogon en place le temps de porter assistance à Tooru. Le « Prince Charmant » glissa de la croupe de mon cheval en se réceptionnant sur son pied valide avec l'aide d'Iwaizumi, qui s'était toute suite porté volontaire pour le soutenir. Il fut vite rejoint par un de ses camarades qui lui ressemblait un peu, sauf que celui-ci avait des sourcils plus proéminents et les yeux bien plus plissés, lui donnant un air ennuyé. Ensemble, ils firent passer chacun un bras de Tooru sur leurs épaules pour lui apporter une bonne stabilité et lui éviter de marcher sur sa cheville sensible une fois que celui-ci s'était débarrassé du casque sur sa tête.
Les secondes suivantes, mon coach quitta les lieux sur le dos de Drogon alors que j'observai Tooru sautiller sur une jambe avec l'aide de ses coéquipiers, et de son coach près d'eux pour l'escorter vers l'infirmerie. Mais alors que je pensais que les choses étaient enfin closes pour la soirée, le beau brun se stoppa, surprenant ses amis au passage, et tourna à demi son visage vers moi.
- À tout à l'heure Prudence-chan ~ Me dit-il avec un sourire provocateur.
Si bien que les mots m'étaient destinés, ses yeux, eux, fixaient Ushijima, qui s'était silencieusement posté à côté de moi sans que je m'en rende compte. Je levai la tête vers lui, surprise de sa proximité, découvrant ses sourcils se fronçaient en regardant sévèrement Oikawa qui lui répondit par un rire. Ce n'était pas la première fois durant l'heure que ce type d'échange avait eu lieu, je l'avais déjà remarqué sur le trajet. Qu'est-ce qui reliait les deux hommes ? J'avais envie de poser la question, mais je mis un coup de frein à ma curiosité, je ne voulais pas raviver une quelconque flamme d'animosité, si tant bien elle existait. L'heure n'était pas aux sentiments néfastes, bien au contraire.
- On va ranger le gymnase, suivez-moi. Sauf toi Wakatoshi, s'exclama le coach démoniaque de son irréductible ton grincheux.
Il n'attendait aucune protestation de ses poulains, ni des invités, et se tourna aussitôt vers l'entrée de l'antre réservée exclusivement au club de volley. Satori, qui était toujours resté aussi silencieux qu'une tombe, s'approcha d'Ushijima en plaçant sa main sur son épaule avant de lui chuchoter quelque chose à l'oreille. Je voulais tendre la mienne car j'étais avide de curiosité, mais aucune bride tangible n'était compréhensible.
- Ne force pas trop si tu as mal Prudence-chan, je sais que tu auras trop de fierté pour demander à Wakatoshi-kun de te porter, me glissa le rouquin en retrouvant son air malicieux prendre place sur son visage avant de partir avec un signe de la main. On se retrouve tout à l'heure.
Là, je le reconnaissais bien. Toujours à placer une taquinerie ou une pique embarrassante, et même s'il avait réussi à me faire rougir en imaginant être portée telle une princesse dans les bras puissant du champion ou même tout simplement sur son dos avec mes bras autour de son cou, je lui souris tout de même. Eita lui emboîta le pas, non sans lancer un clin d'œil à Ushijima. Reon et Hayato levaient leurs pouces en l'air tout en s'éloignant en marche arrière, un grand sourire sur leurs lèvres et ils finirent par faire une petite pirouette pour se remettre à marcher normalement.
Je fronçai les sourcils. Je retrouvais cette étrange sensation que j'avais déjà ressenti hier lors de notre petite heure d'étude à la bibliothèque des parties communes des dortoirs. Je n'étais peut-être pas d'une intelligence à faire de l'ombre face à Einstein, mais je n'étais pas non plus une écervelée. Leur attitude semblait encourager quelque chose, et toujours adressé vers le champion, si bien que cela était très suspect. J'avais envie de croire que j'étais encore un train de me faire des films invraisemblables et que tout cela était une nouvelle fois le fruit de mon imagination, parce que j'avais vraiment l'impression qu'ils essayaient de nous rapprocher, Ushijima et moi.
J'étais mitigée en étant contente de savoir que j'avais potentiellement des entremetteurs de mon côté et de l'agacement si c'était vraiment le cas. Parce que tout cela n'allait pas me rendre la tâche facile de mettre un terme à ces sentiments naissant pour Ushijima que je voulais étouffer. Et j'étais aussi agacée si cela n'était rien d'autre que mon esprit qui me jouait encore des tours. La sensation d'avoir le cul entre deux chaises devenait de jour en jour, de plus en plus désagréable.
Je détournai soudainement les yeux quand les prunelles olive du champion se posèrent sur moi. Non, je ne devais pas me mettre cette idée dans la tête, j'allais me faire plus de mal qu'autre chose.
- Bon est bien allons 'y nous aussi, dis-je en lui tournant le dos.
- C'est de ce côté les dortoirs, me dit Ushijima alors que j'avais déjà fait quelques pas.
Je fermai les yeux et comptai jusqu'à trois avant de m'insulter mentalement d'imbécile fini bonne pour être recyclée. Je n'avais pas dit juste avant que je n'étais pas une écervelée ? Bien je rectifiai mes propos : J'étais une écervelée tout compte fait. C'était les joues un peu rouges de honte que je pivotai pour prendre le chemin en sens inverse en regardant mes pieds, ne voulant absolument pas voir la réaction d'Ushijima. Néanmoins je l'entendis me suivre en silence. D'habitude, j'affectionnais le silence, je n'en ressentais pas la pression, au contraire. Or, à cet instant, cette pression qui m'était alors inconnue me tomba dessus, me créant un nœud à l'estomac. Comme si j'avais le trac avant de passer un examen important.
J'expirai doucement pour contrôler ma respiration afin de calmer le tumulte de mes pensées en désordre. Bien des choses s'étaient et sont en train de se passer dans cette journée. Depuis une semaine pour être exacte, et j'avais de plus en plus du mal à me reconnaître dans les différentes réactions qui me prenait, ni le fil de mes pensées. J'avais déjà bien saisi ô combien j'étais véritablement attirée par Ushijima, par son physique de sportif, par sa voix grave, par son attitude taciturne et mystérieuse, par son aura de champion, par sa détermination, par son talent, par … Beaucoup trop de choses en réalité.
Oui, je n'avais pas un crush pour lui juste pour son physique ou pour sa popularité.
Et le pire, c'était que j'avais parfaitement conscience que je n'avais aperçu que la façade de sa personnalité, et qu'il me cachait encore beaucoup de facette que je désirais découvrir. Et ce désir-là, il était dangereux. J'ignorais toujours comment réussir à éteindre l'incendie de mes sentiments qui ne faisait que se propager. Cependant, notre conversation interrompue me revenait en tête.
- Ushijima-san ? L'appelais-je.
Je tournai mon visage vers lui, et en un instant, ses magnifiques pupilles vertes étaient sur moi, et il était à mon écoute.
- Au sujet de tout à l'heure, quand tu m'as demandé si nous pouvions être amis, hasardais-je.
En sentant son regard intense sur moi, je ne pus m'empêcher de sentir mon sang affluer sur mes joues. Et c'était ridicule, je n'avais jamais autant rougi de toute ma vie que devant cet homme en seulement un mois. Je devais juste dire oui, et simplement oui. Pour être ami, ce n'était pas comme si je me déclarais à lui. Alors pourquoi je me sentais obligée de triturer mes doigts et de sentir mon ventre se contracter comme si je redoutais cette conversation ? Comme si j'avais peur d'être rejetée ? Je me giflai mentalement pour me ressaisir. Dire oui. Ici et maintenant. Ne pas réfléchir, exprimer simplement ce que je voulais. Rien d'autre. Au diable le stress inapproprié et non-désiré à cet instant précis. J'expirai une nouvelle fois, peut-être un peu trop bruyamment. Je devais juste être moi-même, rien de plus et rien de moins, car après tout, tout ceci ne me ressemblait vraiment pas. Je ne savais pas trop pourquoi je me sentais si timide et si gênée face à lui, et il me fallait supprimer ces émotions si je voulais devenir son ami. Je devais laisser couler l'embarras qui me saisissait, et simplement parler.
- Je voulais simplement te dire que je serais heureuse de pouvoir compter parmi tes amis, et que je suis même contente que tu me le propose, alors si tu es toujours d'accord, oui, devenons amis toi et moi. Et pour être honnête, je veux être amis avec vous tous, l'équipe de volley, vous avez tous étaient gentil avec moi depuis le début, dis-je spontanément sans réfléchir à mes propos comme je venais de me le marteler intérieurement.
Je lui souriais à la fin de ma tirade, j'avais finalement presque la sensation de lui avoir fait une déclaration, alors qu'à la base, je devais simplement dire oui, mais je m'étais laissée emporter par la franchise. Je voulais sincèrement être son ami. Pour enfin mettre une barrière, pour enfin stopper la naissance de tout sentiment amoureux. C'était probablement la solution la plus risqué, mais pour autant, je n'avais vraiment pas envie de rompre tout contact avec lui, de couper les ponts pour que les choses se tassent et s'évaporent avec le temps. Et la véritable question était : en étais-je capable de toute façon ? Oui ? Non ? Peut-être ? Je n'avais pas envie de m'attarder sur la réponse, ni envie d'essayer. Je n'étais pas sûre de mon choix, mais actuellement, je n'en voyais pas vraiment d'autre à porter de main.
- Je le veux toujours, nous sommes amis maintenant, me répondit-il en hochant la tête. Mais je ne peux pas répondre pour les autres.
Un nouveau sourire prit place sur mes joues, étant contente d'être l'amie de Ushijima Wakatoshi, et pour une fois, aucun sentiment d'arrogance m'envahit. J'étais justement et simplement ravie.
- Je leur poserai moi-même la question, lui répondis-je en commençant à sentir une crampe venir dans une de mes jambes. Et donc, vu que nous sommes amis, est-ce que cela te dérange si on s'appelle par nos prénoms maintenant ? Demandais-je avec un peu trop d'enthousiasme. Je trouverai ça vraiment bizarre que tu continues de m'appeler par mon nom de famille, ajoutais-je en riant un peu.
Encore une fois, il hocha simplement la tête, mais quelque chose de nouveau arriva. Quelque chose que je ne m'étais pas du tout attendu à ce que cela se produise.
Ushijima Wakatoshi m'offrit un sourire timide.
Je venais de découvrir une nouvelle facette dans la personnalité de cet homme. En un mois, jamais je n'avais aperçu ses lèvres s'étirait dans un sourire, pas même un rictus. Alors être témoin de son sourire fit battre mon cœur plus fort dans ma poitrine, me donnant un coup dans les poumons, stoppant l'oxygène de passer à travers mes voies respiratoires pendant une fraction de seconde. Je détournai le regard, n'arrivant pas à définir les sensations que son sourire avait créé dans mon corps. J'étais vraiment très contente, et en même temps nerveuse, sans pour autant savoir laquelle de ces émotions étaient la plus dominante.
La tension qui s'était emparée de mon corps n'était pas du tout un allié pour mes jambes douloureuses, ni pour la crampe, devenant presque intenable et difficile à dissimuler. Je me retrouvai vite à décélérer le pas malgré toute ma volonté à suivre la même cadence qu'Ushijima. Mais nous n'avions clairement pas la même longueur de jambes, ni la même endurance, si bien qu'à mi-chemin, mon pied n'avait pas réussi à se lever assez haut, et il était venu se cogner contre son jumeau. J'avais échappé pour la deuxième fois, en un cours laps de temps, une rencontre non-désirée avec le bitume. J'avais pu retrouver mon équilibre en m'agrippant au bras d'Ushijima qui s'était toute suite stoppé dès qu'il avait entendu mon petit cri de surprise. Son bras libre était rapidement venu se saisir de mon épaule pour me retenir de tomber. Sa poigne était un peu brutale, voir même douloureuse, mais elle m'avait sauvé de la chute.
Il m'aida à me remettre correctement sur pied et je me sentais gênée par ma maladresse.
- Tu vas bien ? Me questionna-t-il.
- Oui, je suis désolée, j'ai juste une crampe, ça va me passer dans deux minutes, répondis-je en me mordant la lèvre pour éviter de geindre à cause de la douleur.
Si je m'étais toujours sentie idiote en sa présence, cela n'avait jamais était autant aussi vrai et aussi intense que maintenant. Maudite fatigue musculaire, maudite jambe courte, maudite endurance limitée.
Les secondes défilaient et sa grande main était toujours sur mon épaule, comme je me rendis compte que j'étais toujours agrippée à la manche de sa veste. J'étais prête à lâcher prise, et redresser la tête pour lui dire que nous pouvions reprendre notre marche, même si j'avais encore mal, quand il prononça ces quelques petits mots, qui me fit cesser de fonctionner une seconde fois en moins d'une minute.
- Accroche-toi à moi, je vais t'aider.
