Chapitre 18 : Succomber à la tentation


Si bien que j'avais parfaitement entendu cette phrase et qu'elle avait tout aussi bien percutée tous les recoins de mon cerveau, cela ne m'empêchait pas de le regarder les grands yeux ouverts comme s'il venait de me parler dans une langue interstellaire inconnue au monde.

- M'accrocher à toi ? Répétais-je.

Pas que je n'avais pas compris, au contraire, mais je voulais lui faire répéter, et ainsi provoquer l'infime pourcentage possible qui disait que j'aurais peut-être, éventuellement, mal compris. Et aussi pour éliminer le pourcentage qui disait que j'aurais peut-être, consommé des drogues psychédéliques à mon insu.

- Ou je te porte comme Tendo m'a dit de le faire.

J'en avais rêvé, je l'avais imaginé, plusieurs fois même. Et maintenant que c'était à deux doigts d'arriver, mon cœur tambourinait comme un forcené dans ma poitrine, comme s'il était en extase face à cette possibilité. Comme s'il n'attendait que ça. Et un câlin. Et un bisou.

Il attendait beaucoup trop de choses ce petit cœur en réalité.

Ce qui avait réussi à mon esprit à ne pas être en total Game Over face à mon cœur, c'était bel et bien grâce à la mention de Tendo. Si j'avais redouté ce qu'il avait bien pu dire à Ushijima quelques minutes plutôt, et que je le soupçonnais de vouloir mettre son grain de sel à jouer les cupidons, c'était maintenant véridique. Et ce fait, cette réalité, était à la fois bonne et mauvaise.

Contrairement à ce que je pensais, cela ne produisait pas l'effet d'une bombe. Savoir que mon camarade de classe s'était investi d'une mission en s'improvisant entremetteur, ne me mettait pas dans un état second, et je n'étais pas non plus prise de panique de me rendre compte que cela expliquait certaines choses, apportant des réponses à quelques questions. Comme je fis le lien que ses coéquipiers étaient dans le coup eux aussi. Je faisais preuve d'un sang-froid à toute épreuve, d'un calme olympien de cette découverte, même si je n'avais aucune idée où cela allait nous mener.

- Non, tu ne vas pas me porter pour si peu, c'est juste une crampe, dis-je pour tenter de relativiser la situation.

J'en mourrais d'envie, mais non, je devais résister à cette folle tentation, à ne pas y succomber. Ce n'était pas si facile que ça de dire non à l'objet de toutes nos convoitises, cela m'avait même arraché la gorge de formuler correctement la phrase sans faire transparaître ma déception.

Je voulais lui offrir mon sourire fabriqué, celui qu'on m'avait appris depuis mon enfance à faire sur mesure, en toutes circonstances, qu'importe le lieu, les mots et l'état émotionnel dans lequel je pouvais être. Cependant, au moment où mes joues s'étiraient, je savais que je n'avais pas réussi, qu'il s'était crispé sur mes joues. Je n'avais pas réussi à lui mentir, à lui dissimuler ma déception d'avoir refusé sa proposition.

Quand bien même Ushijima ne semblait pas avoir fait attention à ce détail, moi je le savais. Je me remis en marche, et je forçai mes jambes à avancer normalement, ignorant le tiraillement de mes muscles à cause de la frustration que je ressentais. J'étais frustrée parce que j'avais échoué, parce que mes réactions étaient tout le temps différentes quand Ushijima était dans les environs, et que ça me donnait la sensation d'être cassée, d'être défaillante. J'étais frustrée parce que j'avais beau me dire qu'il ne fallait surtout pas tenter quoi que ce soit, mon cœur ne voulait rien entendre. Ça faisait une semaine que j'essayais d'endoctriner mon cœur avec mon esprit pour oublier ce que j'étais en train d'éprouver. Frustrée d'avoir dit non alors que j'aurais enfin pu connaître la sensation de son corps près du mien. Frustrée de me rendre compte que j'en étais arrivée là parce que je m'étais une fois autorisée à divaguer sur sa personne. Et c'était une erreur que j'avais du mal à corriger maintenant. Je le voulais, et en même temps je ne le voulais pas. L'indécision était un tourment que je ne connaissais que rarement en temps normal, et c'était devenu mon quotidien depuis peu. Et pourtant, si seulement une semaine s'était écoulée, j'avais l'impression de l'avoir vécu en mois.

J'avais envie de faire preuve d'impulsivité, soit de tout envoyer balader et sauter au cou d'Ushijima, soit de l'envoyer se faire voir, lui et mon cœur. Cependant, je savais que l'un comme l'autre, je me mordrais les doigts face aux conséquences qui suivront la décision.

D'un coup, je me sentais très fatiguée, physiquement, et émotionnellement. Mon corps me devenait plus lourd, comme si la gravité était deux fois plus pesante. Je voulais dormir et réfléchir à tout ça. Les événements s'enchaînaient et ils m'échappaient. L'incompréhension m'éreintait. M'épuisait. Les rouages de mon esprit étaient bien plus en ébullition en 24h que depuis une semaine. C'était redondant de me poser sans cesse les mêmes questions, à me dire les mêmes phrases. J'étais fatiguée, frustrée et saoulée de moi-même. Puis, tel un remède miraculeux, la main d'Ushijima se posa dans mon dos, mettant un terme à mon pénible monologue intérieur. Elle était grande, chaude, rassurante, dissipant sans mal toutes mes sombres pensées assaillantes, m'apportant une paix apaisante et bienvenue dans ce chaos psychologique. Je levai mon visage vers lui, il s'était approché de moi et me fixait de ses magnifiques iris olive. Ses yeux étaient un pêchée à eux-seuls, une tentation gourmande comme la pomme le fut pour Eve dans la bible, et j'avais l'irrésistible envie de m'y nouer dans ce vert parsemé d'or. Ils débordaient d'honnête, sans l'ombre d'un quelconque jugement. Son regard, bien qu'intense, avait un effet tranquillisant sur moi.

- Je vais t'aider, me dit-il simplement.

Sa main se glissa doucement sur ma taille, faisant à nouveau naître des papillons dans mon ventre, et il me rapprocha vers son flanc. Il voulait me soutenir pour marcher. Mais cette soudaine et délicieuse proximité, emporta mon cœur dans une symphonie digne des plus grands orchestres. Il ne força rien du tout, me laissant l'occasion de me dérober à sa prise sans problème si cela était mon souhait.

J'avais le choix de le repousser, de continuer à faire la nana fière et de suivre les directives dictées par mon esprit, ou soit, je lâchais toute résistance, et de le laisser me guider. La seconde suivante, ma main venait docilement se faufiler dans son dos et mes doigts s'accrocher gentiment à sa veste, mon corps se fit alors plus souple tout contre lui. Toute suite, sa chaleur corporelle venait se partager avec moi, et je réprimai de pousser un soupir de bien-être, comme au moment où j'entrais dans un bain chaud et relaxant. Il m'avait encore une fois conquise, la douceur insoupçonnée de son geste et la bienveillance qui se lisait à travers ses pupilles étaient incontestable, et je me laissais complètement submerger par lui, par ses yeux, par mon envie et par mes émotions.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire à cause de la dureté de l'expression de son visage et de sa musculature imposante, Ushijima faisait preuve de prévenance et n'avançait pas un pas si je ne l'avais pas fait en première. Plongée dans un silence, je m'abandonnais entièrement à toutes ses sensations merveilleuses, me faire envahir par son odeur, par sa chaleur, par le contact de sa main sur ma taille et son flanc contre le mien. Mon cœur était complétement erratique, et je n'avais pas réussi à m'empêcher de rougir. Cependant, au lieu d'être gênée de cette douce proximité, j'étais soulagée, son aide était plus que bienvenue. Son aura m'enveloppait dans un cocon rassurant, voir même protecteur. Je me sentais en confiance et protégée.

Aucun de nous deux ne semblaient vouloir combler le vide, et cela me donnait tout le loisir de profiter totalement de ce petit moment d'allégresse, à moitié dans les bras du champion qui avait si facilement mit en émoi mon cœur. Bizarrement, aucun sentiment de regret ne pointait le bout de son nez, et mon esprit pragmatique semblait être porté disparu mais qu'importe, ce flottement fut, malheureusement, trop vite brisé. Non pas par notre arrivée au dortoir, mais parce que deux silhouettes se dressaient sur notre passage sous ce ciel étoilé.

- Ushijima-san ? Questionna une voix que j'avais fini par oublier avec le temps. Et la princesse. Termina cette même voix sur un ton un peu plus dédaigneux.

J'étais surprise, j'avais vraiment oublié l'existence de Makito, le capitaine de l'équipe de foot. Mais ce ton, ce surnom, était un rappel piquant de cette maudite journée où tout avait commencé et dont il en avait été à la fois témoin et victime. S'il y avait bien une personne que j'étais prête à autoriser de me parler avec une certaine animosité, c'était lui, car même si je n'étais en aucun cas la responsable de son humiliation, j'en étais bien la cause. Et de ce fait, je me sentais coupable. Alors, si me détester était un moyen plus facile pour lui de s'en remettre, je lui accordais volontiers de me dénigrer. J'étais parfaitement capable d'encaisser les coups.

- Tout va bien ? Questionna un autre garçon que je ne connaissais absolument pas à côté de lui.

Il était tout aussi mignon que Makito, brun, un visage doux avec corps à l'aspect athlétique. Mais encore une fois, rien qui puisse faire succomber mon petit cœur déjà mit à rude épreuve par le champion de l'équipe de volley en ce moment-même.

- De Villiers est fatiguée, répondit, sans approfondir, Ushijima en étant toujours aussi bref et direct.

- De Villiers … ? Oh la princesse tu veux dire ? Questionna à nouveau l'inconnu.

Aucun de nous deux ne lui répondit, je fronçai même les sourcils, devenant bien plus facilement irritable à cause de ladite fatigue. Mais je détournai le regard vers Makito quand je l'entendis émettre un petit « hum » arrogant.

- Tu es bien chanceux d'avoir l'honneur de pouvoir poser tes mains sur la noble princesse, dit-il d'un ton suffisant avec une touche de dégout.

Il n'était pas tendre, mais je ne pouvais pas lui en vouloir, même si au fond, une petite voix dans ma tête me disait que ce n'était pas parce qu'il avait subi une humiliation qu'il devait pour autant se montrer aussi hautain envers moi, que projeter sa colère n'était en aucun cas une solution, et encore moins une excuse. Et je savais que cette petite voix avait raison, mais pour autant, je préférai laisser tomber, pour le moment. Il lui suffisait peut-être d'avoir juste besoin d'un peu plus du temps pour digérer cette humiliation qu'il avait vécu pour pouvoir passer à autre chose.

Ushijima ne répondit rien, il le fixait avec ce perceptible froncement de sourcils, ce tic facial qu'il avait dès qu'il se retrouvait à ne pas comprendre les choses. Je ne le connaissais pas aussi bien que je le voudrais, mais j'avais reconnu cette expression non-verbale qui n'était d'autre qu'un réflexe quand il se retrouvait dans ce genre de situation qui échappait à sa compréhension, et ce soir, il ne comprenait pas pourquoi cette phrase était pimentée par un ton si négatif envers moi.

J'allais prendre la parole pour proposer à Ushijima de continuer notre route pour nous soustraire aux deux garçons et ainsi clore cette discussion, mais le grand champion auquel j'étais agrippée me devança.

- Ce n'est pas une princesse, c'est De Villiers, lui répondit Ushijima.

Ses yeux se posèrent sur moi, laissant un blanc s'installer pendant que je le regardais avec étonnement. Ses paroles percutaient mes tympans, m'arrachant de nouveaux rougissements sur mes joues. J'étais plus que comblée d'entendre de la bouche de cet homme dire ce que je pensais, j'étais contente de savoir qu'il ne me voyait pas comme cette fille hautaine, méprisante et superficielle que cette rumeur voulait bien faire de moi. Me donnant l'impression d'être vue à ma juste valeur, et non aux commérages véhiculés par le maudit club des cheerleaders.

- De Villiers est mon amie, je ne fais que l'aider. Reprit-il en regardant à nouveau nos interlocuteurs, sa voix toujours aussi grave, mais ne pouvant pas cacher la subtile gêne qui devait le saisir à prononcer ces quelques mots.

Quant à moi, cela me laissa sans voix. Je n'arrivai pas à croire que de simple mot venant de lui pouvait autant avoir d'impact sur moi. Ils résonnaient dans mon esprit, s'infiltraient dans mes veines, me paralysant sur place. Je ne pensais pas que mon cœur pouvait s'emballer davantage, et pourtant, le rythme de ses battements était si effréné que je pouvais le sentir jusqu'au bout de mes doigts et faire de l'écho dans ma tête. Je me laissais docilement entraîner à sa suite alors qu'il souhaita la bonne soirée aux deux garçons qui arboraient un air tout aussi étonné que le mien. Je ne savais pas vraiment comment décrire les multiples émotions qui me traversait le corps, elles étaient nombreuses et en désordre, me plongeant dans une perte de contrôle totale de la situation et du fil de mes pensées.

Je ne pouvais qu'imaginer leur étonnement. Cela ne faisait qu'un mois que j'étais dans cette école, et que je connaissais Ushijima, et encore, connaître, c'était un bien grand mot. Mais pour ceux qui le côtoyait, de près ou de loin depuis leur première année, cela devait être beaucoup plus surprenant. Il m'avait officiellement présenté comme étant son amie et il avait subtilement prit ma défense, même si en soit il n'avait fait que corriger les propos de Makito, rien de plus. Et quand bien même Ushijima était un garçon austère et peu expressif, il restait un être humain normalement constitué qui ressentait au fond de lui, les mêmes émotions que tout le monde. Il savait juste mieux les gérer et à ne pas le montrer en temps normal. Or, ce rougissement qui avait flattés ses joues quelques instants pendant sa petite phrase, m'avait été possible de voir uniquement grâce à notre proximité, m'indiquant qu'il était gêné de déclarer à des inconnus notre lien. Non pas par honte, mais plus par pudeur, par réserve. Il n'était pas du genre à s'étaler, à exprimer ouvertement ses sentiments avec des gens proche de lui, alors cela devait lui être encore moins facile face à des personnes lambda à ses yeux.

C'était les joues rouges, embrumées par la montagne d'émotion que mon corps fébrile abritait en son sein, que nous arrivâmes enfin à destination. Mais alors que je pensais qu'il allait simplement m'accompagner jusqu'à la porte du dortoir des filles et devoir être obliger quitter sa douce étreinte, celui-ci en poussa le battant de l'entrée de son bras libre, utilisant son corps pour la retenir, me permettant ainsi d'en passer le pas en toute sécurité.

La galanterie n'était pas du tout quelque chose de courant au Japon, c'était voir même inexistant. Alors, ce simple geste, bien loin de cette idée galante que je m'en faisais, était une preuve irréfutable qu'il prenait les directives qui lui avait étés donnée très au sérieux : Prendre soin de moi. C'était encore une fois une attaque bien trop directe pour mon organe vitale, à la limite de la crise cardiaque.

Est-ce que j'allais survivre face à cet homme ?

- Merci, soufflais-je.

Un hochement de tête comme à son habitude fut sa simple réponse. Il ne semblait aucunement perturbé par la situation, et si la malencontreuse rencontre avec les garçons l'avait troublé à peine quelques secondes, il avait très vite retrouvé son air impartial juste après. D'un côté, j'enviais la maîtrise de ses émotions, son pragmatisme à toute épreuve. Je pensais être comme lui, mais les événements me prouvaient le contraire, j'étais dans tous mes états alors que lui respirait la sérénité.

- Ma chambre est ici, dis-je doucement, encore soumise de mes émotions en pagaille.

Quand nos mains se délièrent de nos corps, je me sentais comme de nouveau accablée par la force gravitationnelle, et l'endroit où sa chaleur s'était imprégnée sur mon corps, devenait subitement froid. Son odeur ne venait plus cajoler mes narines et la sensation d'être sous protection s'atténuait lentement. J'en venais même à soupirer de déception, avant de me rendre compte qu'Ushijima l'avait vu et entendu.

- Désolée, je suis fatiguée, me repris-je aussitôt pour ne laisser aucun malentendu s'installer.

- Tu devrais te coucher après avoir mangé, me dit-il.

Cela pourrait sonner presque comme un ordre dissimulé, et ça aurait été certainement ce qu'aurait compris la plupart des gens. Mais, commencent à comprendre qu'il était bien plus attentionné qu'on ne pourrait le croire au premier regard, je pensais plutôt que c'était un conseil qu'il me prodiguait. Certes, dis assez maladroitement, vu qu'il ne laissait apparaître aucun signe de compassion sur son visage, éternellement figé par son stoïcisme. Cela me fit sourire, car ma pensée suivante fut qu'il devait bien avoir du mal à trouver des interlocuteurs qui arrivaient à comprendre ses véritables intentions camouflées par son apparence brute et son manque de tact.

- Je pense que je vais passer l'étape de manger et me mettre au lit une fois lavée, lui fis-je part de mes projets pour clore cette longue journée éprouvante pour tout le monde.

- Ce n'est pas une bonne idée, manger est important pour reprendre des forces, c'est nécessaire pour que tes muscles et ton organisme puisse se régénérer.

Il avait raison, je le savais pertinemment, néanmoins, est-ce que j'en aurais la force ? À ce stade, même prendre une douche me paraissait monstrueusement difficile, alors devoir ressortir du bâtiment juste pour me sustenter, c'était presque insurmontable. Je m'appelais Prudence, pas Hercule.

- Ça va aller, je mangerai un peu plus demain matin, lui dis-je pour le rassurer, je n'étais pas vraiment prête à lui dire que j'étais à ce point dans un état vraiment lamentable.

Sans m'en rendre spécialement compte, j'avais posé de nouveau ma main sur lui, sur son avant-bras, et c'est seulement parce que ses yeux regardaient ce geste que j'en prenais conscience moi aussi. Je la retirai aussitôt, je ne voulais pas le gêner, pour moi ce n'était rien de significatif, juste un geste anodin que je pouvais avoir avec tous mes amis, mais cela pouvait être interprété différemment pour lui, et je ne voulais pas l'embarrasser. Notre amitié était toute nouvelle et fragile, nous n'avions pas encore pris l'habitude de nous côtoyer et de s'apprivoiser.

- Non, si c'est parce que tu es fatiguée que tu refuses de manger, je peux revenir te chercher, dit-il presque sur le ton de la réprobation.

- Tu m'as déjà beaucoup aidé, et tu as parfaitement fait ce qu'on t'a demandé de faire, tu n'as pas besoin d'en faire plus et je t'assure que ça va aller, je mangerai bien mieux demain matin si c'est ce qui t'inquiète, promis, débitais-je rapidement.

J'étais un peu troublée qu'il souhaite autant s'investir dans ce qu'on lui avait demandé et je ne voulais pas qu'il s'y sente obligé. Ça me donnait presque l'impression d'être un boulet qu'on avait accroché à sa cheville. S'il y avait bien une chose que je ne supportais pas, c'était de me sentir inutile, d'être un poids pour quelqu'un, de paraître faible.

- Je ne le fait pas parce qu'on me l'a demandé, reprit-il en accrochant son regard dans le mien. Je le fais parce que je le veux, et parce que c'est important que tu prennes soin de toi, se nourrir correctement est indispensable pour des sportifs comme nous.

Des milliers de papillons s'envolèrent dans le creux de mon ventre à l'entente de ses propos, à l'entendre dire qu'il le faisait par envie, de sa propre initiative et non par un quelconque sentiment de devoir imposé. Je me retrouvai à rougir, encore une fois devant lui, sous son regard qui était plus inquisiteur que bienveillant.

- Je reviens dans trente minutes, conclu-t-il face à mon silence.

Il prit la direction de la sortie des lieux alors que j'étais restée planté comme une grue devant la porte de ma chambre, observant sa silhouette disparaître au détour d'un couloir du dortoir des filles.

Je crois bien qu'il va me casser avant la fin de soirée.

C'était avec une main bien trop tremblante que je dû me reprendre par deux fois pour attraper la poignée de la porte, les joues cramoisies et la bouche entrouverte de stupéfaction. Toute cette journée me semblait irréelle, tout droit sortie de mon monde imaginaire et que j'allais finir par me réveiller pour découvrir que tout ceci n'était qu'un rêve, et que rien de tout ça ne s'était produit. Que Ushijima ne m'avait jamais demandé d'être son ami, que je n'avais pas enfin vécu cet instant de bonheur d'être dans ses bras.

Mes jambes, épuisaient et vacillantes, avaient du mal à supporter mon poids jusqu'au douche, j'étais aussi rapide qu'une mamie avec un lumbago. Je m'étais même surprise plusieurs fois à garder ma main suspendue dans les l'air, proche du mur au cas où elles flancheraient en cours de route et j'étais bien contente de constater que peu de filles étaient restées pour la Golden Week, pouvant ainsi traîner ma souffrance sans aucun témoin dans les couloirs.

La douche avait toujours eu un effet salvateur très bénéfique, mes muscles se détendaient au contact de l'eau chaude sur mon corps courbaturé, mais ce n'était pas le cas de mon esprit tourmenté. Il n'était pas encore remis de toute cette effusion d'émotions crée par les attaques d'Ushijima, ni de celles d'Oikawa survenue un peu plus tôt. Mon cœur, lui, vivait sa meilleure vie, il exultait à l'idée de retrouver le champion bien plus rapidement que prévu.

C'était les paupières lourdes, fatiguée de moi-même, de cette inlassable contradiction entre mon cœur et ma raison, que j'enfilais lentement un survêtement aux couleurs de l'académie. C'était tout sauf élégant, mais à cet instant précis, je louais son confort et non son esthétisme. Ça me convenait, je n'étais pas ici pour faire tourner de l'œil aux garçons de toute manière, sauf peut-être un, qui allait bien revenir pour moi, mais ce n'était clairement avec cette tenue que j'arriverais à lui arracher un rougissement. Cette pensée me fit sourire niaisement, me répétant comme une enfant encore une fois qu'il allait revenir, pour moi.

J'avais à peine eu le temps de regagner ma chambre pour dompter mon épaisse chevelure que j'entendis quelqu'un toquer à ma porte. Je savais déjà que trop bien qui était derrière celle-ci, qui était venu me chercher, et mon cœur s'emballa à nouveau instantanément, plus qu'excité de cette perceptive de passer à nouveau un moment avec Ushijima.

J'ouvris la porte et la vision qui s'offrait à moi me coupait le souffle. Je l'avais toujours trouvé bel homme, j'avais toujours aimé son charme naturel, avoir admiré le tracé si carré de sa mâchoire, la fine courbe que formait ses lèvres que je voulais tant goûter et de son regard pénétrant dont je ne me lasserai jamais. Cette fois-ci, les mots me manquaient, ma raison m'échappait. Sur ce charmant tableau qui faisait déjà tant chavirer mon cœur et mon esprit, s'ajoutait des rougissements sur son visage pour des raisons qui m'étaient inconnues, s'ajoutait ses cheveux rendus humides et ébouriffés. Ses yeux olive s'emparaient de moi, elles me kidnappaient à elles avec aisance tellement je succombais face à lui.

J'en chancelai, littéralement.

Son bras s'enroula autour de ma taille et son autre main vint se poser sur mon épaule pour me rattraper alors que je basculai sur le côté, comme si je tombais en pamoison devant lui. Mais au lieu de me reprendre, de me remettre droite sur mes deux jambes et de m'excuser, j'envoyais chier toutes mes pensées raisonnables et me laisser complètement aller contre lui. L'odeur un peu citronnée de son gel douce était venue aussitôt me chatouiller le nez, la chaleur de son corps, augmenté par sa récente douche qu'il devait avoir prise avant de revenir ici, venait s'enrouler autour de mon corps, me détendant automatiquement. Ma joue était allée se coller contre ses pectoraux si fermes, et la sensation de sa main dans mon dos me fit fermer les paupières. Je me sentais si bien tout contre lui, si légère et en paix que je ne voulais pas quitter ce corps qui lui appartenait, je voulais m'y greffer, m'y mouler, et m'endormir ainsi. Fatiguée et entièrement en dérive, mes bras s'étaient d'eux même enroulés autour de sa taille, comme si c'était naturel d'avoir ce contact entre nous. Mais j'avais bien conscience que non, que ce que je faisais était déplacé et pouvait hautement l'embarrasser, mais je ne m'en formalisais pas du tout. J'avais tout simplement arrêté de me battre contre moi-même, de pouvoir retrouver la sensation de son étreinte que j'avais pu découvrir quelques minutes avant.

- Désolée, tu peux me laisser une minute comme ça s'il te plaît ? Chuchotais-je comme si cela devait être un secret.

C'était un caprice, je le savais tout aussi bien, mais j'en avais tellement envie, comment aurais-je pu résister ? Je prenais plusieurs lentes respirations pour inhaler son odeur parfumée, je n'attendais pas de réponse et n'imaginais pas un seul instant être repoussée, comme je n'imaginais pas qu'il allait lentement laisser glisser sa main pour entourer mes épaules quelques secondes après mes paroles. L'étau que former ses bras autour de moi se resserra subtilement, maladroitement, comme s'il ne voulait pas me serrer trop fort. J'ai pris l'audace de lui faire moi-même passer le message en mettant un peu plus de pression autour de son corps pour le rapprocher davantage plus près de moi, et il me répondit de la même manière. C'était totalement grisant, d'être enroulé dans ses bras puissants, dans la fermeté de ses muscles, ça me donnait la sensation d'être intouchable, de pouvoir être vulnérable sans craindre de rien, parce qu'il pouvait me protéger de tout.

Je retrouvais la sensation d'être dans les bras d'un garçon, et cela m'avait plus manqué que ce que j'avais cru, mais les bras d'Ushijima m'offrit une sensation dix fois supérieur à celle que mes souvenirs m'avaient laissé de Nikolai. Elle était aussi bien meilleure que celle qu'avait créer Oikawa. Quand bien même le brun de l'équipe adverse avait un contact agréable, celle que me donnait Ushijima allait au-delàs de mes espérances. Elle était encore mieux que celle que j'avais imaginé dans mes rêves. Je l'avais tant voulu, tant désiré, j'avais tant souhaité pouvoir me lover contre lui, sentir son corps contre le mien, ses bras entour de moi, que je me sentais enfin comblée, enfin libre d'un poids pesant, tellement cette envie avait été imposante et oppressante.

C'était plus que réticente que je me décollais lentement de lui, ayant sans l'ombre d'un doute dépassée la minute que j'avais quémandé. Mais je devais l'avoir embarrassé, et je ne voulais pas plus abuser de sa bienveillance. Je découvris un Ushijima, les joues rosées, le regard expriment à la fois de l'embarras et de l'incompréhension, voir même un soupçon de timidité.

- Excuse-moi si je t'ai surpris par mon geste et si je t'ai embarrassé, et merci de m'avoir prise dans tes bras, ça m'a fait du bien, dis-je encore une fois dans un doux murmure seulement audible pour nous deux.

Son regard parlait beaucoup plus que le reste de son visage qui semblait figé, luisant toujours de ces mêmes émotions, me disant que je l'avais bien plus perturbé que je le croyais. Je m'en voulais un peu. Pour un jeune garçon japonais, c'était beaucoup trop intime de laisser une simple amie avoir un tel contact comme ça avec lui, et quand bien même il savait contenir ses émotions, je m'étais beaucoup trop laissée emporter par mes propres désirs, ignorant complétement son ressentit à lui.

Seconde après seconde, ma joie fut remplacée par de la culpabilité. Il ne répondit rien, laissant simplement son regard rempli de confusion dans le mien, que je ne finis par baisser les yeux sur mes pieds. Je me sentais tout à coup honteuse, car j'avais bel et bien abusé de sa gentillesse et de sa bienveillance. Son silence et son regard ne faisait que gonfler ce sentiment dans mon cœur et mon esprit, ce moment que j'avais tant apprécié une minute avant, devenait celui que je regrettais le plus. J'avais peur d'avoir déjà gâché cette amitié que nous venions tout juste de construire, d'avoir irrémédiablement abîmé ce lien entre nous. La germe de la peur s'installait dans mon esprit.

Une longue et interminable minute s'était écoulé et rien d'autre ne fut prononcé, j'avais même l'impression d'entendre mes paroles continuer à faire de l'écho dans le couloir, m'accablant encore plus. Si seulement j'avais écouté ma tête, si je ne m'étais pas laissé emporter par mon cœur, je n'aurais pas vu un Ushijima, les bras ballants, le regard confus et embarrassé comme en ce moment-même.

- Je ne vais pas venir manger, je me sens vraiment fatiguée et je ne voudrais pas risquer de tomber à nouveau, désolée de t'avoir fait revenir ici pour rien, lui dis-je d'une voix qui me paraissait si lointaine et si lasse en choisissant de fuir.

J'attendis quelques secondes, mais je me retrouvais encore une fois face au silence, face à son regard et à ses joues rouges. Redoublant ainsi ma culpabilité. Il avait beau toujours paraître impassible, il restait quand même juste un adolescent de seize ou dix-sept ans, quelqu'un qui avait lui aussi des sentiments et des limites que j'avais sciemment choisis d'ignorer. Je refermai la porte en me disant que je venais de ruiner cette journée. Et que j'avais qu'à m'en vouloir à moi-même.

Je ne pris pas la peine de monter sur mon lit et je me laissais lourdement tomber sur celui d'Aïna. Mais ça n'avait aucune importance, je voulais juste fermer les yeux et m'endormir, pour oublier.

Je devais être vraiment la fille la plus stupide sur cette terre en ce moment-même.