Chapitre 5 : Face à face

Salieri longea les couloirs du palais pour se rendre à son bureau. Quand il arriva près de la porte, il fut surpris de voir divers domestiques en train de déménager des meubles dans la pièce vide qui faisait face à son cabinet. Lentement, il s'approcha, et l'un des hommes s'inclina pour le saluer.
- Maestro Salieri, nous avons bientôt terminé, nous ne vous dérangerons pas longtemps par le bruit.
- Aucun problème. Cette pièce était inutilisée depuis longtemps, que va-t-elle devenir ?
- L'empereur nous a ordonné d'en faire un bureau, pour que monsieur Mozart ait un endroit où travailler.
L'information lui fit l'effet d'une douche glacée.
- Je vois, articula-t-il simplement.
Sans rien ajouter, il alla s'enfermer dans son bureau. L'homme qu'il cherchait à tout prix à éviter allait se retrouver très souvent à quelques pas de lui, quel cauchemar. Il faillit croire que l'empereur l'avait fait intentionnellement, puisqu'il était conscient de son désir inavouable pour le blond, mais il refusa d'y croire. Joseph II avait bien plus important à faire que d'essayer de lui faire fréquenter quelqu'un. Il s'efforça de ne plus penser à l'autrichien pendant qu'il travaillait, et quand l'heure du déjeuner arriva, il sortit de son bureau pour prendre une pause. Perdu dans ses pensées qu'il tentait en vain de refouler, il marchait rapidement dans les couloirs. Faire un tour à la bibliothèque du palais lui permettrait peut être de se changer les idées. Il lui fallait trouver un ouvrage suffisamment pertinent pour se plonger dedans et en oublier ses tracas. Il entra dans la salle gigantesque, vide à ce moment là de la journée, et il commença à fouiller les étagères démesurées, triant les ouvrages, à la recherche d'une pépite divertissante. Après quelques minutes, il saisit un livre dont la couverture soignée attirait son attention, il recula pour s'éloigner du meuble et heurta quelque chose, ou plutôt quelqu'un. Il s'apprêtait à se retourner pour s'excuser mais la personne posa fermement ses mains sur ses hanches pour le faire pivoter avant qu'il ne bouge de sa propre initiative.
- Et bien, quelle surprise, bonjour, maestro.
En voyant le musicien devant lui, le visage de Salieri se décomposa. Il fit un grand effort pour ne pas afficher un air effaré et lâcher bêtement l'ouvrage qu'il tenait.
- Mozart ? dit-il, surpris. Que faîtes vous là ?
Le plus jeune eut un rire amusé.
- Vous demandez cela comme s'il était surprenant que je puisse lire.
- Pardonnez ma réaction, j'étais simplement étonné de vous croiser.
- Je vois cela.
Mais Wolfgang n'était pas venu dans la bibliothèque pour lire, il avait aperçu son aîné dans un couloir et l'avait simplement suivi. Salieri remarqua que son interlocuteur n'avait toujours pas lâché sa taille, et il en fut perturbé. La sensation des mains de son cadet sur lui ne lui déplaisait pas, et cela l'effrayait. Il recula pour rompre le contact, et il reposa le livre sur l'étagère.
- Si vous voulez bien m'excuser, je dois retourner au travail.
Son interlocuteur fut diplomatique, il ne fit aucune remarque sur le fait que le maître de la chapelle venait tout juste d'arriver, qu'il avait à peine touché un livre, et que, par conséquent, son excuse n'était pas vraiment crédible.
- Oh, et bien laissez moi vous accompagner maestro, j'ai moi même plein de choses à faire, et on m'a signalé que j'avais désormais un bureau, en face du vôtre. Vous pourriez ainsi me montrer le chemin !
Antonio, embarrassé, se contenta de hocher la tête. Mozart lui emboîta le pas, souriant avec amusement. Il avait noté l'embarras du musicien face à lui. Tout comme il avait décelé sa réaction lors des répétitions. Il n'oublierait jamais l'expression qu'il avait affichée en écoutant sa musique. Il se demanda alors ce qu'il pourrait tirer comme réaction avec son corps contre le sien. Il avait hâte, mais il se souvenait bien des conseils de l'empereur. Ne pas aller trop vite. Salieri était comme un animal sauvage, il fallait le dompter progressivement. L'italien pouvait sentir le regard brûlant de son cadet sur son dos, inconscient des pensées indécentes qui traversaient son esprit, et il essayait de contenir ses émotions pour ne pas laisser paraître son trouble. Ils arrivèrent finalement devant la porte du bureau du compositeur impérial, et ce dernier désigna la pièce en face de son cabinet.
- Votre bureau est ici. Bonne journée.
Il voulut se précipiter à l'intérieur pour fuir l'autrichien, mais celui ci attrapa sa main, le forçant à se retourner. L'italien posa ses yeux sur le plus jeune, et son coeur loupa un battement. Wolfgang lui offrait un sourire éblouissant.
- Laissez moi le temps de vous remercier de m'avoir montré le chemin, maestro. Ce palais est si grand, je me serai perdu sans votre aide.
Son pouce caressa très légèrement la main de son aîné, si légèrement que celui ci douta même qu'il l'ait vraiment fait. Il bredouilla en réponse, peu assuré.
- Je vous en prie.
Il retira sa main et s'enferma dans son bureau. Mozart fixa un instant la porte. Effectivement, il faisait beaucoup d'effet au musicien, bien plus qu'il ne l'avait imaginé. Il sourit avec amusement, cela s'annonçait véritablement intéressant pour la suite.