Chapitre 6 : La vive canicule de l'été
Wolfgang saisit les feuilles de papier sur son bureau, et il s'éventa avec. La chaleur était étouffante en cette journée, et le jeune homme aurait préféré flâner dehors. Malheureusement pour lui, il devait travailler, il était en retard sur ses commandes. Mais comment se concentrer avec une telle température ? Il soupira et se leva pour ouvrir la porte de la pièce, espérant faire circuler l'air. Visiblement, son aîné avait eu la même idée puisque la porte de son bureau était grande ouverte, laissant le champ de vision sur l'intérieur de son cabinet. Les étagères étaient rangées avec minutie, tout comme les objets et documents présents sur la table. Salieri était en train de chercher quelque chose dans un tiroir, dos à l'entrée de la pièce et donc au jeune homme qui l'observait. Le maître de la chapelle ne portait pas sa longue veste noire, posée sur le dossier de sa chaise, sans doute à cause de la chaleur, et, débarrassé d'un tel vêtement, Wolfgang eut le loisir, pour la première fois, de pouvoir réellement admirer sa silhouette. Sa chemise blanche qui longeait son dos avant de s'évanouir dans le pantalon noir et serré de l'homme, qui retraçait finement ses longues jambes. Les yeux de l'autrichien remontèrent légèrement, au niveau du postérieur de son aîné, qu'il n'avait que survoler du regard. Sa bouche s'ouvrit, formant silencieusement un «oh» de surprise. Les fesses de son maestro étaient d'une beauté certaine, la forme rebondie mise en valeur par le vêtement moulant. Mozart ferma les yeux et prit une longue inspiration, essayant de chasser toutes les pensées qui lui passaient en tête, et ses nombreuses envies. Il ne rêvait que du jour où il pourrait s'emparer du derrière si attirant du bel italien. Il retourna à contre coeur s'assoir à sa table, mais ne parvint toujours pas à se concentrer sur son travail. Tout son esprit essayait de chercher comment approcher le compositeur de la cour, et comment le faire avouer ses désirs. Voilà qui était un travail difficile. Inconscient du trouble de l'autrichien, Salieri triait ses étagères afin que chaque document soit à sa place. Il était minutieux, si ce n'est maniaque, et son bureau était toujours rangé avec une extrême précision.
Les jours suivants furent identiques niveau température. Vienne vivait une période de canicule impressionnante. Mozart leva la tête pour épier son voisin. Encore une fois, la chaleur avait contraint les deux hommes à laisser leurs portes ouvertes. Cette fois, Salieri était assis à son bureau, le regard concentré sur ses documents. A côté de lui, il y avait un bac rempli de sucreries, et il les mangeait une à une avec un plaisir manifeste, bien que discret, inconscient d'être observé. Wolfgang sourit. Ainsi, l'éminent compositeur de la cité était gourmand. Il soupira d'envie en imaginant le goût des lèvres de son maestro, elles devaient être aussi sucrées que les friandises qu'il mangeait. Sans parler du côté adorable qu'avait cette manie. Il se jura de toujours avoir sur lui des sucreries, dans le cas où il pourrait lui en offrir. Le brun leva la tête pour regarder à travers la porte et Mozart se reconcentra aussitôt sur son travail. Avait-il perçu son regard ? Non, c'était peu probable, il venait de passer plus d'une heure à le fixer, il l'aurait remarqué avant. Le jeune homme soupira, il ne savait toujours pas comment approcher celui qui ne quittait jamais son esprit, malgré les conseils de l'empereur, conseils qu'il n'osait pas réellement mettre en pratique. Et si par fierté, le compositeur italien le rejetait pour ne pas avoir à assumer son attirance pour lui ? Il était pourtant certain de lui faire de l'effet, et l'empereur également. Mais Mozart hésitait, il laissa son front retomber brusquement sur son bureau, désespéré.
- Tout va bien ?
L'autrichien se redressa brusquement, surpris. Le maître de la chapelle, posté à l'entrée de la pièce, le regardait.
- Avez vous un problème sur la commande d'opéra de sa Majesté ?
Mozart ouvrit la bouche pour lui demander d'où il tenait cette idée, mais il la referma avant de parler. Le brun venait de lui offrir une opportunité unique d'échanger avec lui. Il sourit.
- Je vais bien, je vous remercie. J'étais perdu dans mes pensées. En effet, j'aurais bien besoin de votre avis, maestro. Pourriez vous jeter un oeil à une partition ?
- Oui, bien sûr.
Il entra et Wolfgang prit l'une des feuilles qui traînaient sur le meuble pour lui donner. Antonio laissa ses yeux sombres parcourir la feuille, et il cessa de respirer. Même sans l'entendre, il parvenait à saisir la mélodie, et déjà, elle l'ensorcelait corps et âme. Il ne se rendit pas compte de son expression extasiée, ni qu'il était en train de se mordre la lèvre, mais son cadet lui n'en perdait pas une miette. Il dut se faire violence pour ne pas se lever et se jeter sur lui tant il était désirable, en cet instant plus que jamais. Au bout de quelques minutes, voyant que l'italien ne réagissait pas, il reprit la parole.
- Alors ?
Salieri sursauta.
- Euh... Pardonnez moi, Mozart, j'étais pensif. Je trouve cette partition excellente, qu'est ce qui vous fait penser que vous avez besoin de mon avis ?
Cette phrase percuta l'autrichien de plein fouet. Antonio ne l'avait pas dit directement, mais sa pensée s'était dévoilée implicitement. Il estimait Mozart plus doué que lui, et ne comprenait pas en quoi il pouvait l'aider. Cela brisa le coeur du jeune homme. Il aimait se savoir talentueux, mais il ne voulait pas voler à Salieri ses honneurs. Il devait le lui signifier, tout aussi implicitement.
- Et bien maestro, j'ai beaucoup d'estime pour votre travail, et votre professionnalisme. Ce qui me fait douter dans mes partitions, c'est leur potentiel conventionnel. Cet opéra est destiné à la cour, ce n'est pas une de mes créations libres, il se doit de convenir à son public, et qui serait mieux placé que vous pour me guider dans cette voie ?
Il avait souri avec toute sa sincérité, et cela toucha son interlocuteur. Celui ci dit alors doucement.
- La seule chose que la cour pourrait reprocher à votre partition, c'est le nombre de notes. Mais ces gens ne sont pas des prodiges de la musique comme vous l'êtes. Alors, je vous conseillerai plutôt de ne pas y toucher, qu'importe la critique.
Les étoiles qui brillèrent dans les yeux de Wolfgang furent plus éloquentes que n'importes quels mots.
- Je suivrai votre conseil. Merci, maestro Salieri.
L'italien eut l'impression que le jeune prodige avait particulièrement accentué la prononciation de son nom, mais il ne fit aucune remarque et hocha la tête, lui rendant sa partition avant de tourner les talons pour sortir. Mozart ne détacha pas son regard de sa silhouette, jusqu'à ce qu'elle ait complètement disparu dans le couloir. Plus que jamais, il se rendit compte du désir qu'il éprouvait pour cet homme.
