Chapitre 7 : L'arrivée du comte

L'homme entra dans le palais, laissant ses yeux se balader tout autour de lui. Archibald Thun und Hohenstein n'était pas n'importe quel noble de la cour de Vienne. Sa famille était l'une des plus puissantes d'Autriche depuis le XVIIème siècle, et son nom était signe d'honneur, de puissance et de gloire. Mais cela ne suffisait pas à Archibald. Être le maître d'un domaine, aussi grand soit-il n'était pas assez. Ses titres, sa renommée, l'origine de son sang, il était digne des plus grands princes d'Autriche, et il s'estimait bien plus légitime que Joseph II pour gouverner le pays entier. Archibald était un homme ambitieux en plus d'être influent, et il était prêt à tout pour obtenir la couronne. Il cessa d'admirer l'architecture des lieux, un jour, ce palais serait sien. Il allait infiltrer l'entourage de l'empereur, éliminer ses contacts les plus importants, l'isoler et le discréditer afin de s'attirer les faveurs populaires de la noblesse, et enfin, monter sur le trône. Il passerait de comte à empereur. Il sourit. Oui, c'était un plan parfait. Son regard se posa alors sur un homme qui avançait dans le hall sans lui porter d'attention. Brun, les cheveux longs attachés sur sa nuque, ne laissant qu'une mèche rebelle tomber sur le côté, le visage strict et pourtant doux, impassible, les yeux sombres cernés d'un maquillage noir, la barbe finement taillée. Vêtu d'un long manteau de la même teinte noire, sur une chemise blanche ornée d'une broche tout aussi noire que le reste. Il avait beaucoup de prestance, et une maîtrise de lui même qui transparaissait au delà de son attitude. C'était la première fois depuis des années qu'Archibald mettait les pieds dans la capitale, il avait toujours fui la haute société de Vienne en attendant son heure de gloire, aussi ne connaissait-il personne, mais l'homme qui se tenait là le fascina aussitôt. Il s'avança pour lui couper la route avec assurance, et s'inclina légèrement devant lui avec une politesse factice.
- Bonjour, monsieur. Pardonnez ma témérité, mais je viens d'arriver en ville, je n'ai ici aucun ami pour me renseigner ni de quelconque repère. Je suis le comte Archibald Thun und Hohenstein, je viens du Sud du pays.
Le brun le fixa un instant, et il trouva la sensation désagréable, comme si l'inconnu portait sur lui un regard analyste et qu'il se permettait de le juger, voire même de le mépriser étant donné son air glacial. Cet homme se croyait-il supérieur ? Tandis que la colère montait en lui, tout comme la haine à l'égard de son interlocuteur, qui n'avait pourtant encore rien dit, ce dernier inclina la tête pour le saluer.
- Monsieur, soyez le bienvenu au palais. En quoi puis-je vous être utile ?
Sa courtoisie élégante, son accent italien et la froideur de sa voix n'arrangèrent pas l'impression qu'il faisait à Archibald. Comment un étranger pouvait-il se comporter envers lui sans manifester clairement son infériorité. Lui était de la noblesse autrichienne la plus pure, n'importe qui se devait de manifester à son attention les égards qu'il méritait. Alors pourquoi cet inconnu se comportait comme s'il n'avait aucun intérêt pour lui ? Tâchant de conserver calme et prestige, il répondit.
- Je souhaiterais m'orienter dans cet immense endroit, et pouvoir rencontrer l'empereur.
L'homme le fixa de nouveau avant de répondre.
- Je ne peux que vous conseiller de vous adresser au personnel présent ici. Serviteurs, gardes, ou quiconque dont la fonction siéra à votre demande. Je suis pour ma part contraint de respecter mes propres obligations auprès de sa Majesté.
Malgré sa politesse, l'homme avait été particulièrement cassant, n'appréciant pas être comparé à un valet d'autant plus qu'il était pressé et qu'il n'aimait pas être dérangé. Le visiteur ouvrit la bouche pour le remettre à sa place quand une voix dans son dos l'interpella.
- Archibald !
Les deux hommes se tournèrent dans un même mouvement, pour voir l'empereur en personne arriver, un grand sourire aux lèvres.
- Oh mon ami, reprit le dirigeant d'Autriche une fois près d'eux, soyez le bienvenu. Je ne vous avais pas vu depuis mon dernier voyage dans le Sud, c'est la première fois que vous venez à la capitale ?
- Oui, votre Majesté, dit le comte avec un sourire forcé.
- Et je vois que vous avez fait la connaissance de Salieri, mon illustre compositeur, et un ami proche ! Directeur de l'opéra, maître de la chapelle impériale, cet homme est véritablement le joyau de ma cour !
En parlant, il fixait Salieri avec adulation et fierté, et cela n'échappa pas à Archibald, qui posa toute son attention sur le brun. Joseph II semblait lui accorder beaucoup d'estime, voilà qui était très intéressant.
- N'est-il pas parfait ? acheva enfin l'empereur, tandis qu'Antonio se sentait quelque peu mal à l'aise par tous ces éloges.
- Oui, assurément, susurra Archibald en souriant vraiment, cette fois.
Il avait trouvé sa première proie.


L'autrichien prit une longue inspiration avant de toquer. Une voix à l'intérieur de la pièce lui permet d'entrer, et il ouvrit la porte.
- Mozart ? demanda alors l'homme, assis derrière son bureau.
Le blond hésita un instant, il craignait la réaction de son aîné.
- Bonjour, maestro Salieri. Euh... Je voulais vous remercier pour votre aide de l'autre jour, sur ma partition.
L'italien haussa les sourcils.
- Vous m'avez déjà remercié, le jour même. De plus je n'ai rien fait, j'ai simplement approuvé votre composition.
- Oui, enfin non, je veux dire pas avec les mots. Plus... concrètement ? Parce que malgré ce que vous dites, vous m'avez vraiment aidé.
Il montra alors ce qu'il tenait dans ses mains, un sachet refermé, qu'il posa sur le bureau.
- Et du coup... j'ai acheté ça, pour vous... J'espère que vous aimerez...
Le compositeur impérial prit le sac d'un geste lent pour en regarder le contenu. Le paquet contenait des sucreries. Il ferma un instant les yeux quand il sentit l'odeur sucrée.
- Je vous remercie... Ce n'était pas nécessaire, je vous assure. Je n'ai pas fait grand chose.
Il avait soufflé sa réponse, ne sachant vraiment comment réagir. Le jeune musicien avait trouvé là sa grande faiblesse. Wolfgang sourit.
- Je voulais juste vous faire plaisir pour exprimer ma gratitude. Cela vous dérange ?
Salieri leva la tête pour le regarder. Il avait les yeux brillants, et Wolfgang remarqua le trouble qu'il essayait pourtant de cacher. De simples sucreries n'auraient pas chamboulé ainsi un homme comme Antonio Salieri. C'était lui, qui le troublait. Voilà qui s'annonçait positif.
- Non, c'est très aimable. Mais je suis embarrassé, je n'ai rien fait de si important.
- Rassurez vous, maestro, ce présent n'est pas grand chose non plus.
Il s'inclina et se retourna pour partir, ne souhaitant pas non plus s'imposer trop vite.
- Attendez, Mozart.
Le blond se retourna. Salieri lui tendait le sachet ouvert.
- J'accepte volontiers ce présent, mais je voudrais que vous en profitiez également. Servez vous.
L'autrichien sourit de nouveau, et il s'empara d'une friandise, avant de voir son aîné en prendre une également. Les yeux du plus jeune se posèrent sur le brun, le fixant tandis que son expression manifestait un certain plaisir, bien que discret et maîtrisé, tandis qu'il savourait la sucrerie. Cette image idyllique suffit à contenter Wolfgang, qui adressa grand sourire éblouissant à son interlocuteur, un sourire qui toucha le coeur de l'italien de plein fouet, avec violence.