Chapitre 8 : La demande de l'empereur
Antonio marchait dans les couloirs d'un pas pressé. Joseph II l'attendait, il ne savait pas pour quel motif. Des pas retentirent dans son dos, rapides, jusqu'à se caler sur son rythme, signe que la personne marchait maintenant près de lui.
- Bonjour maestro !
- Bonjour, Mozart. Pourquoi me courriez vous après ?
Wolfgang hésita à faire référence à l'expression, qui était tout à fait juste de surcroît, mais il tint sa langue, il ne voulait pas risquer d'agacer son aîné.
- C'est que, je suis également attendu par l'empereur, et j'ai été prévenu à la dernière minute, j'ai donc couru pour vous rattraper, afin d'être sûr de ne pas être en retard.
- Je vois.
Ils ne dirent rien de plus, et entrèrent en même temps dans le grand hall où le dirigeant recevait ses invités. Assis sur un fauteuil majestueux digne de son rang attendait justement l'empereur. L'homme fut ravi de les voir et il se leva pour venir vers eux, visiblement impatient.
- Merci d'être venus !
Il semblait particulièrement de bonne humeur, et savourait avec délice la vision des deux musiciens côtes à côtes. Si machinalement, il posa un regard doux sur son compositeur officiel, il échangea surtout un regard complice avec Wolfgang, qu'il avait toujours l'intention d'aider.
- Un ami de longue date, issu de la noblesse autrichienne la plus prestigieuse, le comte Archibald Thun und Hohenstein, est arrivé récemment à Vienne, et je voudrais donner en son honneur un bal, ici, au palais, à la fin de la semaine. Je voudrais que mon compositeur et le jeune prodige adulé de la cité travaillent ensemble sur la partition de la musique qui ouvrira cette soirée. Vos talents individuels sont prodigieux, alors imaginez s'ils se combinaient.
Mozart lança à Joseph II un regard empli de gratitude, il venait de lui offrir l'opportunité de passer du temps avec l'italien, et de l'approcher. L'empereur lui adressa un clin d'oeil, conscient de la chose, tandis que Salieri s'inclinait en répondant.
- A votre convenance, Votre Majesté.
Il ne manifestait jamais aucun signe de familiarité, surtout en présence d'autrui, et c'était quelque chose qui amusait beaucoup l'empereur d'Autriche. Celui ci frappa dans ses mains, impatient et enthousiaste.
- Parfait, parfait, j'ai hâte d'y être. Vous pouvez y aller, messieurs.
Les deux musiciens firent volte face pour quitter la pièce, Wolfgang littéralement perdu dans ses pensées idylliques au sujet de l'italien, alors que celui ci réfléchissait déjà à l'organisation de cette nouvelle commande.
- Mozart ?
Le blond se retourna aussitôt, un grand sourire aux lèvres.
- Ouiiiii ?
Antonio ne tint pas rigueur de son intonation traînante très enfantine, ni de son expression illuminée qui n'avait pas lieu d'être, de son point de vue du moins, et il enchaîna.
- Nous avons à peine une semaine pour réaliser cette composition, et je crains d'être débordé dans la journée avec mes obligations, cela vous gênerait-il que nous travaillions le soir sur cette commande ? Si cela ne vous complique pas trop de faire le trajet jusqu'à chez moi en fin de journée, et de vous rajouter quelques heures de travail supplémentaire ?
Le plus jeune, qui voyait là une occasion intéressante, hocha la tête avant même que son maestro n'ait fini sa phrase.
- Sans aucun problème.
- Très bien, suivez moi jusqu'à mon bureau, je vais vous écrire l'adresse.
Salieri avança dans le couloir, décidé à ne pas perdre de temps, il ne vit donc pas Wolfgang, derrière lui, qui sautillait de joie à l'idée de se rendre à son domicile. Lorsqu'ils arrivèrent, l'italien ne perdit pas de temps, il attrapa un papier, et sa plume, et il se pencha pour noter l'information, pendant que, dans son dos, Mozart admirait sa silhouette, et plus particulièrement la cambrure de son dos, qui lui donnait tout un tas d'idées et d'envies. Il se ressaisit dès que son aîné se redressa en lui tendant le morceau de parchemin. Le blond le prit et le rangea avec beaucoup d'attention dans sa poche intérieure.
- A ce soir, donc ? acheva le compositeur impérial pour le saluer.
- A ce soir, maestro, sourit son cadet en quittant la pièce.
Mozart se tenait droit, il essayait de rester le plus calme possible. Assis à côté de lui, Salieri écrivait des notes sur une feuille. Seul le son de la plume sur le papier, et le son de la pluie battante qui frappait la vitre de la fenêtre, comblaient le silence dans la pièce. Wolfgang s'était présenté légèrement en avance devant la grande porte de la demeure du compositeur, et ce dernier lui avait ouvert. A l'heure tardive qu'ils avaient convenue pour se rejoindre, les domestiques engagés pour tenir le manoir de l'italien étaient déjà partis. Ils étaient montés à l'étage, et s'étaient installés dans le bureau du propriétaire des lieux avant de se mettre au travail. La pièce était à l'image de son espace de travail au palais, tout était rangé avec ordre, et propreté. Le blond avait lui aussi inscrit quelques lignes de notes, mais il était distrait, par ses pensées, par l'odeur de l'italien qui emplissait ses narines depuis qu'il était entré dans la maison de celui ci, par sa proximité avec l'homme, et il avait beaucoup de mal à se concentrer.
- A quoi pensez vous Mozart ? Je vous sens perturbé.
Salieri n'avait même pas levé les yeux pour le regarder, et il continuait à écrire. Cela fascina Wolfgang, il était peut être un génie, mais il n'avait pas de telle rigueur en travaillant. Il ne pouvait pas répondre la vérité à son hôte, mais il était doué pour improviser.
- A la pluie qu'on entend maestro, je me faisais la réflexion qu'il serait plus sage pour moi de laisser mes notes chez vous, sinon, le temps que je rentre, elles seront trempées et illisibles. Le temps est vraiment épouvantable pour un été aussi chaud.
Comme pour lui répondre, à la pluie s'ajouta le grondement du tonnerre.
- Oui, en effet vous devriez laisser ça ici. Et concernant la météo, il est courant que lors des périodes de forte chaleur et de sécheresse, il y ait ensuite de l'orage.
- Vous en savez des choses, avez vous suivi un enseignement scientifique en plus de la musique ?
Antonio releva la tête pour le regarder, et il remarqua que son cadet était en train de l'aduler des yeux. Il détourna les yeux vers le mur, gêné par cette attention.
- Un peu, oui. Rien de très avancé cela dit. J'aime simplement apprendre de nouvelles choses.
L'autrichien sourit, et il se remit au travail sans rien ajouter. Il faisait bien sombre quand ils s'arrêtèrent, et Antonio le raccompagna jusqu'à la porte d'entrée, afin d'éclairer l'allée. Entre la pluie battante, l'orage et la nuit qui tombait, la ville était plongée dans une ambiance assez sombre. Les derniers rayons de lumière avaient du mal à percer les nuages gris. Mozart lui souhaita une bonne soirée avec un large sourire, et il sortit, courant pour passer le moins de temps possible sous la pluie. Une idée qui ne se révéla pas longtemps efficace puisque l'autrichien glissa sur le perron trempé avant de s'écraser dans l'allée. Inquiet, Salieri sortit aussitôt alors qu'il n'avait aucun manteau pour se couvrir et il s'agenouilla près du blond.
- Mozart ? Vous allez bien ? Votre tête n'a pas cogné le sol ?
Allongé sur le sol, Wolfgang faisait la grimace, voilà qui était bien douloureux. Il leva les yeux sur Antonio qui le surplombait, et il bénit les cieux de l'avoir fait tombé. L'italien, en quelques secondes, était devenu tout aussi trempé qu'il ne l'était, l'eau ruisselait sur son visage, dans ses longs cheveux bruns attachés, et sur sa chemise blanche qui devenait transparente au contact de l'eau. Mais ce qui plaisait encore plus à l'autrichien à part cette vision idyllique, c'était de savoir que son aîné n'avait pas hésité à se précipiter vers lui.
- Je vais bien, maestro. Je ne me suis pas fait trop mal, je ne crois pas être blessé.
Salieri soupira, et Mozart ne put réprimer un grand sourire. Le brun lui tendit la main, et il la saisit, le laissant le tirer pour l'aider à se remettre sur pieds. Tous deux, face à face, l'eau leur tombant dessus en trombes, immobiles. Ils se regardaient dans les yeux, sans qu'aucun ne fasse le moindre geste pour rompre le contact visuel qu'ils partageaient. Wolfgang n'avait jamais vécu de scène qui lui paraisse aussi romantique que celle ci.
- J'espère que vous pourrez me pardonner, murmura-t-il soudainement.
Salieri ouvrit la bouche pour lui demander ce qu'il devait pardonner, mais déjà, son cadet avait pris son visage dans ses mains, et il s'était avancé pour l'embrasser. Antonio sentit son être entier le brûler, alors que l'eau imbibant ses vêtements le glaçait depuis un long moment, et il ferma les yeux, posant ses mains sur le torse du blond, répondant au baiser comme s'il avait attendu cela toute sa vie. Mozart sentit son coeur exploser de joie en voyant que l'autre ne le repoussait pas, et il passa ses mains derrière le crâne de l'italien pour retirer le ruban qui maintenait ses cheveux longs attachés, afin de glisser ses doigts dans les longs fils noirs humides et doux, de son partenaire. Il intensifia le baiser, et Antonio gémit sous son enthousiasme. L'autrichien profita qu'il entrouvre ses lèvres pour introduire sa langue dans la bouche de l'italien, qui se sentit rougir sous la force de cette démonstration. Après de longues minutes de baiser passionné, un coup de tonnerre surgit, et ils se séparèrent, se regardant, essoufflés par l'émotion comme par la tension qu'ils sentaient entre eux. Antonio avait une expression interloquée sur le visage, les joues rougies, et le regard perdu, Wolfgang craignit de l'avoir effrayé. Ils parlèrent en même temps, pour dire exactement les mêmes mots.
- Je suis désolé.
Salieri baissa la tête, fixant le sol, il poursuivit.
- Soyez prudent en rentrant, je vous prie.
Il tourna les talons et rentra aussitôt chez lui. Mozart lui, fixa la porte close un moment, sans se soucier de la pluie, après tout, il était déjà trempé. Il passa doucement ses doigts sur ses lèvres, il avait vu juste juste, celles de son maestro étaient sucrée, et terriblement délicieuses.
