Hey !
Et un chapitre de plus ! Il a failli être en retard, celui-là. Il faut que j'arrête de croire que je peux corriger 6k mots les doigts dans le nez en un jour. Bref.
Merci très fort à Lae et Mijoqui pour leurs reviews ! Vous nourrissez ma motivation, et ça me fait grave plaisir.
Bonne lecture !
En terrain hostile
.
Au réveil, une ombre lourde enveloppe Riku. Il cherche le filet de lumière que les volets de sa chambre laissent habituellement filtrer. Puis sa mémoire le frappe. Plus jamais, la lumière. Plus jamais, la pièce exigüe, l'odeur de bouffe qui embaume l'évier à deux mètres de lui. Ici, deux rideaux épais avalent la fenêtre. Ils entravent le maigre rayon qui perce derrière les battants en bois. L'étudiant hésite. Il pourrait se lever, chasser l'engourdissement du sommeil et pousser la vitre pour accueillir le jour. Mais il ne sait même pas comment les fenêtres de cette vieille bâtisse fonctionnent. Si c'est un mécanisme complexe comme il en a vu chez son arrière-grand-mère, il abandonne d'office.
Il n'a pas envie de casser quelque jours dès son premier jour ici. Enfin, son deuxième. Son premier vrai jour ?
Il est trop tôt pour se prendre la tête.
Riku attrape son téléphone. 9h 12, l'écran lui dit. Il plisse les yeux, baisse la luminosité et vérifie ses messages. Un réflexe qu'il a pris au lycée et qu'il n'a jamais perdu. L'intoxication au texto qui sévit chez les jeunes de sa génération ne l'a pas épargné.
Mais personne n'a daigné lui parler cette nuit. De toute façon, il n'échange presque qu'avec Sora. Et Sora est à trois chambres de lui. Il serait malvenu de-
Son portable vibre dans sa main.
[ 9h 15 :
T'es réveillé ? ]
D'accord, il n'a rien dit. Enfin, rien pensé.
[ 9h 16 :
Oui.]
Et toi ? il commence à taper, avant de réaliser comme la question est stupide, d'autant que le vampire ne dort pas. Enfin, pas vraiment. Il lui a déjà expliqué toute cette histoire de régénération liée à la terre qu'il tasse dans son cercueil, mais Riku n'a pas tout compris. Ne veut pas comprendre, aussi.
Maintenant qu'il habite ici, il n'échappera pas à ces histoires abracadabrantes.
Mais il n'a pas le temps d'y penser qu'on toque à sa porte.
– C'est ouvert.
Une trogne familière apparaît dans l'embrasure. La lumière artificielle du couloir pénètre la chambre, juste avant qu'une ombre furtive n'allume celle qui illumine soudain la pièce. Une teinte jaunâtre, sortie d'une ampoule centenaire, s'étale dans la pièce.
– Salut !
– Putain !
D'accord, c'est violent. Il aurait préféré s'adapter à la lumière du jour naissant - même s'il réalise que c'est une très mauvaise idée, ici.
– Oh, désolé. Ça va ?
– Ouais, Riku grogne. C'est rien.
– J'peux éteindre si tu préfères.
– Non, c'est bon.
Il sent un poids tomber à ses côtés, qui emporte avec lui une partie des draps.
– Au moins comme ça, t'es bien réveillé.
– Si tu le dis.
Réveillé, ça, il l'est. Il peut dire adieu à la grasse matinée qu'il n'avait pas envisagée.
Près de lui, Sora s'installe confortablement. Habillé comme un ado glandeur, il affiche un vieux tee-shirt trop large à l'effigie d'un groupe de rock vaguement familier, et un caleçon que Riku espère propre. Pas qu'il ait prévu d'y toucher, mais quand même. Question hygiène, il sait que son ami n'est pas toujours au poil.
– Alors, ta première nuit au manoir ?
– Ça va.
– C'est confortable, hein ?
Ça, pour être confortable... Un matelas aussi épais juché sur un lit double, ça le change de son cagibi d'étudiant. Les murs de pierre ont gardé la fraîcheur de la nuit. Il n'y avait pas pensé, mais l'été sera sans doute moins étouffant ici. Bye bye, la vieille chambre à l'étage que son père lui réserve. La moiteur des journées à trente-six degrés n'est plus qu'un souvenir.
Ça fait déjà une bonne nouvelle.
Passé les banalités du réveil, le duo abandonne la chambre pour gagner le salon. Sur le trajet, Riku ne peut s'empêcher de noter les rideaux qui couvrent chaque fenêtre. La lumière extérieure s'infiltre à peine. Elle est là, évasive, trop peu présente pour inquiéter Sora. Leurs pas sont salués par le mouvement régulier des cierges et l'éclairage brute des lustres au plafond. Rien, donc, qui ne laisse deviner le jour. Il a l'impression de s'être levé au milieu de la nuit.
– Salut la compagnie !
Au salon, deux têtes se tournent vers eux. Le regard discret d'une petite brunette l'attrape, alors que la grande blonde lâche un sourire carnassier. Le genre de rictus fatal qui lui donne des airs de prédateur. Il déglutit.
Personne ne le mordra, Sora a promis. Aqua aussi, et elle, il la croit plus volontiers que le brin de bonhomme qui l'accompagne. Alors il n'a pas à s'inquiéter.
Hein ?
– Bonjour.
– T'es levé tôt, la femme au sourire lance.
– J'aime pas rester au lit.
C'est à moitié vrai. Tout dépend de ce que la journée lui réserve.
– Tu risques de t'emmerder, si tu quittes ton pieu en plein jour.
– Je sais m'occuper tout seul.
C'est vrai que le manoir est calme, ce matin. Pourtant, peu de chance pour que ses habitants dorment. Peut-être qu'ils évitent les couloirs durant la journée ? Ou alors, ils se reposent. Sans dormir, loin du bruit et du monde. Peut-être que c'est socialement mal vu chez eux, de quitter son nid avant la nuit ? Non. Sora l'a accompagné, et il y a cette femme face à lui.
– Riku, c'est ça ?
– Oui.
Cette femme qui l'observe, un rire assuré dans le regard.
Puisque Sora s'approche de la table, il le suit et vient s'asseoir. Une baguette de pain traîne dans une panière. Est-ce qu'il a le droit d'y toucher ?
- Larxene, elle reprend en appuyant une main délicate sur sa poitrine. Et Xion. Elle est pas bavarde, alors t'attends pas à ce qu'elle force la conversation.
Riku se tourne vers la dénommée Xion. Le sourire timide qui s'étend sur ses lèvres lui donne des airs d'enfant. Elle a la peau lisse, incroyablement blanche, et des cheveux si noirs. Ça lui rappelle le garçon qu'il a croisé hier soir, alors qu'il regagnait sa chambre.
Vanitas.
Son seul souvenir lui tire un frisson.
Mais non. Ils ne peuvent pas être liés. Auquel cas elle serait la sœur de Sora, et Sora n'a pas de sœur. De ce qu'il en sait. Mais Sora aurait pu lui mentir. Lui cacher des choses.
– Enchanté, il lâche.
– La même.
Sa voix est un filet léger. Comme un cours d'eau qui coule et disparaît derrière un début de forêt. Elle se tourne vers Sora, lui adresse un geste de la main. Mais puisqu'il ne semble pas comprendre, elle s'éclaircit la voix.
– Aqua voudrait te parler.
Aussitôt, le galopin se renfrogne.
– Mm, pourquoi ?
– Elle a dit que tu comprendrais.
Et il comprend, vu sa tête. Riku songe que c'est sans doute de sa faute, même s'il ne comprend pas pourquoi. A moins qu'il ne soit question de ce rite qui doit avoir lieu demain ? Ce lien qui fera de lui le familier de Sora.
Familier. Il se sent comme un chiot qu'on adopte. Et s'il n'a rien contre ces adorables animaux, il trouve la comparaison peu flatteuse. Mais c'est lui qui l'a voulu, et c'est trop tard pour s'en plaindre.
– Elle est où ?
– Dans les catacombes.
Ça, ça lui plait encore moins. Sa bouche se tord sur une mouche boudeuse, ses mains plongent dans ses poches. N'empêche qu'il suit Xion hors de la pièce, et que Riku se retrouve soudain seul avec Larxene. Pas pour longtemps, il espère.
– T'as foutu un sacré bordel, toi.
Elle ne va pas le mordre. S'il se le répète assez, il finira par le croire.
– Ah ?
– Ça s'agite depuis que t'es arrivé.
Pourquoi ? Ils ont soif ? Peut-être qu'ils- non. Il panique pour rien.
– Sora m'a dit qu'il vous avait prévenu.
Qui que soit le vous en question.
– Oh ça, on savait qu'il arrivait accompagné.
– Alors quoi ?
Elle fouille dans sa poche, tire d'un petit paquet une clope qu'elle appuie contre sa bouche. Donc les vampires fument. Il note. Etonnamment, il ne pensait pas ça possible. De la même manière qu'ils ne boivent ni ne mangent, il pensait que ces créatures évitaient tout ce que les humains consomment habituellement. Ou alors, elle a gardé cette habitude du temps où elle était vivante .
– Aucune idée. On me dit rien, à moi.
– Pourquoi ?
Est-ce qu'il doit se méfier ?
– Ils gardent leurs histoires de vampires entre eux. C'est toujours la galère pour pêcher les infos, avec eux.
Riku fronce les sourcils.
– Leurs histoires de vampires ?
– Ouais. Genre leurs problèmes de clan et tout. Ça marmonne dans un coin, mais ça change de sujet dès que t'approches. Ils sont chiants là-dessus. Même Aqua, faut la tanner pour lui tirer les vers du nez.
– Parce que tu n'es pas...
Elle tire sur sa clope, plisse les yeux. Puis l'information monte au cerveau. C'est un éclat de rire franc qui sort de sa gorge. Un son humiliant.
– Quoi, tu m'as pris pour une vampire ? Sérieux ?
Et il n'aurait pas dû.
Elle se tient le ventre, ricane de tout son saoul avant de s'en retourner à sa cigarette, sur un grand sourire.
– J'te refais les présentations.
A nouveau, sa main contre sa poitrine.
- Larxene, garde-manger officiel d'Aqua depuis quelque chose comme deux ans.
– Oh. Je vois.
Bêtement, il l'a pensait comme eux. Elle a la peau claire, elle aussi. Et la même démarche séduisante - quoique plus outrancière - qu'Aqua. Son corps bien formé lui rappelle la vision parfaite des vampires qui peuplent les médias. Mais maintenant qu'il y pense, les médias ne sont que le reflet du fantasmes des humains. Il existe sans doute des vampires moches, vieux et dégarnis. Ou balafré, comme Saïx.
N'empêche, Sora aurait quand même pu le prévenir.
Ou alors il l'a prévenu, et c'est lui qui a oublié. Il cite tellement de noms quand il parle du manoir. Un gloubi-boulga de mots qu'il jette sans se soucier de savoir si Riku s'y retrouve.
– S'y a bien quelqu'un qui risque pas de te bouffer ici c'est moi, elle ajoute en crachant sa fumée. Alors desserre les fesses.
Il voudrait bien. C'est plus facile à dire qu'à faire. Mais quand même, il se sent soulagé.
Il la voit empoigner la baguette et arracher le quignon, avant d'y donner un grand coup de dent. Comme s'il devait y voir une permission, il s'en coupe un morceau. Il y ajouterait bien une couche de beurre, mais il ne sait même pas où se trouve la cuisine, et il n'a pas envie de se balader tout seul dans les couloirs.
– Mais donc, pour reprendre, je sais pas ce qui les fout dans cet état. M'enfin, un nouvel humain ici alors que le boss est pas dans le coin, je suppose que c'est le stress.
– Le boss ? il répète. Xemnas ?
– Dans le mille.
Lui, il repère. Sora lui a déjà parlé du chef de clan. Il lui a aussi dit qu'il ne serait pas là pour l'accueillir. Une histoire de congrès de vampires.
– C'est lui qui gère les rituels, d'habitude.
– Et il revient quand ?
– Aucune idée. Je te dis, les infos pour nous, c'est la dèche.
Elle écendre sa clope dans une tasse vide. Un geste bref et précis, subtile. Vraiment, s'il elle ne lui avait pas dit qu'elle était aussi humaine que lui, il ne l'aurait jamais deviné.
Peut-être qu'elle lui ment ?
– Alors qui va s'en occuper ?
– Bah, ils vont pas réveiller le vieux pour ça, alors ce sera sans doute Aqua. C'est elle qui gère quand Xemnas s'en va. T'inquiète, tu seras entre de bonnes pattes.
Sans doute. Il n'en a aucune idée. Et... le vieux ? Elle parle de Vexen ? Sora lui a dit, pourtant, qu'il détestait ce surnom.
Remarque, ça ne l'empêche pas de l'utiliser à tout bon de champ.
– Et toi ? Tu es... liée à Aqua ?
– Ouais. Depuis presque aussi longtemps que je suis là.
Toute fière, elle tire sur le cordon qui descend entre ses seins. Le geste pique sa curiosité. Un collier ? C'est quoi ? Une preuve du lien qui les unis ? Comme pour les bracelets dans Vampire City ?
– Comment t'as atterri ici ?
Il n'est pas tant curieux, mais quitte à passer ses vacances - et peut-être plus - dans le coin, autant faire connaissance avec les gens qui habitent l'endroit.
– Un peu par hasard, en vrai.
– C'est-à-dire ?
– J'avais un job d'été merdique dans le bar à tapas du coin. J'avais envie de me barrer, j'ai rencontré Aqua, on s'est chopées et elle m'a parlé de cette histoire de garde manger sur patte.
– Et t'as accepté ? Comme ça ?
– Ouais ? Franchement, entre glander toute la journée tout frais payé et servir de la bouffe à des bourges touristes pas foutus de lâcher un bonjour quand tu viens prendre leur commande, j'ai pas hésité.
Même pas un peu ? Nourrir une vampire, c'est quand même un "travail" original.
– T'as pas peur qu'elle te répudie ?
– Répudie ? Attends, tu viens de quelle époque ?
Larxene rit sans complexe, sa bouche pleine de fumée. Sa poitrine suit le mouvement de son torse secoue et Riku remarque, pour la première fois, qu'elle ne porte pas de soutien gorge.
– On est pas mariées. Puis même, si elle décide de se trouver un nouveau casse-croûte, je pourrai toujours rentrer chez moi. Je retrouverai un nouveau taf de merdre et puis voilà.
Un nouveau taf, après des années passées sans travailler ?
– Ou alors j'achèterai un camion. J'mettrai un matelas à l'arrière, et je ferai le tour de la France avec. Y a moyen que ce soit cool.
Dans son esprit étriqué, régi par la nécessité de l'argent, Riku a du mal à concevoir l'avenir qu'elle lui décrit. Il faudra bien qu'elle mange, non ? Qu'elle paie l'essence et les sandwichs ?
– Comme ça, sans revenu ?
– J'en trouverai.
– C'est pas prudent comme projet.
– Eh, vas t'étouffer avec ton pain.
Elle le menace du bout de sa clope.
– J'ai pas besoin des conseils qu'un puceau qu'est même pas sorti de son cocon.
Riku serre les lèvres. Une colère honteuse étale un phare délicat sur ses joues. Il n'est pas puceau - là dessus, on l'a déjà défloré dans les règles de l'art. Mais il se sent déjà ridicule de s'offusquer pour si peu, il préfère ne pas répliquer. Pas envie d'étaler son peu de vie sexuelle devant une femme qu'il connait depuis quelque chose comme quinze minutes.
N'empêche, ça pique. Merde, il se croyait au-dessus de ces considérations d'adolescents débiles.
– Quoi, j'ai touché un point sensible ?
– Certainement pas.
Toujours ce ricanement franc qui laisse voir ses dents. Larxene se moque du bruit qu'elle fait, de l'expression qui étire son visage quand elle rit. Elle glisse ses doigts devant son visage dans un geste faussement précieux, tire sur sa clope. Puis elle crache sa fumée, et leur conversation d'efface comme le nuage s'évapore sous leurs yeux.
– T'en veux une ? elle lâche en agitant le filtre entre ses doigts.
– Non merci.
Il ne fume pas. Pas pour l'instant. Il a vaguement essayé au lycée, pour s'intégrer. Son paquet, il se vidait de la main de ceux qui taxaient dedans.
– Tant mieux.
Elle enfonce son carton au fond de sa poche. Riku, lui, observe le collier suspendu à son cou. Le cordon qui disparaît tout un tissu noir. Il pense à ce fameux pacte qu'il a accepté sans poser plus de questions. Ça non plus, ce n'est pas prudent. Il ne sait même pas en quoi consiste la cérémonie qui aura lieu demain. Pour le peu de questions qu'il a posées, Sora lui a répondu la bouche pleine de rire.
– Du tout. Si tu bois mon sang, tu vas commencer à te transformer. C'est pas le plan.
Mais c'est quoi alors, le plan ?
Larxene le sait, elle. Mais l'interroger, c'est passer pour le gamin ignorant qu'elle pense sans doute avoir en face qu'elle. Riku a ça d'honneur qu'il déteste avouer ses lacunes. Il préfère garder les lèvres serrées.
De toute façon, il saura bien assez tôt.
xoxoxox
– Alors ? Pourquoi Aqua t'a convoqué ?
– Bah, c'est rien.
– Et en vrai ?
Sora fait la moue. Ça lui va bien, cette bouille d'enfant mécontent. Elle affolait le cœur de Riku, du temps où il était amoureux de lui - croyait l'être ? Cette manière qu'il a de presser ses lèvres, ses bras croisés derrière sa tête. Il l'observait en douce. Même, il a même essayé de le prendre en photo. Ce qui n'a évidemment rien donné.
– Des histoires de clans.
Riku plisse les yeux. Apparemment, Larxene avait raison.
– Et c'est quoi, des histoires de clans ?
– Rien.
L'étudiant n'aime pas ça. Il n'est pas dupe, il sait que Sora a ses petits secrets - enfin, petits. Mais il veut pouvoir lui faire confiance, et il se méfie de ces cachoteries planquées derrière les murs de pierres qui les écrasent. Il n'est pas venu ici pour observer en silence les magouilles de la bande à Dracula.
Bon si. Sur le papier, il n'a pas d'autres droits que celui de résider dans ce manoir. Mais c'est bien pour ça que les histoires qui se trament le concerne. Il n'a pas envie de finir dans l'assiette d'un vampire ennemi.
– Rien ?
Sora couine. Il se laisse tomber dans le lit de son ami, ami occupé à déballer les affaires qu'il a amenées avec lui.
– C'est juste Aqua qui flippe que Van fasse de la merde. Comme toujours. Et comme c'est mon frère, c'est moi qui dois gérer avec elle.
Van. Le nom le traverse. Son torse se gonfle sous le coup d'une respiration brusque. Il abandonne le tee-shirt entre ses mains.
– Et pourquoi est-ce qu'il ferait de la merde ?
– Parce que c'est Van. Il lui en faut pas plus.
Sûrement. Ce n'est pas la première fois que Sora parle de son frère, et Riku sent qu'il l'aime comme on aime un emmerdeur de première. Inconditionnellement, sans jamais cesser de râler après lui. Il ne comprend pas ce genre de relations, enfant unique qu'il est. Et quand bien même, la relation qui unie les jumeaux porte le poids des siècles. Il ne connaîtra jamais rien de semblable.
– Et qu'est-ce qu'il pourrait faire ?
– Oh, bah y a l'embarras du choix, surtout quand Xemnas est pas là.
– Il est plutôt calme, pour l'instant, Riku fait remarquer.
– Tu dis ça parce que t'es là depuis moins de vingt-quatre heures. Tu verras, à la fin des vacances.
Soit. Il veut bien voir, revoir, en l'occurrence, le garçon qui l'a abordé hier dans le couloir. Son souvenir ne le lâche pas. Ses yeux jaune ont ouvert un puits de curiosité à l'intérieur de son crâne.
Ce type si proche de Sora, et pourtant tellement différent. Est-ce qu'il le recroisera ? Oui, sans doute. Le manoir n'est pas à ce point grand, et il est ici pour un moment.
L'étrange torpeur qui l'a anesthésié lui revient comme un rêve flou. Il essaie de ramener sa voix dans sa tête, sans succès. Il n'en imagine qu'une pâle imitation.
– Et qu'est-ce qu'elle t'a dit ?
– De le surveiller.
– Pourquoi toi ?
– Bah, y a pas grand monde qu'il écoute, ici.
Il dit ça, et Riku sent qu'il ne doit pas vraiment l'écouter, lui non plus. C'est l'impression qu'il lui fait. Enfin, ces histoires ne le concernent pas.
Même s'il ne cracherait pas sur quelques détails supplémentaires.
Mais pour l'instant, il y a plus important.
– Et pour le rituel ? Vous en avez parlé ?
– Yep !
Cette fois, c'est un sourire sur la bouche de Sora. Et ça, ça le réchauffe. Sans chasser les questions qui l'asticotent alors qu'il repense à Vanitas et à sa démarche aérienne.
– Alors ?
– C'est Aqua qui va gérer, comme Xemnas rentrera pas avant un moment.
Tout se déroule comme Larxene avait prévu. Au moins, il sait qu'il peut se fier à elle. Dans les limites du raisonnable.
– Et ça… ça consiste en quoi, du coup ?
– Ça fait pas mal, si c'est ça qui t'inquiète.
Riku souffle.
– Ce qui m'inquiète, c'est que tu réponds pas à la question.
– Mm.
– Alors ?
– C'est chiant à expliquer. Mais en gros y faut du sang, et un bijou que tu dois porter sur toi après.
– Mais encore ?
– Sérieux, c'est un truc compliqué ! Puis j'y connais rien moi, c'est Aqua qui gère les incantations. Tu veux pas parler d'autres choses ?
– Tu sais en quoi ça consiste, au moins ?
– Mais oui.
Un doute plane. Riku plisse les yeux. Sora fixe le plafond. Grand silence. Et puis.
– Presque.
Pourquoi est-ce qu'il n'est même pas étonné ?
– Tu es sérieux ?
– T'es mon premier familier, ok ? J'ai jamais fait ça avant.
La réponse balaie brusquement la curiosité de Riku, et son inquiétude. Le premier ? Non. Si ? Est-ce que Sora ment pour détourner la conversation ? Non. Pas qu'il soit toujours sincère, mais quand il veut cacher quelque chose, il ne s'y prend pas comme ça. D'ailleurs, il s'y prend mal. Il le grille toujours.
– Vraiment ?
– Ouais.
Riku sent qu'il est gêné. Gêné comme un type qui avoue sa virginité passé trente ans. Quoi qu'il ait rien de honteux dans ces deux cas de figure - il suppose ? Est ce que les vampires sont censés avoir leur premier familier avant de dépasser un certain âge ?
L'humain croit comprendre. Ce sentiment, un peu comme de la peur, qui frappe face aux premières fois. La hâte et la trouille qui ne sont plus qu'une même excitation angoissée.
Il abandonne définitivement sa valise pour le rejoindre dans le lit.
– T'as jamais voulu en prendre ?
– Bof. J'en avais pas spécialement envie.
– Pourquoi ?
– C'est contraignant, en vrai. D'avoir toujours un humain avec toi, de devoir y faire attention et tout. Si c'est pas quelqu'un que t'apprécies, ça vaut pas le coup.
Riku ne sait pas comment il doit le prendre. Dans le doute, il préfère lui laisser une chance de se rattraper.
– Avec un pote, c'est cool. Ça me va de traîner tout le temps avec toi et d'intervenir si t'as des emmerdes.
– Parce que tu le ferais pas, sans ça ?
– Si. Justement.
Tout doux, le sourire de Sora qui remonte. Peut-être parce que la main de Riku joue dans sa tignasse pleine de nœuds.
– Mais genre là je le saurais. Si t'as un problème.
– Comment ?
– Ça fait partie du truc.
– Du truc ?
Ça il ne l'avait pas anticipé. Il pensait qu'il s'agissait juste d'une sorte de pacte sur le papier, pour empêcher les autres vampires de venir boire son sang. Une protection supplémentaire.
– Ouais.
– Tu pourras savoir ce qui m'arrive ? Comme ça ?
– Non, pas vraiment. C'est plus... Genre si t'es vraiment flippé, je le sentirai. Un peu comme ça me fait avec Van.
– Je vois.
C'est déjà moins flippant. Et même assez pratique, à bien y réfléchir. Il y a d'autant moins de chances que les autres habitants du manoir s'en prennent à lui, s'ils savent que Sora guette. Il suppose ?
– Mais j'ai jamais fait ça. Je sais pas ce que ça va donner. Ce sera sûrement cool hein, mais... Voilà ?
Les bras croisés derrière sa nuque, Sora capte son regard. Il lui fait sa plus belle tête de chaton. Celle qui le tire des pires situations, et qui lui vaut des cafés gratuits à la cafétéria - café qu'il refile aussitôt à son meilleur ami. Impossible d'en vouloir à quelqu'un qui vous regarde comme ça, définitivement.
Et il le sait. Toute sincère puisse être son inquiétude.
Sur un soupir, Riku se laisse tomber près de lui. La fraîcheur des draps l'enveloppe.
– On verra bien. De toute façon, on est tous les deux embarqués là-dedans.
– Ouais. Pas faux.
Sur le papier, il va juste laisser Sora lui mordre le cou quand il aura envie de boire. Et il gagne une protection bonus, au passage. Ça a l'air plutôt cool. Possible que les séances de buvettes ne soient pas des plus agréables, mais ça ne peut pas être pire que les dix minutes qu'il passe au don du sang, une aiguille au creux du coude.
C'est juste un lien. Un lien entre eux, spécial. Et un lien spécial, ils en ont déjà un. Alors il a confiance.
– Ça va le faire, il affirme.
Sora doit bien le croire, puisqu'il serre sa main. Une pression faible, comme celles qu'ils échangeaient au milieu de la nuit, quand ils refaisaient le monde dans leur chambre d'étudiant.
A deux, ils ont confiance.
– Et si ça se passe pas bien ?
Riku hausse les épaules.
– On sera deux dans la galère.
Il ne devrait pas se contenter de ça. Mais c'est toujours plus rassurant de merder en groupe. Alors il peut bien plonger la tête la première, si c'est pour suivre Sora.
xoxoxox
Riku aurait pu passer la journée dans la salle de jour, au milieu des sofas colorés et des fauteuils moelleux. Il aurait pu, oui, faire la conversation aux quelques vampires qui ont sans doute défilé dans les couloirs du manoir aujourd'hui. Apprendre à connaître ces tout nouveaux camarades, dont il devra supporter la compagnie. Il y a tant de noms que Sora lui a donnés, autant de visages qu'il n'a pas encore posés dessus - puisqu'il ne peut pas prendre de photo de ses confrères.
Mais il a préféré passer la journée enfoncé dans son lit. Une longue discussion peuplée de silences partagée avec le brun, puis un bon livre. Et maintenant, son estomac se réveille. Il se demande si les vampires partagent tous le même repas le soir, avant de se rappeler qu'ils ne mangent pas. Peut- être qu'il trouvera les autres familiers à la cuisine ? Comme il a croisé Larxene ce matin. Il ne sait pas encore qui joue dans quelle cour, mais ce serait l'occasion de le découvrir. Allez. Il a envie de se dégourdir les jambes, en plus.
Un bond hors de son lit, et Riku tire sur son tee-shirt transpirant. Il arrange sa tignasse, jette un coup d'œil vers l'unique miroir qu'on a disposé à sa demande. Puis il attrape son portable et il abandonne sa chambre.
Avec un peu de chance, il croisera Sora sur le trajet. Le galopin l'a abandonné pour jouer avec Demyx et il ne l'a pas revu depuis. Il aurait peut-être dû les rejoindre ? Passer la soirée avec eux. S'aurait été l'occasion de découvrir la grande asperge qui l'a accueilli hier soir. Un type à l'allure débridée, son visage illuminé de deux grands yeux verts. Oui, il aurait-
– Bonsoir, Riku.
La flammèche des bougies qui illuminent sa route vacille. Son cœur bondit, se serre et éclate dans sa poitrine. Son monde s'écroule. Encore.
Cette voix.
– Tu m'excuseras pour hier soir. Mais j'ai cru comprendre que je dérangerais.
Un demi tour, ses pieds tapent sur le sol. Et voilà devant lui le corps frêle de Vanitas.
Deux yeux d'or liquide qui avalent le reflet des flammes.
– Toi.
Un rire qui entre dans sa tête. Broie les neurones qui s'activent désespérément entre les parois de son crâne.
– Moi, oui.
Le garçon s'avance.
– Quoi, je t'ai fait peur ?
Non. Oui. Bien sûr qu'il lui a fait peur, il ne s'attendait pas à le croiser. Pas devant sa chambre. Est-ce qu'il l'a attendu ici toute la journée. Quand même pas, si ? Ce serait... Flippant. Dans ce sens là, oui, il a peur. Tout du moins, il ne se sent pas rassuré. Venant de la part de n'importe quel humain, ce serait inquiétant, alors avec un vampire...
Il doit se faire des idées. L'éternité apprend sans doute la patience, mais le noiraud a mieux à faire que de passer la journée planté devant sa chambre. Il passait par là. Ou alors, il se doutait qu'il sortirait pour aller manger une fois la nuit au porte du manoir.
Mais pourquoi est-ce qu'il voudrait le voir ?
Question bête. Riku le sait, les nouveaux, ça réveille la curiosité des anciens. Comme ces élèves qui débarquent en classe au milieu de l'année.
– C'était pas mon intention.
– Tu m'as surpris. C'est tout.
– Oups ?
Il pourrait dire qu'il est désolé. Mais l'étudiant est à peu près sûr qu'il ne l'est pas. Et le sourire qui déchire son visage ne va pas l'aider à changer d'avis.
Vanitas s'amuse.
– Qu'est-ce que tu veux ?
– Moi ? Rien.
Il ment. Pas besoin de preuve, il le sent. C'est là comme une certitude qui flotte autour d'eux - ou bien une menace ? Son regard insistant, son pas silencieux alors qu'il s'approche. Le vampire le scrute comme... Comme quoi ? Un prédateur face à sa proie ? Ça y ressemble, mais ce n'est pas ça. Pas complètement.
Peut-être qu'il cherche juste à l'effrayer, pour se distraire. Sora lui a bien dit que son frère était du genre particulier. Un peu fêlé, comme on dit quand on ne sait pas quoi faire des bizarreries de quelqu'un.
– Et en vrai ?
– Je suis juste intrigué.
Sa voix, un souffle. Une pierre qui roule jusqu'à son oreille. Qui rentre et reste en lui.
– C'est la première fois que mon frère ramène quelqu'un. J'ai le droit d'être curieux, non ?
– Oui.
– Détends-toi. On a dû te dire qu'on touchait pas à la bouffe des autres, ici.
Oui. Mais Vanitas n'a pas la tête d'un gentil petit garçon qui reste à sa place. Au contraire, il est sans doute du genre qui prend plaisir à outrepasser les règles.
– On sait jamais.
A les briser.
– Quoi ? Tu me fais pas confiance ?
Encore ce ricanement sec au fond de sa gorge. Un tremblement qui agite à peine son torse, enfoncé sous une chemise noire dont les premiers boutons laissent voir son cou pâle. Une peau translucide, comme un voile de neige. Une feuille vierge.
Un grain qui n'a rien à voir avec l'ombre tannée de Sora.
S'il lui dit non, est-ce qu'il le mordra ? Est-ce qu'il le punira, d'une manière ou d'une autre ?
– On sait jamais.
–Tu avais l'air plus sympa dans la bouche de Sora.
Il y repense, justement. A Sora. Aux propos qu'il a tenu concernant son frère. Est-ce qu'il va assister aux fameux écarts de conduite de la teigne?
Son rictus trahit la joie que l'échange semble lui procurer. Riku n'aime pas ça. Servir de distraction, surtout à ses dépends, très peu pour lui. Il veut filer.
Et pourtant, ses jambes ne bougent pas. Deux colonnes millénaires fixées dans le sol. Ses yeux, figés sur le corbeau, refusent d'abandonner la silhouette chétive qui tourne autour de lui.
Ce type…
– Il a du mal à voir les défauts des autres, Riku lâche.
– Certes. Sauf quand il parle de moi.
Il lui ressemble tellement. Même tignasse agitée, mais si sombre. Même épaules marquées, pourtant maigres. Même regard intense, cette fois collant de miel. C'est ce regard qui le garde. Comme un de ces pièges sucrés qui font le malheur des insectes.
– Pas forcément.
– Arrête. Je sais très bien ce qu'il dit de moi. C'est mon frère, je le connais.
Un tique déforme sa bouche, avant qu'elle ne retrouve son sourire malveillant.
– Alors, qu'est-ce qu'il t'a raconté ? Que j'étais du genre capricieux ? Rassure-toi, là-dessus, je suis pas pire que lui.
Riku se recule. Alors, Vanitas se rapproche.
– Que j'étais flippant ? T'en penses quoi, là ?
Un fantôme passe, et les rideaux dansent. Ou bien c'est un courant d'air. Une force mystique qui fait tanguer le tissu lourd aux couleurs veloutées.
– Que j'aimais bien lui voler ses affaires ? Ça arrive pas si souvent. Et puis, on est frère. On partage tout, c'est normal.
Ses affaires ? Est-ce qu'il parle de lui ?
– Laisse-moi deviner. Il t'a dit que j'étais tordu ?
De lui-même, Vanitas secoue la tête.
– Non, il utiliserait pas ce mot. Il est trop dur, hein ? Oui, il a dû dire un truc comme bizarre. Son frère bizarre qui fait flipper les petit nouveaux du manoir. Alors, j'ai vu juste ?
La bête tourne et tourne et Riku réalise soudain qu'il suit le mouvement. Son corps, toujours ouvert au sien, suit sa trajectoire.
– Il t'a dit ce que je leur faisais, aux nouveaux ?
Non. Sora ne lui a rien dit.
– Alors ? T'as perdu ta langue ?
Et Vanitas est prêt, soudain. Riku ne sait s'il s'est avancé d'un pas ou d'un coup mais il est là, la distance entre eux effacée. Son visage déchiré par l'ombre du couloir et la lumière fragile des chandeliers, ses traits étirés à l'infini.
Son souffle l'atteint. Le caresse.
Et son odeur.
Lui retourne le ventre.
Il recule.
– Lâche-moi.
Et Vanitas rit. Un rire qui fait de celui de Larxene un pâle gloussement. Un rugissement qui raisonne et brise les murs, s'étale, écrase la pièce. Un son qui, étrangement, semble provenir de son propre corps. De son ventre, de sa tête. De sa mémoire. Comme un souvenir.
– Oh, Riku.
Et le rire s'apaise et se tasse pour n'être plus qu'un ronronnement dans sa voix.
– Sora a raison. T'es crédule. Et un peu con sur les bords.
Sora ? Qu'est-ce qu'il lui raconte ?
– Laisse-moi tranquille.
– T'inquiètes. Il parait que c'est ce qui te rend attachant.
Sa voix le touche et son corps se tend, hurle au silence et réclame sa voix encore et encore. Que ses longues mains blanches se posent sur sa joue et disparaissent de son champ de vision. Qu'il disparaisse lui, et qu'il embarque ses jambes droite, la courbe légère de son dos, ses lèvres tordues qu'il fixe, avide de ses mots.
Sa voix.
– Je vais manger.
Il vient vraiment de dire ça ?
– Et je t'en empêche, c'est ça ?
– Oui.
– T'es libre de filer, pourtant.
Certes. Mais il est là, et... Il est là. Riku ne voit plus que ça.
– Je t'en prie. Si t'as faim, je te retiens pas. Je suppose que Sora t'a déjà montré la cuisine ?
Ce sarcasme qui déborde. Riku réalise qu'il serre les poings, depuis longtemps déjà. Une fatigue froide coule dans sa paume alors que ses doigts se relâchent, et il devine sans la voir la blancheur de ses jointures. Il inspire.
Vanitas est un petit con. Mais il ne le laissera pas s'amuser avec lui comme ça. Il n'est pas un jouet. Encore moins le sien.
– Oui.
– Alors bon appétit.
– C'est ça.
Riku détourne brusquement la tête. Rompu, le contact entre leurs yeux. Il enchaîne et s'avance, le devance et s'éloigne sans se retourner. Il se concentre sur le bruit de ses propres pas qui résonne dans le silence immense du couloir, trace et gagne les escaliers. Là, il n'y a plus de vampire. Plus d'yeux jaunes pour l'enchaîner. Le charme est rompu. Ne reste que le souvenir de son timbre. Ce sifflement entre ses dents. Ses mots.
Et son parfum, entraperçu, qu'il croit sentir encore. Une odeur qui lui serre le cœur.
C'est rien, pourtant. Juste un mélange de cendre et de poussière. Un reste de feu de cheminée.
Et voilà.
Je m'amuse beaucoup avec Vanitas. Je crois que ça se sent ? En tout cas, c'est pas fini.
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A la semaine prochaine !
