Hey !

Et voilà le chapitre de la semaine ! Un peu plus long que le précédent. Je pense qu'on devrait rester dans cette moyenne jusqu'à la fin de l'histoire ? Si tout va bien? (Mais c'est une histoire avec Vanitas, donc tout n'ira pas bien. En plus Joshua veut se tailler sa part dans le plan, j'en peux plus.)

(TW en fin de chapitre !)

Merci à Mijoqui pour sa review sous le chapitre précédent !

Bonne lecture !


L'autre Sora

.

Comme toujours, le salon est agité de murmures. Les vampires se sont rassemblés sous une nuit artificielle, entourés de rideaux. La lumière dansante des bougies se mêle à l'ombre orange des ampoules trop basses qui grignote les murs. Autant de lueurs qui accommodent la peau des habitants. Habitants au nombre desquels Riku compte. On ne s'étonne plus de sa présence. Apparemment, l'effervescence de la nouveauté est passée. Il y a bien quelques coups d'œil qu'il sent glisser sur sa peau, mais rien de dérangeant. Fini, les mirettes avares qui le scrutent depuis le couloir. L'attention qui l'entourait jusque dans les couloirs vides. Il peut traverser la pièce sans s'inquiéter des conversations qui s'abaissent sur son passage.

Il repère, autour d'une table, Saïx et un des deux rouquins en grande discussion. Demyx cajole Ienzo sur le grand canapé, alors que le garçon lit. Il lui narre des anecdotes que l'autre n'écoute pas. Au bout de son poignet, une petite chaîne d'argent s'agite chaque fois qu'il tourne une page. Riku aperçoit le minuscule bijou noir. Une trace visible de leur pacte.

A cette heure, tout est calme. Aussi, il n'a pas de mal à repérer Sora et ses éclats de voix. Son rire familier. Son visage qui s'illumine à son approche.

– Eh, Riku !

Un salut familier. Le même qu'hier. C'est comme une journée qui se répète.

– T'es levé tôt aujourd'hui. T'es sûr que t'as assez dormi ?

Il reste avec lui, à discuter en compagnie de Roxas et Naminé. Deux adolescents à l'apparence si proche que s'en devient troublant. Riku les a d'abord pensé frère et sœur - jumeaux, même, comme le sont Sora et son terrible double. Mais Naminé appartient à la nuit. Elle a presque deux cents ans d'écart avec ce jeune homme qui lui ressemble. Ce jeune homme qui, justement, rentre dans la vingtaine.

– Ça ira.

– Rox a ramené du beurre de cacahuète, t'en veux ?

Le garçon taiseux lui adresse un sourire, l'invite implicitement à se servir.

La conversation dure, jusqu'à ce que les deux amis ne s'en retournent dans la chambre du vampire. Là où le calme apaise les épaules de l'invité. Ce n'est pas qu'il n'apprécie pas le regard de cette étrange famille - même, il est presque convaincu qu'ils ne lui sauteront pas dessus pour le vider de son sang à l'occasion d'un trajet jusqu'aux toilettes. Mais tout ce bruit, ces bavardages répétés, ces journées qui s'étirent sans que rien ne se passe jamais...

Ça l'embrouille et l'endort. Il a besoin d'autre chose, de distraction. De mouvement. De vie. Plus jeune, Riku était du genre sportif. Un gosse compétitif qu'on lâchait dans la rue durant les longues journées d'été. Il ne sait pas vraiment quand ça s'est calmé. Mais le fait est qu'il est un jour, il a préféré le silence de sa chambre au béton des trottoirs. Les jeux vidéos ne sont peut-être pas innocents dans cette affaire, d'ailleurs.

Il y pense, la main serrée autour de la manette que Sora lui a prêtée.

– Merde ! le brun cri.

– Raté !

La carapace bleue éclate en plein sur le kart du vampire, alors que Riku dépasse la ligne d'arrivée.

– Gagné !

Il sourit. C'était serré, mais il a réussi. Comme toujours. Cinq victoires contre trois pour l'ébouriffé, c'est lui qui remporte

– C'est de la triche ! Sora s'indigne.

– C'est un jeu vidéo. Comment tu veux que je triche ?

– J'étais sur la ligne d'arrivée !

– Et tu l'as pas passée.

Sora peut gongonner tout ce qu'il veut, il ne lâchera pas sa victoire. C'est l'orgueil qui parle - et c'est qu'il cause, son orgueil, quand il est question de l'emporter sur quelqu'un d'autre. A son tour de sourire grand.

Qu'est-ce que ça fait du bien d'écraser quelqu'un de temps en temps.

– Encore une ?

– Nan c'est bon, t'as gagné.

– Ça empêche rien.

Riku attend, mais rien. Sora s'est replié sur lui, ses bras plaqués sur son torse. Avec sa trogne d'enfant qui boude.

Oh. C'est vrai qu'il est capricieux quand il s'y met. Et mauvais perdant - uniquement dans les domaines sans importance. Un gosse. De six cent ans, certes. Mais un gosse.

L'étudiant soupire et passe un bras vif autour de ses épaules.

– Quoi, tu vas faire la gueule ?

– Mm.

– C'est bon Sora, c'est qu'un jeu.

– T'aurais pu me laisser gagner, alors.

– T'aurais pas vraiment gagné si je t'avais laissé gagner.

Et parce qu'il sait que son ami a raison, le brun soupire et laisse sa trogne défaite retomber sur l'épaule familière. Il ne cherche pas à éloigner le bras qui le serre. La défaite n'est bientôt plus qu'un souvenir. Un souvenir qu'il range avec tous leurs bons moments passé, alors qu'il s'installe plus confortablement contre son meilleur pote.

– Kairi arrive demain, il lâche alors que les doigts de Riku font des promenades dans sa tignasse.

Oh. Ok.

– Ah ?

– Ouais. Elle termine de tafer ce soir.

– Saïx la ramène, alors ?

– Non, elle a trouvé un train de nuit. Il ira juste la récupérer à la gare.

Bien. Bonne nouvelle, donc. Sûrement. C'est cool, depuis le temps qu'il en parle. Ce sera l'occasion de rencontrer la meuf de son meilleur pote. Une bonne journée en perspective, donc. Il aura enfin un visage à mettre sur ce prénom qui ne cesse de passer sur ses lèvres. Oui. C'est chouette. Vraiment.

Ou pas.

Merde. Riku a toujours été nul, pour ce qui est de se mentir à lui-même. Ce qui ne l'empêche pas d'essayer régulièrement.

Est-ce que Sora le laissera tomber, une fois sa belle de retour au bercail ?

Et même ? Qui dit qu'il ne se lassera pas de lui dans un, deux, dix ans ? Il a l'éternité pour trouver un autre meilleur pote. Un meilleur pote moins mortel que lui.

Puis… Il ne devrait pas s'inquiéter de ça. Il ne sait même pas si c'est mauvais signe. Possible qu'il se plante à psychoter tout seul, mais… Ça fait presque trois semaines qu'ils sont liés, et il n'a toujours pas essayé de le mordre. Est-ce qu'il en a déjà assez de lui ? Peut-être qu'il le trouve fade, dans tous les sens du terme.

Non. Il se fait des idées. La faute à l'autre con.

– Tu vas voir, elle est cool. Puis elle s'entend bien avec Van en plus. Ça doit être la seule personne qu'il essaie pas d'emmerder dans ce manoir.

Quand on parle du loup.

– Sérieux ?

– Ouais. Il est plus cool quand elle est là.

Un sourire flotte sur sa jolie bouche.

– Elle va être contente quand elle saura qu'il sort enfin de sa chambre.

– C'est quoi cette histoire, d'ailleurs ?

– De ?

– Tout le monde le félicite parce qu'il quitte sa piaule. C'est si rare que ça ?

Bon, tout le monde, il exagère. Mais il a déjà entendu Demyx et Axel - c'est bien Axel, celui qui n'a pas de queue de cheval ? - le charrier à ce sujet. Et ça n'avait pas l'air de lui plaire. D'ailleurs, c'était plaisant de le voir plisser les lèvres. Riku sait qu'on ne doit pas se réjouir du malheur des autres, mais des fois, ça fait du bien.

– Oh, ça.

Sora hausse les épaules. Il lève les yeux au ciel comme quand il essaie de lui mentir.

Donc, il essaie de lui mentir. Ou il va essayer.

– C'est juste qu'il est un peu casanier sur les bords.

– Un peu ?

– Il peut passer des mois sans sortir de sa chambre.

Des mois ?

– Sérieusement ?

Il plaisante ?

– Mais c'est pas si long. Enfin je veux dire, pour nous. Quand t'as pas besoin de manger ni d'aller pisser...

Quand bien même. Des mois. Qu'est-ce qu'il fait pendant des mois, enfermé sans voir personne ? Il lit ? Il joue ? Il regarde des films, peut-être ? Et tout ça des heures durant, sans dormir...

Remarque, s'il avait l'éternité devant lui, Riku ferait sans doute la même chose. Il pouvait bien passer des nuits sur Warcraft, quand il était ado. Alors avec une console et une bouteille de Coca…

Non. Il ne boirait sans doute plus de coca, s'il était à sa place.

Mais quand même. De ce qu'il a pu voir, les autres vampires sont plutôt enclins à sortir. Ils parlent entre eux, se tapent des balades nocturnes hors du manoir. Ils sont nombreux à avoir des familiers, et...

Est-ce que Vanitas en a un, d'ailleurs ? Il n'a jamais rien entendu à ce sujet. Il faut bien qu'il boive, non ? Comment font les vampires qui n'ont pas de familier ? Sora lui a vaguement parlé de chasse réglementées, mais... Oui, vu le bonhomme, il doit chasser. Ça l'amuse sans doute plus que d'avoir un repas tout chaud à disposition.

– C'est comme ça depuis longtemps ?

– Bah, il a toujours était un peu bizarre.

Sora dit ça, avec ce sourire qui le prend quand il parle de ceux qui l'aime. Un coin de lèvre remonté, triste et tendre. C'est mignon.

– Un peu ?

– Beaucoup ?

– Ça colle plus.

– Il est pas mauvais en vrai.

– Je me permets de douter.

L'autre rit, la tête sur ses jambes. Une vibration qui les traverse tous les deux.

– Je te promets. Il a plein de bons côtés quand t'apprends à le connaître.

– Il les cache bien, alors.

– Ouais. C'est le problème.

Ses bons côtés. Il voudrait bien les voir, parce que là, tout ce qui lui vient en tête, c'est ce discours répugnant que l'énergumène en question a lâché sur son frère. Ces mots qui ricochent dans sa tête. Est-ce que Sora le trouverait encore sympathique, s'il lui rapportait leur conversation ? Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir. Un moyen qui pourrait lui faire de la peine. Il ne peut pas s'y résoudre.

– Eh ?

N'empêche que ça lui trotte dans la tête depuis un moment, comme un bouton qui s'installe sous la peau et refuse de partir. Une saloperie qu'on retrouve chaque fois qu'on croise un miroir.

Du genre qu'il faut percer.

– Oui ?

– T'es sur de ton coup, pour...

Allez. Il faut bien qu'il le dise. Il va faire une fixette dessus, sinon, comme avec tout ces problèmes qu'il n'a jamais réglés.

Un peu de courage.

– Pour ça ?

Il tire son pendentif de sous son débardeur. Entre eux, le petit bijou flotte, plein du sang qu'ils ont partagé. Le sien, rouge, et le liquide étrangement sombre qui coule dans les veines de Sora. Ce morceau d'eux qui n'est plus qu'une seule matière. Qu'est-ce que ça veut dire, pour lui ?

– Ouais, bien sûr.

Le garçon attrape le petit récipient. Entre ses doigts, l'objet semble fragile. Aqua lui a certifié qu'il s'agissait là d'un matériau qu'il ne pourrait jamais briser, pourtant, il doute encore. Ce verre délicat, il l'imagine en miette au creux de sa main. Il suffirait d'un rien, et ce lien...

– Pourquoi ?

Un rien, et leur amitié filerait au vent comme un tas de cendres soufflé.

– Je sais pas. T'as du en rencontrer des gens, depuis le temps. Ça te lasse jamais ?

– Oh, pas vraiment. Y a pas deux personnes pareilles sur terre. Même après des centaines d'années, y a toujours un truc à découvrir chez les autres. Puis les mœurs évoluent et tout, les gens sont pas les mêmes d'une époque à une autre. C'est cool.

Ce n'est pas ce qu'il voulait dire, et c'est d'autant plus dur d'insister.

– Mais les humains. Ça t'ennuie pas, à force ?

– Ça devrait ?

Oui ? Non ? Il ne sait pas. Ce n'est pas lui le vampire, dans cette histoire.

– J'aurai une vie plus courte que la tienne.

– Ça je sais.

Et ça n'a pas l'air agréable à entendre. Sora se renfrogne.

– Tu t'es jamais que ce serait mieux, de pas t'accrocher à des gens qui vont finir dans une tombe ?

– Bah, si on part là-dessus, tout le monde meurt. Même les vampires. Aqua dit toujours qu'on a une vie interminable, mais pas éternelle.

Et toujours, il tourne autour du pot. Riku n'arrive pas à savoir s'il le fait exprès, ou s'il est naturellement naïf. Les deux, il voudrait dire. Mais c'est dur de savoir. La limite est fine, et Sora en joue bien plus qu'il ne le laisse croire. Sa candeur est sincère, mais il feint habilement l'idiotie. Un équilibre parfait qui le sort des situations les plus délicates.

– T'façon c'est pas comme si ça se contrôlait. On est potes que tu sois humain ou pas, alors qu'est-ce que ça change ?

Tellement de choses, il a envie de lui dire. La déception lui fait détourner les yeux. Il devrait être touché, pourtant. Non ?

Mais sans doute que c'est lui, le problème. Il se prend la tête pour rien avec ces histoires d'éternité. Au pire, s'il meurt avant Sora, il n'aura pas à supporter sa perte.

– Ouais. T'as raison.

La réponse semble lui faire plaisir, alors il ne cherche pas plus loin. Il lui sourit, chasse la culpabilité à laquelle le mensonge l'invite. Ça va aller. Et s'il n'y croit pas, alors il n'a qu'à s'en convaincre. Se le répéter, jusqu'à ce qu'enfin, ça ait l'air vrai. Kairi va arriver, et tout ira bien. La peur n'est qu'un fantôme dans sa tête. C'est comme la brume. Une bonne nuit de sommeil, et elle finira par se dissiper.

Même s'il reste une ombre au tableau. Un doute qui joue dans sa tête, passe sur ses lèvres serrées.

– So' ?

– Mm ?

– Tu bois à quelle fréquence ?

Peut-être que sa question est idiote et qu'il ne s'en rend même pas compte. Aucune idée. Les codes du monde vampirique lui échappent encore. Sa question n'est pas indiscrète, au moins ? Est-ce que Sora se nourrira autrement qu'à son propre sang, maintenant qu'ils ont passé ce pacte ? S'il mord quelqu'un d'autre, doit-il y voir une forme d'infidélité ? Et si lui, il laisse quelqu'un le mordre ?

– Oh. Ça dépend ? En vrai j'suis vieux, alors j'ai pas tant que ça besoin. Une ou deux fois dans le mois, c'est cool.

Une ou deux fois dans le mois. C'est peu, donc ? Impossible de savoir, mais à l'entendre, on dirait.

Ça implique que Sora se soit régulièrement nourri alors qu'ils se fréquentaient à la fac. Bien. Il n'est pas sûr de vouloir savoir comment le brun s'y prenait.

– Ça te manque pas ?

– Si, au bout d'un moment. Genre, si je bois rien pendant deux mois, j'ai soif. Mais je peux gérer.

– Ça te pèse pas ?

– Tant que je fais gaffe, ça va. C'est surtout les jeunes qui savent pas se contrôler.

– T'as pas soif, alors.

Il hausse les épaules. Pas de réponse. Pas bon signe. Riku plante ses jolis yeux sur lui.

– Sora ?

– Arrête. J'ai l'impression que c'est mon père qui me parle quand tu dis mon nom en entier, c'est flippant.

Il rit. Un peu. Il pouffe plus qu'il ne rit, d'ailleurs. Souffle d'amusement qui apaise, un instant, ses angoisses insensées.

– Et en vrai ?

Il le sent qui hésite. Ça se lit dans ses yeux, deux orbes qui roulent dans leurs orbites comme il cherche à les lever le plus haut possible. Sa langue qui joue dans sa bouche, ses mains qui triturent sous ce qui est à leur portée. Sora sait faire semblant, mais est désespérément nul quand il s'agit d'élaborer un mensonge.

– Ça peut attendre ?

– C'est pas ce que je te demande.

Un soupir. Il le tient presque.

Et si la réponse n'est pas celle qu'il veut entre ? Mais qu'est-ce qu'il veut entendre, d'ailleurs ?

– J'peux pas que tu te sentes obligé.

Riku tique. Obligé ?

– Pourquoi ?

– Bah parce qu'on est lié.

– Et j'étais ok pour ça.

– Ouais mais même. C'est pas pour autant que tu vas pas... 'fin, je vais pas te mordre si tu te sens pas encore ok pour ça, quoi.

S'il se sent ok ? Il l'est. Il croit ? Il a accepté la chose en connaissance de cause, et...Et est-ce que c'est pour ça que Sora ne l'a pas encore mordu ? Parce qu'il a peur de lui mettre la pression ? Merde, c'est que ça lui ressemblerait bien, en plus. Ce genre de peur futile. Ils ont ça en commun, de s'inquiéter pour des broutilles.

– Je me sens pas obligé. Tu peux y aller, si tu veux.

Il ne s'est pas lassé de lui. Il a juste la frousse. Riku stupide et soulage d'un même coup. Il n'y a jamais eu de problème. C'est juste... C'est juste que Sora est Sora, avec ses angoisses absurdes et sa nonchalance. Tout est normal.

Vanitas peut aller se brosser.

– T'es sûr ?

– Oui.

– C'est pas hyper agréable ?

– Je suis pas en sucre, So'.

– C'est pas une question d'être en sucre.

Certes. Il s'est mal exprimé.

– J'étais déjà ok avec ça quand j'ai accepté ta proposition.

– Mais c'est pas la même chose d'accepter ça et de-

– Sora.

Il penche la tête vers lui.

– C'est bon.

Et c'est vrai. Il ne le dit pas juste pour lui faire plaisir, non. La bestiole peut sortir les crocs, il n'a pas peur. Même, il est curieux. Parce qu'il ne sait rien de ça, que ce sera une première fois. Une première fois pour eux deux, vu que l'autre n'a jamais eu de familier.

– T'es partant pour faire ça là ?

– Oui.

– Pour de vrai ?

Pas la peine de répondre. Il hausse un sourcil, et Sora comprend le message. Et il retient une sorte de grimace de joie flippante, comme un gamin qui ne veut pas montrer combien son cadeau lui fait plaisir. Riku comprend que ce qu'il ravale, là, c'est l'impatience qui le titille depuis il ne sait combien de temps. Il le sent dans ses gestes mesurés, dans la caresse légère qui passe le long de son poignet que le brun attrape.

Il voulait, mais il n'osait pas lui dire. Quel idiot.

Ils se sont bien trouvés.

– Tu me dis si ça va pas, hein ?

– T'inquiète.

Il appréhende autant qu'il a hâte. Comme dans la longue montée d'un manège à sensation, il prend des inspirations qui s'échappent aussitôt. Face à lui, la bouche de Sora s'entrouvre. Laisse voir des dents simples et blanches comme celles de n'importe quel humain. Il s'étonne de voir que le glouton jette son dévolu sur son poignet plutôt que sur son cou, comme il l'imaginait.

Les lèvres froides approchent et glissent sur sa peau, l'emprisonnement. C'est mouillé. Un peu rebutant.

Il retient sa respiration.

Rien. Le temps qui s'étire. La sensation, humide, d'un membre mou qui appuie contre son épiderme. Silence. Il attend. Son cœur cogne. Est-ce que l'autre peut le sentir ? Le sang qui s'élance dans son corps. Les pulsations qui le jettent jusqu'au bout de ses doigts. Ce circuit infernal. Est-ce que ça l'attire ?

Une éternité demeure entre eux. D'un coup de croc, Sora la brise.

Riku n'entend rien, mais il sent la douleur qui fuse soudain contre sa chair. Une souffrance aussi fine qu'aigüe, tout petit point qui crie, comme un cure dent qui le traverse. S'il s'interdit la moindre plainte - Sora pourrait entendre, et s'il entendait, il pourrait s'en vouloir - il serre les dents. Aussitôt, la langue fraîche appuie. Il la sent qui pousse comme ses lèvres aspirent cherche de quoi apaiser ce drôle d'appétit qu'ils ne partageront jamais. Un mouvement de succion précipité, répété. Un fil de vie qui passe de l'un à l'autre. Riku sent ses propres doigts qui tremblent, alors qu'il serre le poing.

Puis ça ralentit. La douleur se calme, s'endort et, sans disparaître, n'est plus qu'une vague sensation qui tiraille.

Comme on mange un mets trop attendu, le vampire a fermé les yeux. Le monde n'existe plus que dans sa bouche pleine de sang, dans le goût qui traverse son palais. Riku se demande si ça lui plait. Est-ce qu'il a bon goût ? Il ne pensait pas se poser la question un jour. Pas comme ça, en tout cas. Mais Sora a l'air d'apprécier, en, tout cas. Il ne s'est pas reculé en grimaçant. Il se sent téter à même la plaie que ses crocs ont formée et, bientôt, un filet fuyard passe sous ses lèvres pour tâcher sa peau. Ça le chatouille, mais il ne dit rien. Il n'ose pas. Il laisse l'autre aspirer tout ce qu'il veut, guette le malaise qui ne vient pas et, quand le joyeux chaton se recule enfin, son menton tâché d'un rouge dilué par la salive, il se racle la gorge.

Et il voit, un instant, sa tignasse noire qui avale deux yeux à l'or mêlé de rouge.

Ça ne dure pas. Une vision, un flash, une seconde. Et pourtant c'est une éternité, une image qui s'écrase sur sa rétine. Ce même rideau sombre qui coule sur une peau incroyablement blanche où le sang ruisselle comme une offense, en filets éparpillés. Un menton enveloppé de rouge, des lèvres trop pâles pour ce liquide. Un rictus satisfait sur des dents noircies par le repas. Et cette langue rose, ce muscle remuant qui vient chercher une dernière fois la plaie ruisselante. Sa gorge qui roule comme il déglutit.

Riku ouvre la sienne, de bouche. Mais c'est déjà fini.

Il n'y a plus que Sora devant lui, lequel s'essuie le menton en vitesse comme on nettoie un filet de sauce. Sauf que la sauce en question va laisser une sacrée marque sur ses vêtements.

–Alors ? Ça va ? il lui demande, sa bouche encore pleine de sang.

Putain, Riku, veut répondre. Mais il ne le dit pas, parce qu'il ne dit rien. Il reste là à fixer son pote, sa bouille salie et son sourire hésitant. Il cherche cette grimace sanguinolente soudain effacée, le soleil dans ce ciel trop bleu.

– Ouais.

Il dit ça, et sûrement que ça face trahit le mensonge. Mais son cœur privé d'une partie de sa source cogne, et s'il cogne, c'est pour un chant que Riku ne comprend pas. Une émotion vieille comme les montagnes de pierres, qu'il lui semble avoir toujours connu. C'est comme de la tristesse, en plus violent. Une sorte d'angoisse qui ne lâche pas. De la...

De la déception.

C'est tout ? que la petite voix dit dans sa tête, alors que l'autre le fixe comme un chiot réputé.

C'est tout, oui.

Mais à quoi est-ce qu'il s'attendait ?

xoxoxox

Plus tard - si tant est que tard ait encore un sens, ici - Riku constante un détail qui, dans un autre contexte, ne l'aurait pas tant gêné. Un détail qui, ici, le titille. Et l'empêche de dormir. Et tire sur son pyjama.

Une érection.

Plantée là, entre ses cuisses, depuis que Sora a retiré ses crocs de sa peau. A moins qu'elle ne soit arrivée pensant qu'il... C'est possible, ça ? La perte d'une quantité non négligeable de sang n'est pas censée faire se dresser un organe qui s'en retrouve rempli, non ? Merde. Ça devrait être l'inverse. Il aurait préféré un malaise, ou une vieille douleur à se traîner le long du bras toute la journée. Un léger picotement qui lui aurait allumé les nerfs. Un élancement chiant, douloureux, mais pas ce truc. Parce que ce truc, il ne se l'explique pas.

Ou alors il se l'explique, mais il n'aime pas ça.

Il a déjà eu des vues sur Sora, c'est un fait. Il se l'avoue, et il n'en a pas honte. Et encore, si c'est juste ça.

Sauf qu'il ferme les yeux, et il ne voit pas Sora. Pas complètement. C'est une autre version de lui, qui lui fait serrer les dents. Un loup fourbe qu'il entend rire d'ici.

Il y a de la colère, et la colère fait pulser le sang qu'il lui reste, et le sang qu'il lui reste finit invariablement au même endroit. Et merde. Pourquoi ?

D'accord, il y a quelque chose de séduisant dans cette impertinence qui accompagne chacun des mots du noiraud. Sûrement qu'il le sait - et qu'il en joue. Mais de là à...

Il n'a pas envie de penser à ça, pas alors qu'il est minuit passé et qu'il s'est promis de retrouver un rythme de vie sain pour un humain. Mais il y pense encore, et encore. Et il entend sa voix raisonner à l'intérieur de lui. Il sent, à nouveau, ses jambes trembler. Son regard qui lui passe au travers. Cette façon qu'il a d'effacer le monde de par sa simple présence.

Riku serre les dents.

Il le fait exprès. Il a provoqué ça d'une manière ou d'une autre, et ça l'amuse. C'est surement le genre de type qui aime attirer l'attention. C'est sans doute pour ça qu'Aqua est à ce point méfiante. Il y a un truc, chez ce vampire, qui ne tourne pas rond. Un rouage que le temps aura fait sauter. Et tout triste que ce puisse être pour lui, Riku n'a pas à en faire les frais.

Alors la prochaine fois qu'il le croise, il lui expliquera sa façon de pensée. Une conversation franche entre quatre yeux. Voilà ce qu'il lui faut, à ce petit con.

Mais pour l'heure, il doit dormir.

Ma chambre est au bout de l'aile ouest, si jamais tu t'ennuies.

Essayer de dormir.

Plongé dans l'ombre découpée de la pièce, il fixe le dessin des branches qui s'étalent sur le rideau comme un réseau de veines. C'est doux. Rassurant. Bien sûr, ça ne suffit pas à régler son problème. Toutes les ombres de la pièce ne sauraient l'apaiser. Pour ça, il n'y a qu'une seule solution. Elle prend dix minutes, et elle implique sa main. Mais il refuse de la choisir. Ce serait laisser Vanitas gagner, et ça c'est hors de question.

Il se retourne.

Et puis, passé une dizaine de minutes à remuer dans son lit, il doit se rendre à l'évidence. Le problème ne partira pas tout seul.

De toute façon, Riku n'a jamais su tenir ses résolutions.


[TW : Sang, mention de sexe]

Et voilaa ! Riku est pas sortie de l'auberge. Définitivement. Mais c'est un peu drôle.

Ça vous a plu ?

A la semaine prochaine !