Hello !
Voici le chapitre deux, en espérant que ça plaise.
Enjoy !
Helgen
Ou comment un dragon vous sauve la vie pour mieux vous rôtir lui-même
Quand je rouvris les yeux, le monde tanguait et une douleur terrible me martelait le crâne.
Je gardais prudemment la tête penchée, parce que le moindre mouvement me ferait vomir à coup sûr. Je voulu d'ailleurs me prendre la tête entre les mains pour apaiser ma migraine, mais je fus coupée dans mon mouvement par des liens de cuir qui enserraient mes poignets.
Mon cœur se serra.
Dans quel pétrin m'étais-je encore fourrée ?
Je me mis alors a observé mon environnement. Déjà, je pouvais déduire aux sons des sabots martelant les pavés et aux cahots qui me secouaient, que je me trouvais à bord d'un chariot. Je n'étais pas seule à bord non plus.
Trois autres paires de pieds se trouvaient dans mon champ de vision, ainsi que des mains, toutes liées par les mêmes ficelles de cuir qui attachaient les miennes. J'étais, à voir les grands panards de mes camarades d'infortune, la seule femme à bord.
Au son, j'entendais les bruits de quinze ou vingt chevaux, probablement montés par des soldats, et il me semblait entendre les roues d'autres chariots que la nôtre. Si on comptait au moins un chauffeur par chariots, cela faisait une vingtaine de soldats en tout.
Bon. Le plan F comme Fuite était donc à barré de la liste des possibilité. Une chance pour moi, il y avait encore vingt-cinq lettres dans l'alphabet. Ô joie.
Au bout de plusieurs heures d'immobilité, je sentis la nausée refluer. J'osais alors relever la tête pour avoir une meilleure vue d'ensemble sur ma situation – qui n'était somme toute pas beaucoup mieux que la veille. J'avais toujours aussi froid (on avait remplacé mes vêtements par une immonde tunique en toile de jute et pris ma cape) et, si je n'étais plus perdue au milieu de nulle part, j'étais maintenant prisonnière de l'armée impériale et j'avais l'impression qu'un forgeron orque frappait ma tête contre une enclume.
Pour tenter de penser à autre chose qu'à ma pauvre petite tête, je m'intéressais à mes compagnons de voyage.
Celui qui était assis en face de moi était un Nordique de la pointe de ses cheveux blonds au bouts de ses orteils. Il était de grande taille, large d'épaule et une barbe aussi blonde que ses cheveux lui mangeaient le bas du visage. Il avait tressé une mèche de ses cheveux sur le côté de son visage, je lui attribuais donc le surnom de Tresse-Blonde.
Il tourna la tête vers moi, sentant peut-être que je l'observais, et planta ses yeux bleus glacés dans les miens.
- Tiens, vous êtes réveillée ? Me lança-t-il. Vous avez essayé de passer la frontière, vous aussi, et vous êtes tombée dans une embuscade des impériaux, tout comme nous. Et ce voleur, là…, ajouta-t-il en désignant son voisin de banc.
C'était un homme petit et malingre, aux cheveux noirs et gras, la peau foncée et couverte de saletés. Si Tresse Blonde avait pu conserver ses vêtements, le voleur semblait avoir eu le droit au même traitement que moi : on l'avait affublé de la même horrible tunique en toile de jute, et c'est tout ce que nous avions pour nous protéger de la morsure du vent.
- Maudits Sombrages ! s'exclama-t-il avec colère. Bordeciel allait très bien avant que vous n'arriviez. L'Empire était calme et nonchalant. Si la Légion n'avait pas été à votre recherche, j'aurais pu voler ce cheval. Je serais déjà arriver à Lenclumes. (Il se tourna ensuite vers moi :) Vous et moi, nous ne devrions pas être ici. Ce sont ces Sombrages que l'Empire veut.
Je sentis ma gorge se serrer en écoutant l'Homme-Clochard parler.
Comme si avoir manquer mourir de froid seule dans les montagnes ne suffisait pas, il fallait qu'une fois sortie de ce guêpier, je me retrouve dans un chariot en compagnie de rebelles Nordiques !
Je savais bien évidemment qui étaient les Sombrages. Quand on habitait à Bruma, dont la population était composée à quatre-vingt dix pour cent de Nordiques expatriés, on avait obligatoirement entendu parler d'Ulfric Sombrage, le Jarl de Vendaume. Tout comme on avait entendu parler de la manière dont il avait assassiné le Haut-Roi d'un « cri », quoique cela veuille dire. Et de son rôle dans le déclenchement de la guerre civile qui mettait tout Bordeciel à feu et à sang.
Leur revendications, en revanche, je n'y avais jamais vraiment prêté attention. Peut-être étaient-elles légitimes, peut-être ne l'étaient-elles pas. Je n'en savais rien et, très honnêtement, je m'en fichais. La politique n'était jamais l'affaire de petites orphelines dans mon genre et, selon moi, c'était aussi bien comme ça.
J'avais retenu au moins un point positif dans ce qu'avait dit l'Homme-Clochard : j'avais réussi à mettre les pieds en Bordeciel. Pas tout à fait de la manière dont je l'avais escompté, mais il fallait savoir se satisfaire des petites victoires.
Même si celle-ci s'apparentait plutôt à une grosse défaite.
Je rebaissais les yeux vers mes mains liées et poussais un soupir découragé.
J'allais répondre à l'injonction de l'Homme Clochard, mais Tresse-Blonde fut plus rapide :
- Nous sommes tous des frères et sœurs liés, dit-il d'un ton solennel.
Parle pour toi, mon gars, avais-je envie de lui rétorquer.
Je n'étais pas une Nordique, les dieux m'en préservent, et je ne m'en sentais nullement la fibre.
Mes deux camarades furent alors remis à leur place par notre chauffeur, qui beugla un « Silence, derrière ! » agacé avant de s'en retourner à sa route.
Le silence fut complet environ deux minutes, temps que je mis à profit pour réfléchir à un moyen d'échapper à cette fâcheuse situation. Ce ne fût pas très concluent.
Puis, étant certainement trop nerveux pour rester silencieux, Homme-Clochard désigna le passager qui partageait mon banc :
- Et lui, dit-il, pourquoi est-il là ?
Tresse-Blonde se redressa alors de toute son indignation, comme insulté par le ton de l'autre homme – qui n'avait pourtant pas été plus impoli qu'il y a quelques minutes.
- Un peu de respect ! s'exclama-t-il, outré. Vous parlez à Ulfric Sombrages. Le vrai Haut-Roi.
Il avait haussé le ton sur la fin de sa phrase, comme pour mieux défier les soldats impériaux qui nous entouraient. Je lui aurais bien donné un coup de pied pour le faire taire. Ces gens avaient nos vies entre leurs mains, ce ne serait pas très malin de les mettre en colère.
Et puis je réalisais ce qu'il venait de dire et je sentis mon cœur plongé dans ma poitrine.
Est-ce que j'avais fâché un dieu, récemment, pour me retrouver dans de tels guêpiers ?
Non seulement je m'étais bêtement faite capturer par des soldats impériaux sans aucun motif valable (sauf s'ils étaient passés par Bruma et avaient appris le crime pour lequel je m'étais rendue coupable, ce dont je doutais franchement), voilà qu'en plus je devais partager mon chariot avec Ulfric Sombrage en personne !
Il ne manquerait plus qu'on me prenne pour un membre de l'armée rebelle, et la coupe serait pleine. M'enfin, étant donnée que j'avais autant l'air d'une Nordique que Tresse-Blonde d'un Impérial, je ne risquais pas trop de ce côté là.
Je ne pus m'empêcher de tourner la tête vers mon royal – enfin, autoproclamé royal – voisin de banc, et je dus admettre qu'il ne manquait pas de prestance, malgré ses vêtements sales et le bâillon que les Impériaux lui avaient collé dans la bouche. Pour l'empêcher de « crier », sans doute.
Ou alors peut-être qu'il parlait trop, et que les soldats en avaient eu assez de l'entendre baver. Allez savoir.
Je savais qu'Ulfric n'avait qu'une petite trentaine d'années (les filles de l'orphelinat n'arrêtaient pas de parler de lui, le « héros » de Bordeciel, et teeeellement beau en plus de ça), mais de profondes rides marquaient son visage, lui donnant l'air d'un homme d'une quarantaine d'année bien tassées. Malgré sa haute stature et ses épaules larges, il m'apparut comme las et fatigué de la vie. Les rides creusées sur son visage indiquaient qu'il ne devait pas sourire souvent.
Les filles auraient été déçues, songeais-je avec ironie. Leur idole ressemble plus à un papy acariâtre qu'à un grand guerrier.
La guerre avait souvent cet effet-là sur les gens. J'avais pu le constater quand les hommes de Bruma était rentrés de la Grande Guerre en ayant pris au moins vingt ans dans la figure, alors qu'ils n'en étaient partis que dix. Eux aussi ne souriaient plus, et tout semblait les désabuser. Beaucoup plongeaient dans l'alcool et la violence et n'en ressortaient jamais.
Les cheveux du Jarl de Vendaume, qui devait probablement être auparavant aussi blonds que ceux de Tresse-Blonde, étaient parsemés de mèches grises et blanches, le vieillissant d'autant plus et accentuant son austérité.
En bref, Ulfric Sombrage n'avait pas l'air du grand guerrier terrifiant que tout le monde s'échinait à décrire. Il n'était pas spécialement beau, ni même charismatique. Ou alors, c'était peut-être parce que je le voyais sous son plus mauvais jour, c'est-à-dire ligoté et bâillonné dans un chariot en route pour son dernier voyage.
Parce que je ne me faisais pas d'illusion. Ce mec était trop dangereux pour que l'Empire le laisse vivre. Je ne savais pas où on nous emmenait exactement, mais ce serait sans aucun doute le dernier voyage du Jarl.
Ce qui m'inquiétais vraiment, c'était de savoir quel serait mon sort à moi ? Serais-je exécutée moi aussi ? Ou bien passerais-je seulement quelques jours au fond d'une prison ?
Pendant que je me perdais dans des hypothèses de moins en moins optimistes, les chariots avaient continué leur chemins et avaient atteint leur destination. Je fus sortie de mes pensées par la voix d'un soldat qui saluait le chef de notre expédition :
- Général Tullius, chef ! Le bourreau attend !
Un bourreau ? Comment ça, un bourreau ? Et le procès ? Ils n'allaient quand même pas couper les têtes de tout le monde sans s'assurer au préalable de leur culpabilité, si ?
Je sentis mes entrailles se tordre à l'idée que ma tête allait très vraisemblablement finir au fond d'un panier, et sans procès, en plus. Voilà une mort que je ne me souhaitais pas – ni à personne d'autre d'ailleurs.
En plus, j'aimais pas ça, les bourreaux. Ils étaient flippants avec leurs horribles cagoules noires et leurs armes aiguisées. Et puis, franchement, un type qui gagnait sa vie en écourtant celles des autres, je trouvais ça suffisamment bizarre pour que je n'accorde pas ma confiance à ce genre de personnage.
- Bien, répondit celui qui se tenait en tête du convoi et qui devait probablement être le Général Tullius. Dépêchons-nous d'en finir.
En face de moi, Tresse-Blonde s'était raidi et observait les murs de la ville avec ce que j'identifiais comme de la mélancolie. De son côté, Homme-Clochard avait entonné une prière, demandant l'aide de toutes les divinités existantes.
Je ne sais pas si c'était la nervosité, ou s'il était toujours comme ça, mais Tresse-Blonde se mit à déblatérer en continue sans se soucier de savoir si quelqu'un l'écoutait. Je penchais pour la seconde option quand j'entendis Ulfric pousser un soupir de derrière son bâillon. Il était visiblement habitué au moulin à parole qui lui servait de subordonné et semblait regretté de ne pas pouvoir le faire taire.
Néanmoins, son discours sans queue ni tête me permit d'identifier la ville où nous nous trouvions : Helgen. L'ironie du sort avait voulu que ce soit la ville que je voulais atteindre à mon départ de Bruma.
Je retins de peu un ricanement amer et me mis a observer la ville.
Elle était ceinte de hautes murailles en pierre percées par une porte munie d'une herse. En elle-même, Helgen tenait plus de la grande bourgade que de la ville à proprement parler, et était singulièrement triste. Quelques arbres rachitiques longeaient la route principale qui traversait la ville de part en part, et les habitions aux toits de pailles séchées étaient disséminées à qui mieux mieux au gré des dénivelés et autres contraintes géographique.
Le tout formait un joyeux bazar que j'aurais sans doute trouver très agréable dans d'autres circonstances. Seulement, ligotée et assise dans une charrette comme une criminelle, Helgen me paraissait être la ville la plus moche du monde, et son chaos organisé devenait à mes yeux un affreux boui-boui de chaumières misérables et de routes mal pavées qui me faisaient mal aux fesses, à force de bosses et de trou qui me faisaient rebondir sur mon siège en bois dur.
Mon calvaire prit malheureusement vite fin, quand les charrettes se garèrent toutes les trois côtes à côtes sur la place central d'Helgen. Pour le coup, j'aurais accepter les cahots qui torturaient mon fessier des jours entiers si cela avait pu m'épargner de finir raccourcie d'une tête.
À l'autre bout de la place, assis sur les marches d'une maison, un petit garçon d'à peine dix ans nous regardaient avec curiosité. Ses grands yeux bruns scrutaient la scène, cherchant à comprendre ce qu'il se passait de si important dans sa petite ville de campagne pour qu'autant de soldats de l'Empire soient mis à contribution.
Car, oui, en plus des vingt qui nous avaient escortés jusqu'ici, une autre vingtaine d'entre eux nous attendaient à Helgen, sûrement pour préparer l'exécution des Nordiques capturés.
Et la mienne, accessoirement, mais je préférais ne pas y penser. J'osais toujours croire en un possible procès.
De l'autre côté de la place, le petit garçon fut fermement raccompagné à l'intérieur par son père.
- Pourquoi nous arrêtons-nous ? Demanda soudain Homme-Clochard avec angoisse.
- A votre avis ? Rétorqua Tresse Blonde. C'est la fin du voyage. Allons-y, ajouta-il. Ne faisons pas attendre les dieux.
Moi, j'aurais été partante pour les faire attendre encore un demi-siècle au moins, mais on ne me demandait pas tellement mon avis, alors je la fermais et suivis le mouvement quand les soldats impériaux nous firent descendre des chariots.
Le visage du voleur avait pris une teinte grisâtre sous la crasse qui le recouvrait et il tremblait de tout ses membres. Le pauvre avait l'air au bord de la syncope.
Encadrés chacun par deux gardes, on nous escorta jusqu'à deux autres soldats, une femme en armure complète et dont le casque à visière ne laissait voir de son visage que deux yeux noirs aussi froids que les montagnes où je m'étais perdue – ce qui ne me la rendait franchement pas sympathique – et un homme aux cheveux et aux yeux couleurs rouille. Je reconnus ce dernier parce qu'il chevauchait à la droite de notre chariot. À présent, il se tenait debout, un tas de feuille posé sur un écriteau dans une main et une plume dans l'autre.
- Non, attendez ! Protestait Homme-Clochard à ma gauche. Je ne suis pas un rebelle !
- Affrontez la mort avec courage, voleur ! Le tança Tresse-Blonde – à ma droite, cette fois-ci – avec mépris.
Espérant visiblement du soutien de la part de ce dernier, Homme-Clochard se tourna vers lui :
- Vous devez leur dire ! Je n'étais pas avec vous ! C'est une erreur !
Mais Tresse-Blonde n'était visiblement pas d'humeur charitable. Ou alors peut-être avait-il compris que cela ne servait à rien de protester. Quoique nous disions pour nous défendre, nos sorts étaient déjà scellés. Ou peut-être, plus simplement, qu'il se fichait pas mal de ce qui pourrait arriver à Homme-Clochard. Il n'avait pas vraiment l'air de le porter en haute estime.
La capitaine en armure ignora royalement les geignements d'Homme Clochard et déclara d'une voix forte et glaciale :
- Avancez en direction du billot quand vous entendrez votre nom. Un seul à la fois.
Et l'appel commença.
Les noms se succédaient les uns après les autres en même temps que la foule des prisonniers se déplaçait en direction du billot, quelques mètres plus loin. Une foule compacte de prisonniers s'étaient déjà formée sur la place quand le soldat préposé à l'appel arriva à notre chariot – le dernier et le moins rempli.
Pendant tout le temps qu'avait duré l'appel, Homme-Clochard n'avait eu de cesse de s'agiter, de supplier et de se débattre contre l'emprise de ses gardes, qui le maintenaient fermement malgré ses ruades. L'un des deux soldats s'était d'ailleurs pris un vilain coup de coude dans le nez et saignait abondamment.
Vu l'horrible craquement qui avait retenti, il était probablement cassé.
Tresse-Blonde (qui s'appelait Ralof, d'ailleurs) et Ulfric furent appeler à leur tour et se dirigèrent vers le billot, raides comme la justice et le menton fier. Ulfric regardait droit devant lui, avançant comme si les deux gardes qui l'encadraient comme deux tours n'existaient pas. Ralof, lui, les regardaient comme s'ils n'étaient que deux grosses bouses de vaches dans lesquelles il aurait marché avec des bottes flambant neuves. S'il essayait d'avoir l'air aussi digne que son chef, c'était raté.
- Lockir, de Rorickbourg, annonça le secrétaire.
Je crois que l'entente de son nom fut la goutte de trop pour Homme-Clochard, qui rua de plus belle. Ses deux gardes attitrés, qui ne s'attendaient pas à un tel regain d'énergie après plus de dix minutes de coups et de tortillements, n'eurent pas le temps de resserrer leurs prises que Lockir – puisque que tel était son nom – se libérait et prenait ses jambes à son cou en beuglant.
La Capitaine poussa un soupir agacé tandis qu'un des archée posté sur les murailles encochait une flèche à son arc et tirait sur le pauvre Lockir, qui s'écrasa sur les pavés de la grande route d'Helgen.
Bon. Au moins, ça avait le mérite d'être clair : pas d'entourloupe, ou sinon…
Je décidais prudemment de me tenir à carreaux et de me laisser bien gentiment coupé la tête. Je préférais encore mourir décapitée que plantée comme un hérisson géant.
Question de dignité.
Pendant ce temps, le Soldat Secrétaire n'avait cessé de faire des va-et-viens entre sa liste et moi, les sourcils froncés.
- Attendez, dit-il à sa supérieure avant de se tourner vers moi. Vous, là-bas ! Avancer !
Étant la dernière prisonnière à ne pas avoir rejoins le peloton d'exécution, j'en conclus qu'il devait s'agir de moi. J'avançais donc, accompagnée par mes deux gardes attitrés dont les bras faisaient chacun la taille d'une de mes cuisses.
- Qui êtes-vous ?
J'hésitais. Mentir ou ne pas mentir ? Ni lui ni sa chef n'avaient l'air de me reconnaître, mais ça ne signifiait pas pour autant qu'ils ne connaissaient pas mon cas. En même temps, les affaires de Bruma n'intéressaient que rarement l'Empire et, même si j'étais une criminelle reconnue au sein de ma petite ville natale, l'information n'avait sûrement jamais été relayée au-delà de ses frontières.
Bien sûr, l'emploi d'un faux nom aurait été plus prudent et m'aurait permis de recommencer ma vie à zéro. Seulement voilà : je n'étais pas du genre à tourner le dos à mes erreurs ou a enterré le passer dans un coin reculé de mon esprit et à ne plus jamais y repenser. Je n'étais peut-être pas très fière de ce que j'avais fait, mais je ne le regrettais pas. Et si j'avais préféré oublier la sensation du couteau de cuisine perçant la chaire, ainsi que le sang rouge qui maculaient mes mains et le sol, je savais que cette vision me hanterait toujours. Même avec un nouveau nom, je serais toujours la fille qui avait tué un homme pour sauver sa vie, et rien ne changerait cela. Et si ces soldats devait faire le lien entre moi et ce meurtre, eh bien soit. Cet épisode faisait parti de ma vie, il avait façonné mon avenir et il appartenait à mon passé.
Quelqu'un a dit un jour que le passé fini toujours par nous rattraper, peu importe les efforts que l'on fourni pour le fuir.
Mentir, c'était fuir.
Alors je dis la vérité :
- Je m'appelle Mona, répondis-je. Mona, de Bruma.
Le soldat me dévisagea de ses étranges yeux couleur rouille.
- Vous êtes du mauvais côté de la frontière, me dit-il. Que faites-vous en Bordeciel ? (Puis, visiblement indifférent à ma réponse, il se tourna vers sa supérieure) Capitaine, que fait-on ? Elle n'est pas sur la liste.
- Vous pouvez oublier la liste, rétorqua-t-elle. Elle va au billot.
Le soldat eu l'air de vouloir protester, mais devant le regard propre à refroidir une congère de sa supérieure, il préféra refermer la bouche.
- A vos ordre, dit-il avant de rajouter mon nom à la liste des exécutions. Désolé…, ajouta-il à mon attention. Nous nous assurerons que votre corps soit renvoyé en Cyrodiil. Emmenez-là.
La dernière phrase était destinée à mes deux gardes qui m'escortèrent jusqu'au peloton d'exécution. Je me retrouvais une nouvelle fois près de Ralof, qui continuait de parler dans le vide. Était-il donc incapable de se taire ?
Devant nous, debout face à Ulfric, un homme aux cheveux gris houspillait le chef des Sombrages. Je reconnus le Général Tullius, qui avait été notre guide pendant cette sympathique balade champêtre en Bordeciel.
- Certains ici, à Helgen, vous prennent pour un héros, disait-il, méprisant. Mais un héros n'utilisent pas un pouvoir comme celui de la Voix pour assassiner son roi et usurper son trône. Vous avez commencé cette guerre, plongé Bordeciel dans le chaos. Aujourd'hui, l'Empire va vous abattre et rétablir la paix !
Soudain, comme pour ponctuer le discours de l'homme, un bruit de tonnerre retentit au loin, résonnant dans la vallée d'Helgen. Quand je levais les yeux au ciel, je ne vis aucune trace d'orage à l'horizon. Le ciel était d'un bleu limpide et le soleil éclairait la terre de ses rayons pâles.
- Qu'est-ce que c'était que ça ? Demanda un soldat à la cantonade.
- C'est rien, continuez, ordonna le Général en agitant la main comme pour chasser une mouche.
Le Capitaine Yeux-de-Glaces s'avança au devant de nous.
- Accordez-leur les derniers rites, commanda-t-elle ensuite à une prêtresse qui se tenait dans un coin de la place.
Celle-ci s'avança face à nous et leva les bras au ciel en recommandant nos âmes aux dieux. Elle n'avait pas encore fini la première strophe de sa longue litanie qu'un soldat Sombrage pressé d'en finir avec la vie lui coupa la parole en s'avançant de lui-même vers le gibet.
Coupée dans son élan, et visiblement vexée par le peu de considération qui lui était accordée malgré son rang, la prêtresse se recula en haussant une épaule nonchalante.
Le Sombrage, quant à lui, s'était agenouillé sur le gibet et avait posé sa tête sur la pierre recouverte de tâches marrons, vestiges d'autres exécutions. Le gibet en lui-même ne cassait pas trois pattes à un canard : il s'agissait simplement d'une pierre grossièrement taillée pour pouvoir y poser une tête et d'une caisse en bois placée devant pour les y accueillir une fois coupée.
Le bourreau leva sa hache au-dessus de sa tête, prêt à l'asséner sur la nuque du Sombrage, quand celui-ci se permit une dernière petite bravade :
- Mes ancêtres me sourient, Impériaux. Pouvez-vous en dire autant ?
La hache fendit l'air et sa tête roula dans la caisse.
Un silence de mort régnait sur la place et même Ralof, l'éternel bavard, se trouvait à cours de mot devant l'imminence de sa mort. Parce que le sort que venait de subir le soldat Sombrage était celui qui nous était également réservé.
Le regard de Capitaine Yeux-de-Glace se posa alors sur moi, et je déglutis péniblement.
Elle pointa un doigt ganté de fer dans ma direction.
- A vous, dit-elle d'un ton impérieux.
Je sentis mes entrailles se tordre et les larmes me monter aux yeux. Ma respiration s'était faite haletante et mon corps refusait obstinément de m'obéir. À croire que la partie de mon cerveau en charge de faire bouger les muscles avait déjà tiré sa révérence.
Un autre rugissement retentit, cette fois-ci beaucoup plus près. L'espace d'une seconde, le temps sembla s'arrêter. Un frisson courut le long de ma colonne vertébrale et je fus prise de sueurs froides. Mais ce n'était pas de la peur (enfin, pas que). C'était une impression de mélancolie, comme si je connaissais ce son et qu'il m'avait manqué, qu'il me donnait l'impression de trouver ma place dans ce monde.
Sauf que s'il y avait bien une chose dont j'étais sûre, c'était que je n'avais jamais entendu un tel son de toute ma brève et misérable existence – sinon, croyez bien que je m'en serais souvenue.
Et puis, de nouveau, cet étrange rugissement se tut et le monde recommença à tourner.
Si pour moi, le temps s'était arrêté, ce n'était visiblement pas le cas pour les autres. Capitaine Yeux-de-Glace me regardait d'un air impatient, son pied botté tapant le sol avec agacement.
- J'ai dit : au suivant ! Répéta-t-elle plus fort.
Je me raidis quand mes deux gardes m'empoignèrent chacun par un bras et m'obligèrent à avancer en direction du gibet. Je me laissais faire, trop terrifiée pour protester.
Arrivée devant Yeux-Rouillés, celui-ci prit la relève de mes deux gardes et me poussa vers le billot.
- Allez, dit-il. Au billot. Et dans le calme…
Je failli lever les yeux aux ciel. Il croyait quoi, exactement ? Que j'allais me mettre à geindre et à supplier pour ma vie ? Ou, encore mieux, que j'allais tenter une échappée à la mode Lockir ? Rendue là où j'en étais, cela n'avait plus grand intérêt, pourtant. Ma tête allait rejoindre celle du soldat Sombrage au fond de cette fichue caisse, point-barre.
Je n'avais aucune raison de lutter contre mon destin, à présent.
Je m'agenouillais alors devant le gibet et posais ma tête sur la pierre. Le sang de l'homme qui était passé avant moi était encore tiède, je le sentais sur ma joue.
J'avais tourné ma tête du côté gauche, de manière à avoir le bourreau dans mon champ de vision. S'il m'était impossible d'échapper à la mort, je voulais au moins la regarder en face. Avec une certaine ironie, je songeai que j'avais quitté Bruma pour éviter l'exécution pour meurtre, et me voilà maintenant, la tête sur un gibet, en train de fixer celui qui me donnerait la mort sans même que je sache pourquoi.
Derrière son affreuse cagoule (décidément, je ne les aimais vraiment pas, ces couvre-chefs), l'homme n'avait qu'un seul œil valide et je ne pus m'empêcher de me demander s'il arrivait à viser correctement avec son handicap. J'espérais, en tout cas. Quitte à avoir la tête tranchée, autant que ce soit fait proprement.
De là où j'étais, j'avais une vue imprenable sur le ciel qui se couvrait lentement de nuages gris au loin. Par conséquent, quand un nouveau rugissement propre à glacé le sang retentit au-dessus de nous, je ne pouvais pas manquer l'immense ombre noire qui volaient au-dessus des piques des montagnes, accompagnée d'énormes nuages sombres.
Une ombre qui, de mon point de vue, ressemblait beaucoup à un dragon – ce qui était impossible car ces créatures avaient déserté Tamriel depuis des éternités.
- Qu'est-ce que c'était que ça ?! Beugla alors une sentinelle qui avait visiblement aperçu la même chose que moi.
Tout le monde leva les yeux vers le ciel, mais la créature avait déjà disparue derrière la cime d'une montagne.
- Sentinelle ! s'exclama Capitaine Yeux-de-Glace. Que voyez-vous ?
La sentinelle n'eut jamais le temps de lui faire par de sa découverte.
Une gigantesque masse noire s'écrasa sur la tour de garde qui surplombait la place centrale d'Helgen, écrasant les sentinelle et renversant le bourreau (qui se prit sa propre hache dans le pied, bien fait pour lui) en même temps. La bestiole faisait au bas mot la taille d'une maison, était équipée de griffes et de crocs aussi longs que mes bras, et sa queue immense et hérissée de pique démolissait tout ce qu'elle percutait avec l'efficacité d'une catapulte. Sa tête était pourvue elle aussi de piquants et deux énormes yeux couleur rubis brillaient d'intelligence au milieu de la masse grises de ses écailles.
Définitivement un dragon.
Tout le monde autour de moi se mit à courir en tous sens en hurlant, mais j'étais incapable de suivre le mouvement. Je restais figée, la tête toujours posée sur le gibet ensanglanté, sans pouvoir détourner mes yeux de la créature de légende qui venait d'atterrir devant moi.
Le monstre poussa un nouveau rugissement, et l'onde de choc qu'il provoqua me projeta contre les pavés de la place et me rendit sourde. Au milieu de mon étourdissement, je sentis deux bras fermes me relever.
Quand je relevais la tête, je reconnus Ralof, qui beuglait quelque chose que je ne pouvais pas entendre. Il me lâcha et prit ses jambes à son cou en direction d'une des tours de gardes de la ville. Je le suivis, toujours étourdie par la déflagration.
Une fois que j'eus mis les pieds dans la tour, Ralof et un autre Sombrage s'empressèrent de fermer la porte et de la barricader à l'aide d'une planche et d'une table. Je ne voyais pas bien l'intérêt de la manœuvre, le dragon n'ayant qu'à donner un coup de queue dans la tour pour la faire s'effondrer sur nous.
- Qu'est-ce que c'est donc que cela ? s'exclama Ralof une fois que la porte fut bloquée. Les légendes auraient-elles dit vrai ?
- Les légendes n'incendient pas des villages entiers ! Lui rétorqua Ulfric. Il faut y aller ! Maintenant !
Les Sombrages se mirent immédiatement en mouvement, comme si la voix autoritaire de leur chef les avait sortis de leur stupéfaction.
- Par la tour, allez ! Beugla Ralof en s'engageant dans les escaliers. Venez avec moi !
Je regardais le groupe des rebelles grimper les marches en courant en me demandant ce que ces gens avaient dans la cervelle pour être aussi bête. Monter au sommet de la tour était, à mon avis, le meilleur moyen de se faire repérer et dévorer par le dragon. Ce machin volait, et il nous repérerait immédiatement si nous avions la stupidité de nous pointer au sommet d'une tour.
L'espace d'un instant, j'envisageais de ne pas les suivre, puis je baissai les yeux sur mes mains toujours liées. Seule, je n'avais aucune chance. Je n'avais pas d'autre choix que de suivre la bande d'idiots qui allaient bêtement se suicider.
J'étais presque arrivée au premier étage quand le mur qui longeait le pallier explosa pour laisser passer l'immense tête du dragon. Son œil rougeoyant observa l'intérieur de la tour l'espace d'un instant avant de se reculer. Je rebroussais chemin dans les escaliers, craignant une seconde attaque. J'eus bien raison de faire demi-tour.
Un tourbillon de flamme transforma l'intérieur de la tour en une véritable fournaise, la chaleur des flammes était si forte qu'elle roussit mes sourcils et rendit l'air si brûlant que respirer devint un calvaire. Des hurlements de douleurs retentirent plus haut dans la tour, signe que les flammes avaient atteint leurs cibles.
La fournaise prit fin aussi vite qu'elle avait commencé et le dragon quitta la tour, laissant derrière lui un carnage à l'odeur de chaires brûlées.
Je m'avançais alors vers le trou béant, et observait la bête survoler Helgen en poussant un rugissement. Malgré le carnage qu'il laissait derrière lui, le dragon possédait une grâce et une beauté unique que je ne pus m'empêcher d'admirer. Puis, il cracha un nouveau jet de flamme et je me souvins qu'avant d'être une créature majestueuse, c'était surtout une machine de mort. Je baissai alors la tête et mon regard tomba sur une chaumière, dont le toit de paille avait été éventré, créant un accès au premier étage de la bicoque. Mon idée était folle et insensée, mais c'était de loin la meilleure occasion que je pourrais trouver pour sortir de cette tour où s'était propagée une terrible odeur de corps brûlés.
J'avisais la distance qui séparait la tour de la maison et jugeait que le saut était facilement faisable. Le plus dur serait de ne pas me jeter dans les flammes qui dévoraient le toit de paille et, surtout, de ne pas perdre l'équilibre à cause de mes poignets liés. Je reculais pour sauter, collant presque mon dos au mur carbonisé de l'escalier.
J'inspirais une goulée d'air vicié et bondis.
Mes pieds battirent l'air un instant, et l'angoisse de plonger tête la première dans les flammes (ou de m'écraser comme une crêpe au bas de la tour) fit tambouriner mon cœur. Je me retins de justesse de fermer les yeux. Le tout ne dura que quelques secondes, puis mes pieds percutèrent durement le plancher de la chaumière. Un soupir de soulagement m'échappa.
Mais je n'avais pas le temps de rester traîner. Le feu avait commencé à attaquer les poutres qui soutenaient la charpente. Je n'avais pas échappé aux flammes d'un dragon pour me faire bêtement écrasée par un toit. Je me précipitais vers les escaliers, les descendis à toute vitesse en manquant de me briser le cou, et sorti de la maison en courant. À peine avais-je posé le pied sur le chemin de terre qui longeait la maison que le toit de celle-ci s'affaissa dans un craquement de fin du monde.
Je l'avais échappée belle.
Je repris ma route en longeant les bâtiments, presque pliée en deux et mes mains liées ramenées contre mon cœur. J'aurais aimé pouvoir me défaire de ces stupides liens, mais la seule arme que j'avais trouver consistait en un morceau de bois arraché à une maison calcinée. C'était ridicule, et cela n'arrêterait pas un dragon, mais son poids dans ma main avait quelque chose de rassurant.
Au détour d'une maison, je tombais nez à nez avec deux soldats de l'Empire et un petit garçon – celui que j'avais vu en arrivant à Helgen. Si l'un des soldats m'était parfaitement inconnu, je reconnus le second sans mal. C'était Yeux-Rouillés.
Il me lança un regard vaguement méprisant.
- Alors comme ça, vous êtes toujours en vie, me dit-il. Vous feriez mieux de rester prêt de moi si vous voulez que ça continue.
Je lui lançais un regard noir. De quel droit exactement se permettait-il de me parler comme ça ?
- Je peux me débrouiller toute seule, je vous remercie, rétorquais-je.
Il émit un ricanement sarcastique et désigna mes mains entravées, ainsi que le bout de bois noirci que je trimbalais.
- C'est sûr qu'avec cet attirail, le dragon n'a qu'à bien se tenir, ironisa-t-il. Tendez vos mains, ordonna-t-il ensuite.
Il avait sorti un petit poignard de sa botte que je regardais avec méfiance. Yeux-Rouillés s'en rendit compte et leva les yeux au ciel.
- Je veux juste trancher vos liens, dit-il, vous ne nous serez d'aucune aide comme ça.
- Hadvar ! s'indigna le second soldat. Tu ne compte quand même pas faire ça ! C'est une Sombrage, on ne peut pas lui faire confiance.
Pendant que l'homme parlait, j'avais tendu les bras et Yeux-Rouillés – ou Hadvar, apparemment – avait tranché le lien de cuir. Il se tourna alors vers son camarade tout en rangeant son couteau à sa place.
- Son nom n'était pas sur la liste, Srom, répondit-il avec calme. Je ne sais pas pourquoi elle a été arrêtée, mais je doute qu'elle appartienne à la rébellion. De toute façon, ça n'a aucune importance maintenant. Ce qui compte, c'est de trouver un moyen de se tirer d'ici vivant.
J'étais bien d'accord. Seulement, nous étions quatre, immobiles au milieu d'un enfer de flammes et de ruines, et cela ne me semblait pas une technique de survie très pertinente.
- Il faut qu'on se sépare, dis-je, coupant court à la dispute qui couvait entre les deux hommes. Ensemble, nous sommes trop facilement repérable.
- Vous avez raison, approuva Hadvar en hochant la tête. Séparons-nous en deux groupes de deux. Srom, prend le petit avec toi et aller vers l'Est. Nous irons vers l'Ouest.
Ce n'était pas exactement ce que j'avais envisager. Moi, je pensais plutôt à partir de mon côté et les laisser tous les trois se débrouiller. Seulement, Hadvar ne semblait pas voir les choses sous cet angle. J'allais ouvrir la bouche pour protester quand je réalisais que lui avait des armes là où je n'avais qu'un ridicule bout de bois à moitié brûlé. Cette histoire de duo n'était peut-être pas une si mauvaise idée, finalement.
Srom hocha la tête en signe d'assentiment et posa la main sur la tête du petit garçon, qui pleurait en silence. Il avait dû perdre ses parents dans la confusion, et devait les penser morts – s'ils ne l'étaient pas vraiment. Srom prit le petit garçon sur son dos.
- Que les dieux vous bénisse, murmura-t-il à notre intention avant de se détourner et de partir vers l'Est en longeant les murs de pierres et les bâtiments, utilisant leur ombre comme protection.
Hadvar et moi nous tournâmes vers l'Ouest et il me désigna un grand bâtiment au sommet du quel flottait un drapeau de l'Empire.
- C'est notre objectif, m'expliqua-t-il. Si nous parvenons à le rejoindre, nous sommes presque sauvés. Il y a tout un réseau de passages souterrains, sous Helgen, et on ne peut y accéder que par la caserne. Peut-être que l'un d'entre eux nous permettra de quitter la ville.
- Très bien, répondis-je avant de prendre une grande inspiration. Allons-y.
Et nous partîmes en avant, courbés en deux, évoluant dans les ombres des maisons en ruines, évitant de notre mieux de marcher sur les nombreux cadavres qui jonchaient le sol. L'odeur qui émanait d'eux était abominable et me donnait la nausée. Devant moi, Hadvar ne semblait pas en mener large non plus. Je le vis réprimer de nombreux haut-le-cœur et, plus d'une fois, il dût plaquer une main contre sa bouche pour ne pas vomir. À chaque fois que le dragon nous survolait, nous nous plaquions au sol et ne bougions plus, essayant de nous fondre dans la masse des cadavres.
Il nous fallut vingt bonnes minutes pour atteindre la cour de la caserne, où nous recroisâmes une vieille connaissance : Ralof. Lui aussi avait survécu, même s'il semblait avoir connu des jours meilleurs. Ses vêtements étaient percés de trous fumants, une vilaine balafre lui déchirait le bras droit et il se dégageait de lui une odeur de poils brûlés.
- Ralof ! Hurla Hadvar avec colère. Espèce de traître !
Ralof se retourna vivement vers nous. Son expression de surprise se mua aussitôt en une moue moqueuse.
- On s'enfuit, Hadvar, tu ne peux pas nous arrêter, dit-il d'un air sarcastique. Et tu ferais mieux d'en faire autant. Laisse tomber cette Impériale et sauve ta peau. Elle est aussi bien morte, celle-là. Ça en fera toujours une de moins.
Si Hadvar fut choqué par ses propos, il n'en montra rien. De mon côté, la réaction de Ralof m'indignait. À Bruma, Impériaux et Nordiques vivaient les uns sur les autres dans une entente très cordiale. Bien sûr, chaque partie prônait son identité ethnique, et des conflits culturels éclataient parfois. Mais, dans l'ensemble, tout ce petit monde vivait très bien ensemble. La haine avec laquelle Ralof avait craché le mot Impériale m'avait prise au dépourvue. Si tout les nordiques étaient comme eux, mon séjour en Bordeciel serait compliqué – si je survivais à aujourd'hui, bien sûr.
- Comme tu veux, soupira Hadvar. J'espère que ce dragon vous enverra tous à Sorengard.
Et sans plus s'intéresser à Ralof, il m'attrapa par le bras et me tira derrière lui jusqu'à une immense porte en bois à l'air très solide. Nous la franchîmes et débouchâmes dans une vaste salle remplies de tables et de chaises, ainsi que de quelques coffres, d'étagères et de râteliers où les soldats pouvaient disposer leurs armes. Les rugissements du dragon et les hurlements de détresse cessèrent au moment où il referma la porte. Le silence soudain me donna le vertige et je m'appuyais contre une des colonnes de bois qui aidaient à soutenir le poids de l'étage supérieur.
Sur des tables, des gobelets encore pleins avaient été abandonnés, ainsi que des assiettes à peine entamé et des parties de cartes inachevées. Certaines chaises avaient été renversées dans la paniques et des verres de bière avaient vidé leur contenue sur le sol de pierre. L'endroit était désert et tout les râteliers étaient vides.
- On dirait que nous sommes les seuls à nous en être sortis, murmura Hadvar après avoir barricadé la porte.
Dans le silence de la pièce, son murmure résonna comme un hurlement. Il s'avança et s'assit lourdement sur une chaise. Il marmonnait des choses dans sa barbes, mais seuls des bribes de phrases me parvenaient. Il était question de dragon, de légende et de tout un tas d'autres trucs. Je décidais de le laisser reprendre ses esprits seul et me mit à farfouiller un peu partout dans la salle, à la recherche d'objets qui pourraient me servir.
Je trouvais des baumes contre les brûlures sur une étagère, ainsi que des bandages et des potion de soin. Dans un coffre, je dégotais une besace en cuir solide dans laquelle je fourrais mes trouvailles. Je mis également la main sur un plastron impériale et une paire de botte en cuir légère mais solide.
J'enfilais d'abord les bottes, trop heureuse de pouvoir enfin mettre mes pieds meurtris par la dernière demi-heure que j'avais passé à crapahuter dans une ville en flamme à l'abri. Je fus par contre incapable de comprendre comment enfiler le plastron, et Hadvar (qui était entre temps revenu de ses émotions) m'aida à l'enfiler en retenant difficilement un sourire moqueur. Vexée, je lui mis (malencontreusement, cela va de soi) un coup de coude dans les côtes.
Il me renvoya un regard noir avant de me tendre une épée qu'il avait trouvé dans la réserve attenante. J'hésitais un instant avant de la prendre. Je n'avais jamais tenu d'épée de ma vie, et je ne saurais donc pas m'en servir si le besoin s'en faisait sentir. En même temps, ce serait toujours plus efficace que mon stupide bout de bois.
Quand j'eus l'épée en main, je fus surprise par son poids et m'éloignais un peu de Hadvar pour tenter quelques moulinets.
- Tu n'as jamais tenu une épée de ta vie, je me trompe ? Me demanda soudain Hadvar en me voyant secouer mon épée dans tous les sens comme un bébé secouerait un hochet.
- Non, admis-je en baissant mon bras. C'est si mauvais que ça ?
Il sourit avec amusement.
- Tu ne la tiens pas bien, expliqua-t-il en s'approchant pour modifier ma prise. Ce n'est pas avec ton poignet que tu dois manier l'épée, mais avec ton bras tout entier. Comme ceci.
Tout en parlant, il avait bloqué mon poignet et fait faire un grand mouvement à mon bras. Il s'éloigna ensuite et me laissa essayé par moi-même. Je fis comme il me le dit et je dus reconnaître que c'était bien plus facile. L'épée paraissait moins lourde et mes mouvements étaient plus fluides.
Hadvar eut un hochement de tête satisfait.
- Parfait, dit-il. Mais on ferait mieux de partir.
Il avait raison. Pour l'instant, le dragon ne semblait pas s'intéresser à la caserne, mais jusqu'à combien de temps ? Je rangeai ma toute nouvelle épée dans son fourreau et l'attachait à ma taille. Je passais ensuite ma besace en bandoulière et emboîtait le pas à Hadvar.
Ce dernier ouvrit une porte derrière laquelle se cachait des escaliers. Nous les descendîmes et arrivâmes dans un couloir sombre qui sentait le renfermé et l'humide. Tout au bout, une herse bloquait l'accès à la pièce suivante.
Quelque part, ce n'était pas plus mal car, de l'autre côté, se trouvait un groupe de Sombrage en pleine discussion. Hadvar et moi nous réfugiâmes dans l'ombre pour les épier. Ils semblaient débattre de la route à suivre, et je reconnus la voix de Ralof dans le lot.
- Ulfric s'en sortira, disait-il. Rien ne peut l'abattre, même pas un dragon. Ce qui importe maintenant, c'est de trouver un moyen de quitter cette ville de malheur.
- On voudrait bien, lui rétorqua un de ses compagnons. Mais notre seule porte de sortie est verrouillée, et à moins que tu ne te sois découvert un talent pour le crochetage, on est coincés ici.
- On peut essayer de rebrousser chemin et prendre l'autre voie, proposa un troisième. Les autres auront peut-être eu plus de chance. Et puis franchement, on va pas rester camper là, si ?
J'étais assez d'accord avec le troisième homme. S'ils pouvaient partir d'ici, que nous puissions continuer à avancer sans avoir à nous battre, je leur en serait reconnaissante. Je ne me sentais pas capable d'affronter ces Sombrages, ni qui que ce soit d'autre d'ailleurs.
Soudain, Hadvar, qui était resté immobile à mes côtés jusque maintenant, se mit en mouvement et s'avança dans la lumière diffuse qui passait à travers la herse. Les Sombrages le virent immédiatement et le bruit des lames qu'on sortait de leur fourreau fut presque étouffé par celui de leurs exclamations furieuses :
- Qui va là ? Beugla Ralof.
Hadvar se tenait droit devant eux, de l'autre côté de la herse, les mains levées en signe de paix. Je me demandais un instant s'il n'avait pas perdu la tête.
- C'est moi, répondit-il. Je ne suis pas là pour me battre. Je vous propose un marché.
Il y eut d'abord un silence puis Ralof finit par prendre la parole :
- Quel genre de marché ?
- Le genre qui permette à tout le monde de survivre, expliqua Hadvar. Pour l'instant, nous avons un seul ennemi commun, et c'est ce dragon. Je suggère donc que nous fassions une trêve jusqu'à ce que nous ayons échappé à cette ville.
Un autre silence suivit sa déclaration.
- Tu es seul ? Demanda finalement Ralof. Ta petite Impériale t'a lâché ? Ou, encore mieux, tu m'as finalement écouté et tu lui as planté ton épée dans le cœur ?
Je m'avançais à mon tour et me plaçais à côté de Hadvar, qui me fit une place dans la lumière qui passait à travers la herse. Je l'aimais de moins en moins, ce Ralof.
- Je ne suis pas sa petite Impériale, dis-je froidement.
Ralof me lança un regard de pur dégoût et cracha parterre.
- Je ne fais pas de trêve si elle est là, Hadvar, cracha-t-il avec colère. Fais ton choix. Ton peuple, ou cette pimbêche.
Hadvar poussa un soupir et il posa une main apaisante sur mon épaule alors que je me tendais comme la corde d'un arc.
- Ralof, ne sois pas ridicule, le morigéna-t-il. Elle est logée à la même enseigne que nous et, Impériale ou pas, elle mérite une chance de survivre autant que les autres.
- C'est marrant que tu dise ça, ironisa le blond, sachant qu'i peine une heure, tu allais lui trancher la tête.
- J'obéissais aux ordres, se défendit (très mal) Hadvar. Alors, faisons-nous une trêve, oui ou non ?
Les trois Sombrages hésitèrent un instant, puis décidèrent qu'un conciliabule s'imposait. Ils se réunirent en cercle et chuchotèrent quelques minutes. Finalement, Ralof revint vers nous et nous annonça qu'ils acceptaient la proposition d'Hadvar. Celui-ci se détendit et tira sur une chaîne qui pendait près de ma tête. La herse se souleva alors et ouvrit le passage entre les deux pièces.
Je dû bondir en arrière aussitôt, lorsque la hache d'un des Sombrages s'abattit sur moi. Je poussai un juron et dégainait mon épée tandis que Hadvar, bien plus leste que moi, décapitait l'homme à la hache.
- Ralof ! s'indigna Hadvar, furieux.
Celui-ci était resté en retrait, visiblement surpris. Il n'avait pas prévu le revirement de ses deux coéquipiers, ou, en tout cas, le cachait très bien. Le deuxième homme, d'ailleurs, s'était jeté sur moi avec son épée, et je parai le coup de justesse. Je me rappelai ce que m'avait dit Hadvar : c'était le bras qui maniait l'épée.
Je fis alors un grand mouvement du bras et parvins, par un gros coup de chance, à désarçonné mon adversaire. Celui-ci n'eut pas le temps de se reprendre que je lui plantais mon épée dans le ventre. Je sentis la chair et les organes céder sous la pression, puis observait le sang jaillir de la plaie, s'écouler le long de la lame et goutter sur le sol. L'homme avait baissé les yeux sur mon épée et agrippé la lame d'une main. Je la retirais, et il s'affaissa.
Les souvenirs s'imposèrent à moi avec la force d'un marteau. L'épée devint un couteau de cuisine, le couloir souterrain devint la cuisine de l'orphelinat et l'homme parterre prit le visage d'un autre. J'avais tué un autre homme.
Il me fallut un moment pour revenir à la réalité. Je devais reconnaître que les hurlements furieux de Hadvar aidaient un peu. Il donnait de violents coups d'épée vers Ralof, et celui-ci paraît difficilement et ne cessait de reculer. Je ne savais pas bien ce qui avait pu déclencher une telle colère de la part d'Hadvar, mais il semblait bien décidé à tailler le blond en pièce. Personnellement, ça ne m'aurait pas spécialement dérangée. Ralof était un abruti et, à mon sens, sa disparition ne ferait que rendre service à l'humanité. Seulement, Hadvar semblait le connaître et, dans une certaine mesure, l'apprécier. Le tuer ne lui apporterait probablement rien de bon.
Je m'approchais alors de Ralof dans son dos et agrippai fermement le fourreau de mon épée avant de le lui abattre sur la tête. Le blond s'écroula au sol et Hadvar cessa ses attaques pour me dévisager avec surprise.
- Quoi ? Dis-je en haussant les épaules. On va pas s'attarder ici éternellement, si ?
Il baissa son épée en me lançant un regard furieux :
- Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas laissé le tuer ? Demanda-t-il, les dents serrés.
- Parce que tu n'en as pas vraiment envie, rétorquais-je. Et parce qu'il faut toujours qu'on se tire d'ici. Est-ce qu'il faut qu'on le prenne avec nous ?
Hadvar baissa les yeux sur l'homme inconscient et sembla réfléchir à la question quelques secondes. Puis, il secoua la tête :
- Non, décréta-t-il. Il reste un traître, et moi un soldat de l'Empire. Laissons les dieux décidé de son sort.
Il rengaina son épée, fit les poches des deux hommes morts et repris sa route sans un regard vers Ralof. Je lui emboîtais le pas en me demandant ce qu'il y avait entre ces deux-là.
Nous n'avions pas fait dix mètres dans le couloir suivant qu'une partie du plafond manqua nous tomber sur la tête, en même temps qu'une patte de dragon passait par le trou. Le chemin que Hadvar avait voulu prendre ne nous était plus accessible et nous dûmes passer par une pièce que j'aurais préféré ne pas avoir à visité : la salle de torture.
L'endroit puait la mort et les excréments, des cages de fer longeaient le mur du fond et je repérai des squelettes dans certaines d'entre elles. Deux hommes encapuchonnés se trouvaient là et ils étaient tous les deux aux prises avec des Sombrages. Hadvar n'hésita pas une seconde à se jeter dans la mêlée mais moi, de mon côté, je jouais la carte de la prudence et restait sagement dans mon coin, épée au poing, prête à me défendre si on m'attaquait.
Manque de chance pour moi, l'une des Sombrages repéra très vite la cible facile que je représentais et se jeta sur moi, épée brandie. Je parai son coup de justesse, bondit sur le côté lorsqu'elle tenta une feinte et, dans un réflexe incroyable, je lui plantais mon épée dans la cuisse, tranchant l'artère principale. La fille tomba au sol et commença à se vider de son sang. Je ne m'attardai pas pour la regarder.
Une fois que tout les Sombrages furent éliminer, les deux hommes encapuchonnés se tournèrent vers mon compagnon d'infortune :
- Hadvar ! s'exclama l'un des deux. Mais qu'est-ce qui ce passe, à la fin ? D'où sorte tous ces Sombrages ?
- Un dragon attaque Helgen, répondit Hadvar. Il faut fuir !
- Un dragon ? Répéta l'homme d'un air sceptique. Mais les dragons ont disparu depuis des siècles ! Tu racontes n'importe quoi.
- Mais c'est vrai ! s'indigna Hadvar. Il a débarqué et mit le feu à la ville. Il ne reste plus rien.
- Rentre chez toi et dors un bon coup, Hadvar, lui conseilla un des hommes. Tu as besoin de repos, je pense.
Hadvar ouvrait la bouche pour protester, mais sembla finalement changer d'avis et se tourna vers moi :
- Viens, on continue. S'ils veulent mourir, c'est leur problème.
Et il partit d'un pas décidé. Je le suivis en rengainant mon épée. Nous pénétrâmes dans un nouveau couloir qui descendait cette fois-ci, et nous le suivîmes dix bonnes minutes. Nous débouchâmes sur une grotte, traversée par une rivière et aménagée d'un pont et de balustrades.
Là aussi, des Sombrages et des soldats impériaux se battaient. Une nouvelle fois, Hadvar n'hésita pas une seconde à foncer dans la mêlée pour prêter main forte à ses camarades. Moi, j'appliquais la même technique que la dernière fois : je me mis dans un coin et observais le combat, mon épée fermement serrée dans ma main.
Soudain, l'archer qui avait pour mission de couvrir ses alliés s'écroula, une flèche plantée dans l'œil droit. J'hésitais quelques secondes avant de me précipiter jusqu'à lui et de récupérer son arc et ses flèches. Je passais le carquois sur mon dos et brandi l'arc. J'encochais une flèche, tendis la corde jusqu'à ma joue et visai l'un des Sombrage qui s'apprêtait à attaquer Hadvar dans le dos. La flèche partit et se planta dans le dos du rebelle.
Je n'avais pas perdue la main.
J'avais déjà tirer à l'arc, il y a longtemps. C'était pendant l'été de mes onze ans. Un voyageur de passage s'entraînait sur des arbres un après-midi, et j'avais passé plus d'une heure à le regarder faire. Voyant que ça m'intéressait, il m'avait proposé d'essayer.
Au départ, j'avais été très nulle. Le vagabond avait pris le temps de m'expliquer, de me corriger et m'avait aidé à m'améliorer. Il m'avait dit de revenir le lendemain, pour qu'on continue de pratiquer. J'avais accepté avec joie et j'étais revenue. Ça n'avait duré que deux semaines, jusqu'à ce qu'il reprenne la route, mais en deux semaines j'avais très vite appris et je me débrouillais correctement.
Très honnêtement, avant aujourd'hui, je n'aurais jamais cru que cet entraînement me servirait un jour. Et pourtant, j'étais là, debout au milieu d'une grotte souterraine, à planter des hommes qui n'essayaient, sommes toutes, que de sauver leur peau.
Très vite, les Sombrages furent tous abattus, mais il ne restaient plus qu'une poignée de soldats impériaux. Ceux-ci discutaient avec Hadvar, j'en profitais pour faire les poches des Sombrages. Si jamais je parvenais à sortir vivante de cette galère, j'aurais besoin d'argent. Je réunis quelques pièces d'or que je fourrais dans ma besace. Je décidais également de garder l'arc et récupérais d'autres flèches pour les ajouter à mon carquois.
Voyant que Hadvar ne semblait pas décidé à avancer, je pris la décision de partir sans lui. J'étais armée, à présent, et j'avais trouvé de quoi survivre pour quelques temps dans les poches des Sombrages. Je n'avais plus besoin de lui.
J'allais m'engager sur un pont levis qui traversait une falaise lorsque la voix de Hadvar retentit derrière moi :
- Mona !
Je me retournais et lui adressais un regard inquisiteur.
- Où vas-tu ? Me demanda-t-il une fois arriver à mon niveau.
- Je ne sais pas. Vers une sortie quelconque, j'espère.
Il rit.
- Certes, mais pourquoi ne nous as-tu pas attendu ?
- Et pourquoi faire ? Répondis-je en haussant un sourcil. Maintenant que tu as retrouvé tes copains soldats, c'est mieux que l'Impériale disparaisse, non ?
Il soupira en secouant la tête.
- Je n'ai rien contre les impériaux, tu sais ? Si c'était le cas, je ne porterais pas cette armure.
Je dû lui concéder ce point. Un soldat impériale qui déteste les Impériaux, ça ressemble presque au début d'une mauvaise blague. N'empêche, le discours de Ralof m'était resté en travers de la gorge. Je me détournais de lui et désignai l'autre bout du pont-levis :
- A ton avis, où mène cet endroit ?
- Je ne sais pas, admit-il. Il me semble que l'on se dirige vers le Nord-Ouest, mais avec tous ces tours et ces virages, je ne sais plus trop dans quelle direction nous allons.
Je hochais la tête en signe d'assentiment et fis la moue. Puis, comme il fallait bien prendre une décision à un moment ou un autre, je m'engageai sur le pont-levis. Hadvar m'emboîta le pas.
- Tu n'attends pas tes camarades ? Lui demandais-je alors que nous avancions prudemment sur le pont, qui me paraissait tout sauf solide.
- Non, ils sauront se débrouiller sans moi.
- Tu insinue que je ne pourrais pas, moi ?
- Tu sais à peine tenir une épée, répondit-il, moqueur.
- Je ne sais peut-être pas manier l'épée aussi bien que toi, rétorquais-je, vexée, mais je sais me servir d'un arc, au cas où cela t'aurait échappé.
Il sourit.
- Ça ne m'a pas échappé. Je te dois des remerciements, d'ailleurs. Sans toi, ce maudit Sombrage aurait eu ma peau.
- De rien, lui dis-je. Alors, lequel de nous deux ne peut pas s'en sortir tout seul ? Le narguais-je.
Il leva les yeux au ciel et me donna une bourrade amicale.
Nous étions arrivés au bout du pont et nous retrouvâmes la terre ferme avec soulagement. Plus nous avancions sur le pont, moins il nous paraissait fiable.
Nous étions arrivés dans une nouvelle grotte, bien plus grande que la première et beaucoup plus haute de plafond. Des plantes avaient poussés de-ci de-là, et le bruit d'une rivière me parvenait. Nous nous trouvions sur un promontoire en pente douce. Je m'avançais jusqu'au bord pour observer un peu mieux les environs quand un bruit terrible me fit sursauter. Je me retournais brusquement mais j'eus tout juste le temps de voir le pont-levis se disloquer et tomber au fond du ravin.
Hadvar, qui était resté un peu en retrait, s'était approché du bord et essayait de percer les ténèbres du ravin.
- Bon, eh bien je pense que les autres n'ont plus qu'à trouver un autre chemin, dis-je en me postant près de lui.
Hadvar hocha la tête et communiqua par signe avec les autres rescapés restés coincés de l'autre côté. Ceux-ci semblèrent comprendre le message car ils rebroussèrent chemin. Hadvar et moi nous retournâmes et nous engageâmes dans l'immense grotte. Très vite, elle se mit à diminuer pour ne devenir qu'un étroit passage au milieu duquel glougloutait joyeusement une rivière.
C'était très bon signe pour nous car les rivières rejoignent toujours l'extérieur à un moment où un autre. Seulement, au détour d'un virage, la rivière passait sous un éboulement rocheux, inaccessible pour nous. À notre droite, un boyau semblait contourner l'obstacle. Nous nous y engageâmes prudemment car, à l'entrée du chemin, nous trouvâmes un squelette. En général, ce genre de trouvaille n'augure rien de bon pour la suite.
Le boyau était étroit et descendait en pente raide. Nous ne mîmes pas longtemps à tomber sur une nouvelle grotte, immense elle aussi, à la végétation luxuriante et à la lumière bleue fluorescente. Il devait y avoir des vers fluorescent au plafond qui diffusaient leur lumière. L'endroit était vraiment très beau, et très agréable, si ce n'était qu'il était habité par une famille de Givrepeire qui n'eurent pas l'air d'apprécier notre petite intrusion. Elles nous attaquèrent alors que nous mettions à peine un pied dans la pièce, nous prenant tous les deux par surprise.
Heureusement pour nous, il s'agissait de très jeunes spécimens, et leur mère n'avait pas l'air d'être dans les parages. Les tuer ne nous demanda pas beaucoup de travail, même si je manquais de justesse de me faire mordre. Ce qui, sachant que les crocs des Givrépeire étaient empoisonnés, aurait été fâcheux.
Une fois que nous eûmes traversé la grotte, nous retrouvâmes la rivière qui débouchait dans une autre grotte toute en longueur et dont le plafond était soutenu par d'immense pilier en pierre naturels. Seulement, là aussi un nouvel obstacle nous attendait : un gigantesque ours brun dormait au beau milieu de la grotte, couché sur un tapis de mousse.
Hadvar et moi étions épuisés, blessés et en avions assez de nous battre contre tous et tout le monde. C'est pourquoi nous décidâmes de faire profil bas et de contourner l'ours. Je dégainais néanmoins mon arc et gardait prudemment un œil sur la bête tout en prenant bien soin de ne faire aucun bruit. Nous avancions si lentement qu'il nous fallut cinq bonnes minutes pour traverser la rivière, il nous en fallut dix de plus pour contourner l'ours et atteindre l'autre bout de la grotte, d'où provenait un courant d'air frais.
Mon cœur s'accéléra alors que le courant d'air se faisait de plus en plus fort, et qu'une lumière blanche m'éblouissait. Le chemin se fit pentu et le froid mordant du nord m'attaqua, me faisant frissonner.
Lorsque j'atteignis finalement l'extérieur, très vite rejointe par Hadvar, je pris une grande goulée d'air frais et pur.
J'étais toujours vivante.
Voilà, en espérant des remarques positives de votre part, chers lecteurs !
A dans un mois.
Biz.
