L'asari rit doucement tandis que sa cliente se lève, envoie l'argent, puis sort du bar d'un pas incertain. Elle se perd dans les rues d'Oméga. Lire un plan dans son état s'avère extrêmement compliqué. A un moment, fatiguée, elle décide de s'arrêter, trouver un endroit ou se poser, fumer une cigarette, finir sa bière… Elle trouve, au bout d'une rue, une vue incroyable de la station. Elle s'assoit sur le muret qui longe le vide et se lance dans l'observation des tours qui forment le cœur d'Oméga. Il y a une certaine beauté dans cet amas de métal et d'acier, de tubes et de vitres, le tout teinté d'ezo, de fumée et d'air vicié…

Elle fume sa cigarette et pense à la conversation avec Aria. Il faut qu'elle parle au doc. Qu'elle lui fasse comprendre qu'il ne doit rien dire, à personne. Déjà trop de gens savent. Et Liara… Liara est le putain de Courtier de l'ombre. Elle ne peut pas risquer que l'information lui arrive comme ça. Si Liara doit savoir un jour, ce sera par elle, dans ses termes, au moment de son choix. Pas autrement. Alors qu'elle lutte contre des larmes qui se pressent au bord de ses yeux, elle entend des pas, juste à sa gauche. Sa main va d'instinct au pistolet à sa ceinture. Elle ne bouge pas, ne respire plus, elle attend que la personne fasse un mouvement. Elle entend un petit raclement de gorge. La personne ne semble pas hostile. Shepard se retourne doucement et, à sa surprise, tombe sur une adolescente humaine au sourire incroyable. La gamine doit voir son étonnement parce qu'elle lui dit tout de suite, dans un déluge très rapide de mots :

« Je vous ai suivie. Pardon… Je vous ai vu à l'Afterlife. Je voulais vous parler là-bas, mais la barman… Elle m'aurait virée… Bref. Je voulais me présenter. Moi c'est Alia. Et je suis une grande fan de vous…

- Pardon, quoi? Une grande fan ? Tu crois que je suis qui, Alia ?

- Vous êtes Shepard ! Au début, j'ai eu des doutes. Mais quand vous êtes montée voir Aria, j'ai su. Aria ne parle pas à n'importe quel mercenaire qui boit dans son bar.

- Ce n'est pas… Tu te trompes, je t'assure. Moi c'est Whelps, et je ne suis rien. D'accord ?

- Il y a un peu moins de deux ans,je vous ai vue, plusieurs fois, avec des amis à vous. Enfin, je crois que c'était des amis… Ce qui m'avait marquée, c'était vos yeux. Ils brillaient, comme votre œil droit, maintenant. Et ils véhiculaient tellement de force et de rage. L'héroïne de la Citadelle. C'est vous. La sauveuse de la Galaxie.

- La bouchère de Bahak et Torfan… Ok, crevette, tu m'as eue. Assied-toi, et ne dis pas mon nom trop fort. Mieux, appelle moi Whelps, ok ?

L'adolescente se met à sourire encore plus qu'avant puis s'assoit près de Shepard. Les deux se retrouvent à regarder le vide, les jambes se balançant doucement.

- Alors, pourquoi tout ce secret ? Les nouvelles disaient que vous étiez morte. Que vous avez sauvé la galaxie en envoyant cette incroyable vague rouge qui a détruit les moissonneurs.

- J'ai mis à feu le Creuset, oui, c'est ça qui a mis fin à tout ça. Mais j'étais pas seule. Beaucoup sont morts pour qu'on survive…

- Je sais. Quand Cerberus était là, ma mère et moi, on s'est caché dans les anciennes canalisations de mon quartier. On a vu beaucoup de gens passer au dessus de nous, et mourir. Et puis j'ai entendu Aria. Je suis sortie et quand j'ai regardé l'écran, elle était en train de vous embrasser. Elle embrasse bien ? Aria ?

- Haha. Oui. Dire autre chose serait trop dangereux de toute façon. Je suis désolée que tu aies du vivre tout ça. J'aurais du venir plus tôt, Dégager Cerberus et leurs maudites expériences plus tôt.

- Faut pas être désolée. Je n'ai jamais connu qu'Oméga… Vous croyez que je n'avais pas vu de morts avant ça ?

- C'est vrai. Pardon… Qu'est-ce que tu veux, Alia ? Un autographe, une… Pas de photo, ok ?

- Non, je veux rien de tout ça. Je vous ai suivi. Vous avez l'air perdu et triste. J'avais peur qu'il vous arrive quelque chose. Les gens tristes ne doivent pas rester seuls.

- Merci, c'est gentil. Mais t'inquiète pas. Tout va bien. Je vais bien.

- Rien qu'en vous regardant, on sait que ce n'est pas vrai. Vous pouvez me parler, vous savez. J'ai pas beaucoup d'amis, et ils me croiraient pas si je leur disais que j'ai papoté avec la femme la plus forte de toute la galaxie… Alors ?

- Je suis pas la femme la plus forte de toute la galaxie. Ou plus en tout cas. Je suis juste un vétéran qui a vu beaucoup trop de guerres et ne sait pas quoi faire maintenant… Tu vois ?

- Je peux comprendre. Vu votre état, vous avez du avoir très mal ? Est-ce que c'est toujours douloureux ? Et vos yeux, pourquoi ils sont comme ça ?

- C'est extrêmement douloureux, comme si mes nerfs étaient en feu, tout le temps. Qu'est-ce qu'il y a avec mes yeux ?

- L'œil gauche semble éteint, mort, et le droit, même si il brille rouge, je ne vois plus ce qu'on y voyait avant… Je ne sais pas si je me fais comprendre…

- L'œil gauche… Le dernier jour de la guerre, j'ai perdu cet œil, je ne sais pas trop comment. Et quant à ce qu'il n'y a plus dans mon regard… Je ne sais pas, crevette, peut-être que je m'éteins doucement… Au final, je suis à moitié synthétique…

- Crevette… Ça va, j'aime bien ce surnom. Vous parlez comme si vous n'aviez plus d'espoir. Je ne comprends pas… On a gagné la guerre, vous avez gagné. Vous devriez célébrer avec vos amis. Et pas être seule, à Oméga. De tous les endroits où être seul, c'est le pire.

- Je n'ai pas…. J'ai de l'espoir. Je suis heureuse qu'on ait réussi. Que les gens aient droit à un futur. C'est ce pour quoi je me battais, depuis toutes ces années. Mais je suis fatiguée. Je sais que si je retrouve mes amis, je retrouverai aussi mes responsabilités, mes échecs. Je suis un monstre. Et je suis trop fatiguée pour ça. Je ne veux plus…

L'adolescente observe la commandante, en silence, ses yeux parcourant les cicatrices du soldat. Enfin, elle reprend la parole :

- Et vos amis ? Vous ne pensez pas qu'ils sont tristes de vous avoir perdue ? Moi je l'étais, et je ne vous connaissais même pas. Toute la galaxie a pleuré pour son héroïne. J'ai même vu un vieux butarien, le jour de la fin de la guerre, pleurer. Ils doivent vous manquer. Ce doit être dur de souffrir autant et d'être si seule… Enfin, vous auriez pu rentrer avec l'asari du bar. Elle vous dévorait des yeux…

Shepard rit un peu et observe la jeune fille. Intelligente, observatrice, discrète et mature. Si elle arrive à partir d'Oméga, elle peut faire de grandes choses…

- Mes amis… Ils vont s'en remettre. Ils sont une grande famille, une famille de fous, mais une famille très soudée. Ils s'en sortiront. Et je sais que si l'un d'eux est dans la souffrance, les autres l'aideront. Et cette asari… Elle n'est pas l'asari que je voudrais voir…

- Ho… La sauveuse de la galaxie Shepard est amoureuse ? Voyez-vous ça… Parlez-moi d'elle ? C'est une asari, on est d'accord ?

- Oui. C'est une asari. La plus forte et la plus intelligente que je connaisse. Parfaite. Si tu voyais ses biotiques… Une pure merveille d'énergie noire. Et son visage… Son sourire…Sa voix.

- Wow… Vous l'avez dans la peau. Comment vous faites, pour résister à l'envie de lui parler, d'aller la retrouver ?

- Je pense à la douleur que ça a été pour elle de me perdre. A quel point c'était dur, pour elle, pendant la guerre, de me voir me dissoudre à chaque décision que je prenais, à chaque ami que je perdais, à chaque échec… Me voir comme je suis aujourd'hui, ça la détruirait. Je suis un monstre. Elle mérite une vie meilleure, elle mérite mieux que moi. Elle mérite de se reconstruire.

- Mouais… Je pense que ça devrait être son choix. Enfin, je dis pas… Je veux dire… C'est sa vie et si elle vous aime autant que vous l'aimez, alors prendre cette décision, sans lui en parler… Ne même pas lui faire savoir que vous êtes vivante… C'est cruel… Vous croyez pas ?

- Il faut que je rentre, crevette… Je dois… Merci pour la discussion. Maintenant, rentre chez toi, il est tard…dit Shepard en se levant d'un coup.

- Ok. Mais laissez-moi au moins vous accompagner. Vous ne marchez pas droit... »

Shepard s'arrête un instant. Se lever si vite a fait tourner le monde d'une façon qui crée le chaos dans l'estomac. Elle respire doucement. Les douleurs, comme des mains, s'agrippent à ses membres et commencent à serrer. Elle sort la boîte d'Hallex, prend un cachet, croise le regard soudainement triste d'Alia, et recommence à marcher. L'adolescente se met à ses côtés, lui attrape la main droite et adapte son pas à celui du soldat. Elles marchent en silence, les rues sont vides et sales, mais Alia s'en fiche. Elle observe souvent le commandant, inquiète de la voir si seule dans un monde si remplie de souffrance. Shepard finit par lui admettre qu'elle est complètement perdu, d'une toute petite voix, et avec une petite moue qui rend l'héroïne de la galaxie d'un coup beaucoup plus jeune. Alia décide à cet instant que son héroïne, en plus d'être effrayante, incroyable et talentueuse, est définitivement adorable. La crevette demande à sa nouvelle amie l'adresse et l'embarque dans un conglomérat de rues étroites. Le soldat est rapidement surpris que l'adresse donnée par Aria soit dans l'un des quartiers les plus riches et sécurisés d'Oméga. Elle n'y a jamais mis les pieds. Les bâtiments ressemblent un peu plus à ce qu'on peut trouver à Illium.

Elles arrivent finalement au pied d'une très grande tour. Alors que Shepard allait entrer, Alia la retient par la manche, son regard triste mais déterminé :

« Shep… Whelps, il faut pas prendre d'Hallex… C'est pire que le Red Sand… Ça va vous… Il faut…

Voyant la détresse sur le visage de l'adolescente, Shepard pose sa main sur sa joue et l'interrompt, plongeant son regard dans le sien :

- T'inquiète pas pour moi, ok ? C'est… C'est pour la douleur, c'est tout. Ok ? Tout ira bien…

Mentir à cette gamine détruit encore plus le peu qu'il lui reste de cœur, mais que peut-elle faire d'autre ?

- Si vous le dites, Sh… Whelps… Bonne nuit. »

Whelps regarde la gamine partir, l'écho de son cœur se pince à l'idée de se retrouver à nouveau seule. Elle a apprécié la conversation avec l'adolescente. Jusqu'au sujet qui fâche…

C'est peut-être parce que la crevette n'a pas tort, tu le sais très bien.

Elle tape le code de sécurité qu'Aria lui a confié et entre dans le bâtiment. Au comptoir, un galarien l'observe approché, le regard inquisiteur et le torse gonflé. Shepard lui dit qu'elle vient de la part d'Aria et l'alien lui remet immédiatement une carte d'accès en lui disant que tout est prêt et qu'en cas de problème, il suffit d'appeler. La montée en ascenseur est interminable et elle se met à sourire en se rappelant des conversations qu'avaient toujours Tali et Garrus dans les ascenseurs de la Citadelle… Tali lui manque… Est-ce qu'elle est déjà retournée à Rannoch ? Ça doit être incroyable, d'avoir à nouveau une planète où vivre… Tali… Elle aussi a du prendre mal la nouvelle. Mais elle a Garrus. Et tous les autres. Ils vont se soutenir… Ils vont s'entraider.