Shepard déambule, trébuche plutôt, dans les allées d'Oméga. Même visiblement très ivre, et défoncée, personne ne vient la déranger. Peut-être est-ce l'ordre d'Aria, qui a menacé quiconque toucherait l'humaine, sans que ce ne soit tendrement, de mort, ou peut-être que c'est l'aura de puissance que le Commandant dégage toujours, malgré tout. Son esprit est devenu complètement blanc. Plus de pensées, plus d'idées, juste une euphorie qui tend à la folie parfois. Son corps marche et elle avance. Des fois, elle change de direction, rentre dans quelqu'un, murmure des excuses ou des insultes, continue son chemin. Elle ne sait pas que de nombreuses paires d'yeux l'observent. Les caméras d'Aria, et ses fidèles agents de sécurité. Alia, qui la suit de loin, en pleurant doucement en voyant disparaître le Commandant, et un agent cagoulé, camouflé, du Courtier de l'ombre, qui observe et note les comportements étranges d'une étrange mercenaire, dans l'étrange station d'Oméga.
Alors qu'approche le soir, Shepard récupère un peu de lucidité, et avec ça, ressent la faim qui doit la tenailler depuis longtemps. Elle se dirige vers un stand de fastfood, commande un plat sans intérêt, mange sans même sentir le goût. Elle regarde le crépuscule artificiel prendre forme autour d'elle. Elle a toujours aimé les crépuscules. L'aube, quand on la voit, ce n'est pas bon signe, selon elle. Soit on n'a pas dormi, soit on a des choses à faire. Alors que le crépuscule… Elle se rappelle de nombreux moments où les crépuscules étaient agréables. Ces moments, sur Terre, quand ils regardaient le soleil se coucher alors qu'ils observaient la mer, à Marseille. Où sur cette planète où elle avait patrouillé une semaine. Le crépuscule était d'un violet à couper le souffle. Ou dans cette cabane, au milieu de la forêt, avec Liara. Allongées, nues, elles avaient regardé le soleil doucement se coucher. Elle se souvient de ce corps. Elle est en manque de ce corps. De cette âme. Et des fois, elle est sur le point de l'appeler, de tout lui expliquer. Et puis elle arrête tout mouvement. Regarde dans un miroir. Vois ce qu'elle est, au final. Elle n'est pas une femme. Elle est un monstre fabriqué par des monstres… Non Miranda n'est pas un monstre… Peu importe. Il fallait un monstre pour éradiquer tous les autres. C'est la seule raison qui fait qu'elle respire encore. Que son corps n'est pas avec ceux de son équipage, sur cette maudite planète glacée. Et Liara mérite mieux qu'un monstre. Liara mérite toute la Voix lactée.
C'est son omni qui la réveille d'un coup. Il est l'heure. Elle est déjà en retard, en fait. Elle presse le pas. Quoiqu'il arrive, elle est curieuse de savoir quelle genre de job Aria voudrait lui confier. La reine d'Oméga a une idée de son état, Shepard en est sûre, alors elle sait que ce job ne sera pas vraiment important pour la pirate. C'est ce qui l'intrigue le plus. Arrivée à l'Afterlife, elle se dirige directement vers l'escalier. Le garde lui fait signe de continuer et comme à chaque fois, elle souffre. Elle s'arrête entre deux marches et avale une dose d'Hallex, pour la route. En haut, elle trouve Aria debout contre la vitre à l'opposé de la pièce. Elle observe le spectre de bas en haut, et de son observation résulte un rictus de dégoût.
« Vous avez une sale gueule, Shepard. En vous voyant, j'hésite à vous donner ce job. Mais le fait que vous soyez venu, malgré la quantité stupide d'Hallex que vous ingérez par jour, ça force un peu le respect. Légèrement.
- Bonsoir à vous aussi, Aria. Que dois-je faire pour vous, milady ?
- J'aime quand on me respecte, Shepard. Continuez comme ça, et je vous laisserai peut-être embrasser mes bottes. Il y a trois butariens qui n'ont pas compris ma règle. Je veux que vous y alliez et que vous régliez leur compte.
- Trois butariens ? un de vos krogans pourrait faire ce job. Pourquoi moi ?
- Parce que je le demande. Parce que vous êtes sur ma station, vous dormez dans mon appartement, vous abusez de mes drogues. Voilà pourquoi, Shepard. C'est suffisant pour vous, ou dois-je vous mettre à terre ?
- Non, madame. Bien pris, madame », grogne Shepard avant de sortir du salon privé. Elle se sent comme au sein du gang, incapable de mouvements, incapable de refuser. Mais cette fois, c'est entièrement de sa faute. Alors elle va aller buter ces butariens et ensuite elle rentrera chez elle où elle pourra boire jusqu'à l'oubli.
L'adresse qu'Aria lui a donné l'amène jusqu'aux tréfonds d'Oméga, près des mines, des quartiers les plus pauvres de la station. Plus elle s'enfonce et plus elle voit de drogués comateux sur les trottoirs, de mendiants affamés, d'enfants en guenilles et l'air farouche. Elle se sent presque comme chez elle, là-bas, dans les bas-quartiers de Marseille. Au moins, à Marseille l'air était frais, et il y avait la mer. Ici, à part la station, c'est l'espace, mort, immense et froid.
Quand elle arrive près de la porte, elle lève son fusil à pompe. Par précaution, en chemin, elle a acheté à des gamins une petite dague, de la taille de sa main. Suffisante pour trancher une gorge, insuffisante si la victime est en armure. Elle pense au nombre de gorges qu'elle a tranché dans sa vie tandis qu'elle déverrouille doucement l'entrée. C'est comme une seconde nature, ce qu'elle fait. Hacker, l'arme à la main, l'esprit au meurtre, tout son arsenal à disposition, si jamais.
La porte s'ouvre dans un bruit de roulements hydrauliques. Le bruit plaît à Shepard, ça signale souvent le début d'une mission. D'un combat. Elle ne se rendait pas compte de combien cela lui avait manqué. Elle entre dans la pièce et ne voit personne. Dressant l'oreille, elle n'entend qu'un bruit régulier, comme des coups donnés contre un tuyau, quelque part, plus loin. Elle continue, toujours personne. Puis elle entend un son de conversation étouffé. Elle avance. Deux butariens parlent d'une prise. Drogue, esclave, cargaison ? Peu importe, ils sont bientôt morts. Shepard sort de l'ombre, les boucliers de ses ennemis sont déjà désactivés, et elle charge. Ses biotiques semblent si puissants. La sensation l'envoie à un niveau de plaisir qu'elle a rarement ressenti en plein combat. La nova qu'elle déploie est si satisfaisante. Les corps de ses cibles décollent, puis s'effondrent dans une violence telle qu'ils s'écrasent et s'éparpillent. Shepard inspire longuement, jouissant doucement de l'odeur d'ezo et de chair brûlée. C'est la seule chose qu'elle sait bien faire. Tuer. Elle continue à avancer. Le bruit contre les tuyaux s'est arrêté et elle entend un butarien, le dernier, normalement, grogner dans sa radio. Elle arrive à la porte et voit sa dernière cible. Cette dernière s'est cachée derrière deux enfants, un turien et une asari, attachés à un mur. Cette vision provoque une des pires réactions que Shepard ait pu ressentir de sa vie. Une vague de haine, d'envie de violence et de meurtre déferle en elle et c'est seulement pour le bien des enfants qu'elle canalise toute ces énergies. Elle regarde le butarien. Attend qu'il parle. Il ne dit rien. Ça veut dire qu'il attend du renfort et qu'il compte sur ses copains. Soit. Shepard ressort, claque la porte derrière elle et repart en arrière. Avant qu'elle arrive à l'entrée, elle entend. Une garnison, six hommes. Ça peut aller. Elle en a tué bien plus, seule dans le système de Bahak. Elle pioche une pilule d'Hallex, la gobe et se prépare. Un sourire aux lèvres. Je vais réduire ces personnes en cendres.
Dans une nuée d'énergie noire et de coups de fusil à pompe, les hommes sont terrassés. Couverte de sang, elle repart vers le dernier des butariens. Il est toujours derrière la chaise. Il tremble. Elle sourit. Prend le temps de détacher les enfants, de les emmener hors de la pièce et de leur dire de ne pas regarder, de ne pas écouter. Peu soucieuse qu'ils écoutent ou non, au final. Puis elle retourne vers le butarien. Il s'est relevé et essaie de faire quelque chose avec son omni. Celui-là n'est pas un soldat. C'est encore pire. Comment un gratte-papiers peut avoir l'esprit assez tordu pour enchaîner des enfants à un mur ? Et ce n'est qu'une des choses qu'ils font subir à ces enfants… Elle s'approche, attrape l'alien par le col de sa veste et l'oblige à s'agenouiller dans le coin de la pièce. Il sent la peur et la pisse. Elle sourit, d'un sourire qui ferait peur au plus aguerri des guerriers. Doucement, elle sort son couteau récemment acquis et le glisse au niveau des yeux du butarien. Il déglutit et tremble encore plus. Il vient de reconnaître qui est sa meurtrière. Il sait ce qui est arrivé à ses compatriotes de Torfan. Les yeux crevés. La peau du dos arrachée. Les os des extrémités lentement broyés. Et c'est ce qu'elle fait, doucement, au son des cris d'un butarien qui souffre la pire des souffrances, elle crève tous ses yeux. Puis, d'un lent mouvement, elle découpe ses vêtements, et, encore plus doucement, arrache la peau du supplicié, si doucement qu'il sent le mouvement avant la douleur. Et puis, probablement à cause du Hallex, elle s'arrête là. Comme blasée. D'un mouvement bref et efficace, elle tranche la gorge du butarien et le laisse là dans ses fluides.
Elle retrouve les enfants à l'extérieur. Ils ne semblent vraiment pas aller bien. Ne sachant pas où les emmener, elle les guide vers l'ancienne clinique de Mordin. Là, elle explique à l'assistant la situation, puis passe à la menace. Couverte de sang, sentant l'ezo, la sueur et divers autres odeurs, elle est si terrifiante que le docteur accepte totalement de ne jamais divulguer aucune information sur elle. Sentant le rush d'adrénaline de la mission accomplie l'envahir, elle part, le pas léger, l'esprit clair, et pourtant plein de pensées pour une fois. C'est ce qu'elle fait de mieux. Tuer. Et elle a sauvé deux gamins. L'idée la rend bien plus heureuse qu'elle ne le pensait. Elle doit aller à l'Afterlife, dire à Aria ce qu'il s'est passé. L'idée de voir la pirate l'excite un peu, et cette idée l'effraie aussi un peu.
Dans l'Afterlife, les gens se retourne à son passage. Elle doit vraiment être affreuse. Elle monte les marches sans même attendre l'aval du garde. En haut, Aria est assise sur un des canapés, un datapad à la main. Shepard avance un peu puis s'arrête. Elle respire fort, elle commence à avoir mal.
Aria arrête de lire et lève la tête. Ses yeux parcourt Shepard, de bas en haut, s'attardant sur des points qui n'ont rien à voir avec le travail.
« C'est comme ça que j'aime vous voir Shepard. Triomphante de vos ennemis, brillante dans leur sang. Vous êtes un soldat, un combattant. Pas une putain de droguée, bon sang. Vous voulez que je vous donne un job régulier ? Vous seriez heureuse comme ça ?
- Depuis quand la reine d'Oméga se soucie des états d'âme d'un de ses sujets, Milady ? Répond Whelps, le sourire aux lèvres, le cœur battant si fort qu'elle a l'impression qu'il pourrait briser sa cage thoracique.
- Ne jouez pas avec moi Shepard. Vous allez perdre. Et les perdants, dans mes jeux, ne vivent pas longtemps.
- Oh, donc vous espérez que je vive longtemps, très gentil de votre part, madame.
- Et vous, vous venez de me jurer allégeance sans même vous en apercevoir. Shepard, quand j'appelle, répondez. Et faites votre job. Et vous pourrez continuer à vous cacher dans ma station aussi longtemps que vous le voudrez. Partez, maintenant, vous m'ennuyez. »
Quand Shepard sort du salon privé, elle essaie de rejouer la conversation dans sa tête. Quand a-t-elle juré allégeance à Aria ? Merde, quand j'ai dit que j'étais un de ses sujets, évidemment. Quelle conne. Bon, c'est pas si grave, de toute façon, c'est pas faux, elle vit dans un appartement qui lui appartient, dans une station qui lui appartient, entourée de mercenaires qui lui appartiennent. Mais il y a d'autres choses qui ont transpiré de cet échange. Aria s'inquiète pour elle et veut qu'elle aille mieux. Qu'elle fasse ce pour quoi elle est faite. Et Aria a envie d'elle. Elle a vu les regards qui s'attardent. Elle a vu l'éclat de désir, de faim dans les yeux de la pirate quand elle est entrée. Et de cette information, Shepard ne sait pas du tout quoi en faire.
Elle s'arrête au bar et retrouve avec plaisir la jeune asari de l'autre soir. Celle-ci lui sert deux bières et un whisky, sans que rien ne lui soit demander, puis se penche vers Shepard :
« Alors, c'était comment, le Creeper ?
- Mauvaise expérience, mais très intense.
- Ho, désolée… Vous auriez du me laisser vous accompagner. Je sais rendre les choses douces, répond l'asari avec un clin d'oeil.
- Aucun doute là-dessus, mademoiselle, mais c'est mieux, je vous assure, que vous n'ayez pas été là. Quel est votre nom ?
- Si vous le dites, soldat… Moi c'est Kalena, et vous, ma belle ?
- Elie. C'est marqué sur mon front, que je suis soldat ?
- C'est tout votre être qui le dit. Barman, ça développe certaines qualités. Et à cet instant, on dirait que vous vous êtes douchée au sang de butarien. Chérie, les douches, c'est à l'eau, et à l'eau uniquement, rétorque-t-elle, clin d'œil et sourire satisfait.
- Ho, j'avais oublié… Ce détail. Je crois qu'il faut que je rentre chez moi. Merci pour le verre et les conseils, Kal, Faites attention à vous.
- Vous aussi, doux soldat. »
Shepard rit au sobriquet. Cette fille est intéressante. Charmante. Elle se rend compte qu'à part Alia, et ça fait quelques jours qu'elle ne l'a plus revue, les seules personnes à qui elles parlent sont asaris… J'ai toujours eu un faible pour le bleu.Le chemin de retour est vide, comme l'esprit du soldat. Elle se sent observée mais ne parvient pas à repérer le traqueur. Finit par se dire que se doit être le système de surveillance d'Aria qui la rend nerveuse. Elle a repéré quelques caméras, déjà. Elle ne voit pas le drell, dans l'ombre, qui la suit et l'observe doucement.
