A Oméga, une silhouette discrète, capuche enfoncée sur la tête, tête baissée, descend d'un vaisseau sans identité. Mais Aria sait tout ce qui se passe à Oméga. Et un de ses employés avance vers cette silhouette et l'arrête.

« Aria veut vous voir. Immédiatement.

- Évidemment. Est-ce que ça peut attendre un peu ? Je dois parler à quelqu'un avant.

- Aria n'attend pas. On y va, maintenant. »

La silhouette encapuchonnée soupire et suis le turien. Elle a toujours détesté Oméga. Toujours cette impression qu'elle aura besoin de se doucher dix fois une fois partie de ce caillou. A sa surprise, la station n'a pas beaucoup changé en deux ans et malgré l'occupation par Cerberus. Même l'Afterlife est comme avant. Revenir ici ramène des souvenirs étranges à la silhouette. A la fois agréable et teintés d'amertume. On lui fait signe de monter et elle obéit. Arrivée en haut des escaliers, elle baisse sa capuche et libère ses longs, parfaits cheveux noirs. Miranda est toujours prête à parler à Aria.

La pirate est assise sur le sofa, au milieu de la pièce, un verre de vin à la main et son regard curieux sur l'humaine qui vient d'entrer. Aria ne le dira jamais, mais elle a toujours apprécié cette humaine. Élégante, forte, intelligente. Elle comprend pourquoi Shepard a pu craquer sur elle, malgré son grand amour avec l'asari. Il faut que cette femme parte de cette station avant que Shepard ne revienne, ou la pirate ne pourra pas poursuivre son plan qui jusque là se déroule à la perfection. Elle demande, de sa voix la plus suave :

« Que fait l'héroïne de guerre, ex-seconde de Cerberus, maîtresse provisoire de la grande Shepard, sur ma station ?

La reine d'Oméga se délecte un instant du flash de colère qui naît dans les yeux de l'humaine à la mention de son aventure avec Shepard. Tout sourire, elle l'écoute répondre :

- Rien d'important. Je viens voir une amie, Aria.

- C'est à moi de décider de ce qui est important ou non, mademoiselle Lawson. Et je sais qui vous venez voir. Pauvre petite chérie… La guerre a fait des ravages partout.

- De quoi parlez-vous ? Demande Miranda, suspicieuse autant qu'inquiète, subitement.

- Vous le saurez quand vous la verrez. Partez, maintenant. »

L'humaine sort de la pièce et Aria sourit. Elle a observé, dans la salle de surveillance, les tribulations de Kelly la junky, et si le problème n'était pas aussi sérieux, la pirate en aurait beaucoup ri. A l'extérieur, Miranda s'arrête au bar et demande à la jeune asari derrière le comptoir un verre de vin. Elle a essayé de joindre Kelly deux fois aujourd'hui, et elle n'a pas répondu. Le fait qu'Aria sache qui elle vient voir l'inquiète. Et entendre le nom de Shepard dans la bouche de cette criminelle l'a toujours mise sur les nerfs. Elle sait qu'Aria avait des vues sur le Commandant depuis très longtemps, et le baiser diffusé en direct à la libération d'Oméga n'était qu'une preuve parmi mille autres. Miranda s'est toujours demandée comment Liara gérait l'attention que recevait Shepard de tant de gens. Elle a même entendu dire que la spécialiste des communications du Normandy était dans la liste des femmes sous le charme du soldat.

Cela fait un moment qu'elle n'avait pas penser à Shepard. Qu'elle se l'interdisait, essentiellement. Elle est en colère, que cette femme soit privée d'une chance de vivre enfin en paix, c'est injuste. Et hier… Cet appel. Kelly était bouleversée, mais catégorique, Shepard est en vie, et a des problèmes, sérieux, à en juger la psychologue. Miranda ne sait pas comment réagir. Elle a tellement de questions en tête. Pourquoi Shepard serait ici ? Comment serait-elle arrivée ? Comment aurait-elle survécu? Etc, etc. Elle réessaie d'appeler Kelly. Cette rouquine va la rendre dingue, à ne pas répondre. Elle remercie la barman et sort de l'Afterlife. Il faut qu'elle trouve un endroit où dormir, même si elle n'est pas sûre d'y arriver.

Alors qu'elle s'approche d'un hôtel qui n'a pas l'air trop miteux, pour Oméga, en tout cas, elle reçoit un appel.

« Hey, Miranda, comment ça va ? Balbutie la jeune femme.

- Kelly, tout va bien ? Vous parlez bizarrement ?

- Bizarrement, nan, tout va bien. Wow, les elcors sont si beaux…

- Kelly, envoyez-moi votre position, j'arrive », ordonne Miranda, exaspérée et inquiète à la fois.

La psychologue marmonne des groupes de mots incompréhensibles avant de raccrocher et Miranda se retrouve, capuche enfoncée sur sa tête, yeux baissés, à attendre pendant ce qui semble être une éternité, qu'on lui envoie ces maudites coordonnées. Quand elles arrivent enfin, Miranda marche avec une telle détermination que le bruit de ses talons résonne dans toute la station. Elle approche du quartier où se trouve Kelly, plus tranquille, pour Oméga, toujours, et à peu près propre. Beaucoup d'humains et d'asaris. Miranda entend l'ancienne quartier-maître du Normandy avant de la voir. Elle semble converser avec une personne très silencieuse et quand Miranda la voit enfin, elle comprend ce silence. Kelly est en grande conversation avec le banc sur lequel elle est assise. L'image la ferait sourire, si elle n'avait pas du faire le voyage depuis la terre dans un horrible vaisseau de transport de fret en urgence pour la voir.

« Tu sais, il y a des matières plus douces que les tiennes qui existent. Je suis désolée, tu es rugueux et… Ho non, ne pleure pas, on va en parler, tu vas voir…

- Ravie de voir que vous pratiquez toujours la psychologie, même si c'est avec un objet inanimé, interrompt sèchement l'ex-agent de Cerberus.

- Miranda, la parfaite, la magnifique, la pète-sec Miranda, qu'est-ce que vous faites là ? Demande dans l'innocence la plus totale une très défoncée Kelly, un grand sourire aux lèvres.

- Bon sang, Kelly, qu'est-ce qui vous prend ? Comment ça, qu'est-ce que je fais là ? Shepard, ça vous parle ? s'exclame Miranda, exaspérée, fatiguée, à bout de nerfs.

- Shepard ? Ho Shepard… J'aurais du l'embrasser quand je le pouvais… Maintenant elle est partie… Pouf, plus là…

- Je vous emmène à l'hôtel, une douche et du café devraient vous remettre en état. Qu'est-ce qui vous prend de vous mettre dans un état pareil ? Vous n'êtes pas du genre à vous droguer. Trop optimiste pour ça. »

En disant ça, Miranda saisit le bras de la rouquine, qui parle d'hôtel et d'une reine des glaces qui la fait fondre et qui peut lui faire ce qu'elle veut, elle consent avec plaisir. La brune sourit un peu à ces paroles aléatoires et tellement Kelly. Elle se rend compte que l'équipage du Normandy lui manque. Elle a vu Garrus, Tali, Joker et Chakwas, même Jacob, sa femme et son enfant. Mais c'était trop rapide. Et pour d'horribles raisons. Elle a vu la dévastation dans les yeux de Liara. C'était presque pire qu'il y a maintenant quatre ans, quand l'asari lui a ramenée le corps de Shepard. Cette fois, c'est différent. Il n'y a pas de corps. Il n'y a même plus de Citadelle. Juste un grand vide dans le cœur de ceux qui connaissaient, respectaient, aimaient cette femme incroyable. Ils ont fait une sorte de fête, tous les anciens du Normandy, exceptés Liara et Garrus, près de Paris, dans un vieil hôtel. Il y avait tout ce qu'il faut, la musique, l'alcool, la compagnie. Mais il manquait le cœur du Normandy. Ils ont parlé, pendant quelques heures, certains, comme Joker et ce Vega, ont abusé de l'alcool, certains ont disparu rapidement, comme Jack et Traynor. Miranda est restée, silencieuse, à écouter les récits de guerre. On se rendait vite compte qu'un nom n'était jamais prononcé. Qu'une aventure n'était jamais racontée. Puis Miranda, triste, s'est levée, a dit au-revoir à ceux qui restaient, et a disparu dans l'obscurité de l'est parisien.

Perdue dans ses souvenirs, Miranda s'aperçoit qu'elles sont arrivées à l'hôtel, non sans mal, Kelly titubant, s'arrêtant, tombant régulièrement. Les deux femmes se voient donner une chambre spacieuse mais sombre, que la brune déteste déjà. Elle sait que si elle regarde sous le lit, elle n'arrivera jamais à dormir dessus ensuite. Alors elle se retient et s'occupe de convaincre Kelly d'aller prendre une douche. Après dix minutes d'argumentation, la psychologue accepte d'un coup, se lève et devant les yeux ébahis de Miranda se met complètement nue. Il en faut plus pour distraire l'ex-responsable du projet Lazare. Elle saisit la main de la rouquine et la traîne dans la salle de bain, la jetant presque dans la douche. Dès qu'elle entend l'eau couler, elle se permet de se détendre un peu. S'assoit sur le bord du lit et réfléchit à ce qu'elle doit faire. Il faut rendre sobre Kelly. Dans cet état, elle est incapable d'apporter à Miranda les explications dont elle a besoin.

Pourquoi Kelly parlerait de Shepard maintenant. Dans une semaine, cela fera deux mois que la guerre est finie. Deux mois qu'elle est présumée morte. Vu l'état de la Citadelle, personne n'imagine qu'elle ait pu survivre. Mais Kelly était catégorique. Et a parlé des problèmes physiques de Shepard. L'œil synthétique. Son bras gauche. Kelly a surtout parlé de l'état mental de Shepard et c'est ce qui effraie le plus Miranda. Si c'est vrai, qu'elle est en vie, la brune a peur de voir combien la guerre a coûté à cette femme. Combien l'Alliance, le Conseil, Cerberus, toute la galaxie, ont pris de l'âme de cette femme pour leur survie. Même Miranda s'est servie d'un peu de cette âme pour son intérêt personnel. Après avoir parlé à Kelly, l'ex-agent s'est demandée si elle devait embarquer quelqu'un d'autre dans cette enquête, mais elle a rapidement conclu qu'il valait mieux être sûr d'abord. Mais il n'y a pas de raison qui indique que Kelly aurait menti. Alors peut-être que la vérité est pire et que c'est la psychologue qui a besoin d'aide.

L'eau, dans la salle de bain, a cessé de couler, mais personne n'en sort. Miranda va voir et trouve la jeune femme prostrée dans un coin de la douche, tremblante, le regard vide. La brune soupire, une grande tristesse s'emparant d'elle à cette vue, à la fois pour la personne devant elle mais aussi pour Shepard. Le peu d'espoir qu'elle avait que le Commandant ait survécu commence à se briser face la dure réalité. Elle attrape une serviette et enveloppe doucement Kelly dedans. Ensuite, tout en murmurant des mots rassurants, elle emmène la jeune femme dans la chambre et l'allonge doucement. La pauvre parle de réservoirs, de cris, et Miranda pense savoir ce qu'elle revit. La base des récolteurs. Ces horribles bruits. Une larme unique s'échappe sur la joue de la brune. Cette larme transporte le deuil de Miranda pour Shepard, sa compassion pour Kelly, sa désespérance dans une bien étrange galaxie. Alors que Kelly continue de lutter dans ses souvenirs, Miranda s'allonge derrière elle et la sert dans ses bras, comme elle aimerait parfois que quelqu'un le lui fasse, quand la peur est trop grande ou la solitude trop insupportable. Et les deux femmes s'endorment, dans un hôtel miteux d'Oméga, liées par un fantôme à l'ombre si grande qu'elle a changé la face de la galaxie.

Miranda est réveillée en sursaut par les cris de Kelly. La jeune femme est debout dans la pièce et semble essayer d'éviter des choses que personne d'autre qu'elle ne voit. La brune se lève et pose doucement ses deux mains sur les épaules de la rouquine. Cette action l'a fait s'arrêter de crier et regarder droit dans les yeux bleus de Miranda. Et ce que l'ex-agent de Cerberus voit dans ces grands yeux verts lui fait peur, l'espace d'un instant. Elle y voit un grand désespoir, une détresse profonde. Voyant que la psychologue commence à sangloter doucement, Miranda se rapproche et la sert doucement dans ses bras.

« Miranda… Aria. Shepard est en danger…

- Chut, Kelly, ça va aller, ne t'en fais pas.

- Non, non ! Shepard… dit-elle avant de pleurer encore plus.

- Shepard est morte, Kelly. Laisse la partir.

- Non, c'est ce qu'elle veut mais c'est pas bien… Faut comprendre…

- Ça va aller, ça va aller. Respire doucement. Inspire… Expire. »

Et Kelly obéit, abattue, défaite, dans les bras de cette femme qui n'aurait jamais fait ce genre de choses si elle n'avait pas connu Shepard. Après un moment, Miranda aide Kelly à s'habiller puis prépare un café. Pendant tout ce temps, la psychologue observe silencieusement la femme qui vient de la rassurer. Il y a eu tellement de changements chez Miranda, déjà, pendant la mission contre les Récolteurs, Kelly avait vu ça. Elle se rappelle avoir dit en blaguant, à Shepard que le Commandant avait un don pour faire fondre les cœurs de glace. C'est en voyant le rouge aux joues de sa supérieure et son air coupable que Kelly a découvert que les deux officiers étaient plus proches qu'elle ne l'imaginait. Elle sourit doucement à ce souvenir. Elle se sent totalement déconnectée de son corps, comme si il n'était plus vraiment là… A cette idée, Kelly baisse les yeux et voit son monde se transformer. Elle voit toutes les beautés de l'Univers.

Quand Miranda revient vers Kelly avec les cafés, elle constate qu'il y a peu d'espoir pour une conversation normale. Ses pupilles sont totalement dilatées, ses yeux injectés de sang. Elle a vu les traces de piqûres. La psychologue est perdue. Là, sous les yeux de Miranda, elle balance ses bras, assise sur le lit, les yeux mi-clos, une chanson très douce sort de ses lèvres entrouvertes. Et Miranda ne sait pas ce qu'elle désire le plus, pleurer, frapper cette femme ou la serrer dans ses bras et l'accompagner doucement dans ses délires. Elle pose le café de Kelly sur le bureau puis s'approche d'elle. La jeune femme est si loin dans son délire qu'elle ne semble pas réaliser qu'une autre personne est avec elle.

Miranda prend la décision de regarder l'omni de la jeune femme. Elle s'excusera plus tard. Elle a besoin de savoir où vit Kelly, et si quelqu'un pourra s'occuper d'elle. L'ex-agent de Cerberus ne pourra pas s'éterniser ici. Elle ne le veut pas. Les sécurités sur l'appareil sont élaborées mais rien que Miranda ne peut outrepasser. Elle trouve rapidement son adresse, qu'elle note et cherche dans ses contacts. Elle ne trouve rien de probant et abandonne. Pendant tout ce temps, Kelly chantonnait, tête penchée, yeux perdus. Miranda finit son café, décide de boire celui de Kelly et puis regarde la jeune femme se perdre dans les joies chimiques…