Tout au sommet d'Omega, au loft, arrivent au même moment un paquet d'un restaurateur italien et un paquet d'un scientifique humain. Aria réceptionne les deux et retournent au salon. Depuis deux heures et demi, Shepard est restée assise en silence, à regarder le vide intersidéral. Aria s'est inquiétée. Et elle déteste s'inquiéter. Mais il est peut-être déjà trop tard, elle en a peut-être déjà trop pris pour que les effets secondaires puissent disparaître. Alors elle a hurlé sur son chimiste, pour qu'il s'active et finisse de préparer les drogues au bon dosage. Pour que Shepard arrête le Hallex au plus vite. Quand les paquets sont arrivés, elle a lu attentivement la notice de l'humain. C'est absolument parfait. Même les petits ajustements spéciaux qu'elle a intégré aux demandes du spectre ont été respectés à la lettre.
Elle dépose le paquet du chimiste sur la table du salon puis commence à ouvrir celui du restaurateur. Les odeurs sont exquises. Elle apprécie, de temps en temps, la nourriture alien. Surtout l'humaine, depuis leur arrivée dans le théâtre galactique, ils ont un peu révolutionné la cuisine de la Voie Lactée. Quand elle regarde l'humaine sur son fauteuil, dans ses vêtements, elle se demande « que n'ont-ils donc pas révolutionné, ces aliens insensés ? ». Elle dépose les plats et appelle Shepard. Aucune réaction. Réessaie. Rien encore. Un instant, et Aria trouve ça aussi dérangeant, elle panique. Puis elle s'avance vers le spectre. Posant une main délicatement, mais possessivement, sur l'épaule de l'humaine, elle l'appelle à nouveau. Enfin, une réaction. Shepard tourne son visage vers Aria et lui offre un sourire franc, doux, auquel répond Aria avec l'un des siens.
« Venez Shepard, le repas est arrivé.
- Déjà ? Ils sont rapides, dans ce resto !
- Shepard, j'ai passé commande il y a plus de trois heures.
- Ho… Désolée, je n'ai pas été une invitée très agréable. Je…
- Silence, Shepard, si j'avais voulu profiter de votre charmante conversation, j'aurais interrompu votre… contemplation, interrompt Aria avec un sourire enjôleur.
- Alors comme ça, la reine d'Oméga trouve ma conversation charmante ? Vous m'en voyez flattée !
- Doucement, spectre, ou on en revient à l'époque où ne pas s'insulter était un grand succès pour nous deux.
Cette remarque provoque un petit rire chez l'humaine, suivi d'un long soupir :
- Ha… Elle me manque, parfois, cette époque.
- Ne soyez pas stupide, c'était abominable. Et ce restaurant n'était pas ouvert. Installons-nous et mangeons, vous me direz si vous connaissez les plats. C'est marrant, mais je n'ai jamais mangé de la cuisine terrienne avec un humain…
- J'ai entendu dire que vous préfériez la compagnie des asaris, ceci explique peut être cela, dit Shepard en s'installant sur une des chaises, un grand sourire de conquête aux lèvres.
- Pas pour tout Shepard. Asaris et humains mangent de la même façon. Les hanaris, c'est un spectacle vivant, de les regarder manger ! Vous avez déjà vu ça ? Répond Aria, en s'asseyant juste à côté.
- Jamais eu ce plaisir, mais j'ai mangé avec des elcors et des drells, le dernier jour de la guerre. Je ne sais même plus comment je m'étais retrouvée avec eux d'ailleurs…
- J'aime bien les drells. Les elcors sont… des elcors, juste gros et lents.
- Belle introduction à la physiologie d'une race alien, madame, je suis impressionnée.
- Taisez-vous, Shepard, et goûtez ces… Je ne sais plus le nom, mais c'est délicieux, dit Aria, un franc, rare sourire aux lèvres.
- Je n'ai aucune idée de ce que je viens de manger mais en effet, c'est très bon, je vois qu'on a du vin, je vous sers, Aria ? Demande Shepard en touchant la bouteille.
- Volontiers, merci. Mais c'est de la nourriture terrienne… Vous êtes terrienne, vous devriez connaître, non ?
- Vous connaissez toutes les recettes cuisinées à Thessia, vous ? challenge le spectre en servant le vin.
- Les spécialités de la majorité des grandes villes, oui, et de nombreux petits plats locaux très peu connus mais délicieux. Le restaurateur m'a dit qu'il nous a préparés des spécialités italiennes, françaises, et espagnoles, méditerranéennes, il a appelé ça. Je n'ai aucune idée de ce que ça veut dire, en revanche.
- Françaises ? Ha… J'ai jamais vraiment été au resto sur terre, maintenant que j'y réfléchis.
- Et pourquoi donc ? Un bon restaurant, c'est pourtant agréable.
- Je suis d'accord, mais quand j'étais sur Terre, j'avais d'autres priorités, on va dire, répond Shepard, l'air timide, soudainement.
- Et quelles étaient-elles ? Et vous allez me dire ce que veut dire « méditerranéennes », oui ou non ? Demande Aria, l'esprit taquin.
- Méditerranéennes , c'est par rapport à une mer, la Méditerranée. Les trois pays que vous avez cités la bordent. Et d'ailleurs, j'ai grandi au bord de cette mer.
- Ho, une fille des bords de mer… Vous savez nager, alors ?
- Oui, mais pas pour cette raison. C'était obligatoire pour les N7… La mer était, est trop polluée pour s'y baigner. Peut-être à l'époque de votre whisky, les gens s'y baignaient.
- Quelle tristesse, ces mondes pollués. Vous avez esquivé avec brio la question de vos priorités, Shepard, mais j'ai très bonne mémoire, et je suis curieuse. Et ce vin est un délice.
- Je suis d'accord pour le vin… Mes priorités, sur Terre, c'était survivre, me droguer, me battre. Dans cet ordre. Pendant un long moment.
- Donc ce n'est pas votre premier essai dans le mercenariat, ni vos premiers excès dans les substances… Intéressant. Je pensais que vous étiez du matériau dont on fait les officiers de l'Alliance, pas les mercenaires des Terminus…
- Ho, si vous saviez. Rien ne me préparait à devenir militaire dans l'Alliance. Ou à y gravir les échelons.
- Et qu'est-ce qui a changé ça ?
- Des sergents instructeurs cons, ma fierté, et ensuite, je voulais être la meilleure pour que personne ne meurt, Madame, répond la spectre, un petit peu de fierté, mêlée à une grande tristesse flottent dans le rouge de son œil.
- Mais pourquoi l'Alliance ?
- C'était mon seul moyen d'aller dans l'espace, Aria, répond-elle quasiment dans un murmure. Elle pioche rapidement une pilule dans sa poche et l'avale.
- Pas déçue du voyage, Shepard ? Demande la pirate, doucement aussi.
- Jamais. C'est brutal, mais c'est beau. Comme la vie, en fait, répond instantanément le spectre, un sourire nostalgique aux lèvres.
- J'aime beaucoup cette réponse, Shepard. Vous me rappelez moi, quand j'ai commencé à voyager dans l'espace…
- C'est une histoire que j'adorerais entendre, lance l'humaine, enthousiaste.
- Jamais de la vie. C'était à une époque où, si je ne me trompe pas, on brûlait des femmes devant des temples pour des raisons mystiques farfelues par chez vous… Vous ne comprendriez pas ce que je voudrais dire…
- Alors ça doit être dur, d'avoir si peu de gens avec qui pouvoir se souvenir…
- C'est le lot des asaris, Shepard, des plus malines, en tout cas. Nous survivons et nous voyons le monde changer. Nous voyons des nouvelles races complètement insouciantes s'inviter au bal des planètes et défier la logique que des millénaires avaient imposé. N'est-ce pas, Shepard ?
- Que voulez-vous, les humains sont tenaces, et plus coriaces qu'ils en ont l'air ? Cons comme la lune mais on s'améliorera avec le temps.
- Cons comme la lune ? Quel rapport entre un astre et le quotient intellectuel ?
- Quel rapport entre les asaris et les hanaris ?
Après un petit instant de confusion, voyant la blague, Aria répond :
- Aucun, sauf sexuel !
- Voilà ! Heu… Hein ? Réplique le spectre avant de rire de bon coeur, pour la première fois… Pour la première depuis la fin de la guerre. Après avoir repris son souffle, elle continue : Je ne connaissais pas ce côté de vous, Aria, et j'avoue qu'il est très agréable.
- Je le réserve pour des occasions spéciales, ne vous habituez pas.
- Et quelle est cette occasion spéciale, aujourd'hui ?
- On mange terrien, dans mon loft, répond impassiblement Aria, ce qui provoque une fois de plus le rire de Shepard. Elle poursuit : Je suis sérieuse, Shepard, je suis toujours la reine. Ici, en bas, dans tout Oméga. Tout le temps et en toutes circonstances. Ne l'oubliez jamais, ou il vous en coûtera.
- Je n'oserai jamais, Aria. Vous avez mon respect. Et pour ce repas fort agréable, ma gratitude.
Ces mots provoquent un feu chez Aria. Heureusement que l'Hallex ne fait plus effet, elle aurait eu du mal à résister à l'envie de prendre ce qui lui est offert. Au lieu de ça, elle sert les cuisses, sourit et répond :
- Je vous en prie, Shepard. Tant que vous travaillez bien et que vous gardez votre place, on pourra continuer à partager ce genre de moments.
Aria observe l'effet de ses mots sur l'humaine. Elle la voit déglutir, assimiler, intégrer l'information. Elle baisse la tête, léger hochement. Son corps a accepté sa place sous Aria. Un jour encore, les bonnes drogues, et elle sera prête. Satisfaite, ne cherchant même pas à le cacher, elle décide de parler enfin des pilules :
- Au fait, Shepard, mon chimiste vous a préparé un cocktail que vous allez adorez. Prenez la boîte derrière les plats.
Shepard obéit et amène la boîte devant elle. Un regard à Aria, qui hoche la tête à la question muette et le spectre ouvre la boîte. Dedans, trois flacons. Aria saisit le premier et dit :
- Celles-ci, les rouges, sont les plus récréatives. Vous les prendrez pour oubliez, mais aussi, pour des activités physiques plus intenses, comme le combat, ou autres… Elles boostent les biotiques et, pour les humains, elles boostent également le rush d'adrénaline. Il paraît que certains humains qui en consomment ressentent des… émotions très intenses pendant les combats, sans bien sur altérer le jugement ou la concentration.
Elle a observé les réactions de Shepard pendant qu'elle expliquait, et entre un éclat sauvage dans le regard, une respiration un peu plus rapide et des joues un peu plus rouges que d'habitude, l'humaine veut les tester, voudrait les tester maintenant, si Aria l'y autorisait. Mais elle ne demande pas et Aria ne propose pas. Le spectre attrape l'autre flacon et le donne à la pirate.
- Celles-ci, les noires, et pour infos, vous pouvez toutes les prendre en même temps, mon chimiste s'en est assuré. Les noires, donc, sont des bloqueurs de douleur, l'effet dure huit heures chez quelqu'un de normalement constitué, on saura pour vous en essayant, c'est le plus fort qui existe à l'heure actuelle, sans provoquer d'effet indésirable. Enfin, les jaunes. Elles vous feront rêver. C'est quand vous voulez disparaître, comme tout à l'heure, dans la contemplation. Elles vous apaiseront. Conseillées pour atteindre le sommeil. Qu'en dites-vous, Shepard ?
La femme ne répond pas tout de suite. Un sourire naît sur ses lèvres quand elle demande :
- Et le prix à payer pour ça ?
Pas grand-chose, ne t'inquiète pas…
- La pilule, pour chaque catégorie, est à mille crédit. Mais… Si vous continuez le travail que vous faites, ce ne sera pas un problème. Et les rouges vous aideront à faire des carnages, je vous le promets.
Elle voit le sourire sur le visage de l'humaine, c'est un sourire de droguée. C'est un joli sourire, quoiqu'il en soit, décide Aria.
- Je veux les essayer. Il n'y a pas quelqu'un à tuer quelque part ? Je peux y aller à pied s'il le faut !
Whelps a craqué, elle a dit à haute voix ce qu'elle pensait depuis la description des pilules rouges. Une petite voix dans sa tête lui répète que ça ressemble un peu trop au Red Sand, mais elle est assourdie par le besoin, l'envie, qui prennent tout le reste de la place disponible.
- Pas si vite Shepard. Ici, on ne tue pas avant le dessert.
- Ho, je ne connaissais pas cette étiquette, c'est d'Oméga ?
- C'est de moi, répond Aria en bombant le torse, et en jubilant de voir le regard de l'humaine se promener sur elle.
Demain, tu me manges dans la main. Qu'importe qui viendra te parler. Tu seras à moi.
- Mes excuses, milady. Il faudra que j'apprenne ces règles, dit Shepard, d'un ton exagéré qui fait naître un sourire sur les lèvres d'Aria.
- Il n'y en a qu'une et vous la connaissez déjà, spectre.
- En effet, je la connais. En effet. »
Les deux femmes retombent dans le silence en dégustant le dessert. Un sourire ne quitte jamais leur visage et leurs regards se croisent souvent. Aria n'aurait jamais cru apprécié autant un moment si mondain avec le soldat. Il s'avère qu'elle est de bonne compagnie, a une conversation vraiment charmante, et est terriblement agréable à regarder. Shepard se dit à peu près la même chose. Ce dîner, cette normalité, partagée avec Aria, c'était surprenant à bien des égards. Et la tension entre elles, Whelps ne l'imagine pas, elle en est sûr. Et pour la première fois depuis son réveil, elle se dit qu'elle va peut-être y céder. Et au diable les conséquences. Elles sont sur le tas, avec les regrets, les remords, et tout le reste.
