Elie se réveille dans le lit le plus confortable qu'elle ait jamais eu l'occasion de tester. Elle profite un moment du confort si douillet qui l'accueille, se délectant de l'impression que son corps flotte dans un bain de nuages chauds. Et puis en ouvrant bien les yeux, elle voit qu'elle est toute habillée, exceptée les armes, les bottes et le chapeau, qu'elle voit juste à côté, dans une chambre inconnue. Elle ne se souvient pas être arrivée là. Elle parlait avec Aria. Il y a eu du sexe, c'est certain. C'était même plutôt chaud… Concentre-toi, la vieille. Elle se souvient avoir parlé encore après mais de quoi, aucune idée. Tout est flou. Elle se lève et se rassoit directement quand elle ressent la présence d'une vieille habituée, la douleur. Elle cherche des capsules, une rouge, une noire, et les avale. Attend un peu. Se lève à nouveau, doucement. Elle entend du bruit hors de la chambre. Elle met ses bottes, son chapeau, et ses armes et s'y dirige lentement.

Aria est inquiète, et impatiente, et frustrée. Elle organise le voyage d'une de ses navettes de luxe pour Thessia pour le début du mois prochain. C'est dans longtemps, peut-être trop mais elle n'a pas le choix. Et cela rajoute à ce cocktail de sensations qu'elle déteste. Elle n'aime pas ce qu'elle a vu dans l'esprit d'Elie. Car rien de rationnel n'arrive à l'expliquer. Et Aria n'est pas du genre spirituel, ou peu importe. Tout a une raison. Et cette chose, dans l'esprit de son humaine… Elle n'a aucune raison d'y être. Ce n'est pas naturel. Alors elle a appelé la seule personne qu'elle connaisse qui pourrait avoir une réponse. Et la seule réponse qu'elle a eu, c'est : « Au début du mois, Aria, tu sais que je ne peux pas faire mieux. » Elle sait, et ça l'agace. Ce qui l'agace aussi c'est de ne pas pouvoir emmener Elie à Thessia. Ce serait plus rapide, plus simple, mais les capteurs ADN vont déclencher un feu d'artifice d'alarmes dans tous les services spéciaux de la galaxie et tant qu'elle n'a pas de solution pour ça, Aria doit attendre. Elle déteste attendre.

Elie observe, de loin, la Matriarche aller et venir dans son salon, amusée de la voir balancer ses bras, maugréer, se disputer avec le néant. Cette scène rend presque la Matriarche plus jeune, Elie allait dire, plus humaine. Elle camoufle son sourire et avance doucement. A quelques mètres de l'asari, elle dit enfin :

« Tout va bien, Aria ?

- Elie… C'est à moi de demander ça ? Tu te sens mieux ?

- Mieux ? Pourquoi ? Je me sens bien, un peu groggy, mais, ça va…

- Tu ne te souviens pas de ce qui s'est passé hier ?

- Je me souviens qu'on discutait, je ne sais plus trop de quoi… Désolée.

- Assied-toi, Elie, j'ai des questions à te poser.

La mercenaire obéit, inquiète.

- Si je te parle des yeux bleus, Elie, qu'est -ce que tu m'en dis ?

Elie, inconsciemment, regarde dans les coins, coups d'œil paniqués.

- Rien. Je ne sais pas…

- La vérité, Elie.

- Dans mes cauchemars, les yeux bleus me contrôlent. M'oppressent. Me terrorisent.

- D'accord. Et tu ne les vois que dans tes cauchemars ?

- Oui, pourquoi ?

- Je pose simplement la question. Ce sont des yeux de formes humaines, mais pas humains, ils sont comme, cybernétiques. Comme…

- Tu les as vus ? Où ça ?

Et Aria voit la mercenaire se lever d'un bond et se plaquer dos à un mur, cherchant où les yeux bleus peuvent être mais ne les voyant nulle part.

- Elie, du calme. Regarde-moi. Personne ne te fera de mal ici, je ne le permettrai pas. D'accord ? Dit de sa voix la plus douce, la plus calme, la reine d'Oméga.

- D'accord, madame. Désolée.

- Ce n'est rien. Tu as un problème, Elie, et je ne sais pas l'expliquer. J'ai appelé des contacts. On va trouver des solutions, d'accord ?

- Heu… Oui. Vous n'avez aucune obligation de m'aider. Je peux gérer ça seule…

- Je ne laisse pas ce qui est à moi être blessé. C'est une règle personnelle. Compris ? Maintenant, j'ai des affaires à régler, des réunions qui m'attendent. Prend ton temps, repose-toi encore si tu veux ou va te balader… Et, tiens, profites-en pour acheter un véhicule. Bray n'est pas ton chauffeur personnel. Dès que tu auras repris des forces, rejoins moi à l'Afterlife.

- D'accord Aria. Merci. Mais je ne crois pas avoir assez pour m'acheter un véhicule…

- Tu plaisantes ? Tu ne regardes donc pas tes comptes ? Jettes-y un œil, un de ces jours…

Sur ces mots, Aria réunit ses affaires et s'apprête à partir quand Elie, qui est vite allée regarder son compte sur son omni, s'exclame, sans réfléchir :

- 250 000 crédits ? Je suis quoi, une pute de luxe ?

Décisive et extrêmement vive, Aria a la main autour de la gorge de la mercenaire en un claquement de doigt, serrant le cou jusqu'à ce qu'il soit un peu douloureux de respirer. Elle gronde :

- Tu es ma mercenaire. Ce n'est qu'un dixième de ce que tes missions m'ont rapportées. Règle n°4 : Personne, et je dis bien personne, pas même toi, n'est autorisé à t'insulter. Je te respecte, alors respecte toi aussi. Compris ?

- Oui, madame. »

Aria lâche l'humaine et sort, sans un regard en arrière, laissant Elie confuse. Elle s'assoit sur le canapé, prend une pilule jaune, ramène ses jambes contre son torse et regarde le champs d'astéroïdes qui gravitent autour de la station. Tout doucement, son esprit se met à graviter avec ces roches froides et mortes, bloquées dans une boucle sans fin, où le seul paysage est la mort du noir spatiale ou la pourriture de la station du bout des mondes.