Elie joue avec ses nouveaux doigts. La sensation est étrange, plus facile d'adaptation que son œil gris, mais il y a toujours ce léger temps de latence, à peine perceptible, qui prouve que le biologique bat toujours le technologique sur un corps humain. Elle a reçu l'autorisation de quitter l'hôpital et attend Bray à l'extérieur. Ses nouveaux doigts ont une couleur douce, grise. La prothèse va quasiment jusqu'au coude. La jonction est douloureuse, mais ça n'a rien à voir avec avant. Elle a toujours des douleurs atroces, au ventre, à la jambe, mais perdre une main est un avantage quand cette main était une boule de nerfs à vif. Elle voit la navette de Bray arriver, jette sa cigarette, prend une pilule rouge, et le rejoint doucement.

Sur le chemin, il lui explique qu'Aria a lancé un confinement, personne ne quitte Oméga tant que T'Soni n'a pas été retrouvée. Elie trouve ça excessif, mais ne vocalise pas son avis. Ils se retrouvent rapidement à l'Afterlife et elle trouve Aria, fulminant dans la salle de surveillance. Tous les moyens sont mis pour retrouver l'asari et pourtant, elle semble avoir disparue. Elie se pose près d'une console éteinte et attend qu'Aria se décide à lui parler. En attendant, elle observe les caméras de sécurité. La rangée du haut est concentrée sur les docks et Elie voit sur l'un des écrans une forme, humaine, selon l'armure, qui marche bizarrement vers les navettes les plus au fond. Ce qui intrigue Elie, c'est la démarche. La personne semble avoir mal. Alors qu'elle voulait observer un peu plus, la forme disparaît de l'angle de la caméra.

Elie continue d'observer les caméras d'un œil distrait, trop tentée par le spectacle d'Aria en mode Grand Amiral des Flottes, et pour Elie, le spectacle est magnifique. Elle sourit en la voyant donner des ordres, contacter des agents, écrire des messages, en lire, envoyer un datapad sur la tête d'un agent qui s'endort, insulter un volus qui a oublié de vérifier les flux financiers entrant et sortant de la station. Elie rit doucement face à tout ça et cela attire l'attention de la reine d'Oméga :

« Elie, prend quatre hommes et va patrouiller la zone des quais. Vérifiez les identités des personnes sur les docks, et dans les vaisseaux. Cela t'apprendra à rire.

- Tout de suite, madame. »

Elie n'a aucune idée de comment « prendre quatre hommes » alors elle sort de la salle de surveillance et appelle Bray, lui dit ce qu'elle a à faire, et il lui répond en riant que quatre gars vont arriver en bas des marches dans quelques minutes. Elle pourrait embrasser ce butarien. Elle descend, prend un verre avec Kalena et voit arriver ses gars, un krogan, un butarien et deux turiens. Elle leur fait signe, leur paie un verre et ils s'en vont. Sur le chemin, ils discutent de la guerre et le krogan demande à Elie si elle veut bien vendre sa lame cérémonielle, qu'elle a accroché à sa ceinture. Elle rit, refuse et se concentre sur la tâche en cours. Elle dispatche ses hommes sur toute la largeur des docks. Elle a choisi de s'assigner les derniers, car les vaisseaux là-bas sont ceux qui vont vers Parnitha, au plus proche, ou directement à Thessia.

Alors qu'elle circule dans la zone, contrôlant les identités des gens bloqués là par le confinement au fur et à mesure de son avancée, elle constate qu'une des personnes avance de plus en plus vite devant elle. Comme si elle fuyait le contrôle. Et en se concentrant bien, elle reconnaît la silhouette qu'elle avait repéré sur les caméras de surveillance. Elle écarte les gens et accélère le pas, sa cible l'a vue, accélère aussi et disparaît dans une autre allée. Elie se met à courir, maintenant quasiment certaine qu'il s'agit de Liara. Elle aime bien cette chasse, à se faufiler ou à bousculer les gens, à suivre du coin de l'œil la fugitive qui s'en sort toujours bien. Elie n'arrive pas à gagner de terrain. Au bout d'un moment, elle se rend compte qu'elles ont quitté les docks et l'espace d'un instant elle pense avoir perdu sa cible. Mais du coin de l'œil, elle perçoit un mouvement, dans la semi-obscurité d'un long bâtiment. Elle court et voit la silhouette disparaître dans un couloir. La course se poursuit, dans un dédale, comme chat et souris, deux femmes qui s'aiment et se retrouvent ennemies.

Liara ne s'est jamais sentie aussi mal en armure qu'aujourd'hui. Sa crête est oppressée dans ce maudit casque, ses hanches, sa poitrine, tout est douloureux. Mais elle doit courir car Elie l'a repérée. Quand le confinement s'est déclenchée, elle s'est retrouvée coincée au milieu de la foule de mécontents qui se retrouvait bloquée aux docks. Ne sachant pas quoi faire, elle avait juste chercher un coin où s'abriter des regards et chercher une nouvelle solution. N'ayant qu'une fausse identité asari, elle ne pouvait pas se faire contrôler dans une armure humaine, et espérait esquiver la patrouille. Maintenant, elle court dans des couloirs qui se ressemblent tous, poursuivie par une mercenaire ultra-efficace.

Cela doit faire une demi-heure qu'elles courent dans ce dédale sans fin, gris et abandonné. Il lui est difficile de se concentrer, les douleurs, la course, qui est loin d'être son activité favorite, le fait qu'elle soit en train de fuir Shepard, le fait qu'elle la fuit car cette dernière a certainement dit à Aria des choses qui la mettent dans un terrible danger, rien ne lui permet de bien réfléchir et quand elle se retrouve à devoir choisir entre deux voies, droite ou gauche, elle ne prend pas le temps d'observer et se rue à gauche. Au bout d'une dizaine de mètres, elle comprend son erreur, c'est un cul-de-sac. Elle se retourne immédiatement, se cache derrière un muret et prépare une singularité. Quand elle entend les pas d'Elie s'arrêter au croisement, elle la lance, puis fait suivre directement un gros morceau de mur qu'elle projette sur le crâne de la mercenaire le plus fort possible, avant de s'enfuir de l'autre côté. Elle ne peut s'empêcher de regarder derrière elle alors qu'elle s'enfuit et voit la mercenaire, par terre, du sang coulant de son front et l'asari sent son cœur se fendre à cette image.

Elle continue de courir, cinq bonnes minutes. Elle sait qu'elle est complètement perdue. Elle se cache dans une alcôve, derrière de vieilles caisses de marchandise, et essaie de reprendre son souffle. Elle ne résiste pas à l'envie d'enlever le casque et la sensation pour sa crête libérée est un bonheur intense. Elle se lance dans une petite méditation, pour calmer son esprit et son corps. Doucement, elle reprend des forces. Alors qu'elle allait se relever, elle entend des pas, discrets, venant de là d'où elle vient. Elle se cache, prépare à nouveau une singularité, mais elle sent quelque chose d'étrange avec ses biotiques. Quelqu'un la cherche, commence à la caresser, doucement. Une asari ? Que ferait une autre asari dans ce dédale ? Non… Elle connaît ces biotiques… Et quand elle comprend enfin, c'est trop tard, elle est chargée par un tonnerre biotique et un corps ravagé et son dos va taper dans le mur. Elle finit par terre, aux pieds d'Elie. Elle reprend rapidement ses esprits et recule le plus loin possible de la mercenaire, mais elle se retrouve beaucoup trop vite à son goût contre le mur. Alors qu'elle fixe la mercenaire, celle-ci lui dit :

« Merci, T'Soni, la chasse était vraiment excellente. Pas comme avec Lawson, aucun intérêt. Maintenant, vous n'allez pas m'obliger à vous frapper comme elle l'a fait, n'est-ce pas ?

- Tu as frappé Miranda ? Shepard, pourquoi tu ne fais rien, pourquoi tu ne luttes pas ?

Elie sent une grande force tirer dans sa cage thoracique et avant de tomber à cause d'elle, elle donne une grande gifle à l'asari de sa nouvelle main, faisant jaillir du sang bleu sur le mur et le sol. Le cœur de Shepard noircit, bientôt il ne sera plus un cœur.

- Fermez-là. C'est Elie. Elie, vous comprenez ? Je vous emmène juste voir Aria, c'est quoi le souci?

- C'est quoi le souci ? Eléanor, tu as parlé d'Oriana à Aria… Que sait-elle sur moi ? Sur nous ? Lui as-tu laissé voir nos souvenirs communs. Vas-tu lui laisser te voler ça aussi ? dit Liara, les yeux fixés sur la main gauche d'Elie.

- Ne m'appelez pas comme ça ! Je ne comprends pas de quoi on parle, là. Je n'ai rien dit… Je ne crois pas. Ha… Ha.

- Tu n'es même pas capable de te souvenir de ce que tu dis ou fais… Eléanor. Je t'en prie. Aide-moi à m'enfuir d'ici. Fais le en souvenir de nous. Je te laisserai tranquille si tu le souhaites, mais ne laisse pas Aria s'emparer de moi, je t'en supplie.

Les larmes dans les yeux bleus océans de Liara provoque en Elie une sensation si puissante de détresse et d'angoisse, de culpabilité et de terreur qu'elle tombe à genoux devant l'asari, toujours prostrée contre le mur. Elles restent là, à se regarder, et Liara poursuit :

- Je vois ton combat, là, en toi. Tu peux m'aider. Tu sais que c'est important. Au fond de toi, tu sais que si Aria m'approche, nous deux, nous perdrons bien plus que tout ce que nous avons déjà perdu. Je t'en supplie, mon amour, aide-moi.

Elie sent son cœur se disperser en mille étincelles… Comme s'il devenait un corps céleste. Son corps refuse de bouger, à genoux, là. Les yeux perdus dans le bleu des océans. Et puis Shepard dit, d'une voix si faible, si tremblante, que Liara a du mal à l'entendre :

- Aide-moi à me lever, Liara.

Liara observe l'humaine un instant. Elle ressent quelque chose qu'elle attendait, dont elle mourait d'envie depuis deux mois, ce lien, ténu, faible, mais présent, entre elles. Elle s'en repaît, un instant, les yeux fermés.

- Eléanor? demande l'asari, et quand elle voit l'autre femme hocher la tête, l'asari pleure à nouveau et se lève, levant l'humaine à sa suite.

- Si je ne me trompe pas, au nord de ce quartier, à un kilomètre environ, il y a un cimetière de vaisseaux. Les yeux ne sont pas là. Tu peux trouver un vaisseau en état de voler assez loin pour disparaître rapidement dans la ceinture d'astéroïde, dit Shepard, la voix rauque, le souffle court.

- Je ne suis pas quarienne, Shepard, je ne sais pas réparer un vaisseau avec un omni et des bouts de métaux…

- Je sais. Mais c'est le seul choix. Et je ne peux pas venir avec toi. Il faut que tu m'assommes, fort.

- Non. Viens avec moi… Je ne veux pas…

- Si je viens, Elie va revenir. Ne reviens plus jamais ici, Liara…

Shepard se tord, accablée par une douleur si puissante dans sa cage thoracique qu'elle n'arrive plus à respirer.

- Shepard ? Shepard ? Je ne peux pas te laisser derrière, pas encore…

- Liara, s'il te plaît, met-moi… Hors-service. »

L'asari est choquée par les termes que Shepard vient d'employer. Comme si elle était un robot. Elle réfléchit, sachant que plus le temps passe, plus elle court le risque que des hommes d'Aria arrivent. Alors elle prend encore une fois une terrible décision, qui marque un nouveau coup dans son âme déjà meurtrie, elle saisit un morceau de mur tombé non loin, regarde, une dernière fois, la femme qu'elle aime, murmure doucement des mots d'amour en même temps qu'elle abat violemment la pierre sur la tempe de l'humaine. Elle hurle, vide sa cage thoracique au-dessus du corps désormais inconscient de la femme qu'elle aime, qu'elle n'arrive pas à sauver, qu'elle doit encore laisser derrière elle, seule, dans un territoire hostile. Elle hurle tout ça et puis sa haine et son amour et son désespoir. Et une fois vidée de tout. Elle se lève, met son casque, va vers le nord, sans un regard en arrière, sur son chevalier et son triste corps, qui gît, là, au fin fond d'Oméga.