A Thessia, dans le sud de la province d'Armali, dans les ruines d'un domaine jadis renommé dans tout l'espace asari, une réunion agitée se déroule. Liara se sent comme elle se sentait cinquante ans plus tôt, quand sa mère la sermonnait, que les commandos la jugeaient en silence, que les acolytes se taisaient et regardaient la Matriarche avec de grands yeux écarquillés. Sauf qu'aujourd'hui, Liara n'est pas seule face à l'ire de certains. Ses acolytes à elle, ce sont Miranda, qui l'a rejointe ce matin et Tali, avec qui elle est arrivée la veille. A ce moment-là personne n'avait osé l'empêcher de prendre du repos. A la place de sa mère dans le rôle d'accusatrice, de juge et de partie, son père Aethyta, et son ancienne apprentie, Treeya. Et une bonne partie des survivantes de la maison T'Soni, même si celles-ci ne diront rien à l'héritière du nom et du domaine. Même depuis les jardins en ruine, on peut entendre la voix d'Aethyta retentir dans le grand hall, seule pièce entièrement intacte du bâtiment :
« Ce que tu racontes n'a aucun sens, Liara. Tu te berces d'illusion. Cela fait des mois que tu collectionnes les décisions stupides. Tu te mets en danger et pour quoi ? Pour cette… Humaine qui souille ton nom et ton amour ? Je me fous qu'elle soit la Sauveuse de la galaxie, c'est une…
- Père, continuez à l'insulter et je vous bannis à nouveau de cet endroit, est-ce entendu ? Répond froidement Liara, les biotiques en démonstration autour d'elle.
- Liara, comprend donc. Tu es trop jeune. Les décisions que tu as prise ces derniers temps le prouvent. Tu es allée à Oméga alors que tu…
- Silence. Que vous soyez d'accord ou non, je m'en fous. Mes amies et moi, nous avons du travail. Si vous ne voulez pas nous aider, Aethyta, Treeya, libres à vous, il y a beaucoup à faire autre part.
- Tes amies savent les risques insensés que tu as pris, que tu prends, Liara ? Demande le père de l'asari, le regard sombre et la colère lisible sur son visage.
- De quoi est-ce qu'elle parle, Liara ? Demande Miranda, doucement.
- Je m'en doutais. Parlez entre vous. Et après on verra si tes amies voudront toujours t'aider à tout risquer ainsi, ma fille.
Sur ces mots Aethyta attrape la main de Treeya et sort dans les jardins.
- De rien, Miranda. Mon père me croit trop jeune pour prendre des décisions. Si je peux les prendre, c'est que j'en ai la maturité requise. C'est ainsi que nous fonctionnons.
- Je ne comprends rien de ce que tu dis. Soit je suis plus fatiguée que je ne le pensais soit tu restes mystérieuse dans un but précis, Courtier de l'ombre.
Tali, visiblement mal à l'aise, attrape le bras de Liara et dit doucement :
- Je peux te parler, Liara ? S'il te plaît ?
- Non, Tali. On a du travail et il faut que je… J'ai contacté Féron et Shiala. Shiala devrait arriver demain. On aura enfin à nouveau accès au réseau et on pourra avancer.
- Oui, demain, Liara. Ça veut dire qu'on a du temps pour se détendre un peu et visiter ces magnifiques ruines, dit Miranda, avec un doux sourire.
- Elle a raison. Cet endroit est incroyable. Et on entend les vagues. Je voudrais voir la mer. Cela fait depuis… Mince, cela fait depuis Virmire que je n'ai pas vu d'océan. Ho, Kaïdan me manque...
- Ho… Alors, Tali, c'est là que nous allons. Le bâtiment est en si mauvais état qu'un tour est impossible. Venez les filles, marchons.
Les trois femmes, côte à côte, se mettent en route, traversant doucement les jardins où les structures écroulées montrent les vestiges d'une splendeur passée.
- Et donc, aucune de vous deux ne va me dire les raisons, les vraies, de la colère de ton père, Liara ? Demande Miranda, suspicieuse.
- Comme je l'ai dit, elle fait sa Matriarche, à croire qu'il faut avoir huit cents ans minimum avant de prendre d'importantes décisions…
- Ho bon sang, Liara, tu es agaçante quand tu fais ça ! s'exclame Miranda avec un sourire dépité.
- Quand je fais quoi ? Demande tout innocemment Liara.
- Quand tu te la joues Homme Trouble, à répondre sans répondre.
- Wow, c'était bas, ça Lawson, bien joué, lance Tali en donnant un coup de coude à Liara, qui rit un peu.
- Je ne la joue pas Homme Trouble… Je suis… Avec Shepard, on s'est… Marié c'est ça le mot humain ?
Miranda hoche la tête mais reste silencieuse, ne voyant pas le problème. Liara continue :
- Sauf que chez vous, c'est Shepard qui me l'a dit, c'est juste un papier, des vœux, et des bijoux. Pour les asaris, le lien qui nous unit, Shepard et moi, est un lien non seulement basé sur un engagement mutuel, mais aussi sur une connexion physique et mentale plus profonde. Normalement, une jeune asari comme moi ne s'unit pas de cette façon. Le plus communément, cela arrive vers deux cents, trois cents ans, minimum. Mon père n'est pas d'accord. Je suis sûre que c'est juste parce qu'elle n'était pas invité à la cérémonie…
- Ton père est en colère parce que vous vous êtes mariées ? Non… Ce n'est pas ça. Crache le morceau, T'Soni.
- Miranda ! Pourquoi veux tu que je crache ? Demande l'asari, aussi confuse que Tali.
- Hahaha ! C'est une expression ! Ha… Ça fait du bien de rire… Je sais que tu ne m'as pas tout dit, Liara. Et je crois que je commence à comprendre.
- D'accord, d'accord. Mais s'il te plaît, je t'en conjure, ne sois pas comme les autres… Shepard et moi avons décidé, la nuit avant d'attaquer la station de Cronos, de concevoir un enfant. On en avait parlé longtemps et Eléanor… Disons que je sais convaincre quand j'ai une idée dans la tête… Mon père dit que je suis stupide. Je dis que c'est mon choix. Et je ne regrette pas.
Miranda observe son amie et peut dire que Liara a déjà regretté quelques fois ce choix. Mais elle ne dira rien sur ça, passe son bras autour de celui de l'asari, et dit :
- Tu aurais du me le dire. Et elle a raison sur un point, tu n'aurais jamais du venir sur Oméga… Qu'est-ce qui t'a pris, Liara ?
- Il fallait… Il fallait que je la vois. Que je sente… Je devais être sûre que c'était elle. Et pour cela, il fallait que je sois près d'elle. Tu comprends ?
- Je vois… Mais ça n'explique pas pourquoi tu ne m'as rien dit ?
- Tu m'aurais virée d'Oméga…
- Pas faux. J'en conclus, par ton silence, Tali, que tu étais au courant ?
- Oui, Garrus me la dit. Il est incapable de me cacher un truc, dit Tali, d'un ton taquin qui fait rire les trois femmes.
Elles approchent doucement de la plage, et l'eau s'étend à l'infini, d'un vert opale au bord, elle dérive jusqu'à un bleu cobalt au loin. Les trois amies s'arrêtent au bord de l'eau, écoutant un moment le rythme régulier des vagues. Miranda rompt le silence, doucement :
- C'était quand, la cérémonie ?
- La dernière fois qu'on était à la Citadelle… Avant Thessia. Garrus, Tali, Shepard, moi et une prêtresse du Temple d'Athame… C'est un doux souvenir.
- J'imagine… J'oubliais, félicitations, Liara.
- Félicitations ? Demande l'asari, confuse.
- C'est un truc humain, on félicite, et pour un mariage, et pour une grossesse.
- Ha… Merci, alors ? Vous avez des traditions bizarres…
- Juge l'alien qui vient de m'expliquer les aspects mystiques ou spirituels bizarres du mariage asari.
- Hey, un peu de respect, humaine ! Réplique en riant Liara, enfin de bon cœur.
- C'est fou… Je crois que c'est la première fois que je me sens vraiment en paix. Je veux dire… La guerre était finie et nous étions perdus sur une planète inconnue au fin fond du néant, et après… On est rentré, j'ai rejoint Rannoch, et ce n'était que frénésie, et ruines, et blessés, et décompte des morts… Là, devant cet océan, c'est juste nous trois, des amies. Comme si on avait aucune obligation, à part celle d'admirer la vue.
- Je vois ce que tu veux dire, Tali… L'après-guerre, sur Terre, c'était terrifiant. Tellement de blessés, de morts, de destruction. Chaque jour, on trouvait de nouvelles horreurs, et puis des fois on tombait sur de bonnes surprises. Mon groupe et moi avons trouvé une fois un magasin de bonbons quasiment intactes… Je n'ai jamais mangé autant de sucre de toute ma vie ! »
Liara reste silencieuse, les larmes aux yeux. Elle s'assoit sur le sable et ses amies la rejoignent. Elles restent là, sur une plage de Thessia, un sourire doux aux lèvres, loin des violences et des terreurs d'Oméga.