Tous installés autour du feu, seul le bruit des flammes résonne dans la nuit.

La joyeuse troupe a obéit aux ordres de Red Riot et nous sommes tous repus. C'est la première fois que je mange à la belle étoile. Je me lèche encore les lèvres, savourant le goût de mon repas. Je n'ai jamais mangé de baie sauvage, mais dorénavant je peux dire quel goût cela a. C'est simple mais divin. Les faire cuire au feu de bois a rendue la chaire plus tendre et légèrement boisée. Cela manque un peu de légume et d'eau, mais ce n'est pas le moment de faire la fine bouche.

J'ai remarqué qu'aucuns d'eux ne mangent comme des bêtes, comme on aurait pu le penser. Ils prennent tous leur temps et comme moi, ils savourent le repas.

Je repose les feuilles que j'avais entre les mains pour tendre les bras en direction du feu. Il est immense, les flammes montant très hauts vers le ciel. Pour la discrétion, personne ne semble s'en soucier sauf peut-être moi. Une telle fumée noire ne peut qu'attiser la curiosité. Pourtant, je sais que personne ne viendra s'approcher en voyant mes compères. Leur physique aussi attrayant que menaçant est une bonne dissuasion.

Autour de moi des mouvements se font entendre. Un à un, ils commencent à bâiller et à se coucher à même le sol. En eux, comme pour Red Riot, ils doivent posséder un feu brûlant, les empêchant de ressentir le froid mordant. De mon côté, alors que je trouve l'herbe légèrement humide, l'idée de dormir dehors ne m'enchante guère. Je ne vais aucunement passer la nuit, j'en suis certain. L'air commence à se rafraîchir, le vent soulève les feuilles des arbres et le bruit des hiboux sonne comme le glas de la nuit.

Je tends mes jambes pour être plus à l'aise, tout en reposant mes mains dans l'herbe pour plus d'équilibre. Autour du feu crépitant il ne reste plus que moi, Red Riot et le dragon aux écailles jaunes. Le dénommé Dark Shadow est de garde pour la nuit, il a disparu dans l'ombre des cèdres quelques minutes plus tôt. Il ne semble pas méchant, mais prudent. Je le comprends parfaitement, étant moi-même dans le même état d'esprit. J'ai pour habitude de peser le pour et le contre avant chaque action, sauf quand je n'ai pas vraiment le temps de réfléchir.

Je regarde le dragon jaune se lever, faisant un signe envers Red Riot et moi-même avant de disparaître également dans la pénombre. Il doit sans doute être de garde avec Dark Shadow.

Je tourne la tête vers mon sauveur ayant une folle envie de le regarder. Il a les yeux fixés en l'air, regardant le ciel étoilé. Je ne peux m'empêcher de le détailler pour la énième fois. La lune éclaire son visage, me permettant de déchiffrer ses émotions. Il a un tendre sourire accroché au visage alors que ses yeux sont pleins d'étoiles. Il est divinement beau. Ses cornes semblent luire dans la nuit, reflétant elles aussi le peu de lumière que nous avons. L'ombre des flammes dansent sur sa peau et ses écailles carmins, lui donnant l'impression de danser alors qu'il est parfaitement immobile. Si je n'étais pas aussi timide, au lieu de le regarder de loin, je me serais approché pour partager sa chaleur.

- Le ciel est magnifique, n'est-ce pas ?

Il n'a pas baissé les yeux, fixant encore l'immensité astrale. Instinctivement, je lève mon visage vers la lune, comme pour acquiescer en silence. Il a parfaitement raison. La lune est pleine, on ne peut voir qu'elle. Le ciel bleu nuit est habillé de mil et un diamant blanc scintillant, rendant la vue féerique. C'est la première fois que je regarde le ciel de cette manière et je ne le regrette aucunement car je suis en très bonne compagnie.

- Vous semblez aimer la nuit, je me trompe ?

Nos yeux se croisent un instant, à peine une fraction de seconde, mais j'ai le temps d'apercevoir un faible éclair dans ses yeux. Comparé à tout à l'heure, c'est comme voir une lumière s'éteindre. Il relève vite la tête et sourit plus franchement, pour effacer ce moment. Néanmoins, j'ai tout vu.

- Je trouve le ciel plus attrayant de nuit. C'est rare pour nous de nous déplacer en pleine journée donc j'ai pris l'habitude de savourer cette vue.

Je ne peux que hocher la tête car il a sans doute raison. Il est une créature de la nuit et moi, un esclave sans valeur. Pourtant, il a plus de valeur que ma propre vie. Son existence en elle-même vaut plus chère qu'une montagne d'or.

- Où m'emmenez-vous ?

La question a franchis mes lèvres sans que je ne puisse l'arrêter. Je baisse les yeux par automatisme car j'ai brisé l'ambiance que nous étions en train de créer. Je n'ose pas le regarder, préférant la chaleur des flammes.

Son regard rougeoyant fait dresser mes poils et une chair de poule me prend. Ses yeux me transpercent tel un glaive pourfend la peau. Je trouve plus intéressant le feu brûlant devant mes pieds que le visage de mon voisin. Ma question est stupide car si il avait voulu me le dire, ce serait déjà fait. Je donne littéralement le bâton pour me faire battre. Je suis vraiment né pour créer la discorde.

- Cela t'intéresse tant de le savoir ?

Sa voix traînante trahit ses pensées. Il n'est pas aussi sûr de lui que je le suis de moi-même. Cela me rassure un peu, prouvant que même un être tel que lui peut avoir des doutes.

- Je suis à vos côtés désormais. Je n'ai nulle part où aller. Il est normal de vouloir connaître l'endroit où je vais vivre.

Le courage afflue dans mes veines, plantant mes yeux émeraudes dans son regard rouge. Sa queue frappe le sol, signe d'agacement sans doute. Il a croisé les bras sur son torse, là où repose quelque cicatrice.

- Alors, tu as envie de vivre à mes côtés ?

Un mince sourire trahit ses intentions de me faire peur. Je me rends compte de ma phrase, pouvant être mal interprété. Le rouge me monte au visage, alors qu'une bouffée de chaleur gravit mon corps. Je regarde de nouveau devant moi car une minute de plus à regarder son visage, et je ne répond plus de rien.

- Éventuellement, je n'y ai pas réfléchis sous cet angle. Votre proposition est alléchante pour un esclave tel que moi, et je vous remercie de l'attention que vous me portez, Red Riot. Néanmoins, tout ceci est soudain. Je n'ai pas le temps de m'acclimater.

À la fin de ma tirade, je prend le courage de relever la tête, fière de mes mots. C'est rare pour moi de parler autant à cœur ouvert. Je ne me souviens même pas quand était la dernière fois où j'ai tant parlé.

Red Riot me juge longtemps, pesant le pour et le contre de mes paroles. Il laisse échapper un profond soupire avant de se gratter la nuque.

- C'est une remarque que l'on me fait souvent. Je ne prend pas le temps de réfléchir, je laisse mon instinct agir.

Il me regarde de haut en bas, souriant de plus belle.

- Je ne regrette aucune parole. Je sais ce que j'ai dis, et ce que cela signifie. Je veux que tu m'appartienne corps et âme. C'est soudain et déplacé, néanmoins chez nous, il est normal de faire la cour de cette manière.

Il se lève, frotte ses genoux et regarde la lune.

- Je pourrais prendre le temps, j'aurais peut être dû. Mais je préfère que tu le saches maintenant. Mes intentions sont bonnes. En te voyant dans le château, mon corps s'est embrasé. Cela ne signifie qu'une seule chose.

Il baisse les yeux sur moi, me surplombant. Il s'est avancé et je n'ai même pas pris la peine ni de me relever, ni de bouger. Ses paroles, chacun de ses mots m'envoient une décharge dès qu'il ouvre la bouche.

- Tu es fait pour moi.

Il se penche, attrape mon menton entre ses mains et repose son front contre le mien. Je louche grossièrement, il est beaucoup trop proche. Je ne parviens pas à réfléchir correctement. Ses yeux passent de ma bouche à mes prunelles, sans interruption. Je sais ce qu'il a en tête car je pense à la même chose. Je veux goûter ses lèvres. Je me souviens encore de leur chaleur, de leur douceur.

Il s'approche un peu plus, son souffle chaud s'abat sur mes lèvres. J'ai soudainement d'énorme vague qui parcourt mon corps. Le désir me prend les reins une nouvelle fois. Je souhaite m'abandonner à lui. Laisser mon corps reposer contre le sien. Sentir sa chaleur m'envahir de toute part.

Un élan de lucidité frappe mon esprit. Dans quoi vais-je m'embarquer ? Cet homme reste un inconnu. Je ne le connais que de surface. Qui est-il vraiment ? Que fait-il ? Mais surtout, qu'est-ce qu'il est ?

Je passe mon temps en retrait, évitant les conflits et l'attention, et aujourd'hui je me retrouve dans les bras d'un homme aux apparences douteuses. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive. Je ne peux qu'être victime d'un envoûtement pour en arriver à une pareille situation.

Des dizaines d'interrogations bousculent mes pensées, m'empêchant de m'abandonner dans ses bras.

Quelle est la meilleure solution ?

Pris de frénésie, je le repousse avec le peu de force que j'ai. Ne s'y attendant pas, Red Riot perd l'équilibre, tombant sur le sol. Je profite de ce moment où chacun de nous est perdu pour m'enfuir.

Moi, Izuku, l'esclave du roi, ne connais qu'une seule et unique chose. La fuite.

Je m'enfonce dans la forêt, mon visage fouetté par les branches d'arbres. Je ne veux plus réfléchir, ma tête ainsi que mon cœur bourdonnent.

D'ailleurs, où suis-je ?