Chapitre 15 Eaux rouges

L'Inquisitrice était restée plus d'une heure dans la Salle de Commandement, seule, à regarder le jour baisser au travers des hauts vitraux bleutés, le regard vide et une main crispée sur sa poitrine. Quelle idiote elle avait été… qu'avait-elle espéré ? Elle n'aurait jamais dû se laisser aller à de si douces pensées, ce n'était apparemment pas pour « l'Inquisitrice »… La vie devait continuer, et elle devait faire son devoir. Lédara sortit de sa torpeur et se tourna à nouveau vers la large table d'état-major. Elle fouilla les parchemins à la recherche d'un rapport précis dont elle avait le souvenir : des engeances avaient envahi la Côte orageuse. Elle le retrouva accompagné d'une lettre des Lames d'Hessarian annonçant la présence d'un petit groupuscule de templiers rouges. La côte de la Mer d'écume était à six jours à cheval avec un bon rythme grâce aux nouvelles routes, douze avec le retour, une nuit sur place : cela l'amenait à moins de deux semaines de voyage. C'était une excuse suffisante pour justifier son départ et elle serait de retour à temps pour sa mission au Palais d'Halamshiral. La jeune femme partirait à l'aube avec les compagnons qu'elle aurait réussi à recruter. Elle pensait à Bull, Blackwall, Varric, peut-être Dorian… Cassandra serait ravie de se défouler un peu avant le bal qui ne l'enchantait guère.

Lédara saisit les deux parchemins qu'elle glissa dans sa ceinture et sortit à grands pas de la Salle du Conseil. Elle alla d'abord trouver Iron Bull qui accepta aveuglément la mission, Blackwall n'était pas contre un peu d'action et Cassandra sauta presque de joie quand son amie lui proposa d'aller tuer de l'engeance. La pauvre Chercheuse manquait cruellement d'action. Varric préférait rester à la forteresse : qui disait engeances disait grottes obscures, ce dont il ne raffolait guère. Solas faisait des recherches sur le Voile et Dorian supervisait son ancien mentor sur une expérimentation magique, à la demande de Léliana. L'Inquisitrice ne voulait surtout pas voir Séra s'incruster car trop fouineuse et de toute manière, elle était ivre morte au fond de la taverne quand Lédara croisa son chemin.

Une fois sa petite équipe réunie, elle leur exigea d'être prêts au départ à l'aube et de la suivre même si ses trois conseillers devaient pester le lendemain. Tous acquiescèrent sans poser de questions en se disant que l'Ambassadrice devait être contre cette opération.

Le soleil se levait à peine lorsque Lédara descendit dans la cour rejoindre ses trois compagnons. Moins ils étaient plus ils seraient rapides, ce n'était pas plus mal. La jeune femme prit les rênes de son cheval et monta prestement quand elle entendit des cris derrière elle :

- Inquisitrrrice ! Que faites-vous ! glapissait l'Ambassadrice en dévalant les escaliers de la cour.

- Ne craigniez rien, Joséphine, lui répondit Lédara, je serai de retour très vite.

- Léliana et Cullen sont-ils au courrrant de votrrre départ ? demanda Joséphine essoufflée.

- J'ai pris la décision hier soir, vous le leur direz, répondit simplement l'Inquisitrice. Allez, on y va, fit-elle aux autres qui la suivirent.

Le Commandant, qui avait entendu les éclats de voix, avait accouru à son tour.

- Que faites-vous ? lança-t-il désappointé.

- Mon devoir, répondit froidement Lédara.

Sur ce, le petit groupe partit au galop sur le pont d'accès à la forteresse.

La petite équipe atteignit la Côte orageuse en moins de six jours, le temps ayant été clément avec eux. Sur place, ils s'installèrent dans le campement érigé par l'Eclaireuse Harding la première fois qu'ils étaient venus, une petite garnison était restée pour surveiller la côte. Les soldats indiquèrent à l'Inquisitrice les emplacements repérés d'où pouvaient provenir les engeances, puis indiquèrent également les récents déplacements des templiers rouges. Apparemment, ils organisaient un port de fortune pour de la contrebande avec les Marches Libres.

Il était à peine passé midi, ce qui décida l'Inquisitrice à partir tout de suite en chasse. Quand le petit groupe rencontra les premières engeances, Lédara ne prit pas la peine de tirer à l'arc mais dégaina ses deux lames et fonça sur l'ennemi le plus proche, ce qui surprit ses autres compagnons. A la fin du combat, Cassandra se permit un commentaire :

- Vous nous avez pas habitués à monter au front ainsi, y a-t-il une raison à ce revirement ?

- Désolée, je crois que cela me manquait plus que je ne l'aurais pensé, répondit-elle simplement en évitant le regard insistant de sa compagne.

La Chercheuse se contenta de cette réponse mais savait que cet acte cachait autre chose. La petite équipe reprit instamment la route et suivit l'itinéraire des engeances jusqu'à la source d'une petite rivière souterraine. Là, une cavité béante donnait accès aux Tréfonds et permettait aux engeances de sortir à la surface. Bull et Blackwall s'attelèrent à combler la brèche pendant que les deux femmes réapprovisionnaient les gourdes à la source d'eau fraîche. Ce premier problème réglé, la petite équipe se rendit au bastion des Lames d'Hessarian pour y passer la soirée et la nuit. Il ne servait à rien de s'enfoncer plus avant à la recherche des templiers alors que le jour déclinait.

Les Lames, heureux de la visite de la Messagère d'Andrasté, mirent à sa disposition et à celle de ses compagnons tout ce qu'ils pouvaient : ils libérèrent l'ancienne hutte du chef pour l'Inquisitrice et amenèrent tout ce qu'ils avaient pu trouver d'utile, que ce soit des armes, de la nourriture, des plantes médicinales et tous les derniers potins de la région. Ce fut pour eux l'occasion d'organiser un petit festin en l'honneur de l'Inquisitrice et tous y prirent beaucoup de plaisir. Seule la principale intéressée restait morose, même si de façade elle paraissait joyeuse et festive. La distance que Lédara avait mise avec Fort Céleste ne la soulageait pas autant qu'elle l'aurait espéré car elle n'arrivait pas à chasser le Commandant de son esprit. Ses paroles avaient cinglés son cœur telle une pluie glacée, la laissant meurtrie. Elle aurait d'ailleurs souhaité que ces mêmes paroles fassent naître en elle une certaine colère qu'elle aurait pu évacuer en combattant, ou en le haïssant. Pourtant, il n'en était rien. Il lui suffisait de repenser à son baiser pour être soudain envahie d'une chaleur ardente, le souvenir de ses lèvres contre les siennes, de ses mains enserrant son visage d'une douce fermeté et cette caresse sur sa lèvre inférieure rougie par son baiser…

La lune était haute dans le ciel lorsque tous se couchèrent enfin. Lédara s'était allongée sur la paillasse de l'ancien chef des Lames, n'ayant enlevé que son manteau, ses gants, ses bottes et sa ceinture, mais ne pouvait fermer l'œil. Il lui fallait trouver un moyen d'oublier, de passer à autre chose. La jeune femme avait le regard fixé sur la toiture de bois recouverte de chaume, entortillant machinalement les lacets de son corsage autour de ses doigts. Soudain, elle se leva et sortit doucement de la hutte. Elle balaya la petite cour du regard et aperçut Iron Bull assis contre une pierre non loin de là qui s'assoupissait. Elle s'approcha discrètement de lui et le sortit de son demi-sommeil.

- Bull, suivez-moi, dit-elle à voix basse.

Le Qunari se leva sans poser de questions et la suivit dans la hutte. Pas encore tout à fait réveillé, il s'assit sur la paillasse en se frottant l'œil. Quand Lédara eut refermé la porte, il lui demanda en baillant :

- Alors, Chef, que…

A cet instant, la jeune femme se jeta sur lui et l'embrassa à pleine bouche. Bull, tout à fait éveillé cette fois-ci, l'enserra dans ses bras, lui rendant son baiser avec plus de passion. Lédara s'assit sur les cuisses du colosse, plaquant son corps contre le sien, ses mains tâtant le dos du Qunari pour détacher lestement son harnais de cuir. Sa peau était striée de cicatrices et rugueuse à certains endroits, comme celle d'un dragon. Bull l'aida à retirer ce qui lui servait d'armure et se retrouva torse-nu. Il s'attaqua au corset de la jeune femme, le délaçant avec une habileté inouïe. Il put alors passer ses larges mains sous sa chemise, caressant son dos puis il saisit l'un de ses seins tout en l'embrassant. Excité par ce désir qui se réalisait, il la saisit vigoureusement par la taille et l'allongea sur la paillasse, plaçant son genou entre ses cuisses. Lédara eut un petit sursaut mais se laissa faire. Il avait des mains expertes et malgré sa carrure et sa fougue, ses mouvements étaient mesurés et sensibles, la brusquant juste ce qu'il fallait. Bull passa sa main dans les cheveux roux de la jeune femme et les empoigna fermement, lui renversant la tête en arrière afin d'embrasser à loisir son cou nu et blanc. Lédara eut un frisson et poussa un léger soupir d'excitation, surprise par l'audace du Qunari. Celui-ci fit tomber la chemise de la Marchéenne sur une de ses épaules pour caresser de sa langue sa clavicule et sentir sa poitrine se soulever rapidement sous sa chemise de lin. Il relâcha les cheveux de la jeune femme pour caresser son visage, mais s'arrêta net lorsqu'il sentit sous ses doigts une larme qui avait coulé le long de sa joue. Le Qunari avait beau être expert et éveiller en elle un désir profond, elle ne pouvait s'empêcher de penser à Cullen. Son plan échouait.

Bull s'assit sur la paillasse et regarda l'Inquisitrice, distinguant son visage désespéré dans l'obscurité. Elle s'assit à ses côtés, n'abandonnant pas son idée et l'attirant à elle. Mais le Qunari l'arrêta :

- Qu'est-ce qui se passe ? murmura-t-il.

Lédara ne put répondre de peur que sa voix tremblante ne la trahisse. Elle essaya à nouveau de l'attirer à elle pour l'embrasser mais il l'arrêta encore.

- Pourquoi ce revirement ? Pourquoi maintenant ? demanda-t-il encore à voix basse.

La jeune femme ne tint plus et s'effondra contre lui, en larmes.

- Aidez-moi à l'oublier, je dois l'oublier… dit-elle en sanglotant.

Iron Bull la prit alors doucement dans ses bras, la laissant pleurer à son aise tout en caressant ses cheveux. Quand il sentit qu'elle se calmait, il la saisit délicatement par les épaules et la regarda droit dans les yeux :

- Maintenant, expliquez-moi tout.

Lédara lui raconta alors ce qu'il s'était passé entre elle et le Commandant. Bull l'écouta religieusement, imprimant les moindres détails de son histoire dans son esprit de Ben-Hassrath. Il l'interrogea sur les réactions de Cullen, sa manière d'agir, de bouger, de répondre, ses intonations. Lédara y répondit, même si elle trouvait certaines de ses questions étranges. Puis, il posa cette dernière question :

- Vous a-t-il dit qu'il ne vous aimait pas, ou qu'il ne vous désirait pas ?

La jeune femme resta silencieuse, stupéfaite de la question.

- Il m'a dit d'oublier ce qui s'était passé, il ne veut pas…

- Est-ce qu'il vous a dit qu'il ne vous désirait pas ? insista le Ben-Hassrath.

Lédara fronça les sourcils.

- Non, mais il n'a jamais dit le contraire non plus…

- Arf, fit le Qunari, vous, les femmes, vous devriez arrêter de tout sur-interpréter.

- N'est-ce pas ce que vous faites, vous, les Ben-Hassrath ? rétorqua-t-elle sur la défensive.

- Non, on interprète. C'est pas la même chose. Je vais vous dire : votre Commandant, ça crève les yeux qu'il vous désire. Je l'ai vu quand nous étions encore à Darse.

- Ce n'ai pas l'impression que j'ai eue, et vous ne m'aidez pas, Bull, marmonna désespérément Lédara. Je n'arrive plus à me concentrer correctement, il faut que je me ressaisisse d'une manière ou d'une autre, et vous, tout ce que vous trouvez à me dire, c'est qu'il me désire…

Lédara se laissa tomber de tout son long sur la paillasse, frustrée et épuisée.

- Laissez-moi finir, répondit Bull, il vous désire car si c'était le contraire, il vous l'aurait fait savoir la dernière fois que vous l'avez vu. Là, il n'a pas pu vous le dire, c'était trop dur pour lui d'exprimer un tel mensonge. Pour preuve, son attitude quand il vous a parlé : il ne vous a jamais regardée en face, sa voix était monocorde et c'est lui qui a mis fin à la discussion en partant.

Lédara l'observait du coin de l'œil. Certes, mais en quoi cela pouvait l'aider à tourner la page ?

- Les raisons qu'il vous a citées, continua-t-il, elles doivent compter, mais je pense qu'il y a une autre raison qui le motive.

- Laquelle ? demanda la jeune femme en se relevant sur ses coudes, sa chemise encore ballante sur son épaule.

- Alors là, répondit Bull, je ne suis pas dans sa tête non plus.

Lédara poussa un profond soupir.

- Laissez-lui une chance, finit par dire Iron Bull, et même si je me trompe sur son compte, au moins vous saurez que ce n'était pas de votre faute.

Lédara hocha de la tête. Après un moment de silence, le Qunari prit son propre visage dans ses mains et secoua vigoureusement la tête.

- Quel abruti je peux être, grogna-t-il à travers ses doigts, remettez votre corsage avant que je ne puisse plus me contrôler.

Lédara remit rapidement son corset et enfila également son manteau.

- Je suis désolée, Bull, dit sincèrement la jeune femme.

- Ne vous en faites pas, grogna-t-il encore, tant que ça reste entre nous, tout va bien, car si Cullen l'apprend un jour… je suis un homme mort.

- Vous exagérez, dit l'Inquisitrice peu convaincue.

- Oh que non, lança sérieusement Bull, vous êtes bigleuse ou quoi ? Arf, laissez tomber. Je vais me passer un peu d'eau froide.

Iron Bull sortit discrètement de la chaumière et laissa l'Inquisitrice seule avec ses pensées qui tournoyaient à nouveau dans son esprit. Bull pensait-il vraiment ce qu'il lui avait dit ? Devait-elle laisser une chance à Cullen ? Elle s'appuya contre le mur, assise en tailleur sur la pauvre paillasse et tenta de réfléchir. Le Commandant ne la rendait de loin pas indifférente, et cela depuis plus longtemps qu'elle pouvait le concevoir mais ce qui s'était passé ces derniers jours l'avait profondément blessée. Quelle raison pouvait le freiner ainsi ? C'était pour elle une énigme et elle souhaitait au fond d'elle la résoudre, découvrir ce qu'il enfouissait ainsi en lui. Toutefois, elle lui laisserait une chance seulement s'il venait à faire le premier pas… Lédara s'endormit enfin l'esprit légèrement plus apaisé.

Le lendemain, l'Inquisitrice et ses trois compagnons repartirent à la recherche des templiers rouges. Ceux-ci n'étaient que très peu nombreux et l'affaire fut bien vite réglée. Lédara reprit la route de Fort Céleste plus sereinement, même si elle appréhendait de revoir le Commandant de l'Inquisition.

Le petit groupe fut de retour quelques jours avant le départ officiel de l'Inquisitrice pour le Palais d'Halamshiral, pour le plus grand soulagement de l'Ambassadrice Montilyet qui s'était rongé les sangs durant toute la durée de l'absence de cette dernière. Les tenues d'apparat étaient fin prêtes et les troupes de soldats qui allaient être introduites discrètement dans le Palais avaient été informées de leur mission. Tous les compagnons de Lédara avaient obtenu l'autorisation de l'accompagner en plus de la venue de ses trois conseillers, naturellement.

L'Eclaireuse en chef Harding avait été envoyée pour installer un campement non loin d'Halamshiral afin que l'Inquisitrice et sa suite puisse se préparer à entrer dans le Palais en grandes pompes, comme l'avait prévu l'Ambassadrice.

L'Inquisitrice partit quelques jours avant la date fatidique afin d'éviter tout retard malencontreux. Le soir tant attendu arriva, et Dila, accompagnée de deux femmes de chambre, prépara l'Inquisitrice : sa tenue, sa coiffure, son maquillage, tout devait être parfait. Il fallut une bonne heure pour l'elfe et ses suivantes avant de pouvoir annoncer à l'Ambassadrice qu'elle était fin prête. Les trois conseillers, et tous les compagnons de Lédara, s'étaient également apprêtés avec les tenues officielles de l'Inquisition confectionnées spécialement pour l'événement. Elles étaient toutes sobres et assorties : pour les hommes, un pantalon droit noir avec un veston de même couleur fermé par une série de boutons d'argent en biais, col remonté, avec une ceinture de toile rouge drapée en écharpe autour de la taille et passant par-dessus l'épaule droite. De larges gants complétaient la tenue masculine. Seul le Commandant arborait un manteau blanc orné du blason de l'Inquisition retenu sur son épaule gauche par un fin cordon d'argent, ce qui remplaçait élégamment sa fourrure habituelle. Chacun d'entre eux avait le droit de porter une épée d'apparat, néanmoins suffisamment aiguisée pour se défendre. Pour les femmes, c'était une robe noire aux manches longues et étroites, col serré et remontant, avec la même écharpe de toile rouge drapée à l'identique des hommes. Joséphine et Léliana arboraient également une tenue différente, symbolisant la hiérarchie de l'Inquisition.

Quand Joséphine sut que l'Inquisitrice était parée, elle donna rendez-vous aux conseillers dans le pavillon de celle-ci afin de faire un dernier point sur le déroulement supposé de la soirée. Lorsque Cullen entra sous la grande tente accompagné de ses collègues, il ne s'attendait pas à en avoir le souffle ainsi coupé : Lédara, entendant ses trois conseillers entrer, se retourna dans un bruissement d'étoffes. Sa robe était à la fois sobre et somptueuse, dans les tons bleu nuit et qui mettait en valeur ses atours de femme tout en restant d'une sobre austérité. Elle était composée d'un bustier dont l'avant était entièrement brodé d'entrelacs en fils d'argent, surmontant une large jupe ornée de broderies aux mêmes teintes que l'ensemble mais qui restaient d'une grande discrétion. Par-dessus cette robe, Lédara portait un manteau de taffetas noir dont les coutures des épaules et du dos étaient soulignées d'un liseré de soie argentée rappelant les broderies du bustier. Les manches étaient composées de deux parties, l'une étroite épousait parfaitement les bras de l'Inquisitrice jusqu'à mi- mains, surmontées ensuite de larges pans de tissus retombant des épaules jusqu'au bas de la robe. Le col était remontant mais ne se fermait qu'à partir de la poitrine, dévoilant le haut de sa gorge d'un blanc immaculé. Ses cheveux roux sombres avaient été remontés en un élégant chignon composé d'une large tresse et de mèches joliment arrangées, un serre-tête de perles illuminant sa chevelure deux petites mèches ondulées encadraient son visage à peine saupoudré de blanc. Ses yeux avaient été soulignés avec un fin trait de khôl et ses lèvres légèrement rougies avec du carmin intense. Lédara, qui avait naturellement une certaine prestance dans sa démarche, était entièrement magnifiée dans cette tenue de minuit qui ressemblait à un ciel étoilé.

L'Inquisitrice ressentait de plus en plus les effets du trac et faisait tout pour le cacher. Seules ses mains la trahissaient car elle se les tortillait sans cesse, sa marque luisant au creux de sa main gauche.

- Bien, dit Joséphine, rrrécapitulons : la question que nous nous posons est « où se cache notrrre ennemi ? ». C'est la Grrrande Duchesse Florianne, cousine de l'Impératrrrice et sœur de Gaspard, qui organise ce bal qui s'annonce êtrrre masqué suivant la coutume orlésienne. Pendant les festivités, Célène rencontrrrera le Duc Gaspard qui cherche à la rrrenverser, et l'Ambassadrrrice Briala pour négocier un trrraité de paix.

- L'assassin se cache sûrement dans une de ces factions, précisa Léliana.

Lédara avait la boule au ventre et la gorge serrée. Joséphine lui tendit un masque d'apparat d'une grande finesse. L'Inquisitrice le prit entre ses mains, admirant le métal ajouré qui n'encadrerait que ses yeux.

- Faut-il vraiment qu'on se rende aux négociations ? demanda la jeune Marchéenne qui commençait à paniquer. L'Impératrice a sûrement une garde rapprochée, nous pourrions nous contenter de la prévenir.

- Nous avons déjà tenté cette méthode, lui rappela Joséphine, mais…

- Apparemment, dit mystérieusement la Maître-espionne, elle n'a jamais reçu nos messages. Quelqu'un doit les intercepter.

- Mieux vaut ne rien laisser au hasard, ajouta Cullen en se raclant la gorge, si Orlaïs tombe entre les mains de Corypheus, nous ne serons plus en sécurité nulle part.

- Alors, fit Joséphine pour tester une dernière fois les connaissances de l'Inquisitrice, dites-moi tout ce que vous savez de l'Impératrrrice.

- L'Impératrice Célène est connue pour son travail de diplomate et pour ses réformes, récita Lédara, elle œuvre sans relâche pour assurer la paix dans l'Empire. Malheureusement, pour beaucoup d'Orlésiens, cela se traduit par de la complaisance. Comme elle n'a toujours pas nommé de successeur, l'avenir de l'Empire est incertain s'il lui arrive quoi que ce soit. D'autant que son plus proche parent, son cousin Gaspard, n'est pas en bons termes avec le Conseil des Messagers.

- Jour et nuit, intervint Léliana, Célène est entourée d'une nuée de gardes, courtisans, serviteurs et autres vassaux. Pour un assassin, quel meilleur endroit pour se cacher que le proche entourage de l'Impératrice ?

- J'ai un doute, dit alors Lédara, comment se fait-il que Gaspard soit le prochain sur la liste de succession alors qu'il est en guerre contre l'Impératrice ?

- Son titre de « Grand Duc » indique qu'il a été prince avant que l'Impératrice n'accède à la couronne, lui expliqua le Commandant.

- Que savez-vous sur le Grrrand Duc Gaspard ? continua à l'interroger Joséphine.

- C'est le cousin de Célène, il est en guerre contre elle…

Lédara se tordit les mains de plus belle, la tête baissée en essayant de se souvenir.

- L'homme qui voulait être empereur… lui souffla Cullen avec bienveillance.

… c'est à lui que devait revenir le trône quand l'Empereur Florian s'est éteint, lança la jeune femme en relevant la tête sans jeter un seul coup d'œil au Commandant. Mais Célène lui a coupé l'herbe sous le pied. Le Conseil des Messagers, qui statue sur les querelles de titres, lui a donné raison. Elle est donc devenue impératrice tandis que lui a été nommé général de l'armée impériale. Ses troupes l'apprécient beaucoup.

- C'est également un berruier, ajouta le Commandant, la plupart d'entre eux se sont rangés de son côté quand il s'est dressé contre l'Impératrice.

- Je croyais que les berruiers faisaient partie de l'armée, l'arrêta Lédara, pourquoi se mettraient-ils à soutenir le Duc ?

- La plupart des berruiers prêtent le serment de servir la couronne, expliqua encore Cullen, mais pas forcément l'individu qui la porte. L'Impératrice a voulu améliorer les relations avec Férelden et le Névarra. Les berruiers la considèrent comme une opposante à l'armée. Ils sont persuadés que Gaspard peut rendre toute sa splendeur à l'Empire, comme à l'âge d'or de Drakan.

- Et que savez-vous de l'Ambassadrrrice Briala ? finit Joséphine.

- Elle n'a d'ambassadrice que le nom, récita à nouveau Lédara, c'est elle qui a rassemblé l'armée d'elfes dissidents à Halamshiral. L'Impératrice l'a invitée aux pourparlers de paix dans l'espoir de contracter une alliance avec les elfes.

- Vous imaginez le scandale ? s'exclama Léliana, sans parler des rumeurs selon lesquelles Briala serait une ancienne conquête de Célène. Une rancune personnelle et un réseau de saboteurs sous ses ordres ? hmm, cela promet…

- Attendez, intervint Lédara, la chef des elfes serait une ancienne conquête de l'Impératrice ? On ne me l'a pas dit, cela.

- Ce n'est pas de notoriété publique, précisa Léliana le sourire aux lèvres, juste un ouï-dire qui circulait parmi les serviteurs du palais, il y a quelques années. Si la rumeur se confirme et vient à se répandre… l'Impératrice avec une elfe… la cour de Célène ne s'en relèverait pas. Même s'il s'agit d'un mensonge, Briala pourrait s'en servir pour faire chanter l'impératrice. Elle a de l'influence.

- D'autres nouvelles de ce genre auxquelles je ne serais pas au fait ? soupira Lédara, exaspérée.

Les trois conseillers se regardèrent et hochèrent de la tête à la négative. Il était temps de parler des aspects pratiques de la mission.

- Avec les armées de Gaspard et de Célène en position, rappela le Commandant, nous ne pouvons pas déployer nos troupes devant le palais.

- Mes agents se chargeront de faire entrer vos soldats, lui répondit la Maître-espionne, mais pas trop à la fois, pour ne pas éveiller l'attention.

- Compris, dit Cullen, nos soldats ont été scindés en petits groupes, ils savent ce qu'ils ont à faire.

Les trois conseillers étaient prêts et Lédara dut se rendre à l'évidence : elle ne pouvait échapper à cette mission. Elle aurait mille fois préféré combattre le dragon de Corypheus. Léliana sortit du pavillon et appela l'attelage qui emmènerait l'Inquisitrice devant les portes du palais, le reste de l'équipage montant simplement à cheval. Seules Joséphine et Léliana feraient la route avec elle dans le carrosse. Quand la voiture fut avancée devant le pavillon, Cullen sortit en premier, suivi de Léliana, Joséphine et Lédara. Il aida la Maître-espionne et l'Ambassadrice à monter, puis ce fut au tour de l'Inquisitrice il présenta sa main à Lédara qui la prit sans poser les yeux sur lui, ne pouvant encore maîtriser totalement ses émotions. Elle monta élégamment dans le carrosse dont le Commandant referma la porte. Cullen se dirigea ensuite vers sa monture, le regard vide, lorsque Dorian l'interpella :

- Songeur, Commandant ? dit le mage nonchalamment.

- J'ai peur de l'avoir perdue, souffla Cullen en prenant les rênes de son cheval.

- En même temps, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-même, rétorqua Dorian en s'éloignant.

Cullen ferma les yeux un instant et poussa un long soupir. Le jour où l'Inquisitrice était partie inopinément pour la Côte orageuse, il avait su que c'était suite à ce qu'il lui avait dit dans la salle de Commandement. Il ne savait pas comment elle réagirait, il ne s'était même pas posé la question de quelle serait sa réaction d'ailleurs, car il s'était lui-même persuadé de la justesse de son refus de l'aimer. Il avait été désorienté par son départ soudain et s'était senti coupable. Et comme le disait si justement Dorian, il avait de quoi l'être. Le soir même, il était allé à la taverne, n'arrivant plus à se concentrer sur son travail. Là, le mage tévintide l'avait rejoint à sa table, lui proposant de goûter à un vin qu'il avait fait venir de Tévinter. Le Commandant avait accepté et s'était ensuivie une conversation qui avait aiguisé sa curiosité :

- L'Inquisitrice m'a semblé… tourmentée lors de son départ, qu'en pensez-vous ? dit ingénument le mage.

Cullen ne répondit pas tout de suite. Dorian le relança :

- Aurait-elle reçu une nouvelle contrariante ?

- C'est possible, répondit simplement le Commandant.

- Quand elle est venue me proposer de l'accompagner, continua Dorian, je l'ai trouvée, quel serait le mot juste… désemparée ? ou peut-être désespérée, je ne saurais dire.

- Que voulez-vous que je vous dise ? lança Cullen qui était à cran.

- Ce qui lui est arrivé, répondit Dorian du tac au tac.

- Et pourquoi le saurais-je ? rétorqua le Commandant.

- Pourquoi ne le sauriez-vous pas ? répliqua le mage.

Le silence se fit lourd entre les deux hommes.

- C'est une personne délicieuse, Commandant, reprit posément Dorian, et je m'inquiète pour elle. Hier, sa joie illuminait ces murs, et aujourd'hui elle quitte le fort sans rien dire à ses propres conseillers. Avouez que cela soulève certaines interrogations.

- Je le conçois, soupira Cullen.

Un nouveau silence s'installa entre eux.

- Si la mémoire devait vous revenir, dit enfin Dorian, sachez que vous pouvez compter sur ma discrétion.

Sur ce, le mage se leva en saluant brièvement le Commandant avant de quitter la taverne. Dorian savait quelque chose, ses insinuations étaient trop flagrantes pour le nier. Mais que cherchait-il à faire ? Quel était son but ? Récolter de croustillantes rumeurs sur l'Inquisitrice pour ensuite les utiliser contre elle ? Ou s'inquiétait-il réellement pour elle ?

La nuit qui suivit cette discussion fut un véritable calvaire pour l'ancien templier : il regrettait ce qu'il avait dit à l'Inquisitrice dès le moment où ses paroles étaient sorties de sa bouche. Il s'était persuadé en vain que la repousser était la meilleure chose à faire. S'ajoutait à cela la réaction de la jeune femme qui l'affectait profondément, ses mots résonnant dans sa tête ainsi qu'un marteau contre son enclume, « mon devoir »… A cet instant-là, il aurait fait n'importe quoi pour obtenir une fiole de lyrium, cela lui aurait permis d'oublier ce qu'il avait fait, ce qui le torturait tant. Toute la nuit il lutta contre son addiction, perdant complètement le sommeil et la notion du temps. Cassandra n'était pas là pour qu'il puisse se confier à propos de son abstinence, cependant… Il avait conscience que ce n'était pas la source du problème. Il avait alors décidé d'aller voir Dorian dès le lendemain matin.

Celui-ci était dans la bibliothèque à feuilleter un livre sur la nécromancie. Quand le mage aperçut le Commandant qui s'approchait de lui, il referma l'ouvrage qu'il consultait et le remit à sa place.

- Pouvons-nous parler ? demanda Cullen sans détour.

- Allons dans un endroit moins fréquenté, suggéra le mage.

Les deux hommes trouvèrent une salle non encore exploitée tout près de là. Après avoir vérifié qu'ils étaient seuls, ils s'assirent à une table un peu poussiéreuse et Cullen lui raconta succinctement les faits : son attirance pour l'Inquisitrice, le baiser, ses paroles malencontreuses. Dorian, quand il entendit la dernière partie de l'histoire, sauta littéralement d'horreur.

- Vous avez osé lui dire une chose pareille ! s'écria-t-il abasourdi. Mais il faut être idiot pour faire cela ! Qu'est-ce qui vous a pris ?

Cullen se prit la tête entre les mains, désespéré.

- Je ne la mérite pas, murmura alors le Commandant.

- Comment cela ? Expliquez-vous, dit Dorian plus calmement.

- Je… j'ai fait des choses dont je ne suis pas très fier, ma vie n'a été qu'une succession d'échec et de plongées dans l'abîme. L'Inquisition est pour moi une occasion de pouvoir me racheter, je ne veux pas gâcher cette chance.

- Et en quoi aimer l'Inquisitrice pose problème ? demanda Dorian sans porter de jugement sur ce que lui confiait le Commandant.

Cullen ne sut quoi répondre. Il ne pouvait révéler sa raison sans divulguer sa tentative d'abstinence et ses causes par la même occasion.

- Je ne veux pas qu'elle souffre, résuma-t-il.

- Hé bien bravo ! c'est réussi, soupira Dorian. Et c'est pour cela que vous lui donnez de l'espoir pour ensuite l'anéantir juste après ?

- Cela n'aurait jamais dû arriver, lança Cullen.

- Qu'est-ce qui n'aurait jamais dû arriver ? rétorqua le mage. Le baiser ou la rupture prématurée ?

Un lourd silence s'installa.

- Ou alors vous n'aviez jamais prévu de tomber amoureux, devina Dorian. En somme, ce dont vous avez peur, c'est de vos propres sentiments, pas vrai ?

Cullen resta silencieux.

- Vous dites avoir subi une série d'échec tout au long de votre vie, reprit Dorian, mais si vous regardez ce cas précis, vous ne vous attirez que les inconvénients : en vous interdisant de l'aimer, vos sentiments pour elle ne disparaissent pas pour autant. C'est l'Inquisitrice, elle prend des risques à chaque mission et vous ne pouvez rien y faire, soit. Mais que vous soyez à ses côtés ou non, cela ne vous empêchera pas de vous faire un sang d'encre à chaque fois qu'elle partira de Fort Céleste.

- Son combat contre l'Ancien peut la mener à la mort, murmura alors Cullen.

- En effet, c'est un risque qui est fort probable, confirma Dorian, mais mettez-vous à sa place : est-ce que vous préféreriez affronter cette situation seul ou avec une personne que vous aimez ?

- Je ne pourrais jamais lui offrir la vie qu'elle mérite, continua Cullen après un moment de silence.

- Qu'est-ce que vous en savez ? s'écria le mage avec exaspération, vous le lui avez demandé ? Vous a-t-elle dit ce qu'elle attendait ? A-t-elle seulement des attentes particulières ?

Cullen fixait du regard la table, réalisant peu à peu l'énormité de son erreur.

- Par le Souffle du Créateur, qu'ai-je fait ? souffla-t-il.

- Vous avez gâché une chance de pouvoir être avec une sublime créature au cœur d'or, lui répondit Dorian en maugréant. Là, en effet, j'aurais tendance à dire que vous ne la méritez pas…

Le mage tévintide observa le Commandant en plein désarroi et eut pitié de lui.

- Cependant, dit-il alors lentement, votre erreur est peut-être réparable.

- Je ne vois vraiment pas comment, marmonna Cullen, jamais elle ne pourra me pardonner ce que je lui ai fait.

- Holà, pas si vite, l'arrêta Dorian. Certes, ce ne sera pas chose facile, mais c'est possible. Il vous faudra par contre faire preuve de beaucoup de gentillesse, de douceur et d'amour. Et la surprendre. Dans le bon sens, je veux dire.

Cullen le regarda, peu convaincu.

- Acceptez-vous mon aide ? demanda alors Dorian en se levant et en lui tendant la main.

Le Commandant l'avait saisie d'une bonne poigne, prêt à tout pour reconquérir le cœur de la Marchéenne.

Pendant le trajet, Joséphine réussit encore à passer en revue certains détails qu'elle avait peur d'avoir omis :

- La situation politique à Halamshiral ne tient qu'à un fil, dit-elle précipitamment, et l'Impératrrrice craint que notrrre prrrésence ne le rrrompe. Le Grand Duc se rrréjouit de nous prrrésenter à tout le monde comme ses invités. Que nous nous allions à lui ou rrrenversions l'équilibrrre du pouvoir, c'est une occasion qui s'offrrre à lui… si ce n'est un rrréel avantage.

L'Inquisitrice n'écoutait plus qu'à demi, se laissant bercer par le mouvement de l'attelage et le martèlement des sabots. Ils arrivèrent trop vite au portail du palais à son goût et la petite porte du carrosse s'ouvrit. Léliana et Joséphine descendirent en premier. Puis Lédara, après avoir pris une profonde inspiration, descendit à son tour. Cullen lui tendit à nouveau la main, l'aidant à sortir gracieusement de l'attelage. A nouveau, la jeune femme ne lui accorda aucune attention, restant impitoyablement impassible. La dizaine de soldats qui les escortaient jusque-là se tenaient en haie d'honneur devant l'entrée, officialisant l'arrivée de l'Inquisitrice dans la cour du palais. Quand Lédara se tint devant eux, elle disposa le masque devant son visage, et tous les soldats reculèrent d'un pas, libérant ainsi l'allée et dévoilant le chef de l'Inquisition à tous les autres invités déjà présents dans les jardins de l'entrée. D'un pas assuré et élégant, elle avança parmi ses soldats, suivie de ses trois conseillers, puis de ses compagnons le brouhaha s'était tu à son arrivée, et tous l'observaient attentivement derrière leurs masques. En face d'elle, devant une large fontaine que des lions et des aigles d'or gardaient, se tenait un homme à la prestance militaire. Il portait une armure d'apparat ornée de tissus indigo et ocre, une petite fourrure jetée sur l'épaule gauche et un masque en bronze couvrant le haut de son visage. C'était le Grand Duc Gaspard de Chalons et celui-ci s'avança devant le cortège :

- Inquisitrice Trevelyan ! dit-il en exécutant une majestueuse révérence, quel immense plaisir de vous rencontrer ! Recruter les mages rebelles dans votre armée, cela tient du génie. Imaginez ce que l'Inquisition pourrait accomplir avec le soutien de l'empereur légitime d'Orlaïs !

Lédara le salua d'une révérence.

- Une telle alliance aurait beaucoup d'avantages, répondit Lédara, flatteuse. Mais de quel empereur parlez-vous, au juste ? Je m'y perds vite dans tout cela.

- Le plus charmant de tous, bien entendu, ma chère dame, se désigna-t-il élégamment et en effectuant un baise-main à la jeune femme. Je ne suis pas homme à oublier ses amis, Inquisitrice. Aidez-moi, et je vous aiderai.

Puis le Grand Duc tendit son bras que Lédara prit avec grâce et tous deux se promenèrent lentement dans le jardin sous le regard de tous les autres invités et de ses conseillers.

- Êtes-vous prête à choquer l'assemblée en vous présentant au bras d'un vil usurpateur, ma dame ? dit-il avec un ton faussement scandalisé, ils parleront de cette soirée jusqu'au siècle prochain.

- Il faut dire que nous sommes certainement la chose la plus fascinante qu'ils verront de toute leur vie, dit-elle pour flatter l'ego de son partenaire.

- Je savais que nous nous entendrions à merveille, Inquisitrice, répondit-il de son ton mielleux. En tant qu'amie, vous allez pouvoir faire quelque chose pour moi, ce soir. Une elfe du nom de Briala risque, je le crains, de perturber les négociations de paix. Mes hommes ont trouvé ses « ambassadeurs » partout sur les fortifications. Le sabotage n'est sûrement pas leur plus grand crime.

- J'espère que vos soupçons ne se basent pas que sur le « comportement étrange » des elfes, répliqua Lédara avec un léger sourire.

- Cette « Ambassadrice », Briala, expliqua Gaspard en appuyant fortement ses mots, était au service de l'Impératrice. Enfin, jusqu'à ce que ma cousine la fasse arrêter pour crime contre l'Empire dans le but d'étouffer une erreur politique.

Gaspard emmena Lédara en haut des escaliers en demi-cercle qui entouraient la fontaine et menait à l'entrée principale du palais. Là, deux gardes orlésiens ouvrirent les grilles, laissant passer les deux invités dans un grand vestibule auquel on accédait par un large escalier de marbre orné d'un tapis vermillon. Le vestibule débordait de décorations, de statues, de rideaux, constituant un amalgame raffiné de luxes outranciers.

- Si quelqu'un dans cette salle veut du mal à Célène, Inquisitrice, continua le Grand Duc, c'est cette elfe. Elle a certainement ses raisons. Soyez aussi discrète que possible sur ce sujet. Je maudis le Jeu, mais si nous nous laissons mener, nos ennemis nous feront passer pour des scélérats.

Le Grand Duc guida la jeune Inquisitrice jusqu'à une nouvelle porte qui donnait accès à la salle de bal. Les trois conseillers de Lédara les avaient suivis de loin.

- Nous faisons attendre la cour, Inquisitrice, dit Gaspard enjoué, êtes-vous prête ?

La grande porte de bronze s'ouvrit devant eux, dévoilant la salle de bal du Palais d'Halamshiral réputée dans tout Thédas pour sa splendeur. Les deux invités disparurent ensemble dans la lumière aveuglante des lustres étincelants.