Chapitre 20 L'Emprise du Lion
- Maréchal, répéta encore l'Inquisitrice en tentant de garder son calme, j'ai besoin d'une force armée pour faire une descente dans les mines de Sahrnia. D'après mes derniers rapports provenant de la région, les templiers rouges ont entièrement investi la zone.
- Je comprends votre demande, lui répondit lentement le Maréchal Bastien Proulx, dirigeant des forces armées orlésiennes sur le front des Plaines Exaltées, mais je ne peux donner l'aval à mes troupes sans l'accord du Grand Duc Gaspard…
- Une promesse de soutien, ça ne compte pas ? s'emporta Lédara.
Elle se détourna du Maréchal et fit quelques pas dans la pièce de Fort Révasan où la majorité des troupes orlésiennes stationnées dans les Plaines Exaltées s'étaient réfugiées. L'Inquisitrice réfléchit un instant, la situation ne prenant pas le tour qu'elle aurait souhaité. L'Inquisition avait rétabli les communications entre tous les fronts des armées orlésiennes et avait réglé le problème des « Hommes Libres de Dalatie » qui avaient été embrigadés dans les plans des Venatori. Lédara et ses compagnons avaient trouvé le responsable des sortilèges et l'avaient interrogé avant qu'il ne succombe à ses blessures il n'était pas orlésien mais venait de Tévinter et servait en effet l'Ancien. Sa mission était de semer le chaos dans les forces armées afin de les diminuer le plus possible. Cependant, ce fut tout ce que l'Inquisitrice put tirer de lui, la résistance et la détermination ayant accompagné cet agent jusqu'à sa mort.
- Attendre le bon vouloir du nouvel Empereur nous fait perdre un temps précieux, dit Lédara qui essayait de garder son calme. En tant que militaire, vous devez le comprendre, non ?
- Je ne dis pas le contraire, répondit le Maréchal, et sincèrement, si cela ne dépendait que de moi, nous serions déjà en route pour l'Emprise du Lion.
Lédara poussa un profond soupir en voyant que l'officier ne céderait pas.
- Bien, écrivez à l'Empereur, dit-elle enfin.
Le Maréchal la salua et se mit tout de suite au travail. Quant à l'Inquisitrice, elle sortit de la pièce et se dirigea vers son pavillon où logeaient les membres de l'Inquisition. Lorsque Cassandra vit la Messagère revenir au campement, elle comprit que sa discussion avec le Maréchal ne s'était pas déroulée comme elle l'espérait. Lédara fit un signe à la Chercheuse de l'accompagner sous sa tente.
- Il refuse temps qu'il n'a pas l'accord écrit de Gaspard, résuma l'Inquisitrice, maussade.
Les deux femmes restèrent silencieuses un moment, jusqu'à ce que Cassandra brise la glace :
- Vous n'avez qu'à… vous servir, suggéra-t-elle, le regard brillant.
- C'est une mauvaise idée, déclara Lédara, ayant très bien compris ce que lui proposait la guerrière.
- Même très mauvaise, renchérit la Chercheuse, mais vous en avez le pouvoir. Ils vous suivront.
Lédara la fixa du regard.
- Dites aux soldats de lever le camp, fit-elle décidée, et faites en sorte que tout le monde nous voie partir.
La Chercheuse hocha la tête et sortit de la tente. La jeune femme l'entendit donner ses ordres et tous les soldats de l'Inquisition se mirent au travail. Lédara sortit à son tour et aida à plier bagage, donnant des ordres haut et fort pour que les forces orlésiennes l'entendent. Quand l'Inquisition fut prête à partir, l'Inquisitrice fit en sorte de passer devant tous les berruiers orlésiens qui les observaient, intrigués. Quand elle arriva aux portes de Fort Révasan, elle s'arrêta et se tourna vers les armées orlésiennes, accrochant du regard chaque soldat qu'elle apercevait.
- L'Inquisition a terminé son travail ici, dans les Plaines Exaltées, lança Lédara. L'Empereur Gaspard m'a demandé de l'aider à réunir ses armées, je l'ai fait.
Le silence s'établit et la voix de l'Inquisitrice rebondissait en écho aux quatre coins du fort.
- Nous partons maintenant pour l'Emprise du Lion, continua-t-elle en appuyant ses mots et les accompagnant d'un geste en direction des montagnes. Beaucoup de personnes ont besoin de notre aide là-bas. Des villages entiers ont été ravagés et pillés par les templiers rouges qui servent Corypheus des paysans, des artisans, des femmes et des enfants, tous orlésiens, disparaissent dans les montagnes près de Sahrnia.
Un murmure parcourut la foule des soldats.
- Je ne sais pas combien d'ennemis nous aurons en face de nous, reprit-elle, mais l'Inquisition combattra jusqu'à la mort s'il le faut pour repousser notre adversaire et faire la lumière sur ce qui se trame là-bas.
Les soldats de l'Inquisition se tenaient fièrement derrière l'Inquisitrice, en troupes disciplinées, écoutant avec dignité le discours de leur chef.
- Soldats d'Orlaïs, harangua Lédara, venez libérer votre peuple du joug de Corypheus ! Orlaïs a besoin de vous ! Suivez-nous jusqu'à Sarhnia et aidez l'Inquisition comme elle vous a aidés !
Un grondement s'ensuivit, tous les soldats et berruiers avaient entendu les paroles de l'Inquisitrice et se sentaient inspirés par l'adresse que leur avait fait la Messagère d'Andrasté. Une poignée d'hommes s'avancèrent et rejoignirent les rangs de l'Inquisition, suivis par d'autres, puis une multitude, vidant tout le fort de ses soldats. Ils étaient maintenant plus d'un millier derrière l'Inquisitrice, et le Maréchal Proulx, à la fois ému et désœuvré, s'avança devant la jeune femme qui avait à elle seule rallié une armée entière.
- Nous sommes avec vous, dit-il résigné.
Lédara esquissa un sourire et donna l'ordre de marche. Ensemble, ils allaient reprendre l'Emprise du Lion à l'Ancien.
Il fallut deux semaines de marche à l'armée qu'avait constituée l'Inquisitrice pour atteindre les abords de Sahrnia. L'hiver était plus rude et plus long dans cette région d'Orlaïs, et le seul accès possible en était le fleuve dénommé Sang-d'elfe, en souvenir du massacre des elfes qui résistèrent lors de la dernière Marche Exaltée, il y avait de cela plusieurs siècles. Tous les villages de la région dépendaient de ce fleuve pour le commerce, la nourriture et les communications. A l'approche de l'hiver, celui-ci gelait rapidement par une chute brutale des températures, isolant l'Emprise du Lion pour toute la saison. L'Inquisition rejoignit donc le fleuve et le remonta prudemment jusqu'à arriver dans les environs de Sarhnia, le chef-lieu de la région.
A leur premier jour de marche, l'Inquisitrice avait écrit à Fort Céleste, relatant le petit contretemps et la décision qu'elle avait prise de rallier les soldats orlésiens sans l'autorisation explicite de l'Empereur. Elle savait que cela causerait du remous parmi ses conseillers et avait d'ailleurs rapidement reçu une réponse houleuse, rédigée par Cullen :
Lédara,
Votre coup de force a fait défaillir Joséphine elle dit, je cite, « que vous détruisez tous nos efforts pour rallier le Grand Duc Gaspard ! S'il l'apprend, et il va l'apprendre, il sera furieux contre nous ! ». En effet, qu'est-ce qui vous a pris ? Vous avez une armée qui se constitue à votre entière disposition ici, à Fort Céleste, et vous faites déserter toute l'armée d'Orlaïs ? Car c'est la plus grande peur de Joséphine : que Gaspard considère que ses hommes ont déserté son armée… Personnellement, je pense que le nouvel Empereur est un homme raisonnable il ne peut condamner une armée entière pour désertion. Ce qui vous sauve au final, c'est que toute l'armée impériale vous ait rejoint. Maintenant, à voir comment réagira Gaspard.
J'avoue cependant que je suis rassuré vous savoir avec l'armée impériale pour reprendre l'Emprise du Lion m'apaise. Surtout que les berruiers orlésiens qui vous accompagnent sont des soldats réputés dans tout Thédas pour leur formation au combat. C'est un honneur pour tout soldat qui se respecte de combattre à leurs côtés. Je vous envierais presque !
Harding me tient régulièrement au courant de ce qui se passe à l'Emprise, et sachez que, si vous n'avez pas encore atteint Sarhnia, les templiers rouges ne se cachent plus et opèrent en toute impunité dans la région. Cela signifie qu'ils ont une force suffisante pour être dissuasive… et dangereuse.
Je vous en conjure, soyez prudente.
C.
Lédara replia la lettre et prit une grande inspiration. Elle avait certes réuni toute une armée sous sa bannière, il lui fallait maintenant la diriger. Dans quelques heures ils arriveraient à Sahrnia, près du campement avancé de l'Inquisition, et de là il lui faudrait déployer les forces de manière stratégique. Elle avait beau savoir qu'elle était bien entourée, le Maréchal Proulx la soutenait et la conseillait ainsi que Cassandra, la jeune femme avait tout de même peur. Peur d'échouer, de prendre les mauvaises décisions. C'était bien moins simple qu'une partie d'échec des vies humaines dépendaient de ses choix. Lédara rangea soigneusement le pli dans une poche de son manteau de cuir, sous sa large ceinture, puis donna l'ordre de reprendre la route. Elle souhaitait arriver au village avant la tombée de la nuit.
Les troupes armées aperçurent enfin le campement de l'Inquisition, et Lédara se rendit immédiatement auprès de l'Eclaireuse Harding en compagnie de Cassandra et du Maréchal.
- Inquisitrice, l'accueillit la jeune femme naine.
Les trois lui rendirent son salut et suivirent l'Eclaireuse qui leur présenta le village de Sarhnia d'un geste de la main, du moins ce qu'il en restait. Les maisons avaient été détruites par un violent incendie et les habitants se logeaient dans des tentes fournies par l'Inquisition. Un rempart avait été dressé devant le village, fait de pierres et de piques de bois afin de repousser les templiers qui avaient amorcé le siège du village. Si l'Inquisition n'avait pas été là, Sarhnia ne serait plus qu'un nom sur une carte.
- On est aux abords de Sahrnia, fit Harding à l'Inquisitrice, c'est tout ce qu'il reste de la ville. Les chanceux ont pu s'échapper avant que la rivière ne gèle au début de l'hiver les autres ont été coincés par les failles et les templiers rouges. Ceux-ci ont des avant-postes partout dans les collines. Nos éclaireurs n'ont pas réussi à passer. Beaucoup d'ouvriers ont disparu depuis l'arrivée des templiers et ils lancent des attaques régulièrement. Ils veulent l'Emprise du Lion, ils y tiennent vraiment…
- J'ai bien fait de ramener l'armée impériale ici, alors, remarqua Lédara, affligée par la vision du village réduit à l'état de ruines.
- Je savais qu'on pouvait compter sur vous, dit Harding pleine d'espoir, allons la récupérer.
Lédara lui sourit, mais elle appréhendait la tâche qui l'attendait. Elle demanda au Maréchal d'installer ses troupes près du village et de monter rapidement une défense. Pendant ce temps, elle-même descendrait dans le village pour prendre la température parmi les survivants. La jeune femme invita ses compagnons à la suivre et se rendit auprès des villageois qui accueillirent la Messagère avec soulagement. Une femme d'un certain âge, élancée et affaiblie par le froid, vint se présenter.
- Dame Inquisitrice, dit-elle respectueusement, je suis Maîtresse Poulin, maire de ce village. Du moins ce qu'il en reste. Je fais ce que je peux pour le maintenir, et vos éclaireurs nous ont aidés à tenir bon jusque-là.
- Je vais faire parvenir des provisions depuis Fort Céleste, répondit Lédara afin de rassurer dame Poulin, l'Inquisition maintiendra les voies d'accès afin que nous ne soyons pas coupés du reste de Thédas.
- Je vous remercie, Votre Grâce. Nous vous remercions tous d'être venue en personne nous aider.
- Venez vous installer près du feu, nous pourrons discuter plus facilement, fit Lédara qui s'inquiétait de l'état de santé de l'Orlésienne.
Elles s'installèrent toutes les deux sur les longs bancs improvisés et l'Inquisitrice fit demander des couvertures que les soldats avaient amenées des Plaines Exaltées. Les villageois vinrent se servir, et du bouillon fut préparé en quantité.
- Dites-moi, commença Lédara qui voulait en savoir plus sur l'arrivée des templiers dans la région, que savez-vous des templiers ? Comment sont-ils devenus si puissant ici ?
- Je suis en partie responsable de ce qu'il s'est passé, avoua dame Poulin. Les templiers rouges sont là parce que, inconsciente que je suis, je leur ai vendu la carrière de granit de ma famille. Ils ont pris tous les ouvriers, on ne les a pas revus depuis des semaines. Mais cela ne leur suffit pas. Ils reviennent encore et encore pour enlever d'autres victimes… je n'ai rien pu faire pour les arrêter.
- Comment se fait-il que vous ayez vendu des terres aux templiers rouges ? s'étonna l'Inquisitrice.
- Je ne savais pas ! s'exclama la pauvre femme, je vous le jure, sur le bûcher d'Andrasté ! Ils avaient l'air de chevaliers, de berruiers ! Tous leurs beaux discours… Ils voulaient rouvrir la carrière, employer tout le monde et négocier avec Sarhnia. On survit tant bien que mal, depuis le début de la guerre. Comment est-ce que j'aurais pu refuser ?
L'Inquisitrice l'écouta attentivement, laissant dame Poulin s'expliquer.
- Au début, tout allait bien, continua la maire de Sarhnia, les gens allaient au travail. Ils étaient payés. Puis ils ont arrêté de rentrer chez eux. Après… les templiers ont cessé de jouer la comédie. Les ouvriers ne furent plus les seuls à disparaître, e- t parfois on peut apercevoir des convois bien protégés se diriger vers les mines.
Lédara poussa un petit soupir : les templiers avaient berné tout le village suffisamment longtemps pour renforcer leur position.
- J'ai juste prié pour qu'ils nous laissent tranquilles, ma famille et moi, finit-elle par dire en sanglotant.
Les villageois étaient restés auprès du feu certains avaient le regard vide sur les flammes, un bol de bouillon dans les mains, d'autres semblaient en vouloir à dame Poulin d'avoir laissé les templiers agir ainsi. Lédara les observa, puis se leva et s'approcha des remparts. Des soldats orlésiens étaient venus relever la garde des éclaireurs de l'Inquisition. Harding avait à nouveau envoyé un petit groupe inspecter les alentours, et l'Inquisitrice les vit revenir par la forêt de Perchebois qui bordait la route. Quand ceux-ci aperçurent la Messagère, ils vinrent directement lui faire leur rapport : un campement armé était en poste au bout de la route, devant les grottes qui donnaient accès à l'autre flanc de la montagne. Il leur avait été impossible d'aller plus loin. L'Inquisitrice leur somma de rejoindre Harding afin qu'elle transmette les informations à Fort Céleste tandis qu'elle-même retrouverait Cassandra et le Maréchal Proulx pour établir un premier plan de bataille.
Le chef des troupes orlésiennes s'avéra d'une grande aide de par sa longue expérience des champs de bataille. Il proposa à l'Inquisition une approche rapide et efficace du premier avant-poste des templiers rouges, l'objectif étant de leur faire perdre le plus de terrain possible. Il connaissait un peu la région et selon les cartes que possédait l'Inquisitrice, il n'y avait qu'une route à suivre jusqu'à la carrière de granit. Lédara approuva le plan du Maréchal qui prendrait place le lendemain à l'aube, les nuits étant trop froides dans l'Emprise du Lion pour être favorables au combat.
La jeune femme ne put trouver le sommeil et resta assise devant le feu du campement de l'Inquisition à réfléchir. Son séjour dans les Plaines Exaltées n'avait pas été de tout repos, et un événement la hantait particulièrement : la mort de Giordan, l'agent tévintide à l'origine de la déroute des armées orlésiennes. Solas rejoignit l'Inquisitrice auprès du feu.
- Ce que je vous ai donné ne fait pas effet ? lui demanda-t-il de sa voix grave.
- Si, mais je repensais à… ce qui s'est passé dans les Plaines.
- Vous n'aviez pas d'autres choix que de faire ce que vous avez fait, dit Solas.
- Je sais, soupira Lédara, mais c'est la souffrance que je lui ai causée, qui l'a rongé jusqu'à son dernier souffle. Je… C'était ignoble.
Solas se tourna vers elle, l'obligeant à le regarder droit dans les yeux.
- Giordan lançait un sort qui nous aurait tous pulvérisé en une seconde et aucune arme n'aurait pu l'atteindre. Vous avez fait ce qu'il fallait en utilisant la marque contre lui.
Lédara détourna ses yeux et fixa les flammes qui léchaient les bûches devant elle. Un frisson la parcourut au souvenir de l'agent tévintide subissant la déflagration de l'Ancre : quand elle avait usé de sa marque, une puissante onde de choc était venue frapper Giordan de plein fouet. Quand l'Inquisitrice le faisait contre des démons, ceux-ci semblaient se faire aspirer leurs forces et leur magie qui se dissipaient dans l'air Giordan, lui, avait semblé se vider de sa vie, vieillissant de manière phénoménale. Sa peau s'était couverte de brûlures et il avait perdu l'usage de ses yeux. Il avait poussé des hurlements déchirants, rongé par une force inouïe de l'intérieur comme de l'extérieur. Lédara avait alors arrêté le processus tant bien que mal, aidée par Solas, libérant l'agent tévintide de l'emprise de la marque. Après sa capture et son interrogatoire, son agonie avait été longue et éprouvante tant pour Giordan que pour la Messagère qui lui avait infligé ce supplice.
- C'était la première fois que je l'utilisais contre un homme, dit-elle horrifiée, et plus jamais je ne veux l'utiliser ainsi…
- J'espère que vous n'aurez plus à le faire, répondit simplement Solas, peu convaincu par ses propres paroles.
L'elfe se leva et retourna dans sa tente, laissant l'Inquisitrice accepter ce que la marque était capable de faire.
Le plan de bataille du Maréchal Proulx fut une réussite : à l'aube, les soldats orlésiens investirent la position des templiers, les obligeant à reculer jusqu'à leur prochain point de ralliement. Une fois l'orée de Perchebois reprise, l'Inquisition y installa ses propres troupes, fortifiant les défenses du village de Sahrnia. Bastien Proulx ne s'arrêta pas en si bon chemin et poursuivit les templiers rouges jusqu'au sommet de Drakan où l'ennemi n'eut pas d'autre choix que de se replier à nouveau auprès de la carrière en contrebas, de l'autre côté de la montagne. L'Inquisitrice montait au front, accompagnée de ses compagnons, motivant l'ensemble des troupes et ordonnant l'occupation des lieux à ses soldats et ceux du Maréchal Proulx. Une demi-journée avait suffi aux forces armées pour reprendre du terrain face à leur ennemi. Cependant, la défense des templiers commençait à se construire, et ce de manière redoutable, ralentissant leur progression et les obligeant à s'arrêter au sommet. Là, l'Inquisition établit un nouveau campement et dut ériger des remparts solides afin de se protéger des possibles assauts des templiers. Il fallait maintenant réfléchir à la reprise de la carrière.
Le Maréchal Proulx avait également un autre souci en tête et ne pouvait tenir cela secret plus longtemps. Il demanda à entrer dans le pavillon de l'Inquisitrice afin de discuter de ce qui le troublait ainsi.
- Inquisitrice, commença-t-il gêné, j'ai reçu des nouvelles de Val Royeaux.
Lédara accueillit le Maréchal et l'écouta attentivement. Bastien sortit de son plastron une missive portant le cachet des Chalons déjà ouvert et la tendit à la jeune femme en lui résumant les faits :
- L'Empereur Gaspard me somme de cesser toute activité militaire jusqu'à nouvel ordre.
- Ordonne-t-il le repli ? demanda immédiatement l'Inquisitrice inquiète.
- Non, seulement de ne plus bouger de notre position, répondit Bastien.
Lédara parcourut la lettre avant de la rendre au Maréchal.
- Quand l'avez-vous reçue ? demanda-t-elle.
- A notre arrivée à Sahrnia. Je ne l'ai ouverte qu'aujourd'hui.
- Presque deux jours, réfléchit la jeune femme, Gaspard arrivera donc dans six jours tout au plus.
- Oui, Inquisitrice, confirma le Maréchal, je serai certainement démis de mes fonctions, et les soldats ne recevront pas leur solde pour avoir…
- Rien de tout cela n'arrivera, l'interrompit l'Inquisitrice. Je prends l'entière responsabilité de ce qui s'est passé. De plus, aucun d'entre vous n'a déserté, vous servez Orlaïs en reprenant l'Emprise du Lion. Je vous défendrai auprès de l'Empereur.
- Merci, Inquisitrice, dit Bastien quelque peu soulagé, j'espère qu'il vous écoutera. Que faisons-nous d'ici à ce qu'il arrive ?
Lédara prit un instant pour réfléchir, puis répondit :
- On reste où on est, on maintient la position et on observe les templiers rouges. Il faut trouver un moyen de percer leurs défenses sans trop de pertes.
- Bien, Inquisitrice, je vais dire à votre Eclaireuse en chef d'envoyer des groupes d'observation.
Lédara hocha la tête et regarda le Maréchal sortir de la tente. Cela devait arriver et elle le savait : Gaspard ne pouvait laisser passer ce qu'elle avait fait. Elle décida d'écrire rapidement à Cullen afin de l'informer de la situation et de lui demander conseil. Une fois sa lettre scellée, elle trouva Harding et exigea le corbeau le plus rapide qui partit dans les minutes qui suivirent. La jeune Marchéenne monta sur un amas de rochers et regarda l'oiseau planer dans les airs en direction de Fort Céleste.
L'après-midi était bien avancée au pied du promontoire, après la forêt de Perchebois, on distinguait le village de Sahrnia, en ruines et entouré de murets renforcés. Des soldats orlésiens, dont l'armure scintillait sous les rayons du pâle soleil d'hiver, effectuaient leur ronde, surveillant les alentours. A côté du village se trouvait la Sang-d'elfe gelée qui disparaissait entre les collines un peu plus loin au Nord. S'ensuivait plusieurs chaînes de montagnes de plus en plus hautes, et de l'autre côté devait se trouver Fort Céleste, où l'Inquisition grandissait et où des centaines de gens résidaient. Lédara se souvint du jour où ils étaient arrivés devant la vieille forteresse à moitié en ruines une poignée de survivants épuisés et meurtris qui avaient vu leur espoir renaître devant les hauts murs du fort. Tout avait été à refaire, à reconstruire. C'était à ce moment que tous l'avaient désignée « Inquisitrice ». Celle qui décide et qui doit assumer chaque conséquence des actes de l'Inquisition. Etait-elle à la hauteur de ce qu'on lui demandait ? Au loin, elle aperçut une dernière fois le corbeau qui transportait sa lettre. Lédara y avait posé plusieurs choses qui alourdissaient son cœur : elle n'avait d'abord écrit que très peu sur la venue de Gaspard car elle savait ce qu'elle avait à faire l'Inquisition ne pouvait rien faire pour elle à ce stade. Elle avait demandé des conseils pour la suite des événements et la prise de la carrière elle avait exposé en détail le champ de bataille et le repli des templiers, ainsi que leurs défenses. Lédara souhaitait un avis autre que celui du Maréchal, malgré son expérience. Mais surtout, elle avait demandé à Cullen de lui dire si oui ou non elle pouvait croiser la route de son frère dans les mines. Cette pensée la hantait depuis qu'elle menait les troupes orlésiennes sur Sahrnia et qu'elle savait qu'elle devrait combattre des templiers rouges. Lédara avait le regard perdu dans l'horizon, priant pour recevoir une réponse le plus vite possible.
Ce fut Varric qui la sortit de ses pensées il avait bien remarqué que son amie était tracassée plus que de coutume, et avait décidé de lui changer les idées à sa façon.
- J'ai entendu dire qu'on ne bougerait pas de là pendant un moment, dit le nain, alors j'ai organisé une petite partie de Grâce Perfide avec Bull, Solas et Cassandra. Ça vous tente ?
Lédara détourna les yeux de l'horizon et descendit de son petit promontoire.
- Avec grand plaisir, répondit-elle tout sourire, comme si de rien était.
Cinq jours passèrent dans l'attente d'une part de la venue de l'Empereur, et de l'autre d'une réponse de Fort Céleste. L'Inquisitrice bouillonnait intérieurement, irritée de devoir perdre l'avantage de la surprise et de la vitesse qu'ils avaient réussi à obtenir en arrivant à Sahrnia. Tout cela à cause de Gaspard qui bloquait les troupes. Elle ne dormait plus du tout, passant ses nuits à observer le camp adverse qui avait monté une défense de plus en plus inquiétante et qui ne leur laissait plus beaucoup de marge de manœuvre. Elle avait l'impression d'avoir fait le mauvais choix : elle aurait dû continuer dans sa lancée, quitte à mettre l'Empereur encore plus en colère qu'il ne l'était déjà. Cependant, dès qu'elle réfléchissait plus posément, elle savait que les soldats impériaux auraient été hésitants. Ils respectaient beaucoup le Grand Duc Gaspard et redoutaient sa réaction. Certains en devenaient malade rien que de penser qu'ils ne pourraient plus servir dans l'armée, ou que leur famille ne recevrait pas la solde pour vivre. Lédara savait que le pari était risqué et était prête à en assumer toutes les conséquences afin d'atténuer au maximum la peine des soldats.
A l'aube du sixième jour, l'Inquisitrice aperçut enfin un corbeau à l'horizon. Celui-ci planait dans le vent et atterrit sur le bras que lui tendait l'Eclaireuse Harding, toujours à l'affut des oiseaux de Léliana. La naine détacha le petit tube de la patte de l'animal et en sortit plusieurs rouleaux de parchemins qu'elle tendit à l'Inquisitrice. Celle-ci se réfugia dans sa tente pour lire la réponse tant attendue.
Inquisitrice,
Je sais que vous vous attendiez à cette confrontation dès le moment où vous avez choisi d'emmener l'armée orlésienne avec vous. Vous réussirez à tenir tête à l'Empereur, j'ai confiance en vous. Si cela peut vous aider, j'ai un seul conseil : c'est un militaire, il voudra sûrement participer à l'opération que vous avez lancée. Impliquez-le, faites-lui croire qu'il est important. C'est un Orlésien après tout. Je ne vous cacherai pas que Joséphine est dans tous ses états.
J'imagine que la défense s'est renforcée le temps que ma réponse vous parvienne. Vous n'aurez pas d'autres choix que d'encercler la position et de prendre d'assaut les mines par toutes les entrées à la fois. Prenez le plus d'hommes possibles, mais gardez-en en arrière pour bloquer les issues. Il faut prendre les templiers rouges au piège. Malheureusement, il n'est pas impossible que des tunnels aient été construits sans qu'on le sache. Je prévoirais donc de poster des unités mobiles dans les alentours de la carrière afin de surveiller le moindre mouvement suspect. Vous pouvez avoir confiance en le Maréchal Proulx, il est un stratège renommé dans l'Empire, il vous mènera à la victoire.
Pour votre frère, je ne vous mentirai pas : il n'apparaît dans aucun registre du Conclave et d'après le Chevalier-capitaine d'Osterburg, il est parti bien trop tard pour être arrivé au Conclave avant l'explosion. Il a donc certainement rejoint le Seigneur Chercheur Lucius quand celui-ci a sommé les templiers restants de se regrouper à Thérinfal. Il y a des chances que vous le croisiez dans la carrière de Sahrnia… Et si c'est le cas, dites-vous bien une chose : la personne que vous connaissez, votre frère, n'est plus le lyrium rouge l'aura corrompu jusque dans son esprit. Je suis… navré de vous annoncer cela, je n'ai aucune certitude si vous le verrez à Sahrnia ou non, mais il y a de grandes chances qu'il soit devenu un templier rouge.
J'aurais préféré vous l'annoncer de vive voix. Pardonnez-moi.
Faites attention à vous,
C.
Lédara froissa la lettre dans ses mains, retenant les larmes qui lui montaient aux yeux. Elle s'était depuis longtemps faite à l'idée que son frère était mort et savoir qu'elle pouvait le rencontrer sur le champ de bataille l'effrayait. Cassandra entra soudainement dans la tente et vit son amie courbée sur une petite table en tréteau, des larmes coulant le long de ses joues.
- Lédara, que se passe-t-il ? demanda la Chercheuse inquiète.
La jeune femme essuya rapidement ses larmes et se redressa elle lui raconta pour son frère, puis changea de sujet en lui présentant le plan d'attaque du Commandant. Cassandra posa une main sur l'épaule de l'Inquisitrice, la rassurant silencieusement par sa présence.
- L'Empereur Gaspard devrait également arriver, soupira enfin Lédara en reprenant sa contenance, et je ne sais pas encore exactement ce que je vais lui dire. J'ai bien envie de lui expliquer qu'à cause de ses jérémiades nous avons perdu un temps précieux, mais ce ne serait pas l'idéal.
- En effet, dit Cassandra en esquissant un sourire, et je viens annoncer encore une autre nouvelle.
La mine de l'Inquisitrice s'assombrit encore, se méfiant des nouvelles qu'elle recevait ces temps.
- Nous avons découvert tout un contingent de templiers rouges dans le fort Suledin qui n'est qu'à quelques kilomètres de la carrière. Des mouvements indiquent qu'ils vont certainement prêter main forte contre nous…
Lédara tapa du poing sur la petite table, à bout de nerf.
- J'aurais dû attaquer tout de suite la carrière, se maudit l'Inquisitrice.
- Détrompez-vous, fit Cassandra fermement, si nous avions foncé dans le tas, nous aurions été submergés par les troupes de Suledin. Maintenant qu'on a repéré la forteresse, nous pouvons attaquer les deux fronts à la fois !
- Et diviser leurs forces plutôt qu'elles ne se regroupent, continua Lédara.
- Le Maréchal Proulx est prêt à mener l'assaut sur le fort pendant que vous mènerez nos hommes sur la carrière. De là, vous pourrez ensuite rejoindre Suledin par l'arrière et prendre au piège les templiers de la forteresse.
- Aura-t-on assez d'hommes ?
Cassandra était sur le point de répondre quand un soldat entra subitement dans la tente :
- Inquisitrice, hum… l'Empereur Gaspard est là.
- Et merde, jura involontairement Lédara, j'arrive.
Le soldat hocha de la tête et sortit aussitôt. Cassandra se tourna vers la Messagère et soutint son regard :
- Rencontrez-le devant les soldats, lui conseilla-t-elle, il faut que vous paraissiez le plus calme et déterminée possible.
- Je le sais.
Lédara prit une longue inspiration et partit à la rencontre de l'Empereur suivie de près par la Chercheuse Pentaghast. L'Inquisitrice traversa le camp la tête haute et l'allure assurée. Elle voyait les soldats orlésiens autour d'elle s'inquiéter pour leur sort et redouter les foudres de l'Empereur Gaspard. Ils plaçaient tous leurs espoirs en la Messagère d'Andrasté. Celle-ci aperçut enfin l'Empereur qui descendait de son destrier, accompagné d'une escorte de berruiers vétérans. Il ne portait aucun masque, laissant apparaître au grand jour un visage sévère et des yeux bleus d'une grande intensité. Elle s'arrêta devant lui, les mains derrière le dos, dressée de toute sa hauteur.
- Inquisitrice Trevelyan ! lança Gaspard de sa voix mielleuse mais autoritaire.
- Empereur, dit-elle en hochant brièvement la tête.
- Vous êtes d'une exquise beauté dans vos habits de combat, la complimenta-t-il, vous incarnez à merveille le rêve de tout militaire.
Lédara hocha à nouveau de la tête en guise de remerciement.
- J'imagine que vous connaissez la raison de ma présence ici, continua Gaspard en pesant ses mots.
- En effet, Votre Majesté, répondit-elle, la situation a fait que j'ai dû emprunter une partie de votre armée pour reprendre l'Emprise du Lion à notre ennemi.
- « Emprunter », c'est le mot, renchérit Gaspard lentement.
Il tripota ses gants, les réajustant à ses doigts Lédara, elle, gardait ses mains étroitement serrées dans son dos pour éviter de trembler. Le silence qui s'était établi autour d'eux se fit de plus en plus lourd.
- J'espère que je ne vous ai pas froissé, reprit l'Inquisitrice d'une voix calme, auquel cas j'assume l'entière responsabilité des mouvements de vos troupes. Votre Maréchal, Bastien Proulx, s'est opposé à cet emprunt de plus, vos armées se battent pour le royaume d'Orlaïs, ils n'y ont vu que l'intérêt pour la couronne.
L'Empereur ne répondit pas tout de suite, laissant le silence s'alourdir encore. Tous les soldats qui se trouvaient là s'étaient tu et attendaient l'issue de la conversation entre les deux dirigeants.
- Je ne déplore aucunement vos actes, Inquisitrice, dit enfin Gaspard, au contraire. Vous avez mon soutien inconditionnel dans cette guerre, et vous le savez. Cependant, je regrette simplement d'avoir manqué le début de cette bataille.
L'Empereur esquissa un sourire et tendit sa main droite à l'Inquisitrice, qui la saisit fermement. Tous soufflèrent de soulagement, et Lédara l'invita à la table de commandement pour le mettre au fait des derniers événements. L'Emprise du Lion serait reprise avant l'aube.
Leur mission dans l'Emprise du Lion terminée, l'Inquisition était rentrée à Fort Céleste, laissant cependant tout un contingent de soldat dirigé par un lieutenant de Cullen et une connaissance diplomatique de Joséphine à Fort Suledin. L'Inquisitrice, peu après son arrivée à Fort Céleste, s'était rendue à la salle de Commandement, et feuilletait déjà les nouveaux rapports et lettres laissés par les trois conseillers à son intention, quand la grande porte s'ouvrit sur ces derniers. Joséphine entra en trombe suivie de Léliana et Cullen qui lui jeta un petit regard discret.
- Votrrre mission dans l'Emprrrise du Lion a été un frrranc succès, annonça fièrement l'Ambassadrice Montilyet, même si vous nous avez donné des sueurs frrroides à certains moments.
Lédara sourit discrètement, se rappelant sa réaction confiée par le Commandant à son arrivée à Sahrnia.
- L'Empereur Gaspard rrréitère sa promesse de soutien et vous félicite pour le trrravail que vous avez accompli en sa compagnie, continua l'Ambassadrice. Il vous apprrrécie beaucoup et souhaiterrrait vous inviter à une partie de chasse quand vous en aurrrez l'occasion.
- Comme si j'avais que cela à faire, lança spontanément Lédara.
- Dans tous les cas, intervint Léliana, nous avons maintenant la possibilité de mobiliser les armées orlésiennes il faut toutefois en avertir Gaspard au préalable, mais cela posera moins problème qu'aux Plaines Exaltées.
La Maître-espionne sortit un parchemin de son manteau et le posa sur la grande table en chêne.
- D'ailleurs, l'Empereur vous invite également à venir choisir de nouvelles recrues pour l'Inquisition parmi ses propres berruiers en formation à Jader.
- Par le Souffle du Créateur, s'exclama Cullen en récupérant le parchemin, c'est une aubaine ! Choisir parmi les meilleurs guerriers d'Orlaïs, cela nous permettra d'enseigner de nouvelles techniques à nos propres soldats.
- Je vous charge donc d'aller vous-même choisir ces berruiers, Commandant, dit Lédara.
- Bien, Inquisitrice, répondit Cullen avec un petit hochement de tête.
- Nous avons également plusieurs affaires à rrrégler rapidement, reprit Joséphine qui écrivait sur son écritoire à main. Nous avons retrrrouvé le maire de Boscret qui s'était enfui aprrrès votre intervention. Le Roi Alistair vous laisse le juger selon vos désirrrs. Et Gaspard vous demande également votrrre jugement pour Maîtrrresse Poulin de Sahrnia. Elle nous serrra envoyée d'ici quelques jours.
- Soit, fit Lédara un peu gênée, je donnerai mon jugement pour ces deux personnes dès que dame Poulin sera arrivée à Fort Céleste.
- J'aurrrais également besoin de votrrre avis sur une affaire… plutôt délicate, continua Joséphine en tendant un nouveau parchemin à l'Inquisitrice.
Lédara déplia la missive et la lut rapidement, alors que l'Ambassadrice exposait les faits :
- L'une de mes diplomates m'a confié que votrrre cousin au cinquième degrrré, un certain…
- Trévor, dit Lédara d'un ton maussade.
- Oui, Trrrévor Trevelyan, confirma Joséphine, se vante d'être votrrre prrroche ami.
- C'est faux, répondit simplement Lédara.
- Je m'en doute bien, au vu de ce que vous m'avez confié à Darse sur votrrre famille, mais cette vantardise dépasse les limites de la décence. Il s'est mis à crrrier haut et fort à ses rrrivaux que l'Inquisition les battrrrait.
- Il ne change pas, maugréa la jeune femme.
- Ces choses-là sont inévitables, fit Joséphine, vos connaissances pourrraient se faire plus discrrrètes si nous prrromettons de leur rendrrre service à l'avenir.
- Josie, vous êtes trop conciliante, lui reprocha Léliana. Il y a des manières de montrer notre mécontentement sans dévoiler notre jeu. Inutile d'envoyer des assassins, une rumeur disant que nous comptons le faire suffirait.
- Vous me faites peur, Léliana, dit l'Inquisitrice en ne plaisantant qu'à demi. Certes je ne suis pas en bon terme avec ma famille, mais de là à les menacer…
- L'Inquisition n'est pas un nom que l'on peut utiliser à la légère, dit le Commandant d'un ton catégorique, nous devrions dénoncer ces gens ouvertement.
Lédara poussa un long soupir. Voilà que sa famille posait problème ! Elle regarda l'Ambassadrice et lui signifia que la diplomatie serait la meilleure solution pour ne froisser personne. L'Inquisitrice continua de feuilleter les rapports et trouva un pli de la main de Dorian :
Chère Inquisitrice, il y a des Venatori qui rôdent dans la nature. Rien d'étonnant pour vous qui semblez ne pas pouvoir échapper aux serviteurs de Corypheus, mais… ceux-là sont différents. Je les connais personnellement. Pas exactement comme des amis, ou alors des amis que j'aimerais tuer… je crois savoir où ils se cachent, grâce à des recherches que j'ai entreprises avant de rejoindre le Sud, et je me disais que vous pourriez utiliser une partie des forces que vous avez réunies pour les retrouver.
Ils se feraient un plaisir de vous railler en Tévine, et vous n'auriez d'autre choix que de les exterminer. Tout le monde y gagne : vous, vous écartez une menace potentielle, et moi, je me débarrasse d'hommes et de femmes trop idiots pour avoir le droit de fouler cette terre. Les seuls perdants seraient les Venatori, mais quelle importance ? A vous de voir, noble dame.
Dorian
Lédara agita le pli devant ses conseillers :
- Où en est l'affaire des Venatori avec Dorian ?
- Si les Venatori sont bien là, ils se montrrreront, soupira Joséphine, si quelqu'un les a vus, quelques pièces devrrraient le faire parler.
- Nous devrions plutôt nous pencher sérieusement et discrètement sur la question, objecta la Maître-espionne, nous ne voudrions pas que les Venatori se rendent compte que nous les surveillons.
- Nous avons d'anciens templiers, doués pour chasser les mages, fit remarquer le Commandant, je peux en envoyer quelques-uns explorer les pistes de Dorian avec les agents de Léliana.
- Approuvé, dit simplement Lédara en rangeant le parchemin sous une pile.
Joséphine sortit de la salle de Commandement avec les nouveaux ordres du jour, suivie de près par Léliana qui s'arrêta soudain avant de passer les grandes portes.
- Alors, Commandant, vous venez ? fit-elle étonnée, nous devons organiser les équipes avec vos templiers.
Cullen jeta un regard à Lédara elle poussa un petit soupir et lui fit signe de suivre sœur Léliana. Ils se retrouveraient bien un peu plus tard. Lédara se retrouva seule dans la grande salle du Conseil pour finir de prendre connaissance des dernières affaires en cours.
Le lendemain matin l'Inquisitrice se rendit dans le bureau du Commandant. Elle devait le voir pour discuter de ce qu'elle avait trouvé à Sahrnia à propos du lyrium rouge, mais son intention était surtout de pouvoir se retrouver un moment seule avec son amant. Elle sortit de ses quartiers et se dirigea sur les remparts, en direction du bureau de Cullen, mais elle se retrouva devant une porte close. Un soldat était posté devant et lui indiqua que le Commandant assistait aux entraînements à l'extérieur de la forteresse. Ce dernier lui proposa de l'accompagner et elle ne put refuser. Lédara suivit le soldat dans la cour, puis sur le pont aérien et traversa les terrains d'entraînement. Sur son passage, tous les soldats et les recrues s'arrêtèrent et se mirent en rang, effectuant le salut militaire. Quand Cullen l'aperçut, il la rejoignit sur la route et ordonna aux troupes de reprendre l'entraînement.
- Un souci ? demanda le Commandant qui n'avait plus l'habitude de la voir en cet endroit.
- Sa Grâce devait vous parler, Commandant, annonça le soldat, je l'ai donc amenée ici.
- Merci, soldat, retournez à votre poste, répondit Cullen.
Le soldat salua les deux dirigeants et se précipita vers l'entrée de la forteresse.
- Je pensais plutôt vous voir dans votre bureau, mais peu importe, fit Lédara un peu déçue par la situation. Avez-vous lu mon rapport sur le lyrium rouge que j'ai trouvé à Sahrnia ?
- Oui, dit-il préoccupé, et j'ai lu les lettres que vous avez trouvées dans la carrière. Je n'arrive pas à croire que le lyrium rouge se fabrique… à partir de personnes vivantes.
- En effet, c'était assez horrible à voir, murmura Lédara, mais c'est un fait : le lyrium « pousse » littéralement dans le corps d'êtres humains. C'est pour cela que Samson achetait les malades infectés. Fort heureusement, nous avons arrêté sa plus grosse production de lyrium, du moins je l'espère.
- Je savais que Samson était tombé bien bas, mais cela ? dit Cullen dégoûté, c'est monstrueux, il faut l'arrêter.
- L'une des lettres trouvées sur place indiquait l'existence d'une armure de lyrium rouge, releva l'Inquisitrice.
- Cette armure doit conférer à Samson des pouvoirs extraordinaires, dit-il inquiet, nous ne parviendrons peut-être pas à l'arrêter.
- C'est ce qu'il veut nous faire croire, répliqua Lédara en le fixant du regard, mais personne n'est invincible.
Cullen poussa un léger soupir.
- Alors nous devons détruire l'armure, dit-il posément, mais comment ? Les templiers sont formés à protéger leur équipement magique coûteux.
Les deux dirigeants restèrent un instant silencieux, observant les recrues qui s'entraînaient durement pour la réussite de l'Inquisition.
- Léliana a fait venir une arcaniste à Fort Céleste, dit soudain Cullen, elle aura peut-être une idée ? Elle a déjà fait ses preuves sur d'autres sujets en lien avec la magie. Vous devriez la rencontrer elle s'est installée dans la crypte aux côtés de Harritt.
- Bien, fit Lédara en hochant la tête. D'autres missives faisaient également mention d'un certain Maddox.
Cullen eut un léger rictus quand il entendit ce nom.
- En effet, confirma-t-il, et je ne m'attendais pas à lire ce nom.
- Est-ce un templier qui a servi avec vous à Kirkwall ? lui demanda la jeune femme.
- Maddox faisait partie du Cercle des mages de Kirkwall, lui expliqua le Commandant, Samson faisait passer des lettres entre lui et sa chérie. Mais ce dernier a fini par se faire prendre, et a été chassé de l'Ordre. Maddox a été apaisé et est devenu artisan, il fabriquait des objets magiques. Samson a dû… le sauver.
- Je n'en reviens pas qu'il ait été apaisé pour quelques lettres d'amour, s'exclama la Marchéenne.
- Officiellement, il a été inculpé pour « corruption de l'intégrité morale d'un templier », précisa Cullen, le Chevalier-capitaine Mérédith a brandi le fer rouge pour de bien moindres offenses, croyez-moi.
Lédara détourna le regard et observa les recrues s'entraîner sans vraiment les voir, se rappelant son court séjour dans la ville de Kirkwall, il y avait de cela huit ans. Elle n'avait qu'entr'aperçu le Chevalier-capitaine Mérédith et en avait ressenti un frisson d'effroi, son regard d'acier transperçant toute personne croisant son regard.
- Et de quoi Maddox aurait eu besoin d'être sauvé ? lui demanda-t-elle en revenant à l'affaire qui les préoccupait.
- Quand les mages se sont rebellés à Kirkwall, décrivit l'ancien templier, les batailles les plus sanglantes ont eu lieu à la Potence, au Cercle même. J'ai cru que Maddox avait péri au combat, ou fini à la rue un sort terrible pour un Apaisé à Kirkwall. Samson a dû le trouver et le recueillir.
- Samson en paraîtrait presque plus humain, murmura Lédara, mais si cet Apaisé est si cher aux yeux de Samson, on obtiendra sûrement une réaction de sa part si nous nous en prenons à lui.
- En effet, répondit Cullen, et il semble que Maddox ait créé l'armure de Samson, et continue de l'entretenir. Les Apaisés de Kirkwall avaient besoin d'équipements rares et coûteux pour leurs enchantements des équipements dont nous pouvons suivre la trace.
Le Commandant réfléchit un instant, observant à son tour les recrues.
- Je peux dire à nos hommes d'enfoncer quelques portes, Inquisitrice, dit-il en se tournant à nouveau vers elle. L'armure de Samson pourrait nous mener droit à son bastion.
- Je vous laisse vous en occuper, conclut Lédara, informez-moi dès que vous aurez du nouveau.
L'Inquisitrice continuait d'observer les nouvelles recrues qui se battaient les uns contre les autres, exécutant les mouvements fraîchement appris. Elle remarqua alors une jeune tête blonde qui se démenait plus énergiquement que les autres, consciencieux sur chacun de ses mouvements. Elle avait une impression de déjà-vu, mais ne se rappelait plus exactement où elle avait bien pu le rencontrer. Cullen l'observa également, fier des progrès de cette jeune recrue.
- Une tête brûlée, ce petit, fit le Commandant, il m'a d'abord paru indiscipliné, trop impatient. Mais il se révèle être très bon dans le maniement des armes.
- Il me rappelle mon frère, dit Lédara en esquissant un sourire, impatient de faire ses preuves, mais qui ne renonce jamais. Il s'entraînait toujours très tard le soir, en plus de l'entraînement quotidien. Il en avait mal partout le lendemain !
L'Inquisitrice éclata de rire à ce souvenir. Puis ses yeux se mirent à briller.
- L'avez-vous… commença Cullen, gêné.
- Non, répondit-elle abruptement, il n'était pas à Sahrnia.
Cullen eut un mouvement pour la prendre dans ses bras et s'arrêta net. Il déposa alors simplement sa main sur l'épaule de la jeune femme. Le jeune garçon tourna un bref instant son regard vers le Commandant et vit que celui-ci l'observait, ainsi que l'Inquisitrice en personne. Il redoubla alors d'efforts, voulant montrer sa force et sa ténacité.
- Blackwall avait raison, dit soudain Cullen.
- Pour ? l'interrogea Lédara.
- Votre simple présence sur le terrain d'entraînement motive tout le monde. Il proposait que vous reveniez vous entraîner comme vous le faisiez à Darse, parmi les recrues.
- C'est vrai que cela fait longtemps que je n'ai pas effectué un véritable entraînement, remarqua la jeune femme. J'y songerai sérieusement.
De retour dans la forteresse, l'Inquisitrice se rendit dans la crypte à la rencontre de cette arcaniste dont lui avait parlé Cullen. Lorsqu'elle descendit dans les soubassements de Fort Céleste et arriva dans la grande grotte ouverte sur l'extérieur, le forgeron s'arrêta dans ses tâches, étonné de voir la Messagère de si bonne heure.
- Inquisitrice ? la salua-t-il avec un bref signe de tête.
- L'arcaniste est là ? demanda Lédara en lui rendant son salut.
- Voyez vous-même, répondit Harritt en l'invitant au fond de la crypte où se trouvait la grande balustrade qui donnait sur un profond précipice.
Elle traversa la crypte, découvrant de nouvelles machines étranges sur le côté gauche des tables avec de multiples pinces en fer, des cristaux de toutes les couleurs éparpillés çà et là, des étaux d'une grande finesse et des fioles contenant différentes substances inconnues. Des rouleaux de parchemins étaient entassés sur le coin d'une des tables, certains ouverts, d'autres déroulés en entier, présentant des formules mathématiques et des dosages magiques.
- Bien le bonjour ! dit une petite voix derrière la jeune femme.
Lédara se retourna vivement, surprise, et découvrit une jeune fille naine étrangement vêtue d'habits solides en cuir drapés de soies que l'on trouve parmi les tenues des mages des Cercles féreldiens. Par-dessus sa tenue, elle portait un large tablier de cuir ainsi que de longs gants montant jusqu'aux coudes. Elle avait un visage d'une jolie rondeur à la peau claire, contrastant avec ses cheveux auburn attachés en un petit chignon. Quelques mèches folles tombaient dans ses yeux sombres que de fins sourcils adoucissaient.
- Eh bien, ne restez pas là à bayer aux corneilles, reprit la jeune naine, qu'est-ce qu'il vous fallait ?
- Vous êtes la conseillère en magie ? demanda Lédara qui sourit au ton qu'avait employé la jeune naine.
- Oh ! c'est vous… l'Inquisitrice, s'exclama-t-elle alors en remarquant la marque sur sa main, je suis Dagna, l'arcaniste Dagna. Très honorée, Votre Grâce. Alors c'est ça, l'Ancre ? La marque sur votre main ? fit-elle tout en regardant fixement la main gauche de Lédara.
L'Inquisitrice, soudain gênée, glissa sa main dans les plis de sa robe.
- C'est joli… La Brèche était jolie aussi, apocalyptiquement jolie, rit Dagna.
- Bienvenue dans l'Inquisition, Dagna. J'ai hâte de voir ce que vous pourrez nous apporter.
- Et moi donc ! s'exclama joyeusement la jeune naine, j'ai entendu des choses impossibles. J'adore les choses impossibles. C'est celles que je préfère rendre… possibles ! J'ai jeté un œil aux appareils d'Harritt. Ils sont d'une précision remarquable, mais ça reste très classique. Banal. Vieux jeu !
- Pardon ? lança le vieux forgeron, vexé.
- Je ne voudrais pas manquer de respect à ceux qui travaillent à l'ancienne ! se reprit Dagna, mais ce qu'il vous faut, c'est une nouvelle perspective. J'ai fait des réglages. Tant que je continue, vous pouvez fabriquer à peu près n'importe quoi, presque sans risques !
- Attendez, l'arrêta l'Inquisitrice, qu'est-ce que vous faites, au juste ?
La jeune naine, exaltée, reprit son discours de plus belle :
- Je suis née dans la forge. Dans la caste des forgerons, c'est à prendre au sens propre. Alors le marteau et les pinces… c'est inné, chez moi. mais vous avez déjà quelqu'un pour ça, et quelqu'un de doué, en plus. C'est ma passion pour la magie qui m'amène ! J'étudie la magie et sa théorie, j'effectue des enchantements magiques, et grâce à ça, je manipule des pièces d'exception. J'ai étudié tout ça de façon objective. Aucun secret, aucune crainte. Ça me permet d'appliquer les principes comme personne ! Enfin si, peut-être comme une personne, mais je ne suis pas aussi tordue que lui, alors c'est quand même moi qui gagne.
- Des enchantements ? releva Lédara dans tout ce charabia.
- Le lyrium, c'est le cœur, lui expliqua vivement Dagna, dans certains motifs rationnels, il bat comme s'il était en vie. C'est comme ça que je vois les choses. Alors un mage peut faire faire des choses à vos armes, mais avec les bonnes runes, les bonnes raretés, celles-ci deviennent des merveilles ! C'est la seule chose dont les mages ne sont pas capables. Ça les rend littéralement fous ! Les nains sont plus résistants au lyrium, alors ça n'a quasiment pas d'effet sur nous.
- Mais j'avais entendu dire que les nains n'étudiaient pas la magie parce qu'ils y étaient justement insensibles, fit remarquer l'Inquisitrice, alors où avez-vous étudié ?
- Ha ha ! Je me suis posé la même question pendant des années : où étudier la magie quand on est une naine. Manifestement, pas à Orzammar. Il a fallu que je débute dans un Cercle. Mais j'ai reçu de l'aide d'une Garde des Ombres, et je lui en serai éternellement reconnaissante. J'ai pu visiter une demi-douzaine de Cercles. J'en ai vu, des merveilles ! Et en regardant objectivement, je vois les points de convergence. Ça surprend toujours les professeurs ! C'est une tradition formidable, qui se prête à merveille aux idées nouvelles !
- On dirait que vos années d'études ont porté leurs fruits, dit Lédara.
- Oh oui ! s'écria Dagna toujours aussi enthousiaste, les mages disaient que j'apportais une perspective très précieuse. J'ai même présenté mes travaux au Collège des mages. Je voulais faire un échange : la surface pourrait apprendre à travailler le lyrium, et Orzammar découvrirait la magie. Mais il n'y a plus de collège, maintenant, et pour ce qui est du Façonnat, je suis une paria. Alors c'est vous qui allez bénéficier de ce que je sais faire de mieux, Inquisitrice. On va créer des merveilles ensemble.
- Vous avez abandonné tant de choses, même votre foyer, remarqua Lédara, c'était vraiment si fantastique que cela ?
- Oui, renchérit Dagna, j'ai quitté ma maison, ma famille, mais je savais… Au fond de moi, j'étais certaine que je pouvais être plus qu'une forgeronne. J'aimerais que les miens ne soient pas figés dans le passé. Je regrette que mon père n'ait jamais pu m'imaginer vivre une autre vie. Mais je ne regrette pas ce que j'ai fait.
Lédara observait cette jeune fille si enthousiaste et pleine de joie de vivre, comprenant parfaitement ce qu'elle ressentait.
- Et donc, reprit Lédara, « arcaniste » ?
- J'ai adopté ce titre parce que je suis chercheuse, philosophe et maître en application pratique dans le domaine de la magie. Ça sonne bien, en plus. Vu que je suis naine, je ne peux pas pratiquer la magie à proprement parler, mais au moins, aucun risque de possession. Pas comme les mages ! Ça veut dire que toutes mes compétences, je les ai apprises. Grâce à mes raisonnements et à mon entendement ! Venant de la caste des forgerons, je sais qu'il est précieux de maîtriser son art. Les nains ont probablement inventé l'enchantement. Enfin, je crois.
Dagna dégageait un étrange sentiment de confiance en l'Inquisitrice qui sortit de sa posture défensive qu'elle avait adopté quand la jeune naine avait observé sa marque.
- L'Ancre a eu l'air de vous impressionner, fit Lédara en dévoilant à nouveau sa main.
- J'ai entendu ce que tout le monde dit que vous avez entendu Corypheus dire. Ça fait une sacrée chaîne de « qui a dit quoi »… Moi, ça m'évoque une « clef ». mais les clefs font des tas de choses : ouvrir, fermer, changer. Certaines ouvrent une seule chose, d'autres ouvrent tout. On dirait que Corypheus l'a créée pour ouvrir. Il semblerait que vous puissiez l'utiliser pour fermer. C'est peut-être aussi simple que ça. En tout cas, c'est joli. J'aimerais bien y comprendre quelque chose.
Dagna avait saisi la main gauche de l'Inquisitrice entre les siennes et observait attentivement les entrelacs lumineux, le nez plongé dans sa paume. Elle la relâcha enfin et fit un grand sourire à l'Inquisitrice.
- Dagna, j'ai une recherche à vous soumettre, dit alors la Messagère.
- Je sais ! le Commandant Cullen m'en a déjà parlé hier soir, et je me suis déjà un peu penchée dessus. Alors, avec une armure de lyrium rouge, Samson devrait être mort. Un chapeau en lyrium rouge suffirait à tuer des gens, à commencer par celui qui le porte. Mais l'armure de Samson… Pour faire tout ça et ne pas perdre la tête, elle doit le protéger. Ou bien il a perdu tout simplement la tête. Ou les deux !
- Vous ne me rassurez pas, Dagna… il faut trouver un moyen de détruire cette armure.
- J'ai besoin de temps et d'outils. Et de lyrium rouge. Pour faire des essais, vous voyez ?
- Est-ce vraiment sage ? demanda lentement Lédara.
- Rien n'est dangereux si on s'en sert comme il faut. Et qu'on ne le touche pas. Et qu'on ne le respire pas. Je vous ai parlé du chapeau, non ? Oubliez. Du temps et des ressources, Inquisitrice. Vous aurez ce que vous voulez. Maintenant, oust ! j'ai du pain sur la planche.
Lédara esquissa un petit sourire elle aimait bien cette petite naine, elle avait du caractère et semblait prête à surmonter tous les obstacles qui se dresseraient sur sa route. La Marchéenne la salua et sortit de la crypte.
L'Inquisitrice était retournée à son quotidien dans la forteresse, plongée dans la paperasse et les cartes régionales. Elle n'avait même pas remarqué que le printemps se profilait à Fort Céleste et que le climat se faisait plus clément. Lors d'une belle journée ensoleillée, Lédara avait passé toute sa matinée dans ses quartiers sans voir ces rayons du soleil, se renseignant sur les mouvements des Venatori aperçus entre la Dalatie et les Portes du Ponant et approuvant des demandes d'exploration et d'espionnage pour la Maître-espionne. Assise à son bureau, elle ne vit même pas Dila entrer en compagnie d'une jeune fille qu'elle formait et qui déposa un plateau couvert de victuailles devant elle. L'Inquisitrice sortit tout à coup de ses pensées et remercia les deux jeunes femmes. Son esprit était embrumé, l'empêchant de se concentrer plus longtemps. Lédara s'affaissa contre le dossier de sa chaise, poussant un long soupir.
- Vous devriez vous reposer un peu, Votre Grâce, lui conseilla Dila, bienveillante.
- Vous serez toujours de bon conseil, répondit Lédara en souriant.
Dila réarrangea les draps du grand lit à baldaquin et ordonna à Shanna d'ouvrir les fenêtres des deux balcons pour laisser entrer la chaleur du soleil et épousseter les fourrures et couvertures, ce qu'elle fit consciencieusement.
- Il fait un temps magnifique, reprit Dila joyeusement.
- Oh ! vous devriez allez voir les jardins, Votre Grâce, s'écria Shanna, les lauriers sont en fleurs depuis hier !
- C'est vrai ? lança Lédara emportée par l'engouement de la jeune fille. Cela fait longtemps que je n'y suis pas retournée.
- C'est l'occasion alors, lui sourit Dila.
Lédara saisit le verre de vin que lui tendait la jeune elfe et le sirota doucement. Soudain, elle eut une idée qui la réjouit fortement. Elle s'empara de sa plume et d'un parchemin vierge et griffonna quelques mots à la hâte. Elle plia plusieurs fois le billet et le scella rapidement de son sceau officiel, puis le tendit à Shanna.
- Pouvez-vous transmettre ceci au Commandant, s'il vous plaît ? dit l'Inquisitrice.
- Bien sûr, Votre Grâce, répondit la jeune fille avec une petite révérence, les joues écarlates.
- Dila, reprit Lédara, j'aimerais une tenue confortable pour sortir dans les jardins.
Shanna partit précipitamment de l'immense pièce alors que Dila ouvrait grand l'armoire. Elle avait à cœur d'effectuer la première demande que lui avait soumise l'Inquisitrice en personne. De la voir d'aussi près l'avait toute émoustillée Shanna la trouvait d'autant plus belle et impressionnante.
La jeune fille rejoignit rapidement le grand hall, traversa la Rotonde en saluant Solas au passage, puis emprunta le grand pont pour accéder aux remparts. Là, elle se dirigea vers la tour où résidait le Commandant de l'Inquisition. Fort heureusement, celui-ci n'était pas sur les terrains d'entraînement et Shanna put délivrer le message sans devoir sortir de l'enceinte de la forteresse. L'ancien templier était à son bureau et rédigeait un rapport pour la salle du Conseil, tout en consultant des cartes de la Dalatie.
- De la part de l'Inquisitrice, Commandant, dit timidement Shanna en lui tendant le billet scellé.
- Merci, Shanna, répondit-il en s'arrêtant dans sa tâche.
Le Commandant saisit le billet et brisa le petit sceau. Pendant qu'il lisait, la jeune fille ne savait quoi faire, l'Inquisitrice ne lui ayant pas indiqué s'il fallait attendre une réponse ou non. Elle recula de quelques pas, se tenant près de la porte afin de sortir au moindre regard en ce sens. L'ancien templier ne lui indiqua rien tant qu'il était dans sa lecture. Un sourire se dessina sur ses lèvres, puis il leva les yeux sur la jeune Shanna.
- Vous pouvez lui confirmer sa demande, dit-il pour simple réponse.
Il regarda la jeune fille repartir aussi vite qu'elle était venue, et relut le billet de l'Inquisitrice :
Si vous avez un moment de liberté, j'aimerais avoir ma revanche aux échecs… Rendez-vous aux jardins dans une demi-heure ?
Cullen était arrivé un peu en avance dans les jardins intérieurs de Fort Céleste et commença à installer les pions sur le plateau. Il les plaça méthodiquement, tous parfaitement alignés puis, une fois le plateau prêt, il s'enfonça dans son siège et guetta l'arrivée de Lédara. L'hiver touchait à sa fin et malgré l'altitude à laquelle se trouvait la forteresse, les plantes et les arbres commençaient à fleurir, reprenant leurs droits le long des murs et inondant l'espace d'odeurs printanières. Au centre de la cour, le puits siégeait majestueusement, entouré par un fin gazon parsemé d'herbes folles. Les petits chemins de gravier étaient bordés par de petits perce-neiges dont les cloches blanches se confondaient avec les restes de neige scintillante. Les piliers des arcades et du pavillon étaient peu à peu recouverts de lierre aux feuilles tendres, égayant le gris des pierres de l'ancienne forteresse. Il était étonnant de voir le printemps si tôt au beau milieu des Dorsales de Givre et quelques résidents profitaient silencieusement de l'endroit, déambulant à travers les tout jeunes feuillages.
Soudain, Cullen l'aperçut enfin : elle avait passé la petite porte qui donnait sur le grand hall et était accompagnée de deux éclaireurs semblant la retenir. Elle s'arrêta sous les arcades à l'ombre et se tourna vers les deux hommes qui la harcelaient avec des tablettes de cire elle leur fit signe qu'elle ne regarderait pas leurs rapports et leur désigna la porte, catégorique. Les deux éclaireurs hochèrent de la tête et repartirent bredouilles. Elle reprit sa route et entra dans le jardin à la lumière du soleil. Elle avait revêtu une simple robe noire surmontée d'un manteau indigo au col serré et aux manches longues, soulignant la moindre de ses courbes. Ses cheveux étaient retenus par son chignon habituel, laissant sa nuque libre. Quand elle arriva au petit pavillon, Cullen se leva et se retint de l'embrasser, pourtant sa seule idée en tête à cet instant. Il lui présenta son siège et s'assit en face d'elle, ne pouvant détacher ses yeux des siens.
- Honneur aux dames, dit-il calmement quand ils furent tous les deux assis.
- Rappelez-vous, le contredit-elle, vous êtes le gagnant de notre dernière partie, c'est à vous de commencer.
Cullen bougea son premier pion et se cala dans son siège. Lédara joua à son tour et la partie débuta paisiblement. Après un petit quart d'heure, la jeune femme parla enfin.
- Vous m'avez manqué, murmura-t-elle en fixant l'échiquier du regard.
- Vous aussi, enchaîna Cullen en jouant à son tour.
La jeune femme déplaça son cavalier.
- Comment va votre famille ? demanda-t-elle soudain.
- Ça a l'air d'aller, ils se sont réfugiés dans les Marches du Sud quand les affrontements entre mages et templiers ont commencé. Et ma sœur aînée a retrouvé ma trace.
- Comment cela, « elle a retrouvé votre trace » ? s'étonna Lédara.
- Disons que je ne donne pas assez de nouvelles à son goût, dit-il un peu gêné, et j'ai peut-être oublié de leur écrire pour leur dire que j'allais bien. Et vous ? dit-il pour esquiver le sujet, votre mère et votre sœur se portent-elles bien ?
- Aux dernières nouvelles, oui, répondit Lédara en esquissant un sourire, ma sœur est fiancée à un riche noble d'Ostwick d'après ce que j'ai compris, et mon père m'en veut toujours autant d'être partie, je suppose. J'écris de temps en temps à ma mère pour avoir de ses nouvelles.
Un instant de silence passa, laissant le bruissement des feuilles dans la brise envahir l'air.
- Vous ne m'avez pas dit comment vous vous étiez blessée au visage dans l'Emprise du Lion, reprit Cullen.
- Oh, cela ? dit-elle en effleurant les égratignures sur sa joue gauche et le haut de son front. C'était dans la carrière de Sahrnia quand nous avons acculé les templiers rouges au fond de la mine, ils ont tenté une manœuvre désespérée en faisant exploser un tunnel. Je n'étais pas très loin… Mais je n'aurais pas de cicatrices pour accompagner celle-ci, alors tout va bien.
Elle désigna d'un geste rapide la longue cicatrice qui traversait sa joue et son front, ancienne d'une dizaine d'années au moins.
- D'ailleurs, demanda Cullen curieux, puis-je vous demander comment vous vous l'êtes faite ?
Lédara poussa un petit soupir, un peu gênée.
- Seulement si vous me dites d'abord pour la vôtre, finit-elle par dire, malicieuse.
- Très bien. C'est assez simple, quand la Chantrie de Kirkwall a explosé, c'était le chaos dans toute la ville et les mages se rebellaient, attaquant à vue les templiers. L'un d'entre eux m'a pris par surprise avec une petite dague qu'il avait cachée sous son manteau. A vous, maintenant.
- Ce n'est pas aussi héroïque, j'en ai bien peur, dit-elle en déplaçant un autre pion sur l'échiquier. J'avais quatorze ans et je m'entraînais en cachette au maniement des armes avec mon frère, avant qu'il ne décide d'entrer chez les templiers.
Lédara se mit à rire doucement.
- Nous nous étions cachés dans les écuries et avions emprunté les épées de deux gardes du domaine, continua-t-elle. Et par accident, mon frère m'a touchée au visage. Il était si confus et anxieux… je me souviens qu'il avait fondu en larmes devant moi.
Lédara fit une pause, son regard se perdant dans ses souvenirs.
- Je l'ai pris dans mes bras pour le rassurer, lui répétant que je ne lui en voulais pas le moins du monde. Il a alors séché ses larmes et m'a dit : « Je laisserai personne te faire du mal ! pour te protéger, j'irai apprendre chez les templiers. »
Cullen regretta d'avoir remué ce douloureux souvenir.
- Mon père était furieux quand je suis rentrée au domaine ! continua-t-elle encore, quand il a vu la balafre qui « m'enlaidissait », il a fouetté mon frère parce qu'il était sûr qu'avec cela, je ne pourrais jamais trouver un mari qui veuille de moi. Et quand il a appris que mon frère s'engagerait dans l'Ordre des templiers, il est devenu fou et m'a prise pour responsable.
Lédara poussa un profond soupir.
- Vous pouvez facilement deviner la suite, dit-elle avec un sourire triste. Mon père m'a renvoyée à la Chantrie où j'ai rejoint la chorale de la Grande Cathédrale d'Orlaïs. Il pensait que cela m'empêcherait de faire des bêtises jusqu'à mon mariage ! Après trois ans où j'ai parcouru tout Thédas avec le chœur, j'ai pris la poudre d'escampette et j'ai cheminé seule pour trouver ma propre voie.
- Votre père ne devait pas être très content, remarqua Cullen.
- Je ne sais pas, je ne l'ai pas revu depuis, dit-elle pour toute réponse.
Les deux dirigeants continuèrent leur partie silencieusement, écoutant la brise et les murmures des botanistes qui s'occupaient des jardins. La partie touchait bientôt à sa fin la jeune Marchéenne saisit son cavalier pour le déplacer sur l'échiquier quand Cullen l'arrêta soudain, posant sa main sur la sienne.
- Ne faites pas cela, vous allez perdre, dit-il doucement en plongeant son regard dans le sien. Puis-je vous conseiller, Inquisitrice ?
- Je vous écoute, Commandant, renchérit-elle en souriant.
L'ancien templier lui fit reposer la pièce à sa place et dirigea sa main sur la reine qu'il déplaça de deux cases. Lédara observa le plateau, cherchant à comprendre sa stratégie, mais le contact de sa main contre la sienne la perturbait.
- Mais vous allez perdre, dit-elle en voyant soudain qu'ainsi elle pouvait gagner en trois coups.
- Mais je suis là pour que vous gagniez, non ? dit-il espiègle. Et si je gagnais encore une fois, je ne pourrais vous demander ma revanche…
Cullen relâcha la main de l'Inquisitrice et s'enfonça à nouveau dans son siège. La partie était terminée. Ils restèrent quelques instants à se regarder, puis elle se leva lentement, devant reprendre son travail. Il se leva à sa suite et la remercia doucement pour ce moment privilégié qu'ils avaient passé ensemble. Le Commandant lui sourit et repartit sous les arcades, disparaissant par la petite porte menant au grand hall.
Lédara resta à déambuler dans le jardin, profitant de se délasser encore un peu avant de reprendre son travail, quand elle remarqua un jeune garçon d'à peu près dix ans qui l'observait, intrigué. Elle s'arrêta et l'observa également, lui souriant doucement. Le garçon sourit timidement à son tour, puis s'approcha d'elle.
- Vous êtes l'Inquisitrice, dit-il ébahi. Je vous croyais plus effrayante. Mère disait que vous faisiez peur.
- Pourquoi ta mère dit-elle cela ?
- Parce qu'elle dit que la prochaine ère risque d'arriver trop tôt.
Lédara ne comprit pas ses paroles et une voix qu'elle reconnut les interrompit :
- Kieran, tu ne déranges pas l'Inquisitrice, j'espère ? dit Morrigan, l'ancienne mage de la cour de Célène.
- Bien sûr que non, répondit le garçon. Tu as vu ce qu'elle a sur la main, Mère ?
- Oui, j'ai vu, sourit doucement Morrigan. Il est temps de retourner étudier, mon garçon.
Kieran fit une moue ennuyée, mais obéit à sa mère et retourna à l'intérieur des murs.
- Mon fils, rit doucement Morrigan, jamais là où il devrait être, évidemment.
- Je ne savais pas que vous aviez un fils, répondit Lédara.
- Oui, je me donne beaucoup de mal pour ne pas laisser ma réputation l'affecter de quelque façon que ce soit. Pour la plupart des gens de la cour impériale, c'est juste un garçon discret qui s'exprime bien. Peut-être l'héritier d'une famille lointaine. Mais il me suit là où je vais. Ne vous inquiétez pas, Inquisitrice, Kieran est un garçon curieux, mais sage.
- Et son père ? Nous rejoindra-t-il ?
- C'est… fort improbable. J'élève Kieran seule depuis quelque temps maintenant, ce que j'ai voulu depuis le début. Donc il n'y a que nous deux, Inquisitrice. Votre forteresse est spacieuse, vous remarquerez à peine notre présence.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire, répondit Lédara, vous êtes les bienvenus, vous et votre fils. Il a quelque chose d'assez… inhabituel chez lui.
- Oui, ce n'est pas un garçon comme les autres. C'est à moi de le protéger de quiconque pourrait lui vouloir du mal. Et surtout de moi-même. Personne ne pourrait lui faire plus de mal que moi, finit par murmurer Morrigan.
La mage fit quelques pas dans le jardin, observant les murs de pierre de Fort Céleste. Lédara la suivit lentement, intriguée par ce personnage secret.
- Dire que jusqu'à récemment, dit Morrigan d'une voix pleine de mystères, cet endroit n'était qu'une ruine occupée par les perdus et les désespérés. Maintenant, il est le décor d'événements qui menacent l'avenir du monde. Je me demande s'il préfère les choses ainsi.
- On dirait que vous avez déjà entendu parler de Fort Céleste.
- Cette forteresse a été bâtie sur les vestiges d'un lieu sacré des elfes de jadis. Ils l'appelaient « Tarasyl'an » : « le lieu où le ciel est gardé ». On dit que d'ici, ils accédaient aux cieux pour trouver le repos. Ils ont fini par l'abandonner, tout comme les humains qui leur ont succédé. Il n'est resté qu'un tas d'os, et le silence… jusqu'à votre arrivée.
- C'est plus défendable que Darse, constata Lédara, après ce qu'il s'est passé là-bas… nous avons eu de la chance de le trouver.
- Mère dit toujours : il ne faut pas confondre la chance et le destin. Vous avez mieux choisi que vous ne vous en rendez compte vous-même, je crois. La magie de cet endroit s'est infiltrée dans les pierres, et le protège des ténèbres. Ceux qui l'ont laissé tomber en ruine ignoraient ce qu'ils possédaient. Vous, je crois, saurez lui rendre justice.
Morrigan regarda encore autour d'elle, s'arrêtant sur les deux plus hautes tours de la forteresse.
- Je tâcherai de faire de mon mieux pour mettre tout le savoir dont je dispose au service de votre cause, déclara-t-elle alors avec conviction. Je vous en fais la promesse.
- Je vous en remercie, Morrigan.
- Certains prennent Corypheus pour un fou parce qu'il veut se faire dieu. Mais nous devons surtout nous demander : qu'étaient les anciens dieux ? Quels secrets les anciens magisters ont-ils découverts ? Ce qui me fait peur, ce qui devrait nous faire peur à tous, ce n'est pas que Corypheus croit pouvoir réussir, c'est qu'il le pourrait bien.
