- Lundi matin, 8h20 -
« Hé oh, loser ! »
La tête aux cheveux nouvellement teint d'une douce couleur rose de la jeune Lexa se releva, presque précipitamment. Presque, oui, car elle n'était pas encore totalement habituée à ce genre d'appellation, mais elle allait sûrement devoir s'y faire. Elle se dit que ce ne serait pas une mauvaise idée d'en profiter pour apprendre à y réagir de façon "correcte".
Pour Lexa Wood le terme de "correcte" renvoyait à cet air revêche dont elle se faisait pour mission de ne pas se défaire malgré toutes les futures altercations qu'elle subirait. Des brimades aux poings, rien ne l'empêcherait de garder la tête haute. Elle souhaitait garder une certaine fierté, une certaine flamme, une certaine image d'elle-même.
Ouais, c'était bien stupide ça...
L'autre, une adolescente légèrement plus petite qu'elle, continuait de l'observer, la toisant scrupuleusement de haut en bas, un sourcil relevé, comme si elle pratiquait une expertise étrange sur la silhouette de Lexa.
« Hé oh, jte parle lesbos ! » s'exclama un peu plus fort la jeune femme qui lui faisait face, attirant l'attention de plusieurs élèves autour.
Lexa discerna sans grand soucis les amies - plus connes les unes que les autres si vous souhaitiez avoir son avis - de la jeune femme qui ricanaient telles des hyènes affamées à l'odeur du moindre scoop. Elle serra le plus fort possible le plastique de son crayon bleu, se chuchotant intérieurement que, de toute manière, aucunes de ces pétasses n'auraient jamais son intelligence, alors à quoi bon perdre son temps...
Elle leva les yeux en direction de son interlocutrice et elle ne la quitta plus. Elle préférait se noyer dans sa petite perfidie que de tomber dans sa propre lâcheté.
« On veut pas de gens comme toi dans le foyer, reprit l'adolescente aux ongles terriblement bien manucurés. Casse-toi de là si tu ne veux pas que je m'énerve vraiment. »
La fille à la teinture rose se contenta de pousser un long soupire fatigué tout en refermant son petit carnet noir aux pages tiraillées.
« Qu'est-ce que tu vas bien pouvoir me faire, hein ? Lança-t-elle avec quelque chose comme de la provocation dans la voix. Les pions sont juste dans la pièce d'à côté. »
Une des chères hyènes prenait déjà une grande inspiration rageuse aux relents d'amertume pour lui répondre, mais Octavia, la chef de la petite troupe la coupa, car après tout, Lexa Wood était sa nouvelle victime attitrée.
Elle avait tout découvert alors pourquoi laisser la haine grossir dans d'autres esprits que le sien ?
« Je ne vais rien te faire maintenant, toi comme moi on sait que ce serait débile. Je ne veux pas prendre de risque en tombant à cause d'une meuf comme toi. Alors, si je ne fais rien maintenant, prépares-toi à en subir les conséquences plus tard. »
Lexa ne put s'empêcher d'étirer ses bras au-dessus de sa tête, presque déçue de la répartie de sa camarade. Son désintérêt apparent laissa l'autre, pendant quelques secondes, déboussolée. Puis, elle étouffa simplement son irritation derrière une façade glaciale et énervée.
« Comme j'ai hâte de voir apparaître un de tes chiens de garde pour qu'il me pousse dans des casiers, finit par répliquer la plus grande en reportant son attention sur elle. Tu ne peux vraiment pas savoir à quel point j'ai hâte de voir votre impolitesse maladive m'être crachée à la gueule. Ouais, j'ai hâte. Mais comme tu viens de le dire, aucun d'entre nous ne souhaite avoir de problème tout de suite, alors je ne bougerais pas. »
La réponse de Lexa ne fit qu'accroître la hargne d'Octavia. Celle-ci poussa un discret grognement frustré devant cette attitude rebelle voir ingrate, et derrière elle, les hyènes échangèrent un regard quelque peu agacé. Sa plus fidèle servante s'avança d'un pas pour la pousser à répliquer au plus vite si elle ne souhaitait pas voir la situation tourner au ridicule pour leur petite tribu.
Le reste des étudiants présent dans la pièce ne faisaient que de fixer l'échange d'un œil morne, certains prenant légèrement pitié pour l'adolescente victime des attaques de plus en plus régulières de ces jeunes femmes.
« Sors pas ton numéro de gamine courageuse avec moi, tu sais que tu n'es rien, déclara Octavia en haussant un sourcil hautain.
- Ouais, là je flippe, reprit Lexa en dardant sur elle ses yeux noisettes bouillonnant de cette même éternelle intensité. Là je suis vraiment en train de me pisser dessus de peur en face d'une fille qui ne trouve rien de mieux à faire que de m'insulter sur quelque chose de privé et qui ne la regarde en aucun cas. Non, franchement, vos moqueries plus débiles les unes que les autres, ça commence à me les casser. Qu'est-ce que ça peut te faire que je sois '' lesbos '' ? Hein ? D'ailleurs, tu devrais trouver autre chose. Non parce que lesbos ça commence à être répétitif. Et si, comme par magie, tu deviens suffisamment intelligente pour trouver un autre terme, alors là ouais, tu pourras revenir pour me dire que je n'ai pas le droit de fréquenter la cafétéria. »
Une des hyènes ricana faussement, comme pour redonner un peu de force à sa chef, l'incitant à répondre aussi froidement qu'auparavant, mais celle-ci resta comme figée, sifflant pour elle-même un : quelle salop-...
Octavia posa ses mains sur ses hanches et eut un haussement d'épaules dédaigneux. Son pied ne trompa malheureusement pas son vis-à-vis : remuant sans cesse sur le sol, Lexa comprit que la réponse qu'elle venait de lui apporter ne lui avait pas plu.
Elle soupira avec irritation.
« Bon écoute moi bien, finit par siffler Octavia. C'est mon dernier avertissement, dégage de là et retourne faire mumuse dans le vestiaire des meufs, pédale,
- Tu crois vraiment que j'ai envie d'aller voir ta meilleure-pote se faire tripoter par les trois quarts des mecs en chiens du lycée ? Jpréfère encore que tu me craches à la gueule plutôt que de-
- Dégages de là ! S'emporta soudain la plus petite en posant ses mains sur la table où la jeune femme travaillait.
- T'énerves pas comme ça, tu rougis et c'est pas très beau. Elle approcha son visage de son ennemie. Et puis, la prochaine fois que tu veux faire semblant d'avoir un minimum de répartie, essaye au moins de trouver un truc vraiment méchant à me dire. »
Elles se contemplèrent un instant, Octavia vrillant sa camarade d'un regard glacial, Lexa la fixant toujours avec ce rictus assuré qui donnait envie à son adversaire du jour de la gifler.
« Dégage de là immédiatement putain ! » lança-t-elle enfin d'un air un peu plus menaçant.
Lexa se recula sur sa chaise pour mieux s'y installer, la dévisageant encore un instant et vraisemblablement peu effrayée, elle finit par hausser les épaules tout en se replongeant sur l'écriture d'un texte dans son vieux carnet noir comme si personne n'était jamais venue l'interrompre.
Octavia sentait les regards crouler dans son dos, lui vriller le corps, interrogatifs ou suspicieux.
Tout ça n'était qu'une façade plaisante. Il fallait pousser à bout celle sur qui les yeux du lycée étaient pointés. Rien de plus et rien de moins. Une mission que la jeune femme endossait avec une confiance étrange. Il fallait faire couler de l'encre pour s'enrichir d'une popularité avant d'arriver au temps des examens, avant de partir et de ne laisser derrière soi qu'une ombre. Il fallait marquer l'endroit de son empreinte avant qu'il ne soit trop tard. Lexa n'était que le jouet pouvant propulser n'importe qui dans le top trois de la chaîne alimentaire du bâtiment.
Cela n'étaient pour le moment que des brimades sans réel fond. Des insultes, des casiers qui venaient inopinément à sa rencontre, des regards méchants lancés à l'autre bout d'une pièce, des remarques mesquines… cela restait tout à fait raisonnable.
Tellement raisonnable que jamais une seule fois, l'adolescente s'était laissée faire. Pas une seule fois elle ne s'était laissé surprendre. Et cette attitude désinvolte commençait à payer, Octavia le sentait rien qu'en croisant les regards de pitié des autres étudiants.
Il fallait que ça change et vite.
« Salope ! » s'exclama encore la jeune femme pour répondre au regard inquisiteur et attentif de son groupe derrière elle.
Le presque cri avait été si aigu qu'il faillit surprendre la concernée qui flancha tout juste.
Bientôt six mois qu'elle s'entêtait à utiliser, rabâcher sur son passage le même type de schéma moqueur. À quoi bon jouer les surpris lorsque l'on savait ce qui allait arriver ? Lexa voulait être actrice certes, mais peut-être pas à ce point.
Ce résultat ne fit qu'énerver Octavia davantage.
« Tu vas dégager de là, siffla-t-elle en s'approchant encore un peu de Lexa.
- Cette cafétéria ne t'appartient pas. Tout le monde peut y venir et y rester. Et bien sûr quand je parle de tout le monde j'inclus ton gang de hyène et moi-même. Alors si tu veux bien aller t'asseoir autre part en évitant de me faire encore plus chier, ce serait vraiment sympathique de ta part. Puis tu pues de la gueule, alors bon... »
La jeune femme avait débité ses propos sans empressement et, surtout, sans jamais lever les yeux de son carnet griffonné. Elle était bien plus absorbée par les marques de son esprit sur le papier que par la stupide fille qui ne trouvait rien de mieux pour s'occuper que de la harceler sans cesse.
« C'est peut-être pas écrit dans un règlement, mais ici à Holbrook, tout le monde sait que la cafet' est le lieu de repos des populaires, dit Octavia d'un ton tranchant. Les losers dans ton genre ne sont pas les bienvenus, et que ce soit une putain de règle existante ou non, tu sais que tu en paieras les conséquences, parce que je m'en chargerai personnellement.
- Super, géniale, merci bien, mais j'en ai rien à faire, répondit Lexa de cette voix incroyablement calme. Tu sais, que tu m'insulte, me méprise à ce point, ça ne me surprend pas vraiment au vu de ton esprit aussi ridicule que les préjugés de ta meilleure-amie. Cependant, malgré tes airs de grognasse je sais que t'es pas si méchante que ça. Alors tu peux continuer ainsi et me rabaisser tant que tu le souhaites... Cela ne changera malheureusement pas ma sexualité. »
Le garçon qui gérait le snack de la pièce se stoppa net en servant le café à un autre élève. Tous, sans exception, avaient entendu les paroles de Lexa et tous la fixaient. D'un côté, baignant toujours dans la neutralité, il y avait ceux qui étaient véritablement impressionnés par son répondant. Puis, de l'autre côté, il y avait ceux qui étaient choqués et qui, en silence, soutenaient l'action d'Octavia.
En silence.
Tout se déroulait à présent en silence dans la pièce auparavant animée.
Lexa sentit sur ses épaules un nouveau poids qui la fit enfin flancher. Peut-être avait-elle été trop loin cette fois-ci ?
En face, ne sachant quoi répliquer de plus, prise au dépourvue, Octavia tendit impulsivement le bras et arracha le carnet des mains de Lexa avec brusquerie. La pointe du crayon bleu s'écrasa contre le bois de la table. L'adolescente se leva d'un bond faisant grincer sa chaise sur le sol. Elle poussa une exclamation outrée et releva le regard d'une façon si fulgurante que ce fut au tour de son ennemie de flancher sur ses jambes.
« Rends-moi ça immédiatement. Demanda-t-elle en la contemplant avec une colère sourde.
- Casse-toi. » lui répliqua l'autre avec un sourire sans chaleur.
Lexa crispa sa mâchoire. Sa harceleuse faisait une tête de moins qu'elle mais la table qui les séparait l'empêchait de réellement prendre le contrôle du combat visuel qui s'opérait.
« Je te l'ai déjà dit des centaines de fois, j'en ai rien à faire de ton copain, de ta meilleure-pote ou même de toi. Je ne t'ai jamais rien fait. Alors arrête ça tout de suite et rends moi ce carnet, dit Lexa en articulant légèrement. S'il-te-plaît, Octavia. »
Elle laissa son bras gauche retomber mollement contre son flanc et tendit l'autre avec un reniflement impatient.
« Je te le rends si tu dégages, insista Octavia avec ce même sourire tordu.
- J'ai autant le droit de bosser ici que tout les autres débiles de cette putain d'école, alors rends le moi sur le champ. » rétorqua Lexa tout en fixant sur elle des yeux bouillonnants d'une fureur qui effraya la véritable Octavia.
Rien ne se passa mais la tension qui s'était figée dans les yeux des deux jeunes grimpa d'un niveau. Un niveau différent de ce qu'elles avaient côtoyé précédemment. Cette fois, il s'agissait d'une haine plus peureuse. On avait peur de l'autre, peur de ce qu'elle pouvait faire ou dire, peur de ce qu'elle allait bien pouvoir déclencher ou de ce qu'elle terminerait d'enterrer.
La confusion et la frustration dans les yeux d'Octavia se muèrent en une colère froide et douloureuse, tranchante et incontrôlable. Mais rien ne se passait. Elle ne bougeait pas, le carnet toujours solidement agrippé dans sa main, comme un otage en suspend au-dessus du vide. Lexa crut même qu'à un moment, la jeune femme allait battre en retraite et lui rendre son carnet. C'était sans compter sur une voix solide et si cruelle qu'elle vacilla réellement - douloureusement. La figure de glace en face d'elle se brisa également le temps d'un battement de cils :
« Personne ne veut de toi dans cette cafétéria, lesbos. »
Cette voix sortie d'elle ne savait où, lui fit l'effet d'une bonne gifle ou d'un vif coup de poing dans l'estomac. Il fallait toujours que les autres soient contre elle ; il fallait toujours qu'un élément extérieur vienne foutre en l'air tout ce qu'elle avait soigneusement bâti.
Elle n'osa pas même se retourner lorsqu'elle entendit ses talons claquer dans son dos avant de disparaître pour laisser un lourd silence retomber.
Elle aperçut ses mains crispées et ses veines saillantes ressortir sous la lumière artificielle.
Avant même qu'Octavia ne puisse l'en empêcher, Costia balança le carnet de Lexa à l'autre bout de la pièce. Le bruit des feuilles qui se froissèrent et se déchirèrent en frappant un mur pénétra le cœur de la fille avec dureté. Le coup sourd que produisit le cahier en heurtant le sol lui fit douloureusement mal, bien plus qu'aucunes autres moqueries, brimades ou bousculades.
Elle ne distingua même pas son propre hoquet de terreur retentir dans l'atmosphère étouffée du lieu.
« Dégage, siffla Costia en continuant de la dévisager.
- Mon carnet... bredouilla-t-elle.
- C'est de ta faute, rétorqua Octavia, elle-même surprise de l'intervention de son amie. Tu ne voulais pas dégager. Alors maintenant, tu sais que quand je dis que tu vas en subir les conséquences, c'est la vérité. »
Lexa la contempla un dernier instant et au fond de ses propres pupilles, une lueur étrange s'alluma. Le regard liquéfié par la stupéfaction de la plus grande brûlait d'un sentiment encore jamais connu et Octavia baissa les yeux, glissant sa main dans celle confiante de sa meilleure-amie. Son adversaire, battue à plate couture, tenta de ne rien montrer de sa faiblesse et se précipita sans un mot en direction de son carnet. Elle le ramassa silencieusement, ne manquant pas de récupérer les feuilles volantes qui s'étaient déchirées sous l'impulsion.
Autour d'elle, personne ne pipait mot, observant simplement les dégâts de l'altercation.
Elle les détesta pour cela ; Pour leur inaction, leur passivité nauséeuse.
Lexa fit volte-face et, en sortant, manqua de peu de rentrer dans l'un des pions qui avait été alerté par l'agitation.
Elle traversa les longs couloirs sans un regard en arrière, serrant maladivement contre sa poitrine son petit carnet noir, la peur au ventre. L'insulter d'accord. La bousculer, s'ils voulaient. La frapper, elle ferait avec. Elle savait qu'elle pouvait tenir jusqu'à la fin de l'année en subissant ces traitements, elle ne baisserait pas la tête face à ça. Mais que l'on s'en prenne à la seule chose qui la rendait vivante, ça, elle ne le supporterait pas.
En clignant des paupières, elle découvrit que sa vision était devenue trouble, glacée des stigmates d'une peur tortueuse. Elle essuya du revers de sa main tremblante la larme qui coula jusqu'au coin de son nez.
Ses pas la portèrent instinctivement face à la porte de la salle de musique.
Reniflant les dernières traces de sa colère, de sa peine, elle entrouvrit la porte afin de voir si quelqu'un traînait déjà là. La lumière n'était même pas allumée alors elle se faufila à l'intérieur, jetant un coup d'œil derrière elle, soupçonneuse de croiser une hyène qui l'aurait suivit.
Personne ni à l'intérieur ni à l'extérieur.
Elle se dirigea tout droit vers le piano, comme aspirée par son désir de fuir les lieux. Elle n'alluma pas la lumière.
Avant que tout ne parte en vrilles dans sa vie, Lexa adorait observer d'un œil expert ses doigts remuaient avec aisance sur les touches blanches et noires du piano. Elle aimait entendre les notes emplirent l'espace autour d'elle d'une douce mélodie, suave, hypnotisante et terriblement apaisante. C'était comme si les minutes qui s'écoulaient faisaient partie d'une autre dimension, à part, loin de tout ce qui l'entourait et l'étouffait au quotidien. Il lui avait fallu moins de quatre ans pour apprendre à jouer de cet instrument avec une perfection remarquable, c'était une sorte de prodige discret qui restait dans son coin, sans jamais oser partager son talent.
Mais au fond de cette vieille salle de musique piteuse, en cet instant, elle regrettait amèrement de ne pas l'avoir partager ce talent improbable. Cela lui aurait peut-être permis d'obtenir une place dans une école spécialisée ou une connerie dans le genre. Cela lui aurait sûrement évité de rester prisonnière de son établissement de secteur. Cela lui aurait évité de révéler ses sentiments à une personne si haineuse.
Elle frôla du bout de ses doigts quelques touches et essaya de se mettre un peu plus à l'aise sur son tabouret.
Lorsqu'elle joua une fausse note, elle comprit que ses doigts tremblaient encore. Il fallait se concentrer sur autre chose.
Sauf que la mélodie ne changeait rien à son état, elle empirait la situation, lui rappelant qui avait été la première personne à être impressionnée par ses talents. Dans son crâne ne résonnait que cette fichue voix grinçante. Elle lui murmurait souvent des dires étranges, sans réels impacts, parfois durs parfois gentils, il lui arrivait même d'être compatissante.
Aujourd'hui, elle lui susurrait quelques maladresses pour la déconcentrer totalement, et ça fonctionnait à merveille.
L'estomac de la jeune femme se contracta à cette constatation.
« La ferme... marmonna-t-elle. La ferme. »
Elle rata une nouvelle note et, sans s'en rendre compte, se mit à pleurer. Elle pouvait cligner des yeux autant qu'elle le souhaitait, cela ne changeait rien. Cela ne changeait jamais rien pour elle, et ça la torturait. Si seulement elle avait su se contrôler.
À cette pensée une crampe se manifesta avec ardeur dans son estomac.
Si le lycée la connaissait maintenant pleinement, combien de temps il lui restait avant que toute leur minuscule ville ne soit au courant à son tour ? Rien que l'instagram de sa sœur allait bientôt pulluler d'insultes en tout genre lancées par des personnes qu'elle n'avait croisée qu'une fois dans un couloir. Les ragots allaient bien finir par lui sauter à la gueule pour venir éclater son dernier havre de paix.
Elle avait tellement peur d'être découverte.
Elle n'en pouvait plus.
Toute cette situation merdique aurait été différente si elle n'avait pas craquer, si elle n'avait pas eu la débilité de tomber amoureuse de la mauvaise personne.
« Hein ? Attends... tu te fous de ma gueule. Dis moi que tu déconnes Lex' ? Tu vas pas me faire croire que tu envisages sérieusement de te mettre en couple avec ce mec ? »
Lexa se rappelait avoir grimacé d'effroi à l'entente du surnom et du remue ménage dans son estomac.
« Pourquoi pas ? avait-elle dit. Et puis il est assez populaire dans le lycée, ça pourrait me faire monter les échelons comme tu le dis. »
Costia avait haussé les épaules pour ensuite la pousser dans la salle de mathématiques où leur professeur commençait à s'impatienter.
Lexa regretta tout. Elle regrettait également de ne pas avoir demandé à Ilian de devenir son petit-ami, au moins, elle aurait eu une couverture pour un moment. Ouais, elle regrettait des choses et sa petite voix ne se gênait pas de le lui rappeler à chaque instant de sa misérable existence.
Ses mains retombèrent lourdement sur les touches. Un son strident en résultat et elle ne put stopper une nouvelle salve de larme de s'éparpiller sur ses joues rougies.
Elle n'arrivait même plus à apprécier le piano et ça lui donna la nausée.
Elle plaqua une main fébrile sur sa bouche pour empêcher un nouveau sanglot de retentir bruyamment dans la pièce vide.
La pensée furtive que vint lui murmurer sa petite voix la tétanisa encore un peu plus : avant, bien avant, Costia serait venue la réconforter, lui claquer une bise sur le front, et lui dire que tout ceci n'était pas sa faute.
Avant.
