- Lundi soir, 19h02 -
« Mais qui voilà ! »
Les deux jeunes eurent à peine posé un pied dans le couloir de l'entrée que la voix de Madame Griffin résonna dans toute la maison. Finn ricana en découvrant le visage de sa petite-amie se décomposer lorsqu'elle aperçut sa mère apparaître au loin, une carafe d'eau dans une main et un plateau de petits gâteaux dans l'autre. Ses cheveux étaient un peu en batailles et le tablier de cuisine qu'elle portait était empli de dizaines de couleurs étranges dont il ne valait mieux pas chercher la provenance.
« Oh mon Dieu, Finn ! »
Madame Griffin disparut en coup de vent. Suffisamment rapidement pour que les deux adolescents se demandent s'ils ne l'avaient pas juste imaginée.
« Elle est toujours aussi énergique ? Demanda le garçon en retirant ses chaussures sur le pas de la porte.
- Que quand on reçoit des invités. De base, elle s'essouffle dès qu'il faut monter les marches de l'immeuble. »
Il donna un petite tape dans le dos de sa copine pour lui retirer son fin rictus moqueur. Entre-temps, madame Griffin avait parcouru la cuisine en trombe pour rejoindre le miroir du salon. Elle avait refait son chignon et s'était rapidement débarbouillée la figure. En moins de trente secondes elle était de retour dans le couloir, le visage radieux et les cheveux impeccables.
Comme si de rien n'était.
« Finn, comment vas-tu ? Ça fait un moment qu'on ne t'as pas vue. »
Le garçon à la teinture blonde s'approcha de sa belle-mère d'un pas incertain. C'était toujours quelque chose qui le stressait de rencontrer les parents de Clarke. Ils étaient très gentils - voir un peu trop parfois, ce qui était vachement suspect -, et puis comment dire... Ouais. Il n'avait pas les mots pour exprimer son ressenti. Cela le mettait simplement mal à l'aise d'être sous le feu des projecteurs familiaux.
« Merci de m'avoir invitée Madame Griffin,
- Tu es toujours le bienvenu chez nous ! » s'exclama la plus âgée en le prenant dans ses bras pour une étreinte impromptue.
Surpris, le jeune homme mit quelques secondes pour y répondre platement, le regard fixé sur la cuisine où des dizaines d'assiettes et de plats en tous genres trônaient. Ses yeux s'arrondirent en apercevant l'énorme tarte au pomme cuisant dans le four ; des reflets dorés lui donnaient cette allure de gâteau mythique et imaginaire. Ces mêmes pâtisseries que l'on apercevait en vitrine mais dont le goût ne nous serait jamais connu.
Ils allaient pouvoir déguster un véritable festin ce soir. Lui qui voulait perdre deux trois kilos, cela allait être complexe.
La mère de Clarke finit par le lâcher dans un immense sourire et discerna pleinement la silhouette de sa fille se tenant derrière. Elle avait profité de l'accolade pour s'avancer, espérant éviter un bonjour aussi particulier.
« Alors, comment s'est passé le lycée aujourd'hui ? Questionna gentiment sa mère en retournant dans la cuisine.
- Comme d'hab, répondit l'adolescente en examinant la table. On a eu un contrôle surprise en littérature.
- Ne t'inquiète pas, je suis certaine que tu t'en es bien sorti, décréta sa mère en sortant les petits fours du micro-onde d'un geste habile. Tu as hérité de ma redoutable intelligence. »
Clarke ne répondit rien et se retint de rigoler. Sa mère aurait bien été capable de lui jeter le plat à la figure.
Et puis, Clarke ne s'était pas inquiétée une seconde, elle savait qu'elle allait réussir et elle avait réussi. Elle en était même profondément persuadée. Prévenir sa mère sur l'étendu de ses journées ennuyantes de cours n'était qu'un moyen quelconque de se convaincre qu'il était impossible pour elle de rater quelque chose. Elle ne perdait jamais. Et elle ne perdrait jamais. C'était tout ce qu'il y avait à connaître de son caractère si particulier.
Elle fit un pas en direction de la table et s'y accouda, laissant son petit-ami dans l'encadrement de la porte. Elle avait tellement l'habitude d'aller chez lui qu'elle en oubliait que, au contraire, le jeune homme ne possédait pas ses automatismes. Il n'allait pas s'asseoir dans le canapé du salon pour regarder la télévision. Il n'allait pas aux toilettes sans demander la permission. Il n'allait pas venir s'asseoir sur un des tabourets de cuisine.
Elle dû lui faire un petit signe de tête pour qu'il la rejoigne, les deux mains liées et le regard intimidé.
Du coin de l'œil, les deux jeunes découvrirent la silhouette haute de Monsieur Griffin apparaître dans un coin du salon.
« Chéri, assure-toi que tout le monde ait à boire, lança sa femme. Je crois qu'il y a une bonne bouteille de vin blanc dans la commode, ils devraient aimer. »
Le paternel releva brusquement le visage, les mains pleines de couverts en argent et la bouche encombrée du tire-bouchon. Il fixa sa compagne d'un regard rond, vide et finit par déposer dans un dernier effort les couverts. Il enleva l'objet de sa bouche. Le pauvre, pensa Clarke. Il a été relégué dans la mise en place de la table.
« Tu ne préfères pas que je sorte la bouteille qu'on nous a offert pour mon départ de la boîte ? »
Il dévisagea sa femme qui avait la moitié du corps caché par la porte du frigo.
« Pourquoi pas, de toute façon ils ne feront pas la différence. »
Monsieur Griffin acquiesça à cette idée avant de remarquer la présence de Finn. Il le salua d'un signe de tête amical auquel il répondit joyeusement. Clarke savait qu'il se sentait plus à l'aise avec son père qu'en compagnie de sa mère et elle pouvait très bien comprendre pourquoi.
« Clarke, chérie, tu veux bien appeler ton frère ? Les voisins ne vont pas tarder à arriver. »
La jeune femme marmonna un '' arrête de m'appeler comme ça... '' tout en acceptant la lourde tâche qu'on lui laissait fièrement. De son côté, sa mère fit immédiatement volte face en entendant le ding distinct du four retentir et elle se murmura à elle-même : pourquoi il met toujours autant de temps à se préparer ?
Voyant que sa mère ne la regardait plus, l'adolescente en profita pour piquer une poignée de petit four qu'elle planqua bien soigneusement dans les poches de sa veste avant de sauter de son tabouret. Son copain la regarda durement, implorant de pouvoir l'accompagner, il était hors de question qu'il se retrouve seul en compagnie de la maîtresse de maison.
Elle l'embrassa furtivement avec son rictus stupide et s'échappa bien vite de la pièce sans demander son reste, abandonnant Finn à son sort.
« Alors, dit moi, Finn, que comptes tu faire après l'examen final ? Dans quelle université vas-tu postuler ? Tu sais là où Clarke va, c'est très bien classé et puis ils offrent de bonne bourse pour les-... »
L'adolescent posa ses mains à plat sur la table et pris une grande inspiration avant d'attaquer les réponses qu'il avait délicatement pré-enregistré dans son esprit avant de venir. La soirée allait être longue...
Grimpant les escaliers quatre à quatre, Clarke ricana face à l'enfer de l'interrogatoire maternelle qu'était en train de subir de plein fouet son copain.
Elle arriva bien vite à la chambre de son frère, collée à la sienne. Sur la porte aucun signe distinctif.
« Hey, commença-t-elle en tapotant contre le bois. Faudrait que tu descendes, les voisins vont bientôt arriver et maman est en train de harponner Finn avec des tonnes de questions sur son avenir... »
Elle ne reçut aucune réponse cependant, après quelques secondes, un bruit sourd résonna, claquant lourdement contre le parquet. On aurait dit que le jeune homme venait de jeter un de ses manuels scolaires sur le sol.
« Est-ce que ça va ? s'empressa de demander sa sœur en tapotant une nouvelle fois contre la porte.
- Oui oui, rentre pas ! » s'exclama Aden d'une voix... essoufflée ?
Clarke observa le bois blanc de la porte d'un air curieux où la suspicion régnait en maître, bien loin de l'inquiétude.
« Tu es sûre que ça va ? Insista-t-elle.
- Oui, je- je suis en train de me changer alors rentre pas. »
Elle haussa un sourcil et se concentra un peu plus en tendant l'oreille. Elle entendit un grommellement et une fenêtre qui s'ouvrit bien trop vite à son goût. Elle se douta définitivement qu'il se tramait un truc pas clair quand une odeur très particulière filtra sous la porte pour venir titiller son odorat.
« Aden, grogna-t-elle. Ouvre cette porte immédiatement.
- Puisque je te dis que je suis en train de me changer !
- On a le même corps bon sang... »
Son haussement de ton fit mouche du côté de Clarke qui, sans réfléchir abaissa la poignée. La porte resta malgré tout bloquée et elle comprit qu'il s'était enfermé à clé pour que personne ne vienne la déranger. C'était louche, vraiment louche.
Une seconde salve d'une odeur étrange vint se moquer d'elle.
« Ouvre cette fichue porte ou j'appelle les parents, menaça-t-elle sombrement.
- Deux minutes ! Un second bruit sourd retentit. Merde... »
Clarke fronça les sourcils et força une nouvelle fois sur la poignée. La porte garda son attitude récalcitrante et elle soupira.
« Tu vas pas me faire croire que mettre un tee-shirt te prend autant de temps, grinça-t-elle.
- Essaye de mettre un caleçon sur une jambe et on en reparlera,
- Je porte des soutiens-gorges, je sais ce que c'est de galérer...
- Et tu pourrais facilement t'en passer vu que t'as autant de seins que ton copain-
- Bon arrête tes conneries maintenant et ouvre cette putain de-... À l'instant où la blonde lâcha ces mots, la porte s'ouvrit en grand, manquant de la faire trébucher en avant.
- ... porte. » termina Aden en s'écartant pour l'éviter.
Clarke se stoppa de justesse et lança un regard de côté à son frère. Si l'odeur toujours aussi impétueuse ne l'avait pas totalement accaparée, elle aurait sûrement rigolé à s'en briser les cordes vocales avant de sourire calmement. Malheureusement pour son frangin, porter un costume ne le disculpait pas de tout méfait.
« C'est quoi cette odeur ?
- Quelle odeur ? Répondit innocemment Aden en terminant de se coiffer les cheveux en arrière. Je crois que tu devrais aller voir un médecin, Clarkie, t'as peut-être chopé une tumeur au cerveau ou un truc bizarre dans le genre. Ce serait con de mourir aussi jeune.
- Arrête un peu de te moquer de moi et réponds à ma question. »
Le concerné haussa les sourcils et fit mine de ne pas l'avoir entendu.
Clarke examina les lieux.
Tout à droite, bloqué contre le mur, un lit simple s'étalait. Comme toujours les draps étaient en pagaille et quelques vêtements traînaient ça et là sur le sol, éparpillés depuis des jours peut-être. Le blanc des murs se cachait sous des couches de posters en tout genre : groupes de rock, film, série, chanteur/chanteuse, mannequin, jeux vidéos. Des deux, on aurait dit qu'Aden n'était qu'un ado rebelle et pourtant. À le regarder maintenant, habillé de ce fin costume noir, il paraissait plus adulte que les trois quarts des gars du lycée. Le contraste était... stupéfiant ?
Le regard bleu de Clarke s'attarda sur la fenêtre entrouverte et, derrière la plante à moitié morte que son frère s'embêtait à garder, une légère fumée s'évaporait.
Elle fronça les sourcils.
Son frère ne lui prêtait plus grande attention, trop occupé qu'il était à terminer de se coiffer. Du moins, c'était ce qu'il essayait de lui faire croire. Mais intérieurement, il s'insultait copieusement d'idiot, j'aurais dû jeter le tonc chez les voisins, putain... Quel con !
Clarke traversa la pièce en évitant de marcher sur un sweat-shirt ou encore sur un jeans et elle s'arrêta nette devant la fenêtre. Elle poussa de quelques centimètres le pot de fleur pour y découvrir, maladroitement planquée, un cendrier d'où, mal éteint, ce qui ressemblait à un mégot laissait échapper un filet de fumée à l'odeur si impactante.
Aden la fixait du coin de l'œil, sa main tenant son peigne en lévitation devant son front. Bon sang, qu'est-ce qu'elle peut être curieuse cette enfoirée.
« Depuis quand-... commença lentement la blonde.
-... depuis quand quoi, hein ? La coupa-t-il, agacé, comme si c'était lui qui l'engueulait et non pas le contraire.. Depuis quand est-ce que je fume de la marijuana ? »
Aden crut apercevoir à travers le miroir une grimace éclairer le visage de sa jumelle à l'entente du terme utilisé et il en fut fier.
En se retournant, il la découvrit les sourcils froncés et les bras croisés sous sa poitrine. Il avait volontairement accentué ses paroles sur le terme marijuana, comme si il tenait à prouver quelque chose dont lui seul avait la connaissance.
« Depuis quand tu te drogues ?
- Un joint de temps en temps ce n'est pas se droguer, calme-toi un peu, tu m'énerves à être sur les nerfs comme ça,
- Je crois que y'a de bonnes raisons pour être sur les nerfs, répliqua Clarke en attrapant le mégot. Ouais, j'ai sûrement le droit d'être sur le nerfs quand j'apprends que mon frère fume plus que du tabac. »
La plus petite des deux s'approcha de l'autre d'un pas affirmé.
« Depuis-quand-tu-te-drogues ? »
Elle le fixait dans le blanc des yeux. Rarement elle agissait ainsi et cela fit presque sourire Aden qui, dans un geste las, récupéra le mégot du bout des doigts.
« Ça ne te regardes pas, il accompagna ses paroles en jetant par la fenêtre l'objet du délit. Je n'ai pas besoin de ton autorisation pour faire quoi que ce soit.
- Tu te drogues, bordel, Aden, écoutes moi ! Elle lui attrapa l'avant-bras.
- Lâches-moi ! »
Ils se fixèrent encore, un peu trop longtemps pour ce qu'ils avaient l'habitude d'échanger. Clarke remarqua que la cravate de son frère avait été mal mise, à la hâte. Aden remarqua le souffle cru de sa jumelle, sa cage thoracique se relevant un peu trop rapidement, ses lèvres pincées, ses yeux à la fois colériques et inquiets.
Clarke lui lâcha le bras.
« Tout va bien là-haut ? » leur cria leur père.
Ils baissèrent le regard d'un coup, comme ramenés à la réalité.
Et, alors que Aden allait répondre, sa soeur prit les devants :
« Oui, oui ! Pas de soucis ! On va descendre ! »
Ils restèrent dans un silence tendu une bonne minute avant que la jeune femme ne reprenne la parole :
« Je veux juste savoir depuis quand tu fumes, elle s'écarta d'un pas. Et pourquoi tu fais ça, j'aimerais savoir ce que ça t'apporte,
- Et moi, j'aimerais bien savoir ce que ça t'apporte de jouer à la petite fille parfaite, et pourtant, j'en fais pas tout une histoire. » Ses lèvres se relevèrent sur la droite pour afficher ce fameux rictus de la famille Griffin.
Clarke soupira bruyamment et serra machinalement le bas de son tee-shirt dans sa main droite, anxieuse de devoir affronter son frangin ainsi.
« Tu- elle toussota pour reprendre un ton normal. Tu n'as rien à prouver, tu sais ?
- De quoi tu parles ? Marmonna Aden en évitant son regard. Oh, et arrête de me lancer tes regards de pitié dès que tu me croises, que ce soit dans la rue, au lycée ou à la maison. Tu n'y comprends rien, d'accord ?
- Je comprends. »
Aden ricana maladroitement à sa réponse et sa voix vacilla à un tel point qu'on aurait pu comparer son intonation à un croassement mal articulé.
« Rien ne t'effraie. Pas même papa et maman. Pas même cette putain de psychorigide d'Allie.
- T'insultes nos futurs invités maintenant ? Se moqua Aden pour éviter d'avoir à la regarder dans les yeux.
- Personne ne l'aime de toute manière, répondit-t-elle dans un sourire un peu plus doux avant de reprendre d'un ton sérieux : Écoute, je te connais. Tu t'en fous de tout, et c'est ce que j'aime chez toi. »
Clarke le regarda, perplexe, se baisser pour récupérer une des pochettes de ses vinyles.
C'était pas son truc les sentiments. C'était carrément pas son truc de discuter de cette manière, la voix bloquée, raccrochée à des paroles, pendu à des mots insignifiants qui, dans quelques jours seront totalement oubliés. À quoi bon. Faire face à ce regard perçant qui n'était que le reflet de ses propres pupilles la déstabilisait à présent bien plus que ce qu'il avait prévu.
Aden frotta son poignet contre la pochette afin de la nettoyer un peu. Younger Hunger était un de ses groupes favoris, toujours dans la surprise, toujours dans un amas de batterie un peu trop lourdes. Il aimait bien fumer en les écoutant, ça le détendait avant d'aller rejoindre toute la petite famille dans le salon pour déguster une autre invention culinaire étrange qu'avait longuement préparée leur mère.
Il rangea la pochette entre celle de Bon Jovi et de Tommy Tutone.
« Ça doit faire quatre mois, peut-être cinq, j'ai pas vraiment tenu un calendrier, dit-il en faisant de nouveau face à sa jumelle. Hyperventile pas, je fume pas tous les jours. Que quand je suis stressé. Et j'ai pas envie de te donner plus de raison, c'est déjà bien que je t'en parle.
- Je suppose que je vais devoir m'en contenter alors,
- Absolument. »
Ils échangèrent un regard divergent et ils lâchèrent un rictus si similaire qu'en cet instant, ils étaient redevenus les jumeaux Griffin.
« On devrait descendre, fit Clarke.
- Tu vas pas me balancer ?
- Pourquoi je ferais ça ? Demanda-t-elle, perplexe. Plus vite tu te bousilles le cerveau, plus vite je serais débarrassé de tes devoirs de maths.
- Rigoles, rigoles mégères... » répondit son frère en la poussant en avant.
Clarke se jeta un regard à travers le miroir et fut heureuse de voir son frère lever les yeux au ciel en essayant de retirer sa cravate. Elle fit également semblant de ne pas apercevoir la bouteille de vodka planquée dans son sac de cours.
Elle préférait aborder ce sujet tendu après le repas.
« Oh, dit-elle soudain en faisant volte-face. Tiens, gobe ça. »
Clarke farfouilla dans ses poches et en retira deux des petits fours qu'elle avait piquée.
Aden la dévisagea, un sourcil relevé pour lui signaler son incompréhension.
« Faudrait pas que maman sente ton haleine de chacal dû au joint et- Aïe ! Se plaigna la blonde en se frottant l'épaule.
- Le fennec t'emmerde petite soeur, il attrapa les deux petits fours et les engloutit en une bouchée.
- Je suis née trente secondes avant toi, nuance, je suis la grande sœur,
- Ouais ouais, cause toujours la naine... »
Le dîner avait été servi après une bonne demi-heure de papotage dans le canapé et les fauteuils du et son compagnon Thomas avaient apporté une excellente bouteille de vin rouge et avaient immédiatement échangé des banalités futiles. Finn dû se présenter en bon et dû forme et madame Griffin fut si fière de l'entendre dire qu'il était le petit-ami de sa fille qu'elle lâcha une larme. Aden leva les yeux au ciel, quelle actrice, qu'on lui donne son Oscar ! Clarke, elle, dû expliquer rapidement son fabuleux parcours scolaire. Son jumeau, ayant des choix plus réduits et sentant le regard de ses parents planer sur sa silhouette, leur dit simplement qu'il pratiquait toujours la guitare.
Ils étaient tous content de ces réponses et entamèrent la seconde bouteilles de vin blanc. Et, comme l'avait prévu la mère des jumeaux, aucuns des invités ne fit la différence entre la première et la seconde bouteilles.
« Tu veux bien me passer la salade Aden ? Demanda Finn à son voisin de droite.
- Bien sûr mon roi... marmonna le concerné en attrapant le récipient.
- Vous avez vu les infos de ce midi ? Demanda Madame Griffin en buvant une gorgée de vin. La marche des fiertés à New-York,
- Oh mon Dieu, ils n'ont fait que de parler de cet événement, affirma Allie. Les autorités ont dit qu'ils étaient environ 50 000 participants, ça me paraît peu vraisemblable.
- C'est totalement possible, ils sont de plus en plus nombreux, reprit son mari en se servant d'une part de viande en plus. Cette viande est vraiment délicieuse Abigail.
- Oh merci, je dois avouer avoir eu un peur qu'elle soit trop cuite mais le résultat n'est pas mauvais. »
La concernée ne put s'empêcher de boire une grande gorgée de vin pour se féliciter de son repas.
Clarke écouta l'échange d'une oreille distraite préférant discrètement observer son copain à sa gauche. Il souriait gentiment quand il croisait le regard des invités ou de ses parents mais son pied qui rebondissait sur le sol ne trompait pas la jeune femme. Elle posa sa main sur sa cuisse pour le calmer et ses gigotements intempestifs se stoppèrent.
Ils échangèrent un long regard qui ne manqua pas de dégoûter Aden qui en recracha presque sa bouchée.
« En parlant de la Gay Pride de New-York, tu ne devineras jamais ce que j'ai appris au supermarché, lança un peu fort Allie.
- J'espère qu'ils ne vont pas en organiser une dans le centre-ville... soupira madame Griffin. Non pas que je sois contre ces gens bien sûr, mais... Enfin, voilà quoi. »
Aden haussa un sourcil perplexe mais se retint de tout commentaire et avala son bout de patate qu'il mâchouilla longuement.
« Oh non, rien de ça heureusement, répliqua Allie. Mais j'ai croisée l'ancienne professeure de chant de mon fils, madame-
- Tae Ri ? Demanda Jake Griffin.
- Exactement. Elle m'a dit qu'une rumeur courait dans le lycée depuis un bon moment et qu'elle commençait vraiment à avoir des doutes vu que tous les profs en parlent,
- Quel type de rumeur ? S'intrigua Abigail.
- Tu te souviens de la petite Lexa Woods ? La gamine joviale qui habitait dans l'immeuble il y dix ans ? Rappel-toi, ses parents habitaient juste en face de notre porte.
- Bien sûr que je me souviens d'elle, toujours à rendre service et à aider sa mère. »
Aden, qui écoutait à présent la conversation avec une curiosité non cachée, bougea distraitement sa fourchette d'une telle manière qu'un bout de purée de carotte sauta sur la jolie chemise bleu de son voisin qui sursauta bruyamment. Celui-ci s'excusa rapidement du dérangement avant de fusiller le frère de sa copine du regard. Clarke, elle, ne put s'empêcher de ricaner dans sa barbe imaginaire avant de se prendre un coup de pied qui la ramena à la raison.
Elle marmonna une brève excuse à son tour avant de plonger le regard dans son verre de vin devenu soudain passionnant.
« Fais un peu attention Aden... Allie, pourquoi tu me parles de la petite Lexa ? S'interrogea la mère des jumeaux après avoir donné une serviette à Finn pour qu'il nettoie les dégâts causés par son fils. La dernière fois que j'ai croisé sa mère, elle m'a expliqué qu'elle avait d'excellents résultats et qu'elle était vraiment douée en piano. Elle souhaiterait même en faire son métier. Elle avait l'air si fière de sa fille.
- Elle est douée au piano, peut-être bien, mais d'après ce que madame Tae Ri m'a expliquée, elle serait lesbienne. »
Un silence tomba sur la tablée et Clarke releva enfin le visage, intriguée par cette nouvelle qui n'en était pas vraiment une, si on se fiait à la rumeur. Elle but une longue gorgée, se convaincant mentalement qu'elle n'en avait rien à faire.
Aden lui lança un vif coup d'oeil.
« Lexa ? La petite Woods ? S'étonna madame Griffin. Non, tu dois te moquer de moi...
- Je t'assure !
- Elle avait l'air si gentille et courtoise pourtant, reprit la mère de famille. J'y crois pas... Et le piano dans tout ça... Quel gâchis !
- C'est quoi le problème entre le piano et le fait qu'elle soit lesbienne ? » demanda soudain Aden, juste... curieux.
Sa mère le dévisagea étrangement, comme si cela était évident.
« C'est un cauchemar voyons, elle ne réussira jamais en étant ce qu'elle est, surtout si cela se sait.
- Pourquoi elle ne pourrait pas réussir ? Ça ne change rien à son talent, reprit son fils, plus inquisiteur.
- C'est un véritable enfer d'entrer dans une université correcte si l'une d'entre elle apprend que tu es gay, expliqua doucement Finn avec un immense sourire.
- Oh, merci Einstein, je me serais passée de ton intervention,
- Hé, intervint Clarke. Soit plus polie s'il te plaît, il ne t'as rien fait. »
Aden leva les yeux au ciel.
« Ouais, moi, il ne m'a rien fait, ricana-t-il méchamment. Du moins pour le moment, alors excuse moi la future médecin de te déranger en parlant à ton cher promis,
- Répète ce que tu viens de dire, je crois que j'ai pas bien entendu, Clarke se tourna complètement vers son frère, retirant sa main de la cuisse de Finn.
- Et voilà... C'est vraiment l'hôpital qui se fout de la charité. Répéter... Toujours répéter. Répéter les secrets des autres par exemple, c'est pourtant ton domaine, pas le mien, alors si j'étais toi je-
- Aden Griffin, ça suffit ! »
La voix du père de famille résonna durement, ses mains froides frappant la table, et cela termina d'enterrer le semblant d'atmosphère joviale de la pièce. Les jumeaux se fixèrent en chien de faïence de longues secondes avant qu'Aden ne batte en retraite, les sourcils froncés et l'esprit lourdement écoeuré.
« Bon appétit et bonne fin de soirée. »
Sur ces mots il retira la serviette qui était délicatement posée sur ses genoux et se leva sans faire attention à sa chaise qui grinça dans son dos. Il déposa le tissus dans son assiette et se retira sous les yeux incrédules de sa mère.
« Relativise Abigail, lança soudain Allie en tentant de remettre d'aplomb l'ambiance. Au moins, ta fille n'est pas lesbienne. »
Des petits rires maigrelets retentirent d'un bout à l'autre de la table à cette phrase avant qu'un autre sujet ne vienne alimenter les conversations. Et, doucement, Clarke remit sa main dans celle de Finn, heureuse.
Pourtant son regard baissé ne trompait personne, surtout pas son frère si puéril qui, à l'étage, claqua violemment la porte en s'enfermant dans sa chambre.
Clarke n'y pouvait rien, c'était sorti tout seul, l'alcool ne l'avait jamais aussi bien réussi qu'à son frangin.
