Chapitre 25 Au fond du gouffre
Quand Lédara se réveilla, elle garda les yeux fermés, la lumière lui agressant la vue. Elle sentait tous ses membres engourdis par le sommeil et les courbatures. Une sensation de chaleur moite la parcourait, une légère couverture devait la couvrir. On lui avait retiré tout son équipement, néanmoins elle sentait le contact de sa chemise de lin sur sa peau. Elle garda les yeux fermés encore un instant, des bribes de souvenirs et de sensations remontant lentement dans son esprit : le siège de l'Inébranlable, le dragon, sa chute dans l'Immatériel… Avait-elle rêvé ? Puis elle se souvint de la Divine, du moins de l'esprit qui avait pris sa forme, de ses peurs profondes matérialisées par le démon du Cauchemar, de ses souvenirs retrouvés, de la mort de Hawke…
- Lédara ? Vous êtes réveillée ?
Quand la jeune femme entendit la voix de Cassandra, elle ouvrit les yeux. Son amie était à ses côtés elles se trouvaient sous une tente aux pans fermés pour plus d'intimité, Cassandra était assise sur une petite couche installée à côté de la sienne et semblait attendre qu'elle se réveille. La Chercheuse ne portait pas son armure, trop lourde et trop chaude, mais sa tunique de lin rouge sombre et un veston de cuir simple ainsi qu'un pantalon en peau de bélier auguste. Ses cheveux courts étaient en bataille, son regard inquiet et elle se tortillait les mains dans l'attente d'une réponse.
- Où… Quel jour sommes-nous ? demanda alors Lédara.
- Nous sommes de retour à la forteresse de l'Aile du Griffon et cela fait deux jours que vous êtes inconsciente, répondit Cassandra dans un soupir qui semblait de soulagement, mais qui cachait quelque chose d'autre.
Lédara se releva sur sa couche et frotta ses yeux bouffis de sommeil. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu cette impression d'avoir dormi. Cependant, ce que venait de lui dire la Chercheuse confirma ses craintes : tout ce dont elle se souvenait était bel et bien arrivé.
- Comment va Bull ? demanda Lédara, sa blessure était profonde…
- Il va bien, mais reste très silencieux depuis que nous sommes revenus de l'Immatériel.
- Et Varric ? hésita la Marchéenne.
- Il est… effondré.
Lédara poussa un profond soupir.
- Avons-nous un rapport détaillant les pertes ? demanda-t-elle alors en s'asseyant sur le rebord de son lit et en commençant à s'habiller. Et il faut aussi que je…
- Je ne peux pas vous laisser sortir de cette tente, la coupa Cassandra avec ce même soupir.
Lédara avait enfilé son pantalon et était en train de lacer son corset, mais s'arrêta soudain sur les paroles de la Chercheuse.
- Quoi ? dit-elle abasourdie.
L'Inquisitrice remarqua que son amie n'avait osé la regarder dans les yeux depuis son réveil et quand elle balaya du regard l'intérieur de la tente, elle ne vit aucune de ses armes qu'elle gardait pourtant toujours à proximité. Seule Cassandra était armée de son épée qu'elle portait à sa ceinture, une main toujours posée sur sa garde.
- Qu'est-ce que… murmura Lédara décontenancée.
- Nous devons d'abord vérifier que vous n'êtes pas possédée, lui répondit Cassandra.
- Possédée ? reprit la Marchéenne sans comprendre.
- Nous avons tous été fortement exposés à des esprits et des démons à l'Inébranlable, expliqua lentement la Chercheuse, et nous particulièrement parce que nous avons été physiquement dans l'Immatériel. Nous devons tous passer l'épreuve, et tous les soldats la passent également en ce moment même.
Lédara se rassit sur le bord de son lit. C'était logique, mais elle ne s'y était pas attendue.
- Vous devez également… reprit Cassandra.
- Je le ferai, la coupa l'Inquisitrice calmement. C'est normal, le risque est en effet grand et tous les soldats le font. Je ne vois pas pourquoi moi je ne passerai pas l'épreuve.
Cassandra leva la tête, croisa enfin le regard de la Messagère et sourit, soulagée. Lédara lui rendit son sourire, mais la lassitude se laissait voir sur son visage.
- Vous l'avez déjà passé, je présume ? demanda Lédara à son amie.
Cassandra hocha la tête.
- Comment cela se passe ?
- En temps normal, raconta la Chercheuse, c'est un sort spécifique qu'un mage lance à la personne suspectée. C'est très rapide et quasiment indolore.
- Je pensais que c'était les templiers qui pouvaient détecter ce genre de chose ? l'interrompit Lédara.
- Non, ils peuvent le détecter, mais sur une période d'observation très longue, ce qui ne serait pas efficace dans notre cas. Cependant, pour nous qui avons traversé le Voile, on ne peut nous faire passer l'épreuve habituelle.
- Pourquoi ?
- Il n'y a aucun précédent, expliqua Cassandra, et nous ne savons pas comment nous pouvons réagir au sort à proprement dit. Les mages utilisent une technique beaucoup moins invasive, mais plus longue et plutôt désagréable à vrai dire.
- Tous les autres l'ont déjà passée ? demanda Lédara inquiète.
- Oui, avec succès, la rassura la Chercheuse. Par contre, nous avons découvert des cas de possession dans nos rangs, d'où notre prudence avec tous ceux qui n'ont pas encore été testés.
L'Inquisitrice poussa un profond soupir encore des pertes ajoutées à celles des combats. Elle reprit son habillement en silence, finissant de lacer son corset et enfilant ses bottes. Cassandra se leva de sa couche et se dirigea vers la sortie du pavillon.
- Je vais voir si un mage est disponible pour vous, dit la Chercheuse avant de passer les pans de tissu.
Quand elle se retrouva seule, Lédara posa sa tête entre ses mains, fatiguée et anéantie. Elle avait l'impression de se retrouver au point de départ, à Darse, prisonnière malgré elle. Pourtant, elle avait saisi la gravité de la situation et l'importance d'une telle prudence de plus, elle avait été momentanément sous l'emprise du Cauchemar. Etait-il là, en elle ? Cette pensée la fit frissonner d'horreur. Ce dernier l'avait déjà fait tant souffrir, elle ne supporterait pas l'idée de l'abriter dans son corps…
- Vous allez bien ? demanda doucement Cullen.
Lédara ne s'était pas aperçue qu'il était entré dans sa tente. Elle leva brusquement la tête au son de sa voix, puis se leva pour tomber dans ses bras. Il l'étreignit fortement, plongeant son visage dans ses cheveux rougeoyants.
- Je suis si heureuse de vous revoir, souffla-t-elle éperdue.
Il la serra un peu plus tout contre lui avant de la relâcher. Il plongea alors ses yeux dans les siens, si clairs et si grands. Tous deux s'assirent l'un en face de l'autre sur les deux lits restés vides.
- Combien de pertes ? demanda alors l'Inquisitrice.
- Nous sommes en-dessous des pronostics établis avant la bataille, lui répondit le Commandant, notre opération est une réussite. L'armée de démons a été dissoute et les Gardes des Ombres mis en quarantaine, en attendant que vous décidiez de leur sort.
- Comment cela ?
- Il reste très peu de Gardes des Ombres, expliqua Cullen, mais ils se sont battus à nos côtés. Ser Stroud est prêt à reprendre leur commandement, mais les royaumes de Férelden et d'Orlaïs vous laissent seule juge : soit vous les bannissez pour leur folie et ils retournent à la forteresse de Weisshaupt dans les Anderfels, soit ils aident l'Inquisition, mais ils restent faibles face aux Venatori à cause de l'Appel qu'ils entendent toujours.
Lédara médita les paroles du Commandant. Elle ne pensait pas qu'elle serait responsable du sort des légendaires Gardes des Ombres.
- Je… j'y réfléchirai, répondit-elle simplement. Qu'en est-il du Magister Erimond ?
- Capturé vivant, dans un piteux état, continua Cullen. Le peuple voudra que vous le jugiez en temps et en heure.
- Pour l'instant, je ne peux rien faire, soupira Lédara en faisant allusion au soupçon de possession qui pesait sur elle.
Un court silence s'installa entre les deux dirigeants.
- Qu'est-ce qui se passe si… commença-t-elle à dire, ses yeux cherchant ceux du Commandant.
- En temps normal, répondit lentement Cullen, les gens possédés deviennent des abominations, le seul moyen de les empêcher de nuire est… de les décapiter.
Lédara eut un léger rire nerveux.
- Mais Cassandra a écrit à Fort Céleste, reprit-il rapidement, car elle avait entendu dire qu'il était possible de chasser le démon. Morrigan l'aurait fait il y a dix ans avec le fils de l'ancien Iarl Eamon à Golefalois. J'en avais également entendu parler quand j'étais encore à Férelden. Jamais je ne laisserai quelqu'un vous…
Lédara eut un mouvement pour l'embrasser quand Cassandra réapparut sous le pavillon, accompagnée de Dorian. L'Inquisitrice se ravisa et le Commandant se leva prestement, faisant face aux deux nouveaux arrivants. Dorian semblait exténué, mais afficha un sourire charmeur quand il entra.
Ma chère Lédara, s'exclama-t-il joyeusement, c'est moi qui aurai l'honneur de vous disculper de tout soupçon de possession !
L'entrain du mage était rassurant, et la jeune femme lui sourit gentiment, reconnaissante de sa bienveillance. Dorian s'approcha du lit où était assise l'Inquisitrice et demanda aux deux guerriers présents de se mettre en place. Cullen et Cassandra se postèrent aux deux extrémités du lit et dégainèrent leur épée, la pointe plantée au sol devant eux, prêts à réagir en cas de danger. Le mage installa un bol et plusieurs fioles de différentes couleurs sur la petite table de chevet qui se trouvait entre les deux couches, ainsi qu'un petit coutelas. Il posa son bâton au sol, ne semblant pas en avoir besoin pour le rituel.
- Bien ! fit Dorian tout d'un coup, je vais vous expliquer ce qui va se passer : il existe deux méthodes magiques pour déceler la possession. La première, celle que tous vos soldats subissent en ce moment même, est la plus simple et la plus rapide. Elle consiste à jeter un sort spécifique à la personne si celle-ci est possédée, le démon se défendra automatiquement, si ce n'est pas le cas, rien ne se passe.
Lédara hocha la tête, Cassandra lui ayant déjà exposé ces faits. Elle écouta cependant attentivement la suite.
- Pour vous et tous ceux qui vous ont accompagnée dans l'Immatériel, nous avons opté pour la deuxième méthode, plus longue et plus… désagréable. Elle consiste en une sorte d'observation de votre aura. Ceci s'effectue grâce à un rituel de magie du sang.
Quand Dorian mentionna la magie interdite, tous eurent un rictus de dégoût et Lédara devint mal à l'aise.
- Mais ne vous inquiétez pas ! rassura Dorian, ce rituel est bénin et ne nécessite que quelques gouttes de votre sang. Et je ne considère même pas cela comme de la réelle magie du sang puisqu'en général, ce qu'on désigne par cette magie, c'est l'invocation de démons avec un sacrifice, et ici, ce n'est pas le cas, vous en conviendrez.
Lédara eut un léger soupir de soulagement.
- Faites ce que vous avez à faire, conclut-elle.
Dorian saisit le petit couteau est incisa la paume de la main droite de la jeune femme, puis fit couler quelques gouttes de son sang dans un bol de granit noir. Le mage la fit ensuite s'allonger sur sa couche et lui conseilla de se détendre pendant qu'il ouvrait l'une des fioles qu'il avait apportées, versant quelques gouttes d'un liquide bleuté dans le bol. Au contact du liquide, son sang se mit à fumer légèrement, puis se mélangea naturellement avec. Il ajouta quelques gouttes de deux autres substances, puis prit le bol dans sa main gauche et tendit sa main droite au-dessus, marmonnant une courte incantation en langue tévintide. La mixture contenue dans le bol se mit alors à graviter tout autour de la main du mage, brillant d'un éclat bleuté parsemé de rouge. Lédara sentit la peur monter en elle et ferma les yeux afin d'apaiser ses pensées. Dorian, devenu silencieux et le visage sombre sous l'effet de la concentration, dirigea sa main au-dessus du ventre de la jeune femme, sans cependant la toucher. Sa main était alors enveloppée de magie et le mélange se mit à réagir : des éclats jaunes vinrent perturber la blancheur des scintillements, mais cela ne sembla pas inquiéter le mage, ni les deux guerriers restés impassibles malgré la crainte qui les envahissait tous deux. Dorian déplaça lentement sa main au-dessus de Lédara, descendant au niveau de ses hanches, puis de ses cuisses et observant attentivement la mixture qui l'enveloppait. Celle-ci redevint bleutée, presque blanche, puis des taches jaune pâle réapparurent quand il remonta sa main au niveau de son ventre.
Lédara sentit une étrange sensation à travers son corps alors que Dorian effectuait le rituel. Des tiraillements de plus en plus douloureux émergeaient là où le mage passait sa main, comme si on lui extirpait un peu de son énergie vitale. Cela ressemblait étrangement à la sensation qu'elle avait quand elle refermait une faille. Dorian remonta au-dessus de sa poitrine, puis de son cœur, faisant une halte et observant le flux magique. Les éclats rouges, restés discrets, se mirent à miroiter tout autour de sa main et Dorian eut un léger sourire. Cullen et Cassandra, qui observaient la scène avec grand sérieux, haussèrent un sourcil à cette réaction du mage.
- Tout va bien, Dorian ? demanda Cassandra.
- On ne peut mieux, Chercheuse ! répondit gaiement le mage tévintide, glissant un petit clin d'œil au Commandant.
Dorian reprit son observation et dirigea sa main au-dessus du visage en apparence calme de l'Inquisitrice, le flux prenant une couleur bleu roi transparente. Le mage resta là quelques secondes à observer, secondes qui parurent une éternité à tous ceux présents sous la tente, puis il retira sa main qu'il plongea dans le bol, le flux retournant à l'état liquide au fond du récipient.
- C'est terminé ! lança joyeusement Dorian en se levant, je suis heureux de vous annoncer que vous n'êtes en aucun cas possédée par un quelconque démon.
Lédara rouvrit les yeux et un léger soupir de soulagement se fit entendre de part et d'autre du lit. La jeune femme s'assit au bord de sa couche, sentant les tiraillements provoqués par le rituel s'estomper peu à peu.
- Merci Dorian, dit-elle avec reconnaissance.
Le mage la salua révérencieusement puis sortit de la tente, accompagné de Cassandra. Il avait encore beaucoup de personnes à disculper à l'aide de sa magie.
- Bien, les affaires reprennent, continua Lédara.
Cullen lui exposa alors la situation en détails, heureux du dénouement de cette affaire : les troupes de dame Séryl étaient déjà reparties avec les trébuchets et bientôt une partie de l'armée de l'Inquisition pourrait également rentrer à Fort Céleste. Pendant que le Commandant faisait son rapport, la jeune femme finit de s'habiller, revêtant son manteau de cuir et son écharpe, puis sortit en direction du centre de commandement, Cullen sur ses talons. Elle survola les derniers courriers arrivés de Fort Céleste et remarqua un pli de Joséphine à son intention.
Inquisitrice,
J'ai appris que le Comte Boisvert serait à sa résidence de Val Royeaux ce mois-ci vous souvenez-vous de mon affaire concernant ma famille ? Je vous serais amplement reconnaissante si vous acceptiez de faire un détour par la capitale avant votre retour à Fort Céleste, je vous y rejoindrais aussitôt. Plus vite nous aurons réglé cette affaire, mieux ce sera !
Respectueusement,
Joséphine Montilyet
- … ser Rylen s'occupera du retour des dernières troupes et restera sur place à la forteresse de l'Aile du Griffon afin d'établir durablement notre position à la Porte du Ponant, finit Cullen en ratifiant un parchemin que lui tendait un soldat.
- Quand est-ce que ce pli est arrivé ? demanda Lédara en lui montrant le pli de Joséphine.
- Aujourd'hui même, répondit-il en levant les yeux sur elle.
- Je ne pourrai rentrer directement à Fort Céleste avec vous, soupira-t-elle alors.
- Que se passe-t-il ? s'inquiéta Cullen.
- J'ai une affaire à régler avec Joséphine à Val Royeaux, répondit la jeune femme, je lui ai fait une promesse.
- Bien, il vous faudra donc suivre la route commerciale tandis que je bifurquerai à l'est.
- Quand pourrons-nous partir ?
- Dans trois jours, assura le Commandant.
- C'est entendu.
- Maintenant, racontez-moi ce qu'il s'est passé dans l'Immatériel, dit Cullen en s'asseyant.
L'Inquisitrice était arrivée à Val Royeaux : elle était avec un petit contingent de soldats et Iron Bull avait insisté pour l'accompagner. L'Empereur Gaspard de Chalons alors en voyage d'affaires à Jader avait prêté sa résidence avec plaisir à l'Inquisitrice et son Ambassadrice, ce qui ne plut guère au Commandant. Joséphine avait amené une tenue plus adaptée à la noblesse orlésienne à l'Inquisitrice et cette dernière regardait la longue étoffe qui était suspendue au miroir de sa chambre alors qu'elle était assise sur le lit à baldaquin surchargé de décorations.
Lédara n'avait pas réussi à parler de ce qui s'était passé dans l'Immatériel quand Cullen lui avait posé la question, elle avait été évasive et avait répondu qu'elle écrirait tout dans son rapport, qu'il y avait des choses plus urgentes à s'occuper. Elle avait rédigé un long document sur la question, mais était restée muette sur sa confrontation avec le démon du Cauchemar. Plus elle repensait à tout ce qu'il s'était passé, à ses souvenirs retrouvés, plus elle s'assombrissait, se murant dans un silence dont la façade trompait peu ses compagnons.
A cet instant, elle regardait la robe qu'on lui avait préparée sans la voir elle avait pris un bain et n'avait revêtu qu'une fine tunique de lin blanc et restait assise face au miroir à moitié couvert dans lequel elle se dévisageait. Ses mains se tortillaient, massant la marque logée dans sa main gauche, douloureuse. Cette marque qui serait à jamais gravée dans sa peau et que rien ne pourrait enlever, si ce n'est sa propre mort. Mais ce qui la préoccupait encore plus était ce mensonge sur lequel le pouvoir de l'Inquisition s'était construit : « la Messagère d'Andrasté »… Elle avait toujours renié ce nom. Quand elle était arrivée dans les rues de Val Royeaux et que tous l'avaient reconnue comme telle, son cœur s'était serré : mensonge. Elle n'était pas Sa Messagère, elle ne l'avait jamais été. A la place, elle n'avait pu sauver la Divine qui avait sacrifié sa propre vie pour sa survie. A l'époque, elle n'appréciait guère ce titre. A présent, elle ne le supportait plus. Il la dégoûtait.
La jeune femme plongea son visage dans ses mains, s'aveuglant quelques secondes, puis se leva enfin pour finir de se changer. La robe apportée par Joséphine était faite de longs tissus de moire gris bleu richement brodés d'argent autour du col serré, de la ceinture et tout le long de la traîne. De longues manches étroites venaient couvrir ses bras jusqu'au-dessus de ses mains et quand elle se regarda dans le miroir, elle aurait cru être vêtue d'une rivière illuminée par le clair de lune. Elle peigna ensuite ses cheveux et se fit une longue tresse qu'elle remonta en chignon serré, lui donnant un air sévère. Au moment où elle accrocha la dernière épingle dans sa chevelure, on frappa doucement à sa porte. C'était Joséphine qui venait voir si l'Inquisitrice était fin prête.
- Inquisitrrrice, dit l'Ambassadrice en refermant la porte derrière elle, les couturrrières de Fort Céleste font un trrravail admirable ! Cette couleur vous va à rrravir.
Lédara lui fit un sourire amical, mais son regard restait triste.
- Le Comte Boisvert nous a invité pour le thé cet aprrrès-midi, continua Joséphine, nous avons donc encore du temps devant nous. J'ai rrreçu le rrrapport du Commandant sur l'Inébrrranlable en même temps que votrrre arrivée, je suis soulagée que cette armée de démons ne soit plus une menace. D'ailleurs, les rrrumeurs vont de plus en plus vite… Vous entrrrez dans la légende.
L'Inquisitrice ne put s'empêcher de soupirer. Sa conseillère ne semblait pas encore au courant de la vérité sur ce qu'il s'était passé à Darse. D'un autre côté, Cassandra l'avait persuadée de garder cela secret pour l'instant. Lédara jeta un œil sur l'Antivane, puis se dit qu'elle serait la mieux placée pour savoir ce qu'il fallait faire : rendre cette nouvelle publique ou continuer à tromper le monde.
- Joséphine, l'interrompit alors l'Inquisitrice, je dois vous parler de quelque chose.
L'Ambassadrice s'arrêta dans son babil et écouta attentivement le récit que lui fit la Marchéenne. Une fois qu'elle eut fini, Joséphine resta un moment silencieuse avant de prendre la parole :
- Vous avez toujours mis en doute le titrrre qu'on vous a donné… pour êtrrre frrranche, j'aurrrais personnellement voulu crrroire que vous aviez été envoyée par le Créateur et Andrasté… Mais à l'heurrre actuelle, que cela soit vrrrai ou non ne change rrrien : c'est le peuple qui vous a donné ce nom parce qu'il a besoin d'espoir. Laissons-les crrroire, Inquisitrrrice, car ils n'ont plus que cela pour survivrrre.
Lédara se doutait bien de cette réponse et savait que Joséphine avait raison, tout comme Cassandra. Mais savoir la vérité telle qu'elle était et ne rien devoir dire lui était difficile à supporter. Pourtant, elle se tairait et assumerait cela comme elle assumait déjà le reste.
- J'espère que le Comte Boisvert pourra faire la lumière sur la mort de vos messagers, fit l'Inquisitrice pour changer de sujet.
- Je l'espèrrre tout autant, soupira l'Ambassadrice.
A ce moment, on vint frapper timidement à la porte. Une jeune fille entra en habit des domestiques de la maison des Chalons et portait dans ses mains un petit coffret ouvragé.
- Dame Inquisitrice, Dame Montilyet, salua-t-elle avec une petite révérence, l'Empereur Gaspard de Chalons s'excuse de ne pouvoir vous recevoir en personne dans sa demeure, et vous fait parvenir ce présent pour se faire pardonner, Votre Grâce.
La jeune fille s'approcha des deux femmes et remit le coffret entre les mains de Lédara.
- Je vous remercie, mademoiselle, fit l'Inquisitrice en lui souriant amicalement.
La domestique rougit légèrement en s'éloignant à reculons vers la porte, mais ne sortit pas pour autant de la chambre. L'Ambassadrice lui jeta alors un regard lourd de sens et la jeune fille sortit précipitamment, les joues en feu.
- Je suppose qu'elle devait jauger ma réaction pour la rapporter à Gaspard, fit Lédara en regardant Joséphine du coin de l'œil.
- En effet, confirma cette dernière, il faut dirrre que vous avez fait forte imprrression sur le Grrrand Duc non seulement au bal d'Halamshiral, mais aussi à l'Emprrrise du Lion.
- Pourtant, j'ai été à l'encontre de son autorité, s'étonna la Marchéenne.
- Je le sais fort bien ! s'exclama Joséphine en se remémorant les faits, et j'ai failli en avoir une attaque. Mais quel ne fut pas mon étonnement quand j'ai rrreçu plusieurs lettrrres de sa part rrremplies d'éloges et d'invitations…
- Vous ne me les avez jamais transmises, Joséphine, remarqua Lédara.
- Oh, c'est que vous aviez fort à fairrre, et je ne voulais pas vous encombrrrer l'esprit avec cela, dit précipitamment Joséphine pour se justifier. Je les ai mises avec les dizaines d'invitations à des bals et des fêtes que vous avez rrreçues depuis votrrre visite à Halamshiral.
- Je ne vous en veux pas, rassurez-vous, lui répondit l'Inquisitrice en souriant doucement, au contraire.
L'Inquiétude de Joséphine s'envola et son regard se porta sur le coffret. Il était en bois de marqueterie mélangeant plusieurs essences on pouvait y reconnaître de l'ébène noir, du bois de rose et du noyer. De petites pierres de lapis lazuli y étaient également incrustées dans des écrins d'argent. Lédara ouvrit délicatement le couvercle, révélant un intérieur en velours noir où reposait une rivière d'or sertie de rubis.
- Par le Souffle du Créateur ! s'exclama Joséphine, ce sont de vérrritables rrrubis… et la finesse de l'or, ciselé par les plus grrrands joailliers d'Orlaïs ! C'est un prrrésent inestimable, Inquisitrrrice.
Lédara souleva la parure pour l'observer aux rayons du soleil qui filtraient à travers les fins rideaux de soie blancs, puis se tourna vers Joséphine :
- Il vous irait à ravir, Ambassadrice, dit-elle d'un ton badin.
- Moi ! Non ! Jamais je ne pourrrais porrrter une telle parrrure, surtout qu'elle vous est destinée !
- Et alors ? répondit Lédara en haussant les épaules, si j'ai envie de vous la donner, c'est mon droit. Mais si vous n'en voulez pas, je vais la rendre à Gaspard.
Joséphine observa le bijou qui scintillait au soleil, l'éclat rouge des petits rubis se reflétant partout dans la pièce. Elle garda le silence, mais d'un signe de tête, refusa l'offre de la jeune femme. Lédara déposa la parure dans son écrin et referma le coffret, puis appela la domestique qui entra aussitôt.
- Vous direz à l'Empereur que son présent est de toute beauté, lui dit l'Inquisitrice, mais que je ne peux l'accepter. Cela n'empêche pas qu'il soit pardonné pour son absence.
- Bien, Votre Grâce, répondit la jeune fille contrite.
Celle-ci repartit aussitôt avec le coffret.
- Me l'aurrriez-vous rrréellement donné ? demanda timidement Joséphine.
- Bien sûr, répondit naturellement la Marchéenne.
L'Ambassadrice garda le silence, touchée par une telle générosité. Puis elle se leva soudain :
- Il est temps d'y aller, Inquisitrrrice.
- Je vous suis, répondit Lédara en se levant à son tour.
La demeure du Comte Boisvert était non loin du Bazar royal dans lequel la Messagère avait été huée et critiquée neuf mois plus tôt. Les choses n'avaient cependant pas changé depuis : tous les nobles la fixaient des yeux, murmurant à son insu. La seule différence était qu'on la saluait avec révérence et parfois dévotion. Iron Bull avait insisté pour accompagner l'Inquisitrice et l'Ambassadrice, les suivant comme leur ombre, ce qui ajouta à la prestance et à l'étrangeté des deux femmes. Le valet qui les accueillit à l'entrée de la demeure les emmena à l'étage dans un petit salon outrageusement décoré de moulures, de miroirs et de meubles recouverts de dorures. La lumière du soleil illuminait pleinement la pièce, entrant par deux fenêtres et une haute porte ouverte qui donnait sur un balcon. Là, un homme était assis à une petite table ronde en fer forgé, sirotant une tasse de thé. Celui-ci portait un masque orlésien plaqué argent qui recouvrait le haut de son visage, ses cheveux cachés par un large chapeau, un cylindre horizontal de soie beige brodée d'or. Il était vêtu d'un pourpoint brodé à épaulettes blanches bouffantes, le bas des manches cachés par des gants de cuir raffiné, tout comme ses bottes qui arboraient les mêmes motifs décoratifs.
L'homme se leva à l'arrivée des deux femmes et les salua d'une courte révérence.
- Bienvenu, mes amis, dit-il d'un ton faussement mielleux.
- Merrrci de nous rrrecevoir, monsieur le Comte, fit Joséphine en lui rendant son salut.
- Tout l'honneur est pour moi, répondit le Comte Boisvert, prenez place.
Il tendit sa main vers deux chaises surmontées d'un coussin de soie qui lui faisaient face et fit un signe de main à un domestique qui apparut soudainement, servant deux tasses de thé devant elles.
- C'est un honneur de prêter assistance à deux hôtes aussi distinguées, continua le Comte.
Lédara observa la vue qui s'offrait à eux le balcon était situé au-dessus de la place du bazar dont on pouvait apercevoir le monument en l'honneur des différents empereurs et impératrices qui s'étaient succédé au trône d'Orlaïs, ainsi que les étals ordonnées des marchands de Val Royeaux. De là où l'Inquisitrice se trouvait, tous pouvaient la voir, ce qui était précisément l'objectif du Comte Boisvert. Joséphine allait prendre la parole afin de récolter les informations qu'elle désirait, mais toutes ces intrigues et ces faux semblants commençaient à mettre les nerfs de l'Inquisitrice à vif.
- Que savez-vous du meurtre des messagers de dame Montilyet ? demanda Lédara sans ménagement.
Joséphine lança un regard surpris à la jeune femme, puis sur le Comte dont elle redoutait la réaction.
- Vous allez droit au but, soit, répondit calmement le Comte Boisvert, après ce qui est arrivé, je ne peux pas vous en vouloir.
Lédara entendit sa conseillère pousser un soupir de soulagement discret.
- Connaissez-vous la Maison du Repos ? continua-t-il de son ton mielleux.
- La guilde des assassins ? s'étonna Joséphine.
- Mes contacts ont mis la main sur la copie d'un document de leurs archives, reprit le Comte, un contrat d'assassinat.
Le Comte Boisvert saisit un parchemin qu'il détenait dans une poche intérieur de son pourpoint et le déposa devant l'Ambassadrice. Celle-ci le prit et le déplia lentement, avant de le lire à haute voix :
- « La Maison du Repos s'engage par la prrrésente à éliminer quiconque s'opposerrrait à l'interrrdiction faite aux Montilyet de commerrrcer avec Orlaïs. »
- Qui est le commanditaire de ces assassins ? demanda Lédara, le regard noir.
- Le contrat a été signé par une famille noble, répondit le Comte, les Du Paraquette.
- Mais la lignée arrristocratique des Du Paraquette s'est éteinte il y a plus de soixante ans ! s'exclama Joséphine.
- C'est vrai, répondit calmement le Comte, mais le contrat a été signé il y a cent neuf ans.
- Comment une famille pourrait-elle vouloir votre mort soixante ans après s'être éteinte ? s'étonna Lédara, dégoûtée par ces manigances aristocratiques.
- Les Du Paraquette étaient nos rrrivaux, expliqua Joséphine, ce sont eux qui ont prrrovoqué l'exil des Montilyet de Val Royeaux. Ce contrrrat a été établi il y a plus de cent ans, mais il n'a surgi que lorsque j'ai voulu fairrre révoquer l'exil de ma famille.
- Aussi déplaisant que cela puisse être, intervint le Comte, la Maison du Repos remplit mal ses obligations contractuelles.
- Si les gens qui en avaient après votre famille sont morts, fit Lédara à son Ambassadrice, qu'est-ce que ces assassins vous veulent ?
- Un contrrrat est un contrrrat, Inquisitrrrice ! s'exclama cette dernière, les gens d'affaires orlésiens chérrrissent leur rrréputation plus que tout. L'existence de la guilde serait rrremise en question si un contrrrat était abandonné pour une question de cirrrconstances.
- Elle a raison, Votre Grâce, renchérit le Comte. La Maison du Repos fait ce qu'elle a à faire, selon ses propres critères.
- Vous avez une idée, Joséphine ? demanda alors Lédara en soupirant.
- Il existe peut-êtrrre un moyen de mettrrre un terme à tout cela, réfléchit l'Ambassadrice. Les Du Paraquette ont encorrre des descendants en vie. Si nous les anoblissons, un Du Paraquette pourrrait annuler le contrrrat sur ma tête.
- Cela va prendre du temps, dame Montilyet, intervint le Comte Boisvert, du temps pendant lequel la Maison du Repos se fera une joie de vous traquer.
Cela faisait un moment que Lédara se doutait de quelque chose à propos du Comte Boisvert. Elle le fixa du regard, suspicieuse, tandis que Joséphine commençait tout juste à comprendre.
- Ah oui ? dit cette dernière en plissant les yeux, vous êtes trrrès bien informé. Pourrrtant, la note que vous nous avez envoyée disait que vous n'aviez entendu que des rrrumeurs.
- Un petit subterfuge, sourit le Comte, ce contrat sur votre vie est une vilaine affaire, que la Maison du Repos regrette profondément. Mais nous sommes à Orlaïs. Même les assassins respectent leur parole.
- Le Comte Boisvert n'est-il qu'une invention ? demanda Lédara en saisissant discrètement sa lame dans une poche cachée de sa jupe.
- Non, répondit l'assassin d'un ton badin, la proposition du Comte de démasquer les assassins des messagers de dame Montilyet était authentique, ainsi que ses informations. Ce qui était un autre problème à régler.
- L'avez-vous…
- Rassurez-vous, reprit-il, le Comte se porte bien, mis à part une bosse qu'il aura à la tête durant quelques temps, et un trou dans ses poches. Le contrat sur la tête de dame Montilyet est tellement inhabituel que nous avons estimé qu'une explication était nécessaire.
- Je vous rrremercie, Monsieur, dit lentement Joséphine.
- Votre idée de demander à un Du Paraquette d'annuler notre contrat est tout à fait intéressante, ajouta l'assassin, je vous souhaite bonne chance.
Sur ce, l'homme se faisant passer pour le Comte Boisvert se leva et allait repartir quand Lédara se leva à son tour, lui bloquant le passage. Discrètement, elle glissa la pointe de sa lame contre le ventre de l'assassin, lui signifiant de ne plus faire un seul geste. A l'arrière, Iron Bull, qui avait écouté toute la conversation, s'approcha des deux protagonistes et posa une main sur l'épaule de l'assassin.
- Je ne suis pas venu verser de sang aujourd'hui, Inquisitrice, dit lentement le faux Comte, mais uniquement parler. Puis-je passer ?
- Pourquoi nous parler du contrat et nous laisser partir ? lui demanda l'Inquisitrice.
- A Orlaïs, il est normal d'informer les différentes parties d'un contrat si des circonstances extraordinaires apparaissent, lui expliqua-t-il.
- Et si vous décidiez d'oublier le contrrrat, ajouta Joséphine, la rrréputation de la guilde en souffrrrirait. Je comprrrends très bien.
- Merci, ma dame, la salua-t-il d'un signe de tête. Si l'affaire est réglée, puis-je vous quitter ?
Lédara le regarda droit dans les yeux, puis s'écarta de son chemin en cachant à nouveau sa dague dans sa jupe. Bull s'éloigna également de l'assassin non sans réticence, et ce dernier sortit du petit salon comme si la situation avait été parfaitement normale.
- Je trrrouvais étrrrange que le Comte insiste autant pour vous parrrler en tête-à-tête, finit par dire Joséphine qui accusait le coup. C'est ma faute, vous avez été mise en danger à cause de moi.
- Nous rediscuterons de cela en lieu sûr, à Fort Céleste, fit Lédara à son adresse.
L'Inquisitrice quitta le balcon et observa le petit salon. De légers bruits étouffés se faisaient entendre depuis quelques minutes, ce qui l'intriguait fortement. Elle s'approcha d'une des grandes armoires de bois ouvragé et distingua une voix d'homme apeuré. Joséphine s'approcha également et entendit aussi les cris étouffés.
- Oh, par le Créateur ! s'écria-t-elle, Comte Boisvert, c'est vous ?
Il leur sembla que les cris étaient affirmatifs. Le Qunari se mit à ricaner et vint pour forcer l'ouverture de l'armoire. Quand il attrapa les montants, les cris devinrent plus hystériques.
- La serrrure a été cassée, Monsieur le Comte, expliqua Joséphine à l'armoire. Nous devons forrrcer la porte.
Le Comte poussa des cris de protestation.
- Je me doute que ce meuble est prrrécieux, cher Comte, mais tout de même… bredouilla Joséphine, confuse.
Le Comte continua de protester.
- Un serrrurier, alors ? demanda Joséphine.
Les cris se firent reconnaissants.
- Nous préviendrons ses gens avant de partir, lança Lédara exaspérée en sortant de la pièce.
- Concentrez-vous, Commandant, dit calmement Cassandra pour la cinquième fois.
- C'est ce que je fais ! s'énerva celui-ci.
- Alors concentrez-vous encore mieux, continua la Chercheuse avec la même tranquillité.
- Faites ce qu'elle dit, sinon je vous flambe, lança gaiement Dorian en face de lui.
Les trois compagnons se trouvaient à l'étage de l'armurerie de Fort Céleste, déserte en cette fin de soirée. Le mage tévintide saisit son bâton à deux mains et commença à marmonner une incantation, des crépitements jaillirent de son arme. Cullen, à dix pas du mage, se concentra de toutes ses forces afin d'annihiler sa magie. Il tendit sa main droite comme pour se rapprocher un peu plus de son but, les yeux plissés et le regard noir. Et tandis que Dorian allait jeter son sort, le Commandant atteignit son objectif : au lieu d'avoir un jet de flammes, le mage se retrouva avec une flammèche au bout de son bâton.
- Ça, ce n'est pas gentil, maugréa Dorian en éteignant la mèche de ses doigts.
- Je savais que vous pouviez y arriver ! s'exclama Cassandra en tapotant l'épaule du Commandant.
- Celui-ci alla s'asseoir à la table la plus proche, épuisé. Cela faisait presque deux heures que tous les trois s'entraînaient là et son endurance avait atteint ses limites. Les deux autres vinrent s'asseoir à ses côtés, contents du résultat.
- Votre don se développe parfaitement bien, Cullen, reprit Cassandra de sa voix calme et posée. Je savais bien que c'était un don des Chercheurs que vous aviez acquis, et non des moindres : annihiler toute magie, ou au contraire l'amplifier selon votre volonté. Et ce, sans lyrium. Vous devez être fier.
Cullen poussa un léger grognement.
- Bien, si vous n'avez plus besoin de moi, fit Dorian en bâillant, je vais me rincer le gosier à la taverne. En vous souhaitant une bonne nuit !
Le mage se leva et salua les deux guerriers avec élégance avant de redescendre et de rejoindre la taverne. Ceux-ci restèrent silencieux un moment, la Chercheuse observant attentivement le Commandant.
- Qu'est-ce qui vous préoccupe à ce point ? lui demanda-t-elle enfin.
Cullen poussa un léger soupir, évitant le regard de la Chercheuse.
- Vous êtes plutôt proche avec Lédara, je me trompe ? dit-il après réflexion.
- Oui, nous le sommes, répondit Cassandra.
- Aux Portes du Ponant, vous m'avez dit que vous ne saviez pas ce qui s'était passé entre elle et le démon du Cauchemar, continua le Commandant, mais vous l'a-t-elle raconté depuis ?
- Et à vous ? lui retourna-t-elle.
Cullen hocha de la tête à la négative. Le visage de la Chercheuse s'assombrit légèrement.
- Depuis qu'elle est rentrée à Fort Céleste, il y a une semaine, dit Cassandra en partageant ses préoccupations, elle se renferme de plus en plus. Je crois que… de savoir ce qu'il s'est réellement passé dans l'Immatériel à Darse l'a bouleversée, mais qu'elle ne veut pas le montrer.
- Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
- Plusieurs choses, répondit la Chercheuse, sa réaction après avoir recouvré la mémoire, une pétition reçue de Val Royeaux qui lui demande ce que lui a dit Andrasté dans l'Immatériel, elle tique à chaque fois que quelqu'un l'appelle « Messagère », mais aussi le procès du magister Erimond de Virante. Sa mise à mort par sa propre lame…
- Je l'ai incitée à déléguer cette tâche, lâcha Cullen en entrant lui aussi dans la confidence, j'étais prêt à le faire à sa place, mais…
- Elle nous a donc repoussé tous les deux, en conclut Cassandra.
Les deux guerriers se regardèrent l'un l'autre. Tous deux avaient les mêmes préoccupations ces derniers temps et de pouvoir les partager les soulageait quelque peu.
- Mais le plus alarmant, reprit Cassandra après une longue pause, c'est ce que m'a confié Dila… Apparemment, elle ne mange quasiment plus depuis trois jours. En fait, depuis qu'elle a vu Léliana qui lui a posé des questions sur sa rencontre avec… la Divine. Notre collègue n'a toujours pas fait son deuil et j'ai peur qu'elle reproche à Lédara de ne pas l'avoir sauvée dans l'Immatériel. Cela, ajouté à sa culpabilité envers Varric… Il n'ose pas aller la voir, je lui ai pourtant dit plusieurs fois de le faire pour alléger le fardeau de Lédara, il m'a dit lui-même qu'il ne lui reprochait rien, au contraire…
Cullen se prit le visage entre ses mains, poussant un long soupir désespéré.
- Je… je sais que vous deux, vous êtes… continua la Chercheuse plus hésitante, enfin que vous avez de l'influence sur elle. Il faut que vous lui parliez.
- Comme si je n'avais pas déjà essayé, lui répondit Cullen d'un ton las. Mais je ne pense pas être la personne la mieux placée pour l'aider en ce moment… Je…
- Vous ressentez à nouveau le manque ? lui demanda la Chercheuse, soucieuse.
- Tout le temps, c'est de plus en plus dur de résister, avoua-t-il à mi-voix. Les crises sont de plus en plus rapprochées…
- De quand date la dernière ?
- Deux jours, répondit-il dégoûté de lui-même, j'ai dû m'enfermer pendant une heure pour me calmer et ne blesser personne… J'ai l'impression de ne plus pouvoir me contrôler… Je ne sais pas si je peux continuer ainsi encore longtemps…
- Vous pouvez y arriver, Cullen, le rassura la Chercheuse. Je n'ai aucun doute là-dessus.
Le Commandant eut un petit rire nerveux.
- Lédara ne doit pas me voir ainsi, murmura-t-il à bout de forces, ce n'est en tout cas pas ce dont elle a besoin maintenant. Je ne veux pas qu'elle me voie comme cela, elle serait… déçue. Tout m'irrite, m'agace au plus haut point… Et si une crise survenait en sa présence ? Je ne pourrais me pardonner s'il lui arrivait quoi que ce soit par ma faute…
- Je comprends, murmura Cassandra. Allez vous reposer, Cullen. De mon côté, j'essaierai à nouveau de parler à Lédara.
Le lendemain, Cassandra attendit toute la matinée dans la salle de Commandement afin de pouvoir s'entretenir seule avec son amie. Quand Lédara arriva enfin, celle-ci afficha un masque peu convainquant de gaieté.
- Cassandra ! s'exclama-t-elle, par ce temps vous devriez plutôt vous entraîner sur les terrains en contre-bas, non ?
- Lédara, cela ne prend pas avec moi, fit la Chercheuse la mine sombre.
- De quoi parlez-vous ? feint l'Inquisitrice.
- Vous n'allez pas bien, il faut que vous vous arrêtiez un moment ! insista Cassandra.
- Je vais très bien, la contredit Lédara, feignant la surprise.
Cassandra poussa un long soupir et quand elle vit que son amie allait se dérober, elle se plaça devant la haute porte.
- Laissez-moi passer, Cassandra, dit alors l'Inquisitrice, le regard s'assombrissant.
- Pas tant que vous ne m'aurez pas dit ce qui ne va pas, répondit la Chercheuse d'un ton catégorique.
- Tout va parfaitement bien, et je ne veux plus que vous insistiez autant, répliqua Lédara, presque menaçante.
La Chercheuse s'écarta de la porte, vaincue. L'Inquisitrice repartit en direction de ses appartements sans les parchemins qu'elle était venue chercher et se mit à faire les cent pas à travers sa chambre. Pourquoi avait-il fallu que Cassandra insiste autant ? Cela ne faisait que remuer le couteau dans la plaie… La mort du Héraut de Kirkwall ainsi que les révélations faites dans l'Immatériel l'avaient ébranlée au plus profond d'elle-même. Quelque chose s'était brisé en elle. La lueur d'espoir dans ses yeux s'était éteinte. Cependant, elle était la « Messagère d'Andrasté », l'Inquisitrice inflexible et promesse de salut. Et c'était précisément ce qu'elle représentait qui lui pesait autant dorénavant, après qu'elle eut retrouvé la mémoire des événements de Darse. Lédara cherchait à tout prix à cacher ce qu'elle ressentait, car ce n'était pas digne de sa fonction. Si elle devait assumer son rôle, ce devait être jusqu'au bout, sans fléchir : c'est ce que tous attendaient d'elle.
La journée touchait à sa fin, et l'Inquisitrice revenait du bureau de l'intendance pour se diriger vers la salle de Commandement, la tête basse et le regard fuyant afin de ne pas devoir s'arrêter pour parler avec une personne qui la croiserait. Cependant, sa discussion du matin avec Cassandra l'avait fait réfléchir : si elle souhaitait dissimuler ses sentiments et tourner la page, il lui fallait agir comme d'habitude.
- Inquisitrice ! s'exclama soudain haut et fort Séra qui se trouvait à ses côtés sans qu'elle ne s'en soit aperçue.
- Ah, Séra, lui répondit Lédara un peu confuse, vous avez besoin de quelque chose ?
- Hé bah dis ! s'exclama l'elfe en riant, cela fait dix fois que je vous appelle ! Bon, c'est pas tout ça, mais vous devez venir avec moi.
- Où cela ? l'interrogea la Marchéenne.
- Vous verrez, répondit mystérieusement l'elfe en la prenant par le bras et l'entraînant vers les cuisines.
Séra parcourut avec l'Inquisitrice quelques couloirs, ouvrit plusieurs portes et s'arrêta enfin devant une petite porte. Elle la poussa et laissa entrer Lédara. C'était l'une des salles du réfectoire, éclairée par des torches et un feu qui brûlait dans une large cheminée au fond de la pièce. Une longue table pouvant accueillir une douzaine de personnes siégeait au centre, sur un tapis de jute teint de rouge et d'orange, et plusieurs personnes qui se trouvaient là tournèrent la tête à son arrivée. Il y avait Iron Bull qui installait un dernier tonneau de vin dans le coin à l'opposé de la cheminée, Solas et Dorian semblaient se défier du regard l'un en face de l'autre, Varric brassait un tas de cartes dans ses larges mains en discutant avec Cole, Blackwall et Cullen étaient assis à la table discutant vivement avec Joséphine et Cassandra, cette dernière accueillant son amie avec un large sourire.
- Bien ! dit-elle à l'assemblée, je crois que nous sommes tous là. Installons-nous.
Lédara afficha un sourire et salua tous ses compagnons d'un signe de tête avant de s'asseoir aux côtés de Cassandra et Dorian.
- C'est l'idée de Varric, lui souffla la Chercheuse à l'oreille quand elle se fut installée à la large table.
- Léliana n'est pas là ? demanda Lédara avec embarras.
- Nous ne pouvions pas tous quitter notrrre poste, expliqua Joséphine, elle s'est prrroposée pour rrrester en fonction et vous trrransmet ses salutations. Ah oui ! et « puisse-t-il que vous les battiez tous à plate couture ! » ce sont ses mots.
- Ne comptez-pas là-dessus, répliqua Dorian avec une moue de défi.
- Ça se voit que vous n'avez jamais joué contre la Marchéenne, ricana Varric qui se mit à distribuer les cartes.
- Allez, une tournée de vin pour tout le monde ! tonna Bull en servant les chopes.
- Bien, je mise une pièce d'argent, lança Varric en jetant la pièce au centre de la table.
Lédara ramassa lentement ses cartes posées devant elles. Elle entendit Joséphine et Cassandra suivre Varric, puis, sans regarder sa main :
- Je suis, et je relance de deux, dit-elle avec une voix calme et un visage impassible.
- Mais vous n'avez même pas regardé votre jeu… s'étonna Cullen.
Lédara garda les yeux fixé sur les mises.
- Ah ça ! éclata de rire le Qunari, il n'y a que le chef pour être aussi extrême !
Les autres suivirent la mise de Lédara et la manche avança ainsi pendant plusieurs minutes, dans les éclats de rire et le tintement des pièces jetées au centre de la table. Ce fut Joséphine qui, contre toute attente, rafla la mise de cette première manche. La deuxième débuta avec une nouvelle tournée de vin, les esprits se délassant et la distraction atteignant la majorité des compagnons. Les conversations, joyeuses et badines, se mirent à tourner autour du jeune Cole.
- Cole, l'interpela Dorian, pouvez-vous m'expliquer comment fonctionne votre esprit ?
- Oui, répondit simplement Cole en haussant les épaules.
Un moment de silence suivit, le jeune homme étant certain d'avoir répondu à la question qui lui avait été posée. Le mage tévintide s'éclaircit alors la gorge :
- Parlez-moi de la façon dont vous aidez les gens, par exemple.
Cole leva les yeux de ses cartes et fixa Dorian de ses grands yeux globuleux, comme s'il était étonné de voir qu'il n'était pas seul.
- Je commence par écouter, se mit à raconter Cole de sa voix rêveuse, j'entends le tourment, je sens le souci. Parfois, il suffit de donner quelque chose. De la nourriture, du sommeil. Parfois, c'est un tumulte terrible et intangible, figé et infectieux, et la personne produit une perle de sa peine. Je l'arrache. Pas de perle, pas de peine. Ils peuvent espérer, récupérer.
- Cela doit êtrrre triste de rrressentir la douleur des gens en perrrmanence, remarqua Joséphine avec empathie.
- Pourquoi ? s'étonna Cole en la fixant des yeux.
- Ce n'est pas le cas ? bredouilla l'Ambassadrice, gênée.
- Non, répondit le jeune homme comme si c'était une évidence. J'aide. Je trouve les blessures et je les guéris. Je soigne, sauve, soulage. Je vois la douleur et je l'apaise. Comment ne pas être heureux ?
Les compagnons continuèrent à miser, mais la conversation commençait à tous les intéresser.
- Vous passez beaucoup de temps à la forteresse, comment le ressentez-vous ? demanda Cassandra, intriguée.
- Ils se souviennent de moi, répondit Cole, la mine naïve. Certains yeux s'attardent plus que d'autres. Ils veulent que je sois. Varric est calme en dedans. Il m'attire ici, fait de moi une personne, m'appelle « petit ». Un ami.
Varric garda les yeux sur ses cartes, mais un sourire se dessina sur ses lèvres.
- Solas, continua Cole, triste et brillant, observe et accepte. L'esprit, l'âme, Solas les saisit, mais souffre en silence.
- Et quand vous rencontrez des templiers, que ressentez-vous ? demanda Dorian.
- Ils sont lourds de chants oubliés, comme Varric, raconta Cole. Certains sont trop bruyants. C'est dur de rester près d'eux. Cullen est plus doux, mais les questions des démons l'ont blessé. Je veux expliquer, mais je… Les mots font parfois des faux-rebonds.
Cullen avait subitement levé les yeux sur le garçon et fronça légèrement les sourcils avant de se concentrer à nouveau sur son jeu.
- Je les sens plus vieux qu'ils en ont l'air, reprit Cole, ils ont été changés, et leur corps est incomplet. Le lyrium aide, mais leur corps cherche toujours le lien avec… quelque chose de plus vieux. De plus grand. C'est pour ça qu'ils bloquent la magie. Ils cherchent autre chose, et la magie n'a pas la place d'entrer. Comme quand j'écoute Varric.
Cassandra se pencha en avant afin de mieux écouter ce qu'avait à dire Cole, ce point de vue lui étant tout à fait inédit.
- Certains aiment faire du mal aux mages, continua le jeune homme à propos des templiers, cela les amuse, ou cela les rassure, ou… Encore des rêves, un réveil difficile. A la recherche de quelqu'un qui lui ressemble. Encore une entorse à la règle. Mais tous les templiers n'écoutent pas quand les murmures s'insinuent en eux. Ils essaient de protéger les gens. Comme Cullen. Les sages se souviennent que les mages sont des gens.
- Et ressentez-vous une différence avec les templiers rouges ? lui demanda Cassandra de plus en plus intéressée.
- Le lyrium rouge est différent, plus sombre, répondit Cole en fronçant les sourcils, comme des lames sous la peau. Il vous ronge de l'intérieur, jusqu'à vous réduire à néant. Ils entendent une autre chanson. Celle qui est derrière la porte que les vieux murmures veulent ouvrir. Ils sont morts, ils sont mornes.
Ces dernières paroles résonnèrent en Lédara qui repensa immédiatement à son frère. Elle resta de marbre et prit une gorgée de vin afin de détendre ses mains qui s'étaient crispées. La partie continua dans le silence.
- Que ressentez-vous quand vous vous concentrez sur dame Trevelyan ? lui demanda alors Solas, fasciné, sans voir l'incidence de la question.
Cole posa son regard sur Lédara qui garda le sien sur ses cartes.
- Elle brille trop, décrivit le jeune homme, c'est comme compter des oiseaux devant un soleil éclatant. C'est à cause de la marque sur sa main… mais…
Les yeux de Cole se mirent à briller et il continua en s'adressant directement à l'Inquisitrice :
- Laminée et lassée, combattue et abattue. Toute une vie à mener, tout ce temps à tuer. Et le poids de tout, qui tombe sur vous. Les espoirs que vous portez, les peurs que vous pourchassez. Vous êtes à eux. Vous avez l'impression que tout vous échappe, que tout vous incombe. Rongée par la peur et la culpabilité...
- Arrêtez ! s'écria soudain Lédara, la voix tremblante. Taisez-vous…
La jeune femme s'était levée en trombe, faisant tomber sa chaise derrière elle. Les cartes qu'elle tenait en main glissèrent par terre en virevoltant. Tous s'étaient tournés vers elle, les yeux écarquillés, interloqués par ce que venait de dire Cole et sa réaction. Un lourd silence flotta dans la pièce avant que la Marchéenne ne se jette sur la porte et ne s'enfuie rapidement loin de la compagnie.
- Nom du Crrréateur… murmura Joséphine catastrophée.
- Attendez, Lédara ! s'écria Cassandra, je…
- Laissez, je m'en occupe, la coupa Cullen en se levant et partant sur les pas de l'Inquisitrice.
Tous restèrent interdits sur leur siège dans la petite pièce alors que le Commandant tentait de rattraper la jeune femme, mais celle-ci s'était glissée par les couloirs si vite qu'il en perdit sa trace.
Lédara n'arrivait plus à réfléchir, les paroles de Cole résonnant dans sa poitrine comme des coups de poignards contre de l'acier. Elle n'entendait plus le bruit de ses pas furtifs ni le froissement de sa robe contre le sol et les murs de pierre. Elle marchait droit devant elle et se retrouva instinctivement dans la grande salle de Commandement dont elle referma les portes derrière elle. Tout ce que la jeune femme avait refoulé depuis si longtemps se mit à surgir en elle, l'envahissant d'une angoisse étouffante mélangée à une colère sourde. Elle s'approcha de la longue table sur laquelle les deux grandes cartes des régions d'Orlaïs et de Férelden étaient étalées alors que des pions et des piques la parsemaient pour indiquer des positions alliées ou ennemies des piles de parchemins sur les rebords attendaient aussi son verdict, tout ceci éclairé par les rayons de la lune qui filtraient à travers les hauts vitraux.
La marque, lancinante dans la paume de sa main, se mit à cracher quelques étincelles. Lédara la fixa alors des yeux. Son regard se porta à nouveau sur la table où elle aperçut un petit couteau qui lui servait à ouvrir certains sceaux. Elle le saisit de sa main droite sans vraiment savoir ce qu'elle allait faire avec. Lédara perdait le contrôle de la marque qui s'était mise à luire avec plus de force. Tout avait commencé avec cette marque. Elle n'en avait jamais voulu… Elle raffermit sa prise sur le petit couteau et posa la pointe sur la base de sa paume gauche, sous les cicatrices. Elle n'entendit pas la porte s'ouvrir, ni les pas rapides derrière elle.
Cullen saisit la main de la jeune femme qui détenait le couteau et l'écarta de la marque. Lédara leva brusquement la tête vers lui, son regard hagard. Ses yeux se remplirent alors de larmes et elle s'effondra dans ses bras en sanglots. Il la retint tout contre lui tout en lui faisant lâcher le petit couteau sur la table. Le cœur de Cullen battait à tout rompre, la scène qu'il avait aperçue en entrant dans la salle lui ayant glacé le sang. La sentant s'effondrer sans force, il s'agenouilla tout en la gardant serrée dans ses bras. Lédara pleurait alors à chaudes larmes, se vidant de toute la tension qu'elle avait accumulée depuis si longtemps. La marque avait cessé de luire et reposait tranquillement dans le creux de sa main, le don de l'ancien templier apaisant sa magie.
- Je ne peux plus… sanglota la jeune femme anéantie, je ne l'ai jamais souhaitée… une erreur, un sort qui a mal tourné, c'est tout ce que c'est… et cela a pris ma vie…
Lédara pleura plus fort, sa rancœur et sa colère sortant enfin au grand jour. Elle ne pouvait plus rien contrôler, ni ses sentiments, ni la marque. Cullen ne bougea pas, la gardant serrée contre lui et lui caressant lentement les cheveux tout en maintenant la magie de l'Ancre inactive. Plusieurs minutes passèrent ainsi, les rayons de la lune maintenant haute dans le ciel inondant la salle d'une lumière argentée.
- Cauchemar… murmura soudain Lédara, ses pleurs faisant trembler sa voix. Je n'ai pas réussi à affronter mes peurs… Je me suis noyée parce que je ne sais pas nager… Mon frère, corrompu par le lyrium rouge… Je n'ai pas pu… me défendre… Et…
Elle s'arrêta un moment, reprenant son souffle saccadé par ses sanglots.
- Vous étiez mort... Vous n'étiez plus…
La jeune femme se serra un peu plus contre la poitrine du templier, comme pour le retenir à jamais auprès d'elle.
- Je ne peux plus… continuer… sanglota-t-elle à bout. Je n'ai plus la force…
- Vous n'êtes pas seule, lui répondit alors Cullen de sa voix rauque et posée. Je serai toujours à vos côtés, quoi qu'il arrive. Joséphine et Léliana aussi seront toujours auprès de vous. Toutes les décisions que vous avez prises et que vous prendrez encore, nous les assumerons avec vous.
La jeune femme se blottit tout contre lui, ses sanglots s'apaisant lentement. Une fois que Cullen la sentit calme entre ses bras, il desserra un peu son étreinte afin de voir son visage, qu'il caressa du bout de ses doigts, essuyant les dernières larmes qui coulaient sur ses joues.
- Promettez-moi que vous prendrez votre journée pour vous reposer, demain, dit-il tout doucement en plongeant ses yeux dans les siens.
Lédara acquiesça d'un mouvement de la tête. Ses yeux, encore humides, brillaient dans la lueur argentée. Il déposa délicatement un baiser sur son front avant de la relever pour l'accompagner jusqu'à ses appartements où il avait fait appeler Dila pour prendre soin d'elle. Arrivés au pas de la porte donnant accès à la longue volée d'escaliers débouchant sur son immense chambre, Cullen la regarda une dernière fois.
- Et ne me refaites plus cela, lui murmura-t-il en esquissant un petit sourire.
Elle eut un petit rire spontané et le lui promit également. Alors qu'il relâchait ses mains, Lédara eut un mouvement pour le retenir. Elle ne voulait pas le voir partir maintenant. Les ayant entendu derrière la porte, Dila ouvrit discrètement et prit la jeune femme par les épaules :
- Je vous ai préparé un bain, Votre Grâce, dit l'elfe avec prévenance. Vous verrez, cela vous fera du bien.
Lédara hocha la tête et lâcha enfin l'ancien templier qui vit disparaître sa bien-aimée derrière la porte de ses appartements.
