Chapitre 27 Le lion de Férelden
- Où en êtes-vous avec votre affaire familiale ? demanda Lédara à Joséphine alors qu'elle revenait de la salle de Commandement en vue des dernières affaires qui préoccupaient Fort Céleste.
L'Inquisitrice était à peine rentrée qu'une série de jugements était déjà à l'ordre du jour et qu'on la harcelait avec un grand nombre d'invitations et de demandes d'aide ou de soutien. Son séjour aux Tombes Emeraudes n'avait pas permis à l'Inquisition de trouver ce que cherchait Corypheus, mais le clan dalatien qui avait contacté la Messagère lui en était reconnaissant et avait mis à disposition leurs chasseurs pour des expéditions en éclaireurs dans les différentes forêts non encore explorées.
- J'ai cherché les derniers Du Paraquette, répondit Joséphine, fébrile. S'ils s'anoblissent, ils peuvent annuler le contrrrat sur ma tête. Nous allons demander à un noble de Val Royeaux de les parrrainer, à un juge de fournir les documents et à un ministrrre de les rrratifier…
- Cela vous ressemble bien de prendre les mesures les plus longues, l'interrompit Léliana qui était entrée en toute discrétion. Même quand votre vie est en jeu.
Joséphine leva brusquement la tête de ses parchemins alors que Lédara se retournait du côté de la Maître-espionne, si mystérieuse comme à son habitude.
- Je suppose que vous connaissez tous les détails de cette histoirrre, marmonna Joséphine en replongeant dans sa paperasse.
- Je vous jure de n'en avoir parlé à personne, Joséphine, intervint Lédara désolée pour son Ambassadrice.
- Il y a plus rapide, Joséphine, lui dit Léliana sur un ton sincèrement amical que Lédara ne lui connaissait pas. Le contrat original sur votre tête se trouve dans la chambre forte de la Maison du Repos. Si mes agents l'infiltrent et détruisent l'original, les assassins n'auront aucune obligation de vous courir après.
- Je doute que cela soit si simple, lui répondit Lédara.
- Léliana, je vous en prrrie, ajouta Joséphine, je ne veux plus que le sang soit versé pour une affairrre personnelle.
Le souvenir de ses messagers tués la hantait encore.
- Ne soyez pas aussi têtue, Joséphine ! s'impatienta la Maître-espionne. Combien de temps faudra-t-il pour obtenir ces faveurs à Val Royeaux ?
Les deux conseillères se tournèrent d'un même mouvement vers l'Inquisitrice. Lédara les regarda tour à tour puis se décida à répondre :
- Joséphine, faites les démarches nécessaires. Cependant, Léliana, tenez quelques-uns de vos agents prêts si cela devait tourner en notre défaveur. Je vais aussi vous attribuer plus de gardes, ajouta-t-elle en fixant du regard son Ambassadrice, la Maison du Repos ne va pas se reposer très longtemps…
Les trois femmes sourirent malgré la gravité de la situation.
- Bien Inquisitrice, répondit Léliana en quittant la pièce.
- Tout d'abord, reprit Joséphine avec un nouvel entrain, nous devons rendrrre quelques services à Val Royeaux. Je serais heurrreuse d'en discuter pour savoir par où commencer.
- Des services, répondit l'Inquisitrice en grinçant des dents.
- Oui, continua Joséphine, je pensais notamment à la comtesse Dionne : son bien-aimé, un mage de la Flèche Blanche, est porté disparrru. Si nous trrrouvons ce qui lui est arrrivé, elle acceptera de soutenir l'adoubement des Du Paraquette.
- Bien, je vais m'occuper de cela, répondit Lédara en soupirant.
Que de messes basses et d'intrigues dans le royaume d'Orlaïs, cela n'intéressait guère l'Inquisitrice. Elle griffonna rapidement un bout de papier et sortit du bureau de l'Ambassadrice pour se diriger de ce pas vers les remparts afin de transmettre les ordres au Commandant. Une garde soutenue pour l'Ambassadrice et retrouver un mage perdu n'était pas d'une grande complexité, mais elle souhaitait simplement le voir, après sa longue absence dans la forêt des Tombes Emeraudes.
- J'aurais besoin de soldats, dit Lédara en entrant dans le large bureau.
Cullen s'était aussitôt levé de son siège quand l'Inquisitrice fut devant lui et semblait un peu maladroit.
- Tout va bien ? ajouta-t-elle en voyant son attitude un peu différente des autres jours.
- Hum, oui, bégaya-t-il légèrement.
Il prit le billet que lui tendait l'Inquisitrice, puis reprit d'une voix qui se voulait plus affirmée :
- J'ai des obligations à Férelden, et je me demandais si vous ne voudriez pas m'accompagner.
- Quelque chose de grave ? demanda alors l'Inquisitrice.
- Grave ? Non, s'exclama-t-il un peu décontenancé, je vous expliquerai en chemin. Accompagnez-moi, c'est tout ce que je vous demande.
Lédara le regarda, curieuse de cette affaire dont il ne voulait pas lui parler.
- Joséphine m'a organisé un emploi du temps chargé, mais cela peut attendre quelques jours de plus je suppose, répondit-elle lentement, quand voulez-vous partir ?
- Parfait ! lança-t-il son visage s'illuminant soudain. Dès que possible alors, je fais préparer le départ pour demain.
La jeune femme esquissa un sourire à le voir ainsi, et n'en demanda pas plus sur la nature de ce voyage. L'idée d'une surprise la réjouissait et le simple fait de voir Cullen si mystérieux l'intriguait.
Le lendemain au petit matin, une escorte simple composée de cinq hommes était prête dans la cour et attendait le Commandant et l'Inquisitrice pour le départ. Une fois en selle, la petite équipe partit en direction de Férelden au travers des Dorsales de Givre. Ils descendirent dans les plaines des Marches Solitaires, suivant les anciennes routes qui menaient à Ostagar, puis ils bifurquèrent en direction du lac de Calenhad, le plus grand lac de la région féreldienne. Cullen ordonna de monter le camp dans une large clairière non loin de Golefalois, puis, après avoir donné ses ordres à l'escouade, il invita l'Inquisitrice à le suivre. Ils prirent leurs chevaux et s'éloignèrent du campement, traversant la forêt toute ensoleillée des rayons de l'après-midi, jusqu'à arriver à l'orée du bois.
Avant de sortir de la forêt, l'ancien templier la fit descendre de cheval et laissa les deux alezans paître paisiblement. Cullen saisit alors la main de Lédara et l'emmena à l'orée de la forêt où elle découvrit ce qu'il voulait lui montrer : c'était un champ de blé mûr que le vent faisait onduler dans un léger bruissement d'épis à l'horizon s'étendait le lac Calenhad, paisible et d'un bleu profond, rehaussant la couleur dorée du champ. Lédara, émerveillée par cette vision à la fois si simple et si belle, s'avança lentement, entrant dans le champ de blé. Elle se retourna vers lui : elle ne savait quoi dire, mais elle sourit puis avança de quelques mètres dans le champ. Elle marcha lentement en fermant les yeux, passant ses mains sur les longs épis de blé mûr et s'arrêta soudain pour mieux apprécier l'instant : elle sentait le soleil sur sa peau, le vent lui rafraîchissant le visage par petites rafales.
Cullen l'observait, resté près des chevaux. Il avait souhaité offrir à la Marchéenne un instant loin de l'Inquisition, loin du danger et de la mort. La voir ainsi l'emplissait de joie elle était ravissante, irrésistible à cet instant-là. Il la vit détacher ses cheveux : d'abord son chignon, sa tresse retombant le long de son dos, puis elle libéra sa chevelure, la laissant aux prises avec le vent qui fit virevolter ses mèches les plus légères. Le soleil en fit ressortir des reflets rouge orangé, éclaircissant sa longue chevelure et illuminant son visage, sa peau nacrée, ses mains délicates.
Cullen la rejoignit, entrant lui aussi dans la lumière chaude de cette fin de journée. Il saisit doucement sa main dans la sienne et passa son bras autour de sa taille elle s'appuya alors contre lui, sentant son souffle sur son cou.
- Qu'en pensez-vous ? lui murmura-t-il à l'oreille.
- C'est magnifique, souffla-t-elle en rouvrant les yeux.
- Suivez-moi, je veux vous montrer autre chose, dit alors Cullen en la relâchant et l'emmenant par la main au travers du champ.
Il fit suivre les chevaux, récupérant leur bride. Lédara suivit le templier qui la conduisit jusqu'au bord du lac, de l'autre côté du champ en contrebas. Là, une petite bâtisse de bois abandonnée reposait entre deux grands chênes anciens et un petit ponton s'avançait sur les eaux calmes du lac. Cullen laissa les chevaux près de la petite maison, puis commença à retirer ses bottes et son manteau pourpre.
- Que faites-vous ? lui demanda Lédara tout étonnée alors qu'il se retrouvait en simple chemise et pantalon devant elle.
Le Féreldien s'avança vers la jeune femme et lui saisit les mains, un rayon illuminant son visage :
- Vous m'avez confié vos peurs, dit-il l'air mystérieux et espiègle, et je peux remédier à l'une d'entre elles. Je vais vous apprendre à nager !
Sur ces mots, il lâcha les mains de la jeune femme et retira sa chemise, dévoilant son torse parsemé de blond, ses muscles saillant sous sa peau claire.
- Enlevez votre manteau et vos bottes, lui lança-t-il aussitôt.
Lédara fut prise au dépourvu, son rire hésitant entre la gaieté communicative de l'ancien templier et la nervosité. Mais la joie de Cullen l'emporta sur son appréhension et elle retira alors ses bottes, sa ceinture, son manteau. Une fois prête, le Commandant la prit par la main et l'emmena sur la rive. Il avança en premier dans l'eau peu profonde, suivi de près par l'Inquisitrice. L'eau était froide et elle frissonna à son contact. Pourtant, malgré la bonne humeur et l'entrain de Cullen, le sourire de la jeune femme s'effaça peu à peu à mesure qu'elle s'enfonçait dans l'eau. A hauteur de poitrine, elle s'arrêta soudain, voyant qu'un pas de plus l'amenait à ne plus sentir le fond, le Commandant n'ayant déjà plus de fond sous ses pieds et nageant avec aisance devant elle.
- Je ne peux pas… murmura-t-elle tremblante, le souvenir de sa noyade dans l'Immatériel ressurgissant dans son esprit.
- N'ayez aucune crainte, je vous tiens, lui répondit-il aussitôt en passant son bras autour de sa taille.
Cullen la souleva légèrement et la fit quitter la sécurité des fonds. Lédara se cramponna instinctivement à son cou de peur de se noyer. Ils restèrent un instant ainsi, le templier murmurant des paroles apaisantes à son oreille. Peu à peu mise en confiance, elle desserra son étreinte, s'accrochant aux bras qui la tenaient fermement. Ses pieds se mirent à battre de manière désordonnée, puis de manière régulière, prenant le rythme de ceux du Commandant.
- Voyez, dit-il alors, vous nagez.
Il la saisit par les mains afin de lui montrer qu'elle nageait toute seule. Lédara eut un petit rire d'enfant, mais restait encore craintive.
- Bon, fit le Commandant, maintenant, on va avancer.
- Mais comment…
- Je vais vous montrer.
- Ne me lâchez pas ! s'écria Lédara apeurée.
Mais Cullen l'avait saisie par les bras et les déposa autour de son cou de manière à ce qu'elle soit dans son dos. Puis il se mit à nager lentement en brassant l'eau devant lui à grands mouvements. Après quelques brasses, il s'arrêta et détacha l'étreinte de la jeune femme pour se retrouver à nouveau face à elle.
- A votre tour, dit-il doucement, mais fermement. Rassurez-vous, je vous tiens toujours.
Il passa sa main sous son ventre et la soutint afin qu'elle puisse effectuer les mouvements librement. Elle tenta de reproduire les gestes qu'avait faits Cullen l'instant d'avant, et au bout de quelques minutes, elle avança dans l'eau en tournoyant autour de l'ancien templier. La voyant effectuer des gestes assurés, il retira discrètement sa main et la laissa nager seule. Lorsque qu'elle s'arrêta et se tourna face à lui, celui-ci leva ses mains pour lui signifier qu'elle avait réussi. Tous deux éclatèrent de rire, atterrissant dans les bras l'un de l'autre.
Cullen avait encore une dernière chose à faire pour évacuer la peur des eaux profondes de la jeune femme.
- Bien, maintenant, dit-il en reprenant son sérieux, vous allez plonger la tête sous l'eau.
- Quoi ? s'inquiéta Lédara, sa bonne humeur s'évanouissant soudainement.
Le Commandant lui fit alors une démonstration de ce qu'il entendait par- là, même s'il savait qu'elle avait très bien compris de quoi il parlait. Il plongea afin de se retrouver complètement immergé avant de revenir à la surface. Il secoua sa tête et passa sa main dans ses cheveux trempés, les dégageant de son front droit, puis il prit les mains de la jeune femme dans les siennes.
- On le fait ensemble, lui dit-il doucement, le ton de sa voix était paisible et encourageant.
Lédara tenta de calmer sa respiration et finit par prendre une grande inspiration en même temps que Cullen, puis celui-ci l'emporta sous l'eau. Elle ferma les yeux, tout son corps tendu par la peur de se retrouver complètement immergée. Une fois sous l'eau, elle sentait la poigne ferme de Cullen sur ses mains ce qui la détendit quelque peu. Elle ouvrit lentement les yeux : il était là, qui lui souriait, illuminé par les rayons du soleil bleutés et ondulant dans les eaux, le blond châtain de ses cheveux créant des reflets argentés. Lédara découvrit alors un autre monde en laissant sa peur s'éteindre dans les fonds bleu sombre du lac. Cullen, la voyant si heureuse d'avoir vaincu sa peur et si belle avec ses cheveux rougeoyants tournoyer autour d'elle, l'attira tout contre lui et l'embrassa sous les flots.
Quand ils revinrent tous les deux à la surface, ils se redirigèrent vers la rive. Le soleil déclinait à l'horizon, créant des lumières rougeoyantes qui se reflétaient sur la surface de l'eau.
- Cullen… Merci, murmura Lédara en regardant les flammes lécher les bûches devant elle. Vous connaissiez cet endroit ?
Ils avaient établi un petit campement en allumant un feu pour se sécher et se réchauffer alors que la nuit était tombée. Cullen avait sorti plusieurs couvertures dans lesquelles ils s'étaient enveloppés afin de ne pas prendre froid. Le Commandant avait révélé à la jeune femme qu'il avait envoyé l'escouade au-devant pour Dénérim, leur indiquant qu'ils les rejoindraient directement à la capitale de Férelden. Ils étaient donc libres et feraient le reste du voyage en tête-à-tête. Assis au bord du feu, ils discutèrent enfin librement.
- Vous bravez le danger tous les jours, répondit-il simplement, je voulais vous éloigner ne serait-ce qu'un instant de cela. J'ai grandi pas très loin d'ici, et cet endroit a toujours été calme.
- Veniez-vous souvent ici ? lui demanda-t-elle.
- J'aime beaucoup mes frères et sœurs, mais ça braillait souvent. Je venais ici chercher la paix. Bien sûr, ils me retrouvaient toujours.
- C'est un endroit que vous aimiez, remarqua Lédara, heureuse de partager cela avec lui.
- Oui, répondit-il doucement, et je l'aime toujours.
Il regarda l'horizon, jetant des petites brindilles dans le feu. Lédara l'observa, découvrant une nouvelle facette de cet homme si réservé. Elle se rendit compte que c'était la première fois qu'ils se retrouvaient parfaitement seuls ensemble, ce qui leur permettait de parler en toute liberté.
- Vous, moi… seuls, dit-elle soudain, le sourire aux lèvres.
- Oui, dit-il en riant doucement, j'y ai pensé aussi. Personne pour nous observer ou nous épier, c'est agréable.
Ses joues rosirent légèrement.
- La dernière fois que je suis venu ici, reprit-il, je partais pour rejoindre l'Ordre des templiers. Mon frère m'y avait donné ceci.
Cullen sortit de sa ceinture une petite pièce de monnaie avec une représentation d'Andrasté elle était érodée par le temps, mais on distinguait encore les traits stylisés du visage de la prophétesse.
- Il l'avait par hasard sur lui à ce moment-là, continua-t-il, mais il m'a dit qu'elle me porterait chance. Les templiers ne sont pas censé garder ce genre de chose, notre foi doit nous suffire, mais…
- Vous avez enfreint les règles, Commandant ? le taquina Lédara.
- En effet ! dit-il avec un petit rire, mais c'est la seule chose que j'ai gardé de ma vie à Férelden que les templiers ne m'ont pas pris.
Il prit la main de la jeune femme et déposa la petite pièce au creux de sa paume.
- Gardez-la, murmura-t-il doucement, nous ne savons pas ce qui arrivera. Cela ne peut pas faire de mal.
Cullen replia délicatement les doigts de Lédara sur la petite pièce, et plongea son regard dans le sien.
- J'en prendrai soin, lui promit-elle en serrant la pièce dans sa main.
- Je sais que c'est idiot, dit-il, mais…
Lédara l'arrêta d'un baiser qu'il lui rendit avec tendresse. L'on entendait plus que le crépitement du feu et l'obscurité se faisait de plus en plus grande autour d'eux. Les lueurs des flammes dansaient sur leur visage, mais alors qu'ils observaient paisiblement l'horizon, elle blottie dans ses bras, ils aperçurent des petits points lumineux grandir sur leur droite. A mesure qu'ils approchaient, des formes se distinguaient : des hommes armés et transportant une lourde charrette qui rougeoyait étrangement. Lédara se leva et récupéra dans son paquetage que portait son cheval une longue-vue fabriquée par l'Arcaniste Dagna et observa le groupe qui passaient près du lac. Sa mine s'assombrit soudain et elle passa l'objet au Commandant qui observa à son tour.
- Des templiers rouges, dit-il en soupirant, avec une cargaison de lyrium rouge.
- Savez-vous dans quelle direction ils se dirigent ? lui demanda l'Inquisitrice.
- Oui, et c'est ce qui m'inquiète le plus, répondit Cullen, il y a une ferme pas loin. Ils risquent de la piller ou de tuer tous ceux qui se dresseront sur leur chemin.
- Notre escouade est trop loin pour les intercepter avec du renfort, réfléchit Lédara, avez-vous de quoi vous battre ?
- Oui, dit-il surpris, mais… nous ne sommes que deux.
- J'ai tout ce qu'il me faut dans mon paquetage, répondit-elle, et j'ai compté deux archers et trois combattants à l'épée.
Cullen observa à nouveau le convoi des templiers rouges et confirma le nombre d'ennemis.
- Vous vous en sentez capable ? lui demanda Lédara.
Le Commandant réfléchit un instant, essayant de trouver une autre option, mais il n'y en avait aucune. Il fallait les arrêter avant qu'ils n'atteignent la ferme en question.
- Il fallait qu'ils sortent aujourd'hui, n'est-ce pas ? dit-il déçu, mais résigné.
Lédara lui jeta un regard désolé avant de remettre son manteau et le reste de son équipement. L'instant d'après, l'Inquisitrice était prête à combattre. Le Commandant avait lui aussi rapidement revêtu son armure et récupéra son bouclier sur son cheval.
- Laissons les chevaux ici, ils gâcheraient notre effet de surprise, dit Lédara en sanglant son carquois dans son dos et prenant son arc, ses dagues déjà à sa ceinture.
Cullen, après avoir éteint le feu de camp en le couvrant de terre, attacha les chevaux près de la cabane, leur laissant suffisamment de bride pour aller boire et paître tranquillement, puis il se tourna vers la jeune archère :
- C'est quand vous voulez, Inquisitrice, dit-il alors en soupirant, avec cependant une pointe de joie à l'idée de combattre aux côtés de sa bien-aimée.
Tous deux partirent à allure rapide, se repérant grâces aux torches du groupe ennemi. Les templiers rouges avaient bifurqué et étaient entrés dans une forêt, installant leur campement pour le reste de la nuit dans une petite clairière, et les deux dirigeants de l'Inquisition allaient pouvoir profiter de leur halte pour les prendre par surprise. Cachés dans les fourrés, ils analysèrent la situation :
- J'abats en premier les deux archers, chuchota Lédara, les repérant dans le campement.
- Quand vous aurez abattu le premier, les autres seront en alerte, réfléchit Cullen.
- Pas s'ils font une ronde, objecta la jeune femme en lui montrant les mouvements des deux archers.
Ceux-ci se déplaçaient effectivement à intervalles réguliers et l'un de leur point d'observation était suffisamment en retrait du campement pour qu'il soit éliminé sans éveiller les soupçons.
- J'élimine le premier qui arrive à cette position, puis je m'occupe du deuxième, reprit Lédara.
- A ce moment, on s'attaque aux trois autres, devina Cullen.
- C'est à peu près cela, oui, dit doucement Lédara en esquissant un sourire, cela vous convient ?
- Après vous, dit-il en lui souriant à son tour, mais faites attention.
- Vous aussi, lui lança-t-elle discrètement avant de disparaître dans les feuillages et l'obscurité.
Cullen attendit silencieusement dans les buissons, maintenant fermement son bouclier à son bras gauche et sa lame de sa main droite, prêt à attaquer. Soudain, il entendit un léger bruissement dans les feuillages de l'autre côté du campement : l'Inquisitrice venait d'éliminer le premier archer sans qu'aucun autre templier ne s'en rende compte. Il se tint prêt à sortir de sa cachette dès que le deuxième archer serait tombé à terre. Son cœur battit plus vite, l'attente lui devenant insupportable il avait envie de se battre, et de se battre aux côtés de Lédara. Il voulait lui montrer de quoi il était capable. D'un autre côté, il avait peur que cela tourne mal, qu'il lui arrive quelque chose, qu'il ne puisse pas la protéger. Il chassa rapidement ces sombres pensées de son esprit et se concentra sur ce qu'il voyait.
Tout à coup, une flèche vint transpercer en plein cœur le deuxième archer c'était le signal. Les autres templiers se mirent en alerte et le Commandant chargea l'ennemi le plus proche, le renversant de son bouclier. Une flèche vint se planter dans l'épaule d'un autre templier rouge qui se dirigeait vers Cullen, l'arrêtant dans son élan. Puis une autre se ficha dans sa tête, ressortant par son œil droit. Le Commandant brandit son épée sur celui qu'il avait renversé, mais celui-ci para de la sienne et se releva. Le troisième templier rouge avait saisi son bouclier et se protégea des flèches de l'archère de son bouclier il tenta de débusquer l'assaillant. Lédara rengaina alors son arc et sortit ses deux lames, prête à combattre son adversaire. Dès que le templier rouge eut le dos tourné, elle sauta des buissons pour lui planter ses poignards, mais son adversaire réussit à esquiver le coup et frappa la jeune femme avec le pommeau de son épée. Elle tomba à terre, mais se releva aussitôt, prête à riposter.
De son côté, Cullen transperça son adversaire après avoir subi plusieurs assauts violents qu'il avait parés de son bouclier. Il se tourna alors vivement du côté de l'Inquisitrice et chargea le templier rouge. Leur adversaire désarçonné, Lédara en profita pour lui lacérer le bras qui tenait le bouclier ce dernier dut abandonner son écu et fut submergé par les deux assaillants de l'Inquisition. Cullen l'acheva de sa lame.
- Presque trop facile, dit Lédara avec un grand sourire.
Le Commandant lui rendit son sourire, heureux de cette jolie victoire. Mais leur joie fut de courte durée : la terre se mit à trembler de manière régulière, au rythme de pas lourds et imposants. Lédara devint livide et Cullen ne comprit pas tout de suite ce que cela signifiait. La jeune femme se retourna en direction de la provenance du bruit et aperçut entre les troncs d'arbre une immense créature faite de lyrium rouge.
- On est mal, souffla-t-elle.
- Qu'est-ce que c'est ? lui lança Cullen désemparé.
- Un Béhémot, un templier de lyrium rouge, ils sont… leur force est surhumaine.
L'Inquisitrice regarda aux alentours et se dirigea vers les torches du campement ennemi. Elle en saisit une au vol et embrasa les buissons tout autour du camp, créant une barrière de feu entre eux et le monstre. Cullen la suivit, ne sachant quoi faire contre ce genre de créature.
- Le seul qui puisse les vaincre, à ma connaissance, dit Lédara anxieuse, c'est Dorian.
- Il craint le feu, murmura le Commandant.
- Oui, mais Dorian a toujours utilisé son sort le plus puissant pour les vaincre. A nous deux, je ne sais pas si…
Un hurlement surgit des arbres, tel un grondement provenant des Tréfonds de la terre. La créature était sur eux, ils ne pouvaient plus fuir.
- Prenez une torche ! cria Lédara à Cullen, qui s'exécuta immédiatement. Il faut contrôler ses mouvements !
Les deux dirigeants se séparèrent pour tenter d'encercler le monstre par le feu. Le Béhémot allongea alors son bras qui se transforma en une lourde massue de lyrium pur et frappa le sol devant lui, créant une onde de choc qui déstabilisa les deux combattants de l'Inquisition. Lédara se redressa aussitôt et dégaina son arc pour encocher une flèche qu'elle embrasa. Elle visa la tête du monstre qui hésitait à s'approcher d'elle à cause des flammes, puis elle décocha sa flèche qui se ficha dans ce qu'il restait de son œil gauche. La créature poussa un nouveau hurlement, plus strident cette fois-ci. Quand Lédara vit que sa flèche avait fait mouche, elle accourut vers le Commandant.
- Votre épée, dit-elle sans autre explication.
D'un coup vif, elle trancha le tronc d'un arbre de l'une de ses lames et récupéra la sève qui en coulait, puis en badigeonna la lame de l'épée du Commandant jusqu'à la pointe.
- Je vais faire diversion, reprit-elle le souffle court, vous enflammerez votre épée et l'attaquerez. C'était un homme autrefois, il a les mêmes points faibles.
- La colonne vertébrale, dit-il en comprenant le plan de l'Inquisitrice.
Elle hocha la tête. Elle recula de quelques pas afin de prendre de l'élan et sauta par-dessus les flammes avant même que le Commandant ait pu lui dire quoi que ce soit. Le Béhémot se concentra alors sur la jeune femme, tentant de la frapper de sa lourde massue de lyrium. Lédara esquivait les coups, rapide et agile. Elle fit en sorte que la créature tourne le dos à Cullen. A ce moment, le Commandant brandit son bouclier devant lui pour se protéger des flammes et traversa la barrière de feu, enflammant par là même sa lame. Il chargea d'un pas assuré, sauta sur le dos du monstre et planta jusqu'à la garde son épée entre les deux omoplates. Le Béhémot se redressa, projetant violemment Cullen à terre et poussa un rugissement à en crever les tympans. La créature se retourna, essayant de saisir l'épée fichée dans son dos, et quand il aperçut le combattant à terre, il brandit sa lourde massue en guise de représailles. Cullen se releva le plus rapidement possible et tenta d'esquiver le coup tout en se protégeant de son bouclier. Il put éviter l'attaque de justesse et Lédara le rejoignit, inquiète. Quand elle vit qu'il allait bien, elle enflamma ses deux lames qu'elle avait aussi badigeonnées de poix et les planta dans la cuisse du géant. Celui-ci, furieux et galvanisé par les deux attaques subies, releva sa massue et la projeta contre l'archère. Cullen se précipita alors sur elle, la saisit par la taille et brandit son bouclier pour les protéger tous les deux. Ils tombèrent à terre et Lédara fut étourdie par la violence du coup Cullen saisit alors l'épée d'un templier rouge qui gisait juste à côté d'eux et l'enfonça dans l'épaule du monstre, lui tranchant le bras entier. Il se releva tout à fait et donna un second coup dans sa jugulaire. Le monstre s'abattit de tout son long au sol, vidé de son sang corrompu.
Le Commandant s'approcha du monstre, vérifiant qu'il ne bougerait plus, puis se dirigea vers la jeune femme qui se relevait avec peine. Il s'agenouilla à ses côtés, mais une douleur sourde lui traversait l'épaule droite.
- Vous êtes blessé, souffla Lédara.
- Ce n'est rien, dit-il pour la rassurer.
Cependant, la douleur était de plus en plus intense et il sentait son sang se glacer dans ses veines, comme si un poison s'insinuait en lui. Il sentit ses forces le quitter lentement. Lédara le soutint alors sous son épaule et le releva.
- Partons d'ici, dit-elle en l'aidant à marcher.
Elle l'emmena en dehors du campement en feu qu'une légère bruine vint estomper, et se dirigea dans la forêt en direction de la cabane de bois où ils avaient laissé les chevaux. Cullen marcha un moment, puis n'eut plus la force de se soutenir. Ils n'étaient plus très loin, mais Lédara savait qu'ils ne pourraient pas rejoindre leur camp. La pluie se faisait plus drue et l'on entendait plus que son martèlement contre les feuilles des arbres. Elle s'arrêta alors, installant le Commandant contre un arbre et fabriqua une petite tente avec les branches et feuillages alentours. A deux pas de là se trouvait une petite rivière. Elle installa Cullen sur le côté gauche et alla chercher de l'eau fraîche dans sa gourde. De retour, elle alluma une torche pour observer la blessure du templier. Elle planta la torche au sol et s'occupa d'abord de détacher délicatement l'armure. Ce qui l'inquiéta le plus fut les morceaux de lyrium rouge qu'elle trouva sur le plastron, autour de l'impact. Elle retira enfin tout le haut de l'armure et déchira sa chemise. Cullen avait été touché dans le dos au niveau de son épaule droite par un trait de lyrium dont le cristal était resté fiché profondément dans la chair, de petits éclats rouges luisaient dans la plaie tout autour.
- Cullen, restez calme et ne bougez surtout pas, lui dit-elle, la voix légèrement tremblante.
- Qu'est-ce que j'ai, gémit-il en voulant toucher sa blessure.
Lédara saisit sa main et la reposa devant lui.
- Du lyrium est entré dans votre chair, il me faut le retirer au plus vite.
A la lueur de la torche, la jeune femme vit que Cullen avait déjà de la fièvre. De petites veinures se teintaient en rouge autour de la plaie, le lyrium corrompu s'infiltrant dans son organisme. Elle sortit de sa ceinture des petites lames qu'elle utilisait pour crocheter les serrures et les fit chauffer sur les flammes avant d'extraire le cristal de lyrium et ses éclats.
- Penchez-vous légèrement, lui ordonna Lédara en le mettant en position, et maintenant, ne bougez plus, je vais retirer les éclats.
Cullen serra les dents et se cala contre le sol. Elle saisit à pleine main le morceau de cristal qui dépassait de la plaie et l'extirpa lentement de la chair. Un flot de sang se mit alors à couler, soutirant un gémissement de douleur au blessé. La jeune femme s'arrêta immédiatement et détacha sa ceinture de tissu pour la plaquer contre la plaie afin de limiter l'hémorragie. Elle ne pouvait pas retirer le cristal sans que l'ancien templier ne perde tout son sang. Il fallait trouver une solution et le plus rapidement possible était le mieux. Elle laissa en place le cristal et nettoya la plaie avec l'eau fraîche, enlevant tous les petits éclats de lyrium restés en surface avant de constituer un bandage de fortune.
- Vous avez dit qu'il y avait une ferme dans les environs, dit-elle d'un souffle, où se trouve-t-elle ?
- Au nord-est, à quelques minutes d'ici, répondit brièvement Cullen.
- Restez là, je vais chercher les chevaux et nous irons à cette ferme.
Cullen acquiesça d'un bref signe de tête, sa vue se brouillant peu à peu. Il vit la silhouette de la jeune femme s'éloigner en courant, puis, le temps de ce qui lui sembla un battement de paupière, revenir avec leur deux chevaux. Elle chargea l'armure du Commandant sur son propre cheval puis s'approcha à nouveau de lui.
- Il faut vous relever, murmura-t-elle en le saisissant par l'épaule et l'aidant à se mettre sur pied.
Dans un effort de plus en plus dur, il réussit à monter sur la selle et se maintint à la crinière de son cheval, des vertiges le prenant soudainement. Lédara gagna sa monture et récupéra la bride du Commandant et fit avancer prudemment les chevaux dans la direction indiquée. Très vite, elle aperçut en effet des lumières au fond d'une petite vallée entourée par une forêt dense et des enclos. Elle fit trotter rapidement les chevaux et, arrivés devant la clôture de la ferme, descendit de cheval et aida Cullen à en faire de même. Elle le soutint sur son épaule, lui servant de béquille, pour atteindre la porte du bâtiment principal dont les lueurs au travers des fenêtres indiquaient la présence des propriétaires. Lédara frappa vigoureusement contre la large porte de bois, s'essoufflant sous l'effort :
- Ouvrez, s'il vous plaît ! lança-t-elle désespérée.
Quand la porte s'ouvrit enfin, on put voir un homme de haute taille et large d'épaules, blond aux cheveux courts, qui toisait d'un œil suspicieux les deux voyageurs.
- Aidez-nous, fit Lédara à bout de force, nous sommes de l'Inquisition et mon ami a été grièvement blessé.
Au seul nom de l'Inquisition, le jeune homme robuste se dérida et saisit à bras le corps Cullen qui commençait à vaciller, perdant connaissance. Il fit entrer les deux voyageurs et appela un autre homme et deux femmes pour les aider.
- Amène-le à l'étage, Georges, dit la plus vieille des deux femmes avec fermeté. Brénan, va chercher de l'eau au puits. Lorène, occupe-toi de la demoiselle.
Tous obéirent à la matriarche et s'exécutèrent. Lédara, malgré les protestations de la dénommée Lorène, accompagna Georges qui portait le templier sur ses épaules. Il fut installé dans une petite chambre où Lédara ne le quitta pas un seul instant, aidant le jeune homme à installer le Commandant sur la couche.
Pendant ce temps, la vieille femme était allée réveiller un commis de la ferme et l'avait envoyé au village chercher le guérisseur. Le jeune garçon était parti au pas de course sous la pluie battante dans la pénombre de la nuit. Le dénommé Brénan était revenu avec un seau rempli d'eau fraîche qu'il apporta aux côtés du blessé et laissa la vieille femme ausculter l'ancien templier. Lédara était en panique, elle ne savait quoi faire en cet instant et quand elle vit arriver la vieille femme, elle la laissa faire tout en observant la scène.
- Faites attention, n'y touchez pas ! s'écria soudain Lédara en voyant qu'elle examinait le cristal fiché dans la plaie.
- C'est ce lyrium de malheur, n'est-ce pas ? demanda la vieille femme d'une voix éraillée.
Lédara acquiesça, des larmes lui coulant le long de ses joues.
- J'ai fait appeler le guérisseur du village, reprit la paysanne, il a déjà eu affaire à ce type de blessure, mais pas aussi profonde cependant… Êtes-vous blessée vous aussi ? demanda-t-elle en se tournant vers l'Inquisitrice.
- Des éraflures, rien de plus, répondit-elle brièvement.
- Mettez-vous à l'aise, ma fille, et enlevez vos vêtements, continua la paysanne, nous nous en occuperons.
Lédara fixa du regard la vieille femme, puis regarda ses vêtements et ses gants. Elle refusa d'un signe de tête :
- Votre hospitalité est suffisamment généreuse comme cela, je m'en occuperai, répondit alors Lédara à mi-voix.
Elle ne souhaitait pas que ces gens si gentils avec elle et Cullen ne découvrent qu'elle était l'Inquisitrice. Elle vint s'asseoir sur le rebord du lit, observant nerveusement son compagnon allongé dans le lit de paille.
Une bonne heure avait dû passer quand enfin le commis de ferme revint avec le guérisseur, tout essoufflés. Ce dernier monta directement dans la petite chambre, déposa sa trousse de soin sur une petite table de chevet et commença à examiner son patient. Lédara s'était à nouveau éloignée, le regard vide et les larmes coulant sur ses joues blanches.
- Venez ma fille, dit la vieille paysanne, vous ne pouvez pas faire grand-chose. Venez plutôt vous réchauffer et remplir l'estomac.
La vieille femme prit fermement Lédara par le bras et la fit sortir de la petite chambre, l'accompagnant dans la cuisine où un grand chaudron les attendait avec une soupe de légumes bien chaude. La jeune Lorène lui servit aussitôt un généreux bol et l'installa avec des couverts à la large table devant le foyer. Puis elle servit le commis et les autres personnes présentes qui s'attablèrent tous en silence pour manger après ces événements mouvementés.
- Vous êtes donc de l'Inquisition, fit la vieille paysanne en brisant le silence, que s'est-il passé ?
Lédara posa sa cuillère, ne pouvant rien avaler, et réfléchit quelques secondes :
- Nous traquions un convoi de lyrium rouge dirigé par des templiers, raconta-t-elle d'une voix encore tremblante, nous avons réussi à les arrêter, mais nous n'avions pas prévu la présence d'une créature redoutable faite de lyrium. Mon compagnon a réussi à le terrasser, mais…
- Vous n'étiez que deux ? l'interrompit le jeune Brénan qui écarquillait les yeux devant l'insigne de l'Inquisition que portait la jeune femme contre son épaule droite et qui brillait aux lueurs du feu de l'âtre.
- Oui, c'était suffisant pour le convoi, se justifia Lédara, un soldat et un éclaireur, nous allons toujours par paire.
D'habitude, nous n'ouvrons pas nos portes aux étrangers à cause des bandits, reprit la vieille femme, mais l'Inquisition est la seule à faire quelque chose pour aider le peuple. Je m'appelle Gréta, et voici mes fils Georges et Brénan, ainsi que ma belle-fille, Lorène. Mon mari s'est engagé dans l'Inquisition comme intermédiaire entre les fermiers de la région et l'intendant de l'Inquisition, et nous leur fournissons une part de nos récoltes. Nous aidons comme nous le pouvons.
- C'est très noble de votre part, répondit Lédara en observant Gréta.
Gréta devait avoir plus de la cinquantaine, son visage strié de quelques rides marquées pour son âge. Elle avait relevé ses cheveux grisonnants en un petit chignon couvert d'un chiffon bleu à pois qui était assorti à la couleur bleu clair de ses yeux. Elle portait un large jupon marron recouvert d'un tablier blanc taché de la journée, avec un bustier par-dessus une chemise de lin grossièrement tissé. Un large châle tricoté ceignait ses épaules un peu frêles.
- Et vous êtes… ? reprit Gréta avec un léger sourire d'encouragement.
- Euh, oui, veuillez m'excuser, bredouilla Lédara, je m'appelle… Margareth, et mon compagnon, c'est Stanton. Nous sommes dans l'Inquisition depuis quelques temps déjà, et nous travaillons souvent ensemble.
A ce moment, le guérisseur redescendait les escaliers d'un pas lourd. Lédara se leva d'un bond à sa vue, attendant le verdict.
- J'ai pu retirer le lyrium de son corps et de ce fait stopper sa propagation, fit le guérisseur à l'adresse de la jeune femme. Cependant, il devra rester alité plusieurs jours avant de pouvoir faire quoi que ce soit. Il semble très mal supporter ce lyrium… je veux dire, plus que ceux que j'ai pu voir jusqu'à maintenant.
- Puis-je le voir ? demanda Lédara à mi-voix.
- Il est endormi, mais vous pouvez bien sûr rester à ses côtés.
- Merci, guérisseur Tran, dit Gréta en lui offrant un bol de soupe. Margareth, vous pourrez loger avec votre compagnon aussi longtemps qu'il faudra pour son rétablissement. Nous nous serrerons un peu plus mes fils et moi-même.
Lédara se tourna vers la vieille femme, pleine de reconnaissance :
- Je vous remercie infiniment, Madame.
- Allez-y, montez ma fille.
Lédara se précipita à l'étage jusque dans la petite chambre où elle trouva Cullen profondément endormi sur la petite paillasse. Elle referma la porte derrière elle puis s'assit doucement à son chevet. Le visage du templier était pâle et fiévreux et son épaule droite avait été fermement bandée. Un petit flacon d'elfidée avait été déposé sur la table de chevet, ainsi qu'une carafe d'eau fraîche mise à disposition par le jeune Brénan. La jeune femme caressa délicatement le front et la tempe de son compagnon, lui écartant quelques mèches encore trempées de son visage, puis installa sa propre couche avec une simple couverture au sol aux côtés du lit. Elle ferma les yeux un instant, repensant à tout ce qu'il venait de se passer. Soudain, elle prit peur : le lyrium rouge était suffisamment dangereux pour l'inquiéter, mais Cullen était un ancien templier qui avait arrêté de prendre du lyrium quelle réaction pouvait donc provoquer ce genre de blessure ? Elle rouvrit les yeux et observa à nouveau le blessé sa fièvre augmentait, de même que ses tremblements. Quelles en seraient les conséquences ?
- La nuit avançait et l'état du Commandant ne s'améliorait pas. Au petit jour, il commença à murmurer des paroles incompréhensibles puis il répéta ces mots : « du lyrium… du lyrium… j'ai besoin… »
- Tout va bien, lui murmura alors Lédara qui se voulait rassurante, vous êtes en sécurité avec moi.
Cullen ne semblait pas l'entendre et continua à répéter cette même litanie. La matinée passa et la fièvre ne diminuait pas, mais ne s'aggravait pas non plus. Elle le veilla ainsi la journée entière il marmonnait toujours les mêmes paroles, mais restait trop faible pour se lever et ne semblait plus avoir conscience de ce qui l'entourait.
A l'aube du deuxième jour, l'état du Commandant n'avait toujours pas évolué et Lédara, qui n'avait quasiment pas dormi depuis, le veillait avec une anxiété grandissante. Gréta, qui lui apportait chaque jour les repas, l'invita à s'aérer l'esprit en allant puiser de l'eau fraîche avec elle. La jeune femme, impuissante devant l'état de son compagnon, accepta le cœur gros et sortit avec la vieille femme jusqu'au puits.
- Vous devez être patiente, ma fille, dit Gréta pour rassurer l'agent de l'Inquisition qu'elle hébergeait.
- Je sais, ce n'est pas facile, répondit Lédara exténuée.
- Je ne vous ai jamais vue sans vos gants, fit alors la vieille femme pour changer de sujet.
- Oh ça, fit la jeune femme en observant ses mains gantées. Je… une blessure que je n'aime pas montrer.
En effet, Lédara avait fait très attention à cacher la marque à la famille de fermiers, ne voulant pas dévoiler son identité et son rang dans l'Inquisition. Elle avait elle-même nettoyé et épousseté ses vêtements dans cette optique et restait à tout instant vigilante pour contrôler sa marque qui était secouée de petites vibrations depuis qu'elle était arrivée dans la ferme.
Lorsque Lédara revint dans la petite chambre avec le seau d'eau fraîche rempli à ras-bord, elle fut étonnée de voir Cullen assis sur le rebord de son lit, la tête baissée. Elle referma rapidement la porte derrière elle et se précipita vers lui en déposant le seau au sol.
- Cullen, vous ne devriez pas…
Sans même lever la tête, il lui saisit violemment le bras et se leva, la maintenant fermement face à lui. Son regard semblait perdu et avide, des gouttes de sueur perlaient sur son front et ses tempes. De son autre main, il saisit Lédara par l'épaule pour l'empêcher de bouger alors qu'elle essayait de se dégager de son étreinte, puis il la secoua brutalement :
- Où est-il ? dit-il d'une voix rauque.
- Quoi ? répondit Lédara stupéfaite et apeurée.
- Le lyrium, où est-il ? s'énerva Cullen qui resserrait de plus en plus son étreinte.
- Il n'y en a pas, dit-elle déboussolée.
Cullen fut pris d'un accès de fureur quand il entendit la nouvelle et projeta violemment la jeune femme contre le mur de la petite pièce, avant de la ramasser à nouveau par le bras et de l'envoyer contre le montant du lit. Lédara réprima un gémissement de douleur et s'affaissa à terre, endolorie. Elle le regarda désespérée et vit soudain son regard changer : il se prit la tête dans ses mains et tomba à genoux. Elle s'approcha alors lentement de lui.
- Non, partez ! supplia-t-il en tremblant.
- Tout va bien, murmura-elle alors qu'elle se voulait rassurante.
- Je, balbutia-t-il, je vous ai fait du mal…
- Non, ce n'était pas vous, c'est le lyrium qui vous fait cela…
- Eloignez-vous de moi, gémit-il encore.
Lédara resta à ses côtés et posa délicatement ses mains sur ses épaules.
- Je ne partirai pas, Cullen, dit-elle doucement mais fermement.
Elle saisit ses épaules et le tira doucement contre elle. Il s'appuya alors contre sa poitrine, sa respiration irrégulière, puis s'allongea, à bout de forces, posant sa tête sur les genoux de la jeune femme. Lédara saisit sa main dans la sienne et caressa délicatement son visage et ses cheveux de l'autre. Ils restèrent tous les deux ainsi un long moment, Cullen s'apaisant lentement dans les bras de la jeune femme. Les tremblements du templier reprirent, la fièvre continuant à le tourmenter. Elle l'entendit alors murmurer son nom. Elle serra plus fort sa main dans la sienne et murmura des paroles apaisantes.
Gréta ouvrit lentement la porte et passa timidement la tête dans l'interstice :
- Tout va bien ? Nous avons entendu du grabuge…
- Ne vous inquiétez pas, tout va bien, répondit doucement Lédara dont le compagnon s'était endormi entre ses bras.
La vieille femme fit entrer son fils Georges qui aida Lédara à mettre l'ancien templier sur la paillasse et le couvrit de couvertures fraîchement lavées avant de repartir avec sa mère à la cuisine. Lédara resta encore auprès de Cullen dont la fièvre semblait enfin se calmer un peu. A l'heure du dîner, la jeune femme descendit prendre son repas avec le reste de la famille, apaisée par l'état du Commandant qui s'améliorait enfin.
- Vous devriez nettoyer votre plaie au front, ma fille, fit Gréta en voyant Lédara s'asseoir à table.
Lédara passa alors sa main sur son front et sentit une légère douleur là où sa tête avait heurté le montant du lit. Elle ne s'en était même pas aperçue. Sûrement qu'elle aurait quelques ecchymoses le lendemain, mais rien qui ne la préoccuperait pour autant.
Le lendemain, dans l'après-midi, Cullen se réveilla sa fièvre avait baissé et son esprit était clair et lucide. Il était allongé sur la paillasse dans la petite chambre de la ferme et Lédara était assise à côté de lui, assoupie contre le mur. Elle avait retiré son manteau de cuir et son écharpe, ses cheveux descendaient en cascade sur son bustier et sa chemise retombait légèrement sur son épaule droite, dévoilant des ecchymoses. Il se leva doucement afin de ne pas la réveiller et versa de l'eau fraîche dans une petite bassine posée sur la table de chevet. Il se rinça le visage à pleines mains. Le soleil était encore haut dans le ciel et ses rayons filtraient à travers les rideaux de coton. Soudain, il sentit Lédara bouger à ses côtés, mais n'osa la regarder, se rappelant les moindres détails de la veille. Il baissa la tête en poussant un long soupir elle posa son regard sur lui, soulagée de le voir à nouveau lui-même.
- A notre retour à Fort Céleste, je demanderai à Cassandra de me trouver un remplaçant, dit-il gravement.
- Pour quoi faire ? demanda Lédara un peu surprise.
- Vous avez vu ce qu'il s'est passé, je ne peux pas continuer ainsi, soupira-t-il, dégoûté de lui-même.
Cullen voulut faire un geste pour ramasser sa chemise mais une douleur encore vive lui traversa l'épaule. Lédara s'empressa alors de l'obliger à s'allonger, sa blessure pouvant se rouvrir à tout moment.
- C'était une situation exceptionnelle, répliqua la jeune femme en ajustant le coussin derrière lui, vous avez été exposé à du lyrium contre votre gré.
Cullen jeta un œil sur la Marchéenne et posa ses yeux sur son bras et son épaule meurtris par son étreinte frénétique, ainsi qu'à sa petite plaie au front.
- Je vous ai fait du mal… souffla-t-il désespérément.
- Ce n'était pas vous, rétorqua-t-elle fermement.
- Cela fait longtemps que je lutte pour ne pas reprendre du lyrium, mais c'est trop… Si je ne suis pas capable d'honorer mon serment, alors tout cela n'aura servi à rien. Est-ce qu'il vaut mieux tromper les apparences, ou admettre…
- Vous n'avez pas trahi votre serment, le coupa Lédara.
Il soupira, presque exaspéré par sa propre existence.
- Vous m'aviez demandé un jour ce qui était arrivé au Cercle de Férelden, commença-t-il la voix rauque, il y a longtemps de cela.
Lédara s'arrêta alors pour l'écouter pleinement, sentant que Cullen devait se libérer de vieux démons qui le hantaient depuis longtemps.
- Les abominations l'ont anéanti. Les templiers… mes amis… se sont fait massacrer. J'ai été torturé. Ces créatures ont essayé de briser mon esprit et je… Comment peut-on redevenir comme avant après cela ? Mais je voulais continuer à servir. On m'a envoyé à Kirkwall… j'ai servi mon Chevalier-capitaine aveuglément, et sa peur des mages a tout gâché. Le Cercle de Kirkwall a été annihilé. Des innocents sont morts dans la rue. Vous ne comprenez pas à quel point tout cela me dégoûte…
- Je peux le comprendre… murmura Lédara.
- Non, justement ! s'exclama-t-il, vous devriez condamner mes actes ! Je pensais que cela se passerait mieux… Que je reprendrais ma vie en main. Mais toutes ces pensées me harcèlent… Combien de vies dépendent de notre victoire ? Je me suis dévoué à cette cause… Je me sacrifierai autant pour l'Inquisition que pour la Chantrie. Mais je ne sais pas si je pourrai tenir sans en reprendre un jour…
Lédara le regarda, n'osant poser sa main sur son bras en racontant son histoire, tout son corps s'était tendu, elle voyait ses muscles saillir sous sa peau claire parsemée de cicatrices.
- Vous n'êtes pas forcé de vous livrer corps et âme à l'Inquisition, dit doucement Lédara, vous, est-ce que c'est cela que vous voulez ?
Cullen ferma les yeux et poussa un profond soupir.
- Non… Mais ces souvenirs m'ont toujours hanté… Et avec ce qu'il s'est passé là…
Il regarda à nouveau le front de la jeune femme, l'effleurant de ses doigts.
- Comment pouvez-vous me pardonner cela ? continua-t-il, désespéré.
- Tout simplement car il n'y a rien à pardonner, dit-elle en le regardant droit dans les yeux. Et pour ce qui est de votre démission, je refuse.
Cullen la fixa alors d'un regard interrogateur, ne s'attendant pas à un ton si catégorique.
- Je refuse d'avoir cette discussion dans la situation actuelle, continua-t-elle d'un ton autoritaire, pas tant que vous ne serez pas complètement rétabli de votre blessure.
- Mais…
- C'est un ordre, Commandant, l'interrompit-elle le regard noir.
- Bien, Inquisitrice, murmura Cullen, ses traits s'adoucissant sous ce regard inquisiteur.
Lédara lui raconta alors le semi mensonge qu'elle avait inventé pour la famille qui les hébergeait et qu'ils allaient rester là jusqu'à son rétablissement. Elle avertirait Fort Céleste de leur retard sans en dire plus afin de rassurer Joséphine et Léliana.
Dans les jours qui suivirent, l'état de Cullen s'améliorait à vue d'œil, même si sa blessure à l'épaule restait profonde. Lédara s'était alors mise à faire quelques travaux à la ferme pour aider ses hôtes et les remercier de leur hospitalité. Lorsque Cullen put se lever, il participa lui aussi aux tâches quotidiennes dans la mesure de ce qu'on lui autorisait de faire. Une semaine passa ainsi, dans la tranquillité de la vie campagnarde. Lédara aimait à s'occuper des bêtes, lui rappelant son court séjour dans la ferme de Maître Dennet il y avait des mois de cela. Elle maintenait également les chevaux de l'Inquisition en bonne forme, et montrait à Georges quelques astuces afin de bien domestiquer leur jeune jument. Cullen, lui, s'occupait de plus en plus de travaux difficiles, parfaitement à l'aise dans les tâches fermières. Il allait également couper du bois avec Brénan et se mit même à entretenir les champs pour les futures récoltes.
Quand Cullen revenait de la forêt ou des champs, il aimait à voir Lédara dans l'enclos d'élevage des chevaux. Cette après-midi-là, elle faisait courir la jeune jument, et Georges observait sa façon de faire depuis l'extérieur, accoudé à la barrière. La jeune femme se tenait au centre de l'enclos et frappait en rythme le lasso enroulé dans sa main contre sa cuisse, suivant du regard la jument qui galopait autour d'elle à grande foulée. Les cheveux de la Marchéenne étaient à peine retenus par une large tresse qui suivait ses mouvements dans son dos. De temps en temps, elle passait sa main sur son visage pour écarter les petites mèches folles. Elle arborait une mine joyeuse et détendue. Cullen déposa la charrette de bois et vint également s'accouder à la balustrade, le sourire aux lèvres.
- Dites, lui demanda alors Georges à voix basse, vous vous êtes engagés ensemble dans l'Inquisition ? En tant que mari et femme, je veux dire.
- Non, pas du tout ! bredouilla Cullen pris de court. Nous nous sommes rencontrés quand elle a rejoint l'Inquisition.
- Comme quoi, chaque malheur apporte son bon côté, n'est-ce pas ? lui lança Georges d'un air guilleret et lui donnant un petit coup de coude.
- Oui, c'est vrai, répondit Cullen en regardant à nouveau Lédara qui avait arrêté la jument et l'apaisait de quelques mots murmurés à sa fine oreille.
A ce moment, on entendit les pas précipités de Lorène qui revenait de la forêt :
- Georges ! s'écria-t-elle tout essoufflée, une chèvre s'est perdue dans les bois, je ne la retrouve plus.
- Nous pouvons nous en occuper, n'est-ce pas ? fit Lédara à l'adresse de Cullen en s'approchant de la barrière et donnant la bride de la jument à Georges.
- Nous allons la chercher, confirma Cullen.
Tous deux partirent dans les bois dans la direction indiquée par Lorène, marchant tranquillement sur la mousse verte et le petit bois. Le soleil continuait sa course dans le ciel, la chaleur de l'après-midi augmentant d'heure en heure. Après une longue marche dans la sérénité de la forêt, Cullen s'arrêta et regarda la Marchéenne qui s'était arrêtée à sa suite et s'était adossée contre un arbre.
- Ce n'est pas vraiment le voyage que j'avais imaginé en vous invitant l'autre jour, s'excusa-t-il alors, gêné.
- Rassurez-vous, j'ai l'impression qu'avec moi, cela ne se passe jamais comme prévu !
La bonne humeur de la jeune femme détendit le Commandant qui repensait aux tristes événements survenus quelques jours plus tôt.
- Je n'avais encore jamais raconté ce qu'il s'était passé au Cercle à quiconque, dit-il soudain, sentant le besoin de se justifier. Je… je n'ai plus été le même après cela. J'avais toujours rêvé de devenir templier pour protéger mon prochain. Après Férelden, je servais par peur… Et parce qu'on m'avait forcé la main. Pendant des années, la colère m'a aveuglé. Je croyais qu'en me débarrassant de mes entraves, je retrouverais un sens à tout cela. Je ne suis pas fier de l'homme que je suis devenu. Peut-être pourrai-je un jour mettre de la distance avec ce qu'il s'est passé. Ce serait un début.
- Cela vaut ce que cela vaut, lui répondit-elle, mais j'aime l'homme que vous êtes, que j'ai rencontré à Darse et qui m'a accompagné jusque-là.
- Même après… ? demanda-t-il en désignant du regard la petite cicatrice qui s'estompait sur son front.
- Cullen, dit alors Lédara en s'approchant de lui et en saisissant son visage dans ses mains, vous comptez beaucoup à mes yeux, et vous n'avez rien fait qui aurait pu changer cela. Vous avez toujours été présent quand j'en avais besoin, vous m'avez soutenue dans les moments les plus difficiles et quand je ne pensais pas y arriver. Laissez-moi l'être aussi pour vous.
La jeune femme posa son front contre celui du templier il ferma les yeux, se laissant faire, et l'enlaça de ses bras puissants tout en déposant sa tête dans le creux de son épaule. Elle le serra tout contre elle, et sentit son souffle sur son cou. La jeune femme sentit les muscles du Commandant se relâcher, comme s'il avait déposé un lourd fardeau qu'il portait depuis trop longtemps.
Puis, une force nouvelle s'immisça en lui que Lédara ressentit à travers tous ses membres. L'ancien templier la fit s'adosser contre un arbre, sa bouche cherchant la sienne dans une chaleur ardente, alors que ses mains descendaient sur ses hanches, caressant son corps par-dessus ses vêtements. Il la plaqua alors un peu plus contre l'arbre, l'embrassant avec passion et la saisit par la cuisse pour la soulever tout contre lui. Elle se laissait faire face à cet empoignement ferme et sensuel, son désir montant vivement dans le creux de ses reins. Tous les bruits semblaient étouffés par la forêt environnante, l'on entendait que le murmure des oiseaux et le vent dans les feuillages vert tendre des arbres.
Enserrée dans ses bras, Cullen la souleva toute entière pour l'allonger délicatement sur un lit de verdure. Ses gestes se firent plus énergiques de ses doigts, il s'attela à détacher le corset de la jeune femme, ne s'embarrassant pas des nœuds et tirant presque brutalement sur les lacets. Lédara voulut alors passer sa main sous son corset pour l'enlever, mais Cullen la lui saisit brusquement et la plaqua au-dessus de sa tête, dans un geste de contrôle et de possession absolue. Il prit l'autre main de la jeune femme et les joignit ensemble, les tenant d'une seule poigne ferme alors qu'il l'embrassait avec fougue et qu'il pressait tout son corps contre le sien. Elle sentit alors son membre dur tout contre son entrejambe, lui donnant une sensation exquise dans son bas-ventre. De son autre main, le templier écarta le corset enfin défait et souleva la fine chemise de lin qui couvrait la poitrine de la jeune Marchéenne, dévoilant ses deux seins d'une lourde rondeur et dont le plaisir avait durci la pointe. Ne relâchant pas sa prise, Cullen saisit un sein dans son autre main, passant sa langue sur le mamelon rigide et soutirant ainsi un doux gémissement à sa compagne. Lâchant enfin les mains presque endolories de la jeune femme, il se releva légèrement afin de retirer complètement la fine chemise qui la couvrait encore et défit les attaches du pantalon de la Marchéenne Lédara avait gardé sa pose lascive qui mettait en valeur sa poitrine et sa fine taille, savourant le côté directif de son amant.
Cullen lui ayant alors retiré ses bottes et son pantalon, elle se retrouva complètement nue devant lui, à sa merci. Elle n'était plus l'Inquisitrice, il n'était plus le Commandant, leur lien hiérarchique évanoui dans la nature pour laisser place au désir profond qui les torturait depuis si longtemps. Rien de ce qu'avait pu imaginer Cullen n'arrivait à la cheville de ce qu'il éprouvait à ce moment-là : cette femme si sublime et qui le connaissait maintenant dans sa plus grande noirceur, livrée, indolente, à ses pulsions enragées. Il retira d'un mouvement sa propre chemise, dévoilant son large torse et ses épaules à la musculature développée, puis détacha sa braguette pour venir se glisser entre les cuisses de la jeune femme. Il la pénétra sans ménagement, leur soutirant à tous deux un gémissement d'intense ivresse. Leurs souffles se mêlèrent à mesure que le rythme s'accélérait, plus brutal et plus profond à chaque coup de rein, jusqu'au jaillissement inéluctable de leur plaisir, leur volupté s'évanouissant dans la sérénité silencieuse de la forêt.
Ce fut à la tombée de la nuit que les deux agents de l'Inquisition revinrent des bois avec la chèvre à leurs côtés.
- Vous en avez mis du temps ! s'écria Lorène en les apercevant enfin, nous commencions à nous inquiéter. Mais qu'est-ce que…
Lorène s'était approchée des deux compagnons et vit quelques feuilles et brindilles dans la longue chevelure de la jeune femme. Elle en retira une, intriguée.
- C'est votre chèvre, lança alors Lédara en riant, la coquine s'était faufilée dans des buissons pour manger des fleurs !
- Ah ! bien, venez à l'intérieur, le repas est prêt.
Lorène récupéra la longe de la petite chèvre pour la ramener auprès de ses consœurs pendant que Cullen et Lédara se débarbouillaient au puits afin de se présenter au repas.
Tout le monde était là, et les deux fermières avaient préparé un magnifique gigot ce soir-là. Les discussions allèrent bon train, tout comme les coups de fourchette l'ambiance était presque festive et Gréta en profita pour sortir une bouteille de vin de son cagibi. Lédara avait rarement goûté à un si bon vin.
- Ce sont les Traversier qui le font, sur les coteaux du lac Calenhad, lui expliqua la paysanne. Ils ont le plus beau vignoble de Férelden !
- Vous n'en savez rien, mère, se mit à rire Georges.
- Tais-toi mon garçon ! Je sais ce que je dis.
Les joues de Gréta avaient rosi, fière d'avoir pu présenter un si bon produit à ses hôtes. Le gigot avait fait son office et avait rempli les estomacs, et tous finissaient de siroter leur verre de vin pour entreprendre leur digestion. Lédara allait reprendre son verre sur la table afin de le finir, quand un soubresaut saisit sa main gauche, lui faisant renverser la liqueur.
- Veuillez m'excuser, bredouilla-t-elle confuse.
- Ne vous inquiétez pas, ça peut arriver à tout le monde, répondit Gréta avec une douceur maternelle.
Cependant, les tremblements envahirent la main de la jeune femme. Lédara jeta un regard entendu à Cullen, mais avant que celui-ci ait eu le temps d'annihiler discrètement la magie de la marque qui s'emballait, de petits éclairs lumineux se manifestèrent. Lédara se leva brusquement de la table, reconnaissant parfaitement cette sensation : une faille s'ouvrait à proximité. Elle sortit précipitamment de la ferme et observa les alentours plongés dans l'obscurité de la nuit, et aperçut des jets de lumière grandissants près de l'enclos des chevaux.
Cullen l'avait suivie, emportant ses dagues et sa propre épée. La famille de fermiers était sortie aussi, ne comprenant pas ce qu'il se passait. Lédara récupéra ses dagues qu'elle attacha à sa ceinture et fit un signe approbatif au Commandant qui la regardait. Il alla se poster en avant alors que l'Inquisitrice retirait son gant, dévoilant l'Ancre nichée au creux de sa main.
- Retournez à l'intérieur et barricadez-vous, lança-t-elle à Gréta qui s'exécuta immédiatement.
Lédara s'approcha à son tour de la faille naissante avec la volonté de la refermer avant qu'elle ne s'ouvre complètement, mais alors qu'elle levait sa main face aux crépitements fébriles de magie, l'espace se déchira en deux, créant une large ouverture sur l'Immatériel. La jeune femme saisit l'une de ses dagues tandis que des démons sortaient de la faille avant de s'enfoncer dans le sol.
- Des Terreurs, lança Lédara à l'adresse du Commandant qui se tenait prêt.
- J'en ai compté deux, ajouta-t-il en serrant son poing sur le manche de son épée.
L'Inquisitrice et le Commandant regardaient autour d'eux avec prudence, s'attendant à une attaque imminente des deux démons qui venaient de franchir la faille. Soudain, ils sursautèrent tous les deux quand ils entendirent la porte de la ferme s'ouvrir et qu'ils virent Brénan courir vers eux, une épée à la main, et Gréta hurlant de terreur derrière lui.
- Brénan ! s'écria alors Lédara à la suite de la paysanne, rentre imm…
A cet instant, la jeune femme vit le sol bouger étrangement sous les pieds du jeune homme. A peine avait-elle eu le temps de finir sa phrase que l'une des Terreurs surgissait de terre et saisissait le garçon entre ses griffes acérées. Cullen fut le plus rapide pour agir et chargea le monstre pour le bousculer de son épaule valide, surprenant la bête qui lâcha momentanément sa proie. Lédara se précipita auprès de Brénan et le tira violemment par le bras pour le rejeter derrière elle, loin du démon qui se mit à s'acharner sur l'ancien templier. D'un coup de poignard, l'Inquisitrice sectionna l'un des membres du monstre qui s'affala au sol, suivi de Cullen qui lui transperça le crâne de sa lame.
La deuxième Terreur en profita pour sortir à ce moment du sol à son tour, sautant sur l'Inquisitrice alors immobilisée. La jeune femme en perdit sa dague et ne put saisir son autre lame. Brénan, apeuré, ne put faire un geste pour la dégager alors que le Commandant faisait son possible pour faire lâcher prise au monstre.
- Cullen, écartez-vous ! lui cria alors Lédara.
Ce dernier cessa ses coups répétés et obéit sans hésitation, rejoignant le garçon tétanisé sur place, qu'il tira le plus loin possible du champ de bataille. Au même moment, l'Inquisitrice brandit la marque contre le démon qui poussa un hurlement strident avant de s'évanouir dans les airs, se libérant ainsi de l'étreinte funeste de la bête. Elle se releva ensuite d'un bond et se dirigea fermement vers la faille crépitante qui s'ouvrait de plus en plus, et instaura le lien magique entre elle et l'Ancre salvatrice. Des éclats de lumières vertes et blanches illuminèrent la petite vallée où se trouvait la ferme, puis Lédara brisa le lien d'un coup sec, refermant ainsi la déchirure du Voile. L'obscurité revint brusquement près de l'enclos, seule la main gauche de la jeune femme brillant d'une lueur pâle dans la nuit.
Lédara baissa la tête dans un soupir et regarda le creux de sa main gauche illuminé. Elle n'osait se retourner, sachant que Gréta et ses enfants étaient sortis de la ferme et l'observaient de manière totalement différente maintenant. Cullen s'approcha lentement de la jeune femme et posa sa main sur son épaule.
- Nous partirons à l'aube, murmura l'Inquisitrice en refermant le poing.
