Chapitre 31 Les Terres sauvages d'Arbor
Dès la sortie des quatre dirigeants de la salle de Commandement, la machine était lancée : Joséphine se mit directement à son bureau pour écrire les missives urgentes à l'Empereur Gaspard d'Orlaïs, mais aussi au roi Alistair Theirin de Férelden et aux Lames d'Hessarian sur les rives de la Mer d'écume toute aide était bonne à prendre. Léliana était remontée dans ses volières et contactait ses meilleurs agents pour qu'ils se rendent directement dans les Terres sauvages d'Arbor, suivis d'autres groupes d'éclaireurs qui seraient chargés d'attaques surprises pour ralentir l'ennemi. Cullen, lui, se rendit sur les terrains d'entraînement afin de donner l'ordre à Blackwall de rassembler toute leur armée et de l'équiper pour le combat.
Trois jours suffirent pour recevoir les réponses des dirigeants d'Orlaïs et de Férelden, seulement deux pour les Lames d'Hessarian qui s'étaient tout de suite mis en route dès réception de leur conscription. Il fallut deux jours de plus pour que tous les soldats de l'Inquisition soient prêts à partir au combat. Tout Fort Céleste était à présent en ébullition.
Lédara avait réuni tous ses compagnons en salle de commandement pour certains, c'était la première fois qu'ils y entraient, mais tous avaient saisi l'importance de l'enjeu qui se profilait.
- Léliana est partie pour les Terres d'Arbor il y a deux jours, décrivit la jeune Marchéenne à ses compagnons rassemblés autour d'elle. Cullen part ce soir avec toutes nos troupes. Blackwall, vous l'accompagnerez.
- Bien, répondit celui-ci avec un hochement de tête assuré.
- Vivienne, vous irez aussi avec eux pour superviser les mages qui partent au combat.
- Bien sûr, Trésor, répondit la mage avec sa voix mielleuse.
- Tous les autres, vous partirez avec moi dès que Harritt aura terminé certains travaux, continua Lédara. Pour vous Bull, il confectionne une nouvelle hache, vous l'apprécierez je pense. Quelques améliorations à votre armure aussi, Cassandra. Bref, nous partirons dès que possible, soyez prêts.
- Ne vous inquiétez pas, Chef, fit Bull, nous le sommes déjà.
- Rompez, conclut Lédara, clôturant leur briefing.
Tous sortirent de la salle en bavardant, Bull et Séra, remise depuis peu de sa blessure, ravis de partir au combat, Varric plus inquiet même s'il ne le montrait pas et Dorian, éternel plaisantin, lançait déjà quelques défis à ses camarades.
- Cassandra, interpella l'Inquisitrice avant que celle-ci ne sorte. Puis-je vous parler en privé ?
- Bien sûr, répondit la Chercheuse.
Lédara prit une grande inspiration avant de se lancer :
- Je sais que ce que je vais vous demander est… très lourd à porter, mais… S'il devait m'arriver quelque chose là-bas, vous devrez reprendre le flambeau.
Cassandra la fixa avec un regard fermé et sérieux, puis posa sa main sur l'épaule de son amie.
- Soyez sans crainte, répondit-elle gravement, je le ferai, même si je sais qu'il ne vous arrivera rien.
- Nous pouvons jamais être sûrs de rien, soupira Lédara.
Les deux amies restèrent un instant ainsi, à se soutenir, avant de quitter elles aussi la salle de commandement pour rejoindre leurs quartiers.
Dila y attendait d'ailleurs l'Inquisitrice, accompagnée de Shanna.
- Votre Grâce, la salua la petite elfe ainsi que la jeune fille. Maître Harritt a fait récupérer votre manteau de voyage pour y faire quelques modifications. Il vous fait dire également qu'il a un nouvel arc pour vous qui devrait vous plaire.
- Très bien, je vous remercie, répondit Lédara qui s'était assise à son bureau et rédigeait quelques dernières notes.
L'Inquisitrice en tendit quelques-unes à Dila avec quelques recommandations :
- Veillez à ce que l'intendant fasse parvenir vivres et matériel à notre armée, il est un peu tête en l'air.
- Bien sûr, dame Inquisitrice.
- Pour le reste, comme d'habitude, poursuivit Lédara en continuant de rédiger plusieurs mémos à l'attention des différents pôles de gestion de Fort Céleste.
Dila attendait fébrilement à ses côtés, rappelant certains points à ne pas oublier, pendant que Shanna débarrassait le déjeuner du midi que l'Inquisitrice avait à peine touché. La jeune fille écoutait d'une oreille les instructions, mais toute son attention était cependant tournée vers une seule pensée qui la tracassait fortement.
- Dame Inquisitrice, l'interrompit Dila, allez-vous le rencontrer ? Je veux dire… l'Ancien ?
- Je ne sais pas, Dila, répondit calmement Lédara en s'arrêtant et levant les yeux vers sa fidèle maîtresse de maison. C'est possible, oui.
A ces mots, la jeune Shanna éclata en sanglots.
- Shanna, que vous arrive-t-il, voyons ! s'écria Dila en se précipitant vers sa suivante.
- Votre Grâce, s'il vous plaît, sanglota-t-elle, pouvez-vous veillez sur l'un de vos soldat ? Il s'appelle… Anton.
Lédara se leva lentement et s'approcha de la jeune fille qui s'était assise sur le divan. L'Inquisitrice posa une main sur son épaule, se voulant réconfortante, mais elle se refusa de lui mentir :
- Shanna, je ne peux malheureusement rien te promettre. Cet Anton, c'est ton fiancé ?
- Non, non… balbutia Shanna, un ami, proche…
Lédara sourit tristement.
- Je te donne ton après-midi, dit doucement l'Inquisitrice, et va passer du temps avec lui avant qu'il ne parte ce soir.
Shanna leva les yeux vers l'Inquisitrice, pleine de reconnaissance et de larmes, puis d'un bond quitta le divan et sortit de la chambre en dévalant les escaliers. La jeune fille courut à travers le hall, sortit au grand air dans la cour supérieure, puis la cour inférieure, se mit à traverser le grand pont qui menait aux terrains d'entraînement et soudain s'arrêta au milieu, essoufflée. Elle s'appuya contre la balustrade de pierre, regarda autour d'elle, les montagnes, le ciel si bleu. Elle se surprenait de ressentir un si gros serrement dans la poitrine à l'idée qu'Anton parte au front. Elle avait déjà eu ce sentiment quand il était parti aux Portes du Ponant, mais à cette époque, elle ne l'avait senti que comme un léger pincement, une anxiété qu'elle ne comprenait pas vraiment. Aujourd'hui, elle craignait de ne plus le revoir. Elle réalisa soudain ce qu'elle éprouvait pour lui, elle qui ne pensait le considérer que comme un simple ami, elle se rendit compte qu'il comptait bien plus que cela. Et l'Inquisitrice l'avait immédiatement compris, elle. Mais jamais la jeune fille n'oserait dévoiler ses sentiments… et s'ils n'étaient pas réciproques ? De plus, Anton devait être à la grande réunion des officiers en ce moment, elle ne pouvait pas lui parler. Pas tout de suite. Mais quand ? Elle attendrait ce soir, avant qu'il ne parte…
Shanna fit demi-tour, le vent séchant ses larmes sur ses joues.
En fin d'après-midi, Lédara descendit à la forge où Harritt l'attendait pour essayer son nouvel arc et son manteau. Elle traversa rapidement le grand hall et prit les escaliers en colimaçon qui menaient à la crypte si particulière à Fort Céleste. A l'entrée, elle croisa Iron Bull qui en sortait muni de sa nouvelle hache fraîchement forgée. Son manche était légèrement plus épais que l'ancienne, renforcée à sa base. Les lames étaient brillantes et affûtée, plus amples et donc plus lourdes.
- Elle est belle, hein ? dit le Qunari en brandissant sa hache.
- A tuer du dragon ! plaisanta Lédara.
- Ouais, c'est bon ça, fit Bull en montant les escaliers.
Lédara secoua la tête en souriant, amusée par la bonhommie du Qunari. Elle avança dans la large grotte où certaines machines et outils s'étaient amoncelés, l'arcaniste ayant apparemment pris ses aises.
- Inquisitrice ! Vous êtes là ! Parfait !
Dagna, qui discutait avec le Commandant, s'était retournée avec vivacité quand elle entendit l'Inquisitrice arriver. La petite naine se précipita à sa rencontre, brandissant de sa main droite un petit objet luisant.
- J'ai terminé ! Tenez, fit Dagna en remettant l'étrange objet dans les mains de Lédara.
C'était une pierre plate pas plus grande qu'une pièce de monnaie couverte de runes naines qui luisaient d'une faible lueur pourpre.
- C'est une rune, remarqua tout haut l'Inquisitrice en examinant l'objet.
- Ce n'est pas n'importe quelle rune, la railla Dagna, je l'ai faite à partir de lyrium rouge et de ce qu'il restait des outils de ce pauvre Maddox. La rune agit sur les fissures médianes du lyrium pour… Disons que ça va détruire l'armure de Samson. Il sera désarmé !
- Nous devrions désarmer nos ennemis comme cela plus souvent, fit remarquer Lédara en plaisantant.
Cullen, qui avait suivi la naine, ne put réprimer un petit rire.
- Maddox a bien brouillé les pistes, dit-il en reprenant son sérieux. Mais nous retrouverons Samson, où qu'il se cache.
- Vous pensez que nous le verrons dans les Terres d'Arbor ? demanda Lédara.
- Je ne sais pas, lui répondit-il, mais votre armée se tient prête. Pour Samson, pour Corypheus… pour n'importe lequel de vos ordres.
Lédara lui sourit tristement.
- Quand partez-vous ? demanda-t-elle en redonnant la rune à Dagna.
- Dans une heure tout au plus, le temps de régler encore quelques affaires ici.
- Bien, répondit Lédara, nous nous reverrons donc sur place. Faites bon voyage.
- Merci, Inquisitrice.
Cullen récupéra son épée que Harritt avait affûtée et sortit de la crypte à grands pas.
Ce fut alors au tour de l'Inquisitrice de récupérer son équipement. Harritt lui présenta tout d'abord son arc fraîchement encordé. La jeune femme l'examina, tendit la corde plusieurs fois, de plus en plus fort. Il était d'excellente facture : les bras étaient renforcés tout en gardant une grande souplesse, la poignée était surmontée d'une anse de protection pour ses doigts et la corde était finement tressée.
- Du coup, intervint Dagna toute joyeuse, je peux insérer la rune à votre arc pour que vous puissiez l'utiliser contre Samson. Là, juste au-dessus de vos doigts…
Dagna indiqua un petit espace à l'intérieur de la poignée.
- Je vais faire en sorte qu'en passant votre pouce dessus, expliqua l'arcaniste, vous activiez la rune qui enchantera votre flèche. Ainsi, tous vos tirs ne seront pas constitués de lyrium parce que sinon, contre les templiers rouges, ce ne sera pas forcément efficace.
- Vous pouvez le faire pour demain ? lui demanda l'Inquisitrice en déposant l'arc dans ses mains.
- Ce sera fait ! s'exclama énergiquement Dagna. Votre arc sera prêt demain sans faute !
L'arcaniste se précipita à son coin d'atelier, déposa le nouvel arc sur l'une de ses innombrables machines, revêtit une paire de lunette étrange et se mit à l'ouvrage. Harritt s'approcha de l'Inquisitrice à son tour, lui tendant tout un équipement refait à neuf. Il lui indiqua un coin à l'abri des regards pour que la jeune femme puisse essayer sa tenue, où cette dernière se changea rapidement. Elle ressortit, vêtue à son habitude de son pantalon de cuir de bélier et d'une chemise de lin sous son corset intérieur, sur lequel elle avait mis le nouveau manteau de voyage à manches longues, chaque épaule renforcée d'une plaque de véridium, un alliage particulièrement résistant aux chocs et à la chaleur. Ses avant-bras étaient également protégés de brassard du même métal, ainsi que le dessus de ses mains. Une plaque en losange incurvé protégeait également sa poitrine, la taille enserrée dans la large écharpe qui maintenait habituellement son manteau. Sa ceinture avait aussi été revue avec davantage de petites sacoches et une meilleure armature pour retenir les fourreaux de ses deux dagues. Ses bottes avaient également été doublées d'une fine plaque de véridium sur l'avant assez courte pour ne pas gêner les mouvements du pied.
- C'est plus lourd qu'avant, fit remarquer l'Inquisitrice en ajustant les plaques de métal.
- Oui, mais plus sûr, répondit Harritt qui vint l'aider et ajusta quelques points pour que l'équipement tombe à la juste mesure sur la jeune femme.
Harritt passa un arc à la jeune femme pour qu'elle puisse faire quelques mouvements qui furent un peu plus raides qu'à son habitude, mais cela était dû au cuir récent selon l'expert. Après une bonne heure d'essayage et de rectifications, Lédara approuva son nouvel équipement et rejoignit rapidement ses quartiers. Les portes-fenêtres étaient grandes ouvertes, laissant entrer l'air frais dans la grande chambre, ainsi que le brouhaha qui envahissait les cours inférieure et supérieure. Lédara sortit sur le balcon donnant sur l'ensemble de Fort Céleste et put assister au grand départ de l'armée qui avait commencé sa marche. Sur le pont, elle aperçut le Commandant dirigeant ses troupes pour les Terres sauvages d'Arbor.
Dans la foule qui se pressait dans la cour inférieure, Shanna bousculait et se faisait bousculer elle cherchait du regard Anton qui devait être là, aux portes de la forteresse avec les autres officiers de son grade. La jeune fille sautillait pour tenter de l'apercevoir jusqu'à ce qu'elle reconnaisse une tête châtain clair, assez jeune par rapport aux autres sergents autour de lui. Elle allait se précipiter sur lui quand un homme de grande taille lui barra la route. Par désespoir de ne pouvoir le voir avant qu'il ne soit parti, elle l'appela, cria son nom, mais sa voix se perdait dans le chahut que faisait la foule autour d'elle. Cependant, le jeune homme tourna la tête dans sa direction et lui fit un signe de la main. Shanna se dégagea brutalement, bousculant plusieurs personnes sur son passage et arriva enfin face à Anton qui lui sourit avec bienveillance.
- J'ai bien cru que tu ne viendrais pas me dire au revoir ! s'exclama le jeune homme avec légèreté.
Shanna ne put répondre quoi que ce soit, les mots lui restant en travers de la gorge. D'un coup, elle s'accrocha au cou d'Anton et le serra de toutes ses forces dans ses bras. Anton, surpris, la serra aussi, tendrement.
- Anton, je…
- Je sais, la coupa-t-il en murmurant à son oreille, moi aussi.
Lorsque l'Inquisitrice arriva dans les Terres sauvages d'Arbor, un camp avait été installé et tous les soldats étaient déjà en ébullition. Les berruiers orlésiens étaient également sur place, on pouvait d'ailleurs apercevoir le pavillon impérial de Gaspard aux côtés du campement inquisitorial.
C'était une journée ensoleillée, les rayons transperçaient l'épais feuillage des hauts arbres centenaires ce qui créait des contrastes aveuglants entre ombre et lumière. Une légère brise soufflait, rafraîchissant l'air empli de parfums d'écorces et de pin. Malgré la densité de la végétation alentour, on pouvait entendre les échos de batailles qui faisaient déjà rage en contrebas.
Lédara descendit de cheval qu'un soldat prit de suite par la bride pour l'abreuver et se dirigea vers le pavillon de l'Inquisition où les hauts officiers devaient gérer les assauts, accompagnée de Cassandra. Des éclats de voix s'y faisaient entendre :
« On ne peut pas envoyer de troupes à l'est ! »
« On ne peut pas laisser les templiers rouges rompre les lignes de ravitaillement non plus ! »
« Ces bons à rien ne sont pas assez forts ! »
« c'est ce qu'on pensait il y a trois jours. Vous voulez risquer une autre percée ? »
« Bon, j'envoie les éclaireurs, mais n'envoyez personne avant que je n'en donne l'ordre ».
- Inquisitrice ! la salua un capitaine de l'armée inquisitoriale, un vétéran d'une cinquantaine d'année, qui avait conclu le débat.
- Quelles sont les nouvelles des combats, capitaine ? demanda Lédara en entrant dans le pavillon.
- Nous peinons à résister, les templiers rouges se battent mieux que jamais avec leur maître à proximité, Votre Grâce, répondit le capitaine. Nos éclaireurs ont vu Corypheus se diriger vers une ruine elfique au nord. On peut vous frayer un chemin à travers ses armées Sœur Rossignol et le Commandant Cullen sont déjà sur le front.
Le capitaine indiqua plusieurs sentiers sur une carte fraîchement établie, parsemée d'épingle pourpre pour symboliser les troupes de l'Ancien, et d'épingles noires pour l'avancée de l'armée de l'Inquisition. Il indiqua également l'emplacement des ruines auxquelles s'intéressait Corypheus et dont il s'approchait lestement.
- Ne faites rien de plus que nécessaire, répondit l'Inquisitrice après avoir examiné la situation. Nous avons besoin de gens pour faire la fête après notre retour à Fort Céleste.
- On ne vous décevra pas, noble dame, fit le capitaine avec vigueur, quoi qu'il advienne. Qu'Andrasté vous guide, Inquisitrice.
Le capitaine s'éloigna afin de donner ses nouveaux ordres aux sous-officiers dirigeant les nouvelles escouades et aux messagers. Lédara sortit du pavillon et se dirigea vers un monticule donnant une vue partielle sur les combats un peu plus bas. La forêt était dense et le chemin qui donnait accès aux ruines semblait descendre loin dans les terres. Une large rivière à petit fond coulait en travers, le clapotis de l'eau résonnant jusque dans le camp.
Morrigan s'approcha de l'Inquisitrice, l'air ravie :
- Je me demande si c'est bien Andrasté que vos soldats invoquent au combat, ou est-ce qu'un autre nom leur vient d'abord à l'esprit ?
- Ils me respectent, Morrigan, répondit Lédara, mais personne ne me prend pour le Créateur.
- Certes, répliqua la mage un rictus aux lèvres. Vous êtes bien plus encline à leur porter secours qu'une figure fantastique de la Chantrie. Mais, je digresse. Si je me fie aux rapports de vos éclaireurs, je crois que ces ruines ne sont autres que le temple de Mythal.
- C'est-à-dire ? demanda Lédara un peu sèchement.
- Un lieu de culte tout droit sorti des légendes elfiques ! s'exclama Morrigan presque sidérée que l'Inquisitrice ne comprenne pas le lien. Si Corypheus le cherche, c'est que l'éluvian qu'il convoite s'y trouve bel et bien et est en état de fonctionner.
A ce moment, des explosions se firent entendre en contrebas, à quelques kilomètres de là.
- Espérons que nous atteindrons ce temple avant que la forêt ne soit réduite en cendres, ajouta la mage avec grand sérieux.
Lédara fit signe à ses compagnons qu'ils partiraient tout soudain et donna ses dernières recommandations au capitaine qui était revenu sous le pavillon :
- Evacuez tout le monde si les combats se rapprochent trop du campement.
- Très bien, Votre Grâce.
On approcha son cheval restauré, mais Lédara refusa de prendre des chevaux, le terrain devenant difficile après le campement tout se ferait à pas de courses à présent. Elle ajusta ses gants de cuir tout en rassemblant ses compagnons, Cassandra la suivant à la trace et donnant ses ordres également pour la sécurité du camp et des escouades qui devaient partir à intervalles réguliers, jusqu'à ce qu'une voix trop familière l'arrête dans son élan de départ :
- Une belle journée pour faire un peu de sport, Inquisitrice ! s'exclama le Grand Duc Gaspard. Venez, montrons à ces templiers rouges que leur rage brutale ne peut rien contre un bel acier orlésien.
- L'Empereur va combattre aux côtés de ses soldats ? lança Lédara avec une pointe de surprise.
- Tout comme l'Empereur Drakan avant moi, je mène ma nation en première ligne. J'ai encore le temps de vieillir, d'acquérir la sagesse et de m'ennuyer sur mon trône. Mais aujourd'hui, je suis en vie et je profite de la gloire !
Lédara leva les yeux au ciel sur ses derniers mots.
- Nous n'aurons qu'à comparer le nombre d'ennemis abattus aujourd'hui, répondit-elle avec sarcasme.
- Je vais tenir un compte précis, acquiesça Gaspard en riant, et interdiction d'exagérer ! l'honneur de mener la charge vous revient, conclut-il en s'écartant du chemin de l'Inquisitrice. Allez, et nous suivrons.
Lédara reprit sa route au pas de course avec un large geste à ses compagnons, leur signifiant leur départ.
- Téméraire mais pas courageux, marmonna-t-elle pour que seule Cassandra l'entende.
- Assurément, répondit celle-ci avec un petit ricanement.
Le groupe descendit le long d'un premier sentier taillé par les pas des centaines de soldats l'ayant emprunté, s'enfonçant dans la végétation luxuriante de la région dalatienne. A mesure de leur descente, l'Inquisitrice se confronta à plusieurs barrières de soldats qui faisaient front contre des templiers rouges, mais aussi des mages tévintides ralliés à la cause de Corypheus, tout comme l'avait été le magister Alexius. Bien entraînés au combat, ils faisaient beaucoup de dégâts dans les rangs de l'Inquisition et de ses alliés. Lédara, avec toute la force de ses compagnons, aidait les soldats à repousser l'ennemi tout en continuant son avancée en direction des ruines du temple.
Alors qu'ils s'enfonçaient dans la forêt et se rapprochaient de la rivière, un nouvel obstacle s'ajouta sur la route de l'Inquisitrice de ses compagnons : de nombreuses failles ouvertes sur l'Immatériel s'étaient formées dans la région depuis l'explosion du Conclave, failles encore non recensées par l'Inquisition car ces terres étaient difficilement explorables dans les débuts de l'organisation, et encore maintenant. Les refermer demandait de l'énergie à la jeune femme, la fatiguant de plus en plus à mesure qu'ils en rencontraient, d'autant plus que des démons expulsés de l'Immatériel erraient et attaquaient tout ce qui bougeait : templiers rouges, soldats et berruiers. Morrigan expliqua le nombre important de failles par la finesse extrême du Voile dans cette région en particulier, justifiant sûrement la situation du temple de Mythal, ou l'inverse. Les phénomènes magiques y étaient amplifiés, compliquant leur avancée.
Cependant, à la vue de l'Inquisitrice combattant à leurs côtés, le moral des soldats et des alliés se gonflait et ils bataillaient avec plus de vigueur et de ténacité, parvenant à repousser lentement l'ennemi, ou du moins à l'empêcher d'aller plus avant.
- Léliana ! s'écria l'Inquisitrice quand elle aperçut celle-ci décocher ses flèches contre l'ennemi.
- Inquisitrice, continuez d'avancer, nous les retenons pour vous ! lança la Maître-espionne avec véhémence.
Lédara ordonna cependant à ses compagnons de tuer les ennemis aux prises avec la Maître-espionne et les soldats qui l'accompagnaient avant de reprendre leur route. Cela permit à l'Inquisitrice d'obtenir une courte accalmie où elle put se rendre aux nouvelles auprès de Léliana.
- Merci, Inquisitrice, mais vous ne devriez pas perdre de temps, Corypheus est quasiment aux portes du temple.
- J'y vais tout de suite, la rassura Lédara.
- Attendez ! Faites attention, des elfes d'une extrême agilité semblent défendre ce territoire. Ils attaquent à vue ennemis comme amis.
- Des elfes ? s'étonna Solas.
Léliana acquiesça d'un hochement de tête. Leur conversation fut soudain interrompue par une nouvelle vague de templiers rouges mêlés de Gardes des Ombres sous l'emprise de l'Ancien.
- Partez, maintenant ! cria la Maître-espionne.
Lédara ne se fit pas prier et s'élança à nouveau en direction du temple. Des ruines commençaient à apparaître ici et là, vestiges des elfes de jadis. Et en effet, le groupe de compagnons rencontrèrent très vite des elfes à l'allure étrange combattre des templiers, puis les viser à leur arrivée. Ils ne semblaient faire aucune distinction.
Cette affaire ralentissait autant l'ennemi que l'Inquisition, mais la jeune femme et ses compagnons arrivèrent enfin à vue de l'entrée du temple : une grande esplanade recouverte de végétation s'étendait devant eux avec une haute muraille aux allures élancées, effondrée ici et là par le temps, avec en son milieu une arche sans porte la traversant qui amenait directement au vestibule. L'esplanade était bondée : des templiers s'acharnaient contre les soldats de l'Inquisition qui retenaient tant bien que mal le flot d'ennemis qui surgissait de la forêt. Au centre, Lédara aperçut Cullen qui combattait rageusement, donnant des ordres quand il le pouvait et motivant les membres de son armée.
L'Inquisitrice se précipita de son côté, se rapprochant de ce fait de la haute arche de pierre. Iron Bull et Blackwall se placèrent devant elle pour lui frayer un chemin et les soldats, les voyant arriver, reprirent courage et se battirent avec plus de hargne.
- Cullen ! s'écria Lédara, où en est la situation ?
- Corypheus a réussi à passer, lui répondit-il un peu essoufflé, j'ai envoyé tout un régiment le ralentir avec des berruiers de Gaspard, mais ils sont trop nombreux. Sa garde a l'air d'être uniquement composée de Gardes des Ombres.
- Pas de templiers rouges ? demanda Lédara pour confirmation.
- Non, aucun. Mais Samson est arrivé avant nous, il doit avoir réussi à faire passer un bon nombre de ses soldats.
- D'accord, fit Lédara en réprimant une soudaine montée de haine, j'y vais.
- Je viens avec vous ! lança le Commandant en lui emboîtant le pas.
L'Inquisitrice se retourna vers lui :
- Non ! restez ici, retenez-les !
- Je…
- C'est un ordre, Commandant ! cria-t-elle en s'éloignant avec ses compagnons.
De rage, Cullen embrocha d'un coup de son épée un mage tévintide, avant de reprendre le combat.
Lédara se dirigea droit vers l'arche, Cassandra, Blackwall et Iron Bull défonçant tout templier ou tout mage sur leur chemin. Varric et Séra tiraient leurs flèches en arrière, gardant à distance ceux qui voudraient les poursuivre, Dorian lui posait ses pièges de feu pour aider l'armée de l'Inquisition avant de s'engouffrer dans le large passage qui traversait la muraille.
Celle-ci était plus profonde qu'on aurait pu le croire de l'extérieur, et le calme y régnait étrangement, les sons de l'extérieur étaient étouffés et s'éloignaient, alors que devant eux leur parvenaient de faibles bruits de combat également. Leurs pas seuls résonnaient et Lédara ordonna de ralentir une fois arrivés au bout du long couloir. Devant eux, une balustrade de pierre aux larges piliers donnait sur un large vestibule illuminé par les rayons du soleil transperçant la végétation au-dessus d'eux. Ils avaient pénétré l'enceinte du temple, mais les portes de celui-ci se trouvaient en face, après un étroit pont qui surplombait une large étendue d'eau, vestige d'un bassin de fontaine. A l'entrée du pont, deux hauts monolithes sculptés se dressaient, intact malgré le temps passé. On pouvait y ressentir une étrange atmosphère chargée de magie ancienne.
L'Inquisitrice fit signe à son équipe de rester discret et de se cacher derrière la balustrade pour observer l'entrée du pont en contrebas : des cadavres de templiers rouges gisaient çà et là, près de la balustrade, mais aussi au niveau du pont cependant, plusieurs Gardes des Ombres se tenaient face à ces étranges elfes déjà rencontré à l'extérieur. Ces derniers semblaient garder le temple au péril de leur vie. Parmi les Gardes, Lédara reconnut parfaitement Corypheus : l'engeance était toujours aussi monstrueuse que dans son souvenir, se dressant de toute sa hauteur face aux elfes et s'avançant lentement en conquérant. Personne n'avait remarqué la présence du groupe de l'Inquisitrice.
- Na melana sur, Banallen ! s'était écrié d'un air menaçant l'un des elfes.
- Vous n'êtes que des raclures, répondit Corypheus de sa voix lugubre, vous ne nous empêcherez pas d'atteindre la Source.
Lédara jeta un regard interrogateur à Morrigan qui se tenait à ses côtés, observant elle aussi en contrebas :
- C'est quoi, cette Source ? murmura l'Inquisitrice.
Morrigan haussa des épaules avec un air désemparé.
Alors que Corypheus marchait triomphalement en direction du pont, les elfes eux reculèrent de quelques pas, passant derrière les deux grands monolithes de pierre. L'Ancien arriva à leur hauteur et franchit les deux piliers.
- Soyez honorés ! leur lança l'engeance avec son air de majesté, le nouveau Dieu vous offre la mort !
Mais à ce moment, alors que Corypheus passait les deux monolithes, ceux-ci s'emplir soudain d'une magie puissante, révélant des rainures qui les entouraient, et deux faisceaux de lumière vinrent frapper de plein fouet l'engeance qui en fut paralysée. L'Ancien, soudain prit de colère, réussit à avancer encore de deux pas et attrapa l'elfe qui l'avait interpellé, le saisissant par la tête de toute l'ampleur de sa main décharnée et le souleva de terre. Les deux faisceaux de magie s'amplifièrent jusqu'à désintégrer totalement les deux corps qui s'étaient trouvé dans leur sillage. Un souffle balaya les templiers rouges comme les elfes à proximité, ressenti jusque vers l'équipe de l'Inquisitrice dont tous les membres se protégèrent le visage.
Lorsque Lédara rouvrit les yeux, tout avait été détruit, les monolithes compris, dans l'onde de choc. Les templiers et les Gardes des Ombres gisaient morts, ainsi que les elfes qui défendaient l'entrée du temple. La jeune femme se releva et descendit rejoindre le lieu du massacre. Elle enjamba les corps inertes, suivie de ses compagnons qui jubilaient déjà de la mort de Corypheus. L'Inquisitrice porta son regard de l'autre côté du pont et y distingua des silhouettes familières : des templiers rouges avaient dû réussir à passer avant l'arrivée de l'Ancien et ils avaient attendu leur maître, en vain. L'un d'entre eux avait une armure qui luisait plus que les autres, sans doute leur chef. Cependant, ils ne semblèrent point ébranlés et continuèrent leur route dans le temple de Mythal. La Marchéenne en fronça les sourcils, suspectant quelque chose. Mais alors qu'elle allait se lancer à leur poursuite, un bruit étrange la fit se retourner.
Parmi les cadavres des Gardes des Ombres, l'un d'entre eux s'était lentement redressé en position assise, la tête baissée. Il semblait pousser des gémissements de plus en plus graves et gutturaux, ses membres s'animant brusquement les uns après les autres, jusqu'à ce qu'un jet noir aussi poisseux que du sang corrompu se mette à jaillir de sa bouche, son nez et ses yeux. Tous reculèrent devant ce spectacle morbide, la terreur les prenant au creux de l'estomac. Le Garde s'affaissa au sol, puis tout son corps se mit à épaissir, à se décharner et à s'écorcher à vif.
- C'est impossible, murmura Morrigan, la peur au ventre.
- On traverse le pont, vite ! hurla Lédara à ses coéquipiers.
Tous se mirent à courir en direction des hautes portes du temple. Derrière eux, ils entendaient les craquements du corps mort se métamorphoser, puis un hurlement strident venu du ciel, suivi d'une ombre les recouvrit tout à fait l'espace d'un court instant : le dragon de Corypheus s'était déployé au-dessus de leur tête, plus menaçant que jamais. Lédara courut plus vite que jamais tous ses compagnons l'entouraient, eux aussi portés par un souffle de panique qui les faisaient avancer à une vitesse fulgurante, jusqu'à atteindre les hautes portes ouvertes. Une fois qu'ils furent tous à l'intérieur du temple, tous poussèrent les lourds battants faits de métal afin de fermer l'issue au plus vite. La porte presque refermée, Lédara put apercevoir au travers de la petite interstice Corypheus réincarné, puis son dragon foncer droit sur eux. La petite équipe referma définitivement les portes et un bruit sourd suivi d'un violent coup sur la porte qui ne fit que trembler légèrement. Les hauts battants s'illuminèrent révélant à nouveau des rainures sur l'ensemble de leur surface puis s'éteignirent soudain : la porte semblait s'être verrouillée.
Lédara, restée face à la porte, recula en titubant. Elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle venait de voir. Son monde s'effondrait, comme si tout espoir avait disparu derrière cette porte. Elle se retourna et se prit la tête dans ses mains son cœur se mit à battre la chamade, la marque au creux de sa main gauche se mit à crépiter, la panique l'envahissait :
- C'est impossible… murmurait-elle, dites-moi que c'est impossible…
- Lédara, reprenez-vous, courage, fit Cassandra sans grande conviction.
- Courage ? s'écria la Marchéenne, vous l'avez vu comme moi ! Il est… il est immortel ! Jamais je ne pourrais le vaincre… Comment pourrais-je vaincre un être de cette sorte… Il veut ma peau, il l'aura à force ! Et merde !
La jeune femme laissa la panique l'envahir et l'expulsa dans un cri de rage et de désespoir. Ses compagnons l'observèrent, impuissants, tout aussi désespérés qu'elle l'était. Après ces quelques instants incontrôlés, Lédara se reprit d'elle-même, réfléchissant à vive allure afin de trouver un moyen de se sortir d'un tel pétrin. Elle prit une profonde inspiration, puis expira lentement avant de se retourner auprès de Morrigan :
- Vous disiez que Corypheus voulait un éluvian, dit-elle la voix légèrement éraillée, mais il a parlé d'une « Source »…
- Je… je ne suis pas sûre de ce qu'il voulait dire, bredouilla la mage, confuse.
- Cela pourrait-il être la même chose ? demanda Cassandra, est-ce qu'un éluvian pourrait s'appeler « Source » ?
- Non, répondit Morrigan catégorique. Il semblerait que l'éluvian ne soit pas ce que recherche Corypheus.
Lédara poussa un long soupir.
- Oui, je me suis trompée ! s'exclama la mage avec agacement, satisfaite ? Quoi que puisse être cette « Source », Corypheus la cherche, et vous devez donc l'arrêter.
- Je dois l'arrêter, oui, grommela Lédara avec colère. Ça, je l'avais compris. Allons la trouver avant lui, alors.
L'Inquisitrice se mit en route d'un pas rapide et lourd le long du couloir dans lequel ils avaient atterri. Personne n'osait parler, encore ébranlés de ce qu'ils venaient de vivre. Cependant, une même question taraudait la plupart des compagnons de la jeune femme, et ce fut Varric qui la formula à voix haute, brisant un silence pesant :
- J'aimerais savoir comment Corypheus est revenu à la vie… on la vu mourir, et pour moi, c'est pas la première fois.
- Il semblerait que sa force vitale puisse passer entre n'importe quel Garde des Ombres, créature viciée ou engeance, réfléchit Solas. Il ne peut donc pas mourir. Détruisez son corps et il en trouvera un autre.
- C'est étrange, intervint Morrigan, les Archidémons possèdent la même capacité, mais les Gardes des Ombres peuvent les tuer, eux. Pourtant, ils ont enfermé Corypheus. Ils savaient qu'il pouvait faire cela, mais pas comment.
- Il utiliserait donc le pouvoir de l'Enclin pour se rendre immortel ? s'étonna Cassandra. Vous êtes sûre de cela, Morrigan ?
- Vous oubliez peut-être que j'étais à Férelden durant le cinquième Enclin, répondit la mage vexée, j'ai vu le courroux d'un Archidémon de mes yeux. La question est plutôt : comment Corypheus a-t-il obtenu ce pouvoir…
- Est-ce que répondre à cette question éliminera Corypheus pour de bon ? lança l'Inquisitrice encore rageuse.
- Peut-être, bredouilla Morrigan.
- J'aimerais qu'on arrête de parler de cette immortalité et qu'on se concentre tous sur ces ruines, ordonna l'Inquisitrice. J'ai aperçu des templiers qui continuaient leur chemin dans le temple, comme si la mort présumée de leur maître ne les avaient pas affectés. Il faut donc qu'on trouve avant eux cette soi-disant « Source ».
- Bien dit, Chef, grogna Iron Bull qui parlait pour la première fois depuis leur entrée dans le temple.
En avançant à grands pas, ils débarquèrent dans une vaste salle à ciel ouvert, le plafond s'étant effondré il y avait bien longtemps. Les murs de pierre étaient envahis par la végétation et les rayons descendants du soleil faisaient ressortir les couleurs chatoyantes des plantes et des fleurs alentours. Au centre de la vaste pièce se trouvait un immense pilier recouvert de glyphes elfiques très anciens. Solas et Morrigan s'en approchèrent pendant que les guerriers vérifiaient qu'il n'y avait pas de présence hostile dans les parages et remarquèrent qu'il y avait une grande porte fermée à clef, sauf qu'il n'y avait pas de serrure.
- Cette pièce est une anti-chambre, décrivit Morrigan après un regard autour d'elle. Pas le temple même. Pour qui le connaissaient, un rituel devait permettre d'entrer, comme si l'on frappait à la porte et qu'on nous ouvrait.
- Quelle sorte de rituel ? demanda la Chercheuse.
- Ces coutumes devaient être aussi communes pour les elfes de jadis qu'il l'est pour nous de s'incliner devant une reine, répondit Morrigan.
La mage déchiffra péniblement quelques inscriptions elfiques sur le monolithe de pierre.
- Cela parle de la demeure de Mythal… vénérée, blablabla…
- Une déesse, donc ? lança Séra avec dédain.
- C'est ce que l'on suppose, répondit sérieusement Morrigan. Qu'est-ce qu'un dieu si ce n'est un être au pouvoir immense ? Les anciens dieux implacables n'étaient rien de plus que des dragons, après tout. Ils s'élèvent en archidémons, puis meurent. Peut-être Mythal était-elle une elfe puissante, une sorte de guide parmi les siens. L'Histoire a tendance à enjoliver les faits.
- Pour quelqu'un qui admet manquer d'informations, intervint Solas, vous la dénigrez bien vite.
- Je ne la dénigre pas, s'offusqua Morrigan. Je mets en doute sa divinité supposée. Mais la valeur n'est pas l'apanage des dieux. A vrai dire, je ne suis pas sûre que Mythal fût une seule entité. Les récits varient.
- Parce que les récits varient maintenant, se moqua Séra.
- Oui, répondit Morrigan en prenant la petite elfe de haut. Dans la plupart des histoires, Mythal répare les injustices avec une bonté maternelle. « Elevez la voix jusqu'à Mythal, Gardienne de la justice, Protectrice du soleil et de la Terre. » cita-t-elle avant de reprendre. D'autres la disent plus sombre, plus rancunière. Priez Mythal et elle punira vos ennemis, les laissera à l'agonie.
- Cela fait longtemps que j'aurais dû la prier alors, maugréa Lédara.
- Encore une fable dalatienne, je présume ? railla Solas.
- Si vous en savez plus Solas, on vous écoute, lança la Chercheuse avec un intérêt suspect.
- Les récits les plus anciens disent qu'elle était tout cela sans l'être, raconta alors l'elfe. Elle était la Mère : féroce et protectrice. C'est tout ce que je dirai. Ce n'est pas l'endroit pour ressasser de vieilles histoires.
- Quoi qu'il en soit, conclut Morrigan, tous les récits de Mythal se terminent de la même façon : son exil dans l'Au-delà avec ses frères.
- Comment cela, « son exil » ? demanda Blackwall.
- Elle a été piégée par le loup implacable, comme l'auraient été tous les dieux elfiques, et enfermée dans l'Immatériel.
- Ça en fait du monde dans l'Immatériel, grogna Iron Bull.
- De nombreux Dalatiens croient que c'est pour cela que les elfes sont tombés en disgrâce et que leurs dieux ne les ont pas sauvés, reprit Morrigan comme si le Qunari ne l'avait pas interrompue. Où étaient-ce peut-être de simples dirigeants que Tévinter a éliminés. Qui peut le dire ?
- Ouvrons cette porte, voulez-vous ? les interrompit l'Inquisitrice dont l'humeur s'était quelque peu assagie.
Morrigan se remit au déchiffrage des glyphes elfiques, mais elle semblait y avoir beaucoup de peine. Solas en examina quelques-unes qu'il traduisit avec une facilité déconcertante :
- Atish'all Vir Abelasan, cela veut dire « suivez le chemin de la Source des lamentations ».
Cependant, l'elfe ne semblait pas très enclin à en traduire plus et s'éloigna pour examiner le reste de l'antichambre. La mage impériale, comme vexée de ne pouvoir briller par son savoir, tenta malgré tout une traduction :
- Cela parle du savoir. Respectueux, ou pur. Shiven, Shivennen… Cela parle de la Source, c'est bon signe.
- Nous ne sommes pas plus avancés, je vois, fit Cassandra avec cynisme.
Pendant ce temps, Solas marchait lentement autour du pilier gravé, semblant en pleine réflexion.
- Les fidèles de Mythal venaient prier ici, continua Morrigan dans son déchiffrage laborieux.
Soudain, tous se mirent en garde quand la porte du fond brilla d'une lueur bleutée et s'entrouvrit.
- Voilà, dit calmement Solas.
- Qu'avez-vous fait ? demanda Lédara stupéfaite.
- J'ai ouvert la porte, répondit-il le plus simplement du monde.
L'Inquisitrice haussa un sourcil mais n'en demanda pas plus. Elle se dirigea vers la haute porte et fit signe à tous ses compagnons de la suivre. L'issue donnait sur un petit couloir débouchant sur une nouvelle salle encore plus grande que la précédente, à nouveau éclairée par le soleil descendant dans l'horizon, les plafonds étant tous effondrés. Au sol gisaient deux cadavres de templiers rouges et trois d'elfes. Ces derniers arboraient une armure qui, de loin, semblaient de cuir, mais était d'un métal extrêmement fin, proche du corps et par-dessus une combinaison de lin finement tissée.
- Je vois que les templiers rouges ont croisé la route des gardiens du temple, fit remarquer la Chercheuse en vérifiant que les corps étaient bien inertes.
Tous avancèrent avec précaution dans la nouvelle salle. Sur les murs se trouvaient des mosaïques décoratives superbement conservées, mais aussi plusieurs statues de pierre en parfait état. Morrigan s'approcha de l'une d'elle qui représentait un loup majestueusement couché, la tête droite.
- Qu'est-ce que cela fait là ? dit-elle perplexe.
- Il y a un problème, Morrigan ? demanda Lédara en la rejoignant.
- C'est le loup implacable, Fen'Harel, répondit-elle. Dans les contes elfiques, il dupe les dieux et les pousse à s'enfermer dans l'Au-delà pour l'éternité.
- Oui oui, abrégea l'Inqusitrice, on connaît l'histoire maintenant. Et ?
- Et ériger une statue de Fen'Harel dans un sanctuaire de Mythal est aussi blasphématoire que de peindre Andrasté nue à la Chantrie.
- Les statues de Maférath, qui a trahi Andrasté, font partie du Cantique pour certaines Chantries, lui fit remarquer la Chercheuse. Celle-ci remplit peut-être un rôle similaire : un rappel à la vigilance pour les fidèles.
- Malgré tout votre « savoir », dame Morrigan, intervint Solas avec une pointe d'irritation dans la voix, vous ne pouvez pas vous empêcher de prendre les légendes pour des faits réels. Les sages sont capables de différencier les deux.
- Si je puis me permettre, lui rétorqua Morrigan, qu'est-ce que notre « autorité » déduit de tout cela ?
- Ce n'est pas en la fixant du regard que nous serons plus avancés, répondit Solas avec dureté.
- Arrêtez de vous disputer, les interrompit l'Inquisitrice, on dirait un vieux couple. Continuons plutôt à avancer.
Le groupe se remit en route et traversa l'immense salle et en bifurquant à gauche, un large couloir s'étendait alors devant eux. Ils le suivirent au pas de course jusqu'à débouler dans une nouvelle pièce tout aussi grande que la précédente. Lédara s'arrêta net : au centre de la pièce se trouvait tout une escouade de templiers rouges et parmi eux, Samson. Celui-ci sembla donner un ordre une dizaine de ses soldats se précipitèrent alors vers le groupe de l'Inquisition pour engager le combat.
L'Inquisitrice voulut partir à la poursuite du général de Corypheus, mais des archers rouges se dévoilèrent un peu partout, assaillant ses compagnons et elle-même. Elle vit Samson disparaître dans un trou au sol, sûrement un passage qu'il s'était frayé lui-même pour atteindre son objectif. La jeune femme dut rester avec le reste de son équipe et combattre avec acharnement jusqu'à ce qu'ils viennent à bout de tous les templiers rouges et de leurs archers. Cela parut interminablement long à la Marchéenne, mais ceci fait, elle se précipita vers l'issue creusée par Samson.
- Allez, on peut les rattraper ! lança-t-elle à ses compagnons.
- Non, attendez ! l'arrêta Morrigan en la retenant par le bras.
Lédara la fixa avec perplexité et agacement.
- Ils se précipitent, tenta de s'expliquer la mage, mais ce chemin-là mène à notre vraie destination. Nous devrions suivre la voie des fidèles, comme tout à l'heure.
Morrigan désigna une porte identique à celle que Solas avait déverrouillée.
- Nous n'avons pas le temps, s'impatienta l'Inquisitrice en dégageant son bras. Une armée est en train de se battre pour nous, au dehors. Plus on s'attarde, plus on perd de soldats.
- En effet, renchérit Cassandra, on ferait mieux de descendre et d'en finir.
- Pour une fois, intervint Solas, je suis d'accord avec la sorcière. Ce sont des terres sacrées, nous leur devons ce respect.
- Solas, lui répondit Lédara désolée, nous n'avons pas le temps…
- Nous ne pouvons pas trouver la Source des lamentations sans y être préparés, avoua Morrigan.
- Nous n'avons pas besoin d'atteindre la Source en premier si nous les arrêtons avant qu'ils ne la trouvent, s'agaça encore l'Inquisitrice.
- Au contraire, la persuada Morrigan, trouver la Source avant eux, c'est la meilleure façon de déjouer leurs plans !
- On dirait que vous en savez plus que vous voulez nous le faire croire, finit par dire Lédara.
- Il y a… un danger qui menace l'ordre naturel, avoua Morrigan. Il fut un temps où Thédas abritait des créatures merveilleuses et redoutables, dont le départ nous a laissés des plus vulnérables. Corypheus, s'il obtient le pouvoir de la Source, le souillera, alors que je pourrai le restaurer.
- C'est quoi cette Source, exactement, demanda Lédara avec autorité.
- Un pouvoir immense, laissé par les elfes de jadis… enfin je crois.
Lédara poussa un nouveau soupir. Elle était fatiguée, entre les combats successifs contre les templiers rouges et leurs alliés, la fermeture des failles et la résurrection de Corypheus, ses nerfs étaient à bout. Elle inspira profondément, tentant de rationaliser ses pensées. Si Solas était d'accord avec Morrigan, c'est que cela pouvait être important. Jusque-là, il ne leur avait jamais fait perdre de temps pour rien, pourquoi le ferait-il maintenant ? C'est à lui qu'elle ferait confiance, mais pas forcément à la mage impériale qu'elle connaissait à peine.
- Vous voulez me faire croire que cet altruisme ne cache pas une soif de pouvoir ? demanda-t-elle malgré tout avec cynisme.
- Ah, la sorcière des Terres sauvages de Korcari cache forcément un double jeu, soupira Morrigan. Les humains piétinent le monde, rasent ce qu'ils ne comprennent pas : elfes, dragons, magie… la liste est interminable. Nous devons y mettre un terme ou faire un trait sur tout ce qui nous est cher. Ça, c'est une certitude. Mais j'avoue, j'en ai compris plus que je ne l'ai dit sur l'autel de la première salle. Cela disait qu'une grande bénédiction serait attribuée à qui utiliserait la Source des lamentations… mais au prix d'un terrible sacrifice.
- Qu'est-ce qui est écrit sur cette pierre, exactement, demanda encore Lédara avec autorité.
- C'était affreusement vague, répondit Morrigan, comme la plupart des écrits elfiques. Le terme que j'ai déchiffré était Halam'shivanas : « le doux sacrifice du devoir ». La perte d'une chose personnelle en échange d'un devoir accompli. Une affaire toutefois intéressante pour les serviteurs de ce temple.
Lédara se retourna à nouveau vers le puits où avait sauté Samson et ses templiers. Ils avaient dû prendre une belle avance alors qu'eux-mêmes tergiversaient ainsi.
- Votre cause est ma priorité, se confia Morrigan, mais si l'occasion de sauver cette Source se présente, je suis prête à en payer le prix.
- Bien, ouvrons cette porte, soupira Lédara à contrecœur.
Solas et Morrigan se mirent au travail, examinant les fresques, les glyphes et les symboles qui ornaient les murs et les piliers. Morrigan restait à déchiffrer ce qu'elle pouvait, alors que Solas marchait lentement au travers de la salle, observant autour de lui, s'arrêtant quelques instants, puis reprenant son chemin, comme s'il méditait.
Lédara, elle, s'était assise sur un rocher éboulé dans un coin, tapant du pied par nervosité. Cassandra s'était installée près d'elle et se mit à soigner une blessure qu'elle avait au bras. Elles observèrent silencieusement leurs autres compagnons qui attendaient tous en passant le temps comme ils le pouvaient : Varric jouait avec une pièce de monnaie, Dorian admirait les fresques comme s'il se trouvait dans une galerie d'art, Iron Bull nettoyait sa hache, Séra s'était assise, encore fragilisée par sa blessure à la cuisse Blackwall avait rejoint Iron Bull et Cole restait près de Varric, assis en tailleur comme un enfant.
- Vous êtes sûre de vous ? demanda la Chercheuse à son amie en murmurant pour que personne d'autre ne les entende.
- Bien sûr que non, répondit Lédara, mais je me fie à Solas. S'il pense que c'est nécessaire, ce doit l'être.
- Il nous a beaucoup aidé, je l'admets, confia Cassandra, mais… quelque chose me gêne chez cet elfe. Depuis le début.
- Votre instinct ? demanda Lédara.
- Ou ma formation de Chercheuse, je ne sais pas. Il n'empêche que j'ai toujours eu l'impression qu'il nous cachait quelque chose.
- Vous avez souvent eu cette impression, Cassandra. Et pas seulement envers Solas.
- C'est vrai, admit la guerrière en repensant à son premier sentiment envers la jeune femme après l'explosion du Conclave. Je me fais peut-être des idées.
Solas continuait son parcours, effleurant parfois un mur, une pierre, une statue, puis reprenait sa route, marchait toujours aussi lentement, comme s'il empruntait un chemin bien précis. Puis il se retrouva en face de la porte et s'arrêta. Il regarda le sol devant lui, fit un dernier pas, et la porte s'illumina un instant avant de s'entrouvrir.
- C'est ouvert, Inquisitrice, dit-il calmement.
Tout le monde se leva et rejoignit l'elfe devant la porte. Lédara prit les devants et l'ouvrit en grand, les autres lui emboîtant le pas. Ils arrivèrent dans une nouvelle salle, couverte cette fois-ci, richement décorée et intacte. Peu de végétation y avait poussé, comme si cette partie du temple avait été préservée des avaries du temps. Au fond se trouvait un promontoire de pierre sur lequel était posté une vingtaine d'elfes armés pointant leurs flèches sur les membres de l'Inquisition. Sur les côtés, d'autres elfes se révélèrent, leurs arcs bandés, prêts à tirer au moindre mouvement. Lédara balaya la salle du regard, puis entendit un bruit sourd derrière eux : la porte s'était refermée, les prenant au piège. Elle jeta un coup d'œil à Solas mais ne perçut pas ses pensées. La jeune femme leva la tête vers les elfes en face d'eux, puis soupira encore, à la fois agacée et désespérée :
- Que fait-on maintenant, Solas ?
