Chapitre 34 … Et les ténèbres au monde
Tout Fort Céleste était en émoi. L'apparition de la Brèche avait été si soudaine qu'une vague de panique avait gagné les résidents de la forteresse : nobles, marchands, habitants, aucun ne savait quoi faire et ils regardaient tous le ciel s'ouvrir à nouveau, impuissants.
Lédara, parée pour son ultime combat, se rendit directement aux écuries :
- Maître Dennet, vos meilleurs chevaux pour moi et tous mes compagnons, ainsi que pour Léliana et Cullen.
- J'ai déjà commencé à les sceller, Inquisitrice, répondit Dennet sans même s'arrêter dans sa tâche.
Blackwall donnait un coup de main aux palefreniers et finissait de sceller un pur sang féreldien dont il confia la bride à l'Inquisitrice. Iron Bull menait déjà son cheval hors des écuries, un Asaarash de sa contrée, seul animal qui puisse soutenir le poids d'un Qunari.
Alors que Lédara ressortait de l'écurie avec sa monture, elle croisa la Chercheuse qui boitait rapidement dans sa direction, vêtue de son armure complète.
- Cassandra, l'interpella son amie, vous n'êtes pas en état de combattre.
- Vous croyez vraiment que je vais vous laisser le combattre seule ? répliqua la Chercheuse avec agressivité.
Lédara soupira. Elle savait qu'elle ne pourrait l'empêcher de l'accompagner. Elle hocha brièvement la tête en signe de consentement puis se dirigea vers la porte principale. En à peine un quart d'heure, tous les compagnons de l'Inquisitrice s'y étaient rassemblés, prêts au combat. La maître-espionne et le Commandant les rejoignirent quelques minutes plus tard, leurs ordres donnés et leurs officiers déployés pour la défense de la forteresse et la marche sur l'ancien village de Darse.
Ce fut une course effrénée au travers des montagnes et des forêts : pas une parole n'était prononcée, pas un regard ne se détournait de la route à suivre. La Brèche au-dessus d'eux s'agrandissait lentement, mais le faisceau lumineux qui l'avait ouverte s'était interrompu. Plus les membres de l'Inquisition s'approchaient de l'ancien village de Darse, plus ils ressentaient les effets de la Brèche : celle-ci semblait aspirer le monde de l'autre côté du Voile. L'atmosphère se faisait lourde et, au loin, on pouvait apercevoir des pierres et des arbres quitter le sol pour rejoindre le trou béant dans le ciel noir.
L'ancienne Darse étant inaccessible depuis les avalanches, l'équipée dut contourner le site afin de rejoindre la route du Saint-Temple cinéraire d'où avaient été aperçus les faisceaux de magie qui avaient rouvert la Brèche. Au pied de l'enceinte du temple, l'Inquisition abandonna les chevaux qui, éreintés et apeurés, restèrent cachés à l'orée du bois. Des soldats de l'Inquisition étaient déjà sur place, ainsi que des éclaireurs et officiers qui accoururent faire leur rapport auprès de Léliana et Cullen.
- Commandant, rapporta un officier supérieur, les troupes qui étaient en faction dans la région se sont toutes regroupées et nous avons encerclé le temple. Un contingent se bat déjà dans les ruines !
- Force adverse ? l'interrogea Cullen.
- Des templiers rouges, des mages venatoris et quelques mages Gardes des Ombres.
- Et Corypheus ? lui demanda Lédara qui avait rejoint ses deux conseillers.
- Il est là, dans les ruines… Il utilise le pouvoir d'un objet contre nous… Il est redoutable.
- Certainement l'orbe, grommela Morrigan qui s'immisça parmi les trois membres de l'Inquisition.
Le Commandant fit signe à l'officier de retourner à son poste. Les trois dirigeants se firent face : il fallait un plan. Tous les compagnons de la Messagère les rejoignirent.
- Morrigan, l'interpella l'Inquisitrice, êtes-vous prête à combattre le dragon de Corpyheus ?
- Je le suis, lui répondit la mage avec détermination.
- Bien, reprit l'Inquisitrice, il faut d'abord que nous éliminions ce dragon avant de pouvoir s'attaquer à Corypheus.
- Le problème est que l'Ancien est le plus dangereux face à nos troupes, intervint Léliana.
- Pas sûr qu'on fasse le poids face à lui et au dragon en même temps, grogna Iron Bull malgré toute sa combativité.
Pendant un court instant, personne ne parla. On entendit les combats qui faisaient rage dans les ruines, ainsi que des arbres qui se déracinaient lentement sous la puissance de la Brèche.
- Concentrez-vous sur le dragon, décida enfin Lédara. Que nos troupes s'occupent des templiers et des mages. Je m'occupe de Corypheus.
- C'est du suicide ! s'écria Cullen avec agressivité.
- C'est moi qu'il veut ! rétorqua Lédara, je suis la seule à pouvoir détourner son attention.
L'ancien templier prit la jeune femme par le bras et l'emmena à l'écart du groupe afin de pouvoir parler librement.
- Je refuse de vous laisser seule face à ce monstre ! siffla-t-il entre ses dents. Je me suis fait la promesse que ce qui était arrivé à Darse ne se reproduirait plus.
- On le savait que tôt ou tard, on arriverait à ce moment précis, lui répondit Lédara les yeux implorants. Laissez-moi faire ce pour quoi vous m'avez élue…
Cullen baissa la tête partagé entre l'agacement et la culpabilité.
- Dites-moi au moins que vous avez un plan, un moyen de le tuer, lui demanda-t-il enfin.
Lédara poussa un profond soupir. Elle n'en avait aucun. Seulement une ébauche d'idée dont elle n'était pas certaine de la réussite. Toutefois, le temps pressait. Il fallait prendre une décision.
- J'en ai un, dit-elle enfin en essayant d'être convaincante.
Cullen la regarda droit dans les yeux elle avait le même regard qu'à Darse lorsqu'elle était sortie de la Chantrie pour leur laisser le temps de fuir. Il n'avait pas besoin de lui demander son plan car il savait que le risque était immense, quel que soit la stratégie adoptée. Il n'avait certes pas le choix, mais quelque chose le poussait à lâcher prise et à lui faire confiance. Il hocha enfin de la tête en signe de résignation.
Les deux dirigeants rejoignirent à nouveau les autres membres de l'Inquisition.
- Je veux tous les combattants à l'épée avec moi, ordonna le Commandant, les mages et les archers dans les hauteurs. Dès que le dragon fera surface, nous devront l'abattre le plus rapidement possible.
- Et vous, Chef ? osa demander le Qunari.
- Je me charge de Corypheus, répondit sombrement Lédara. Quoi qu'il advienne quand nous seront dans les ruines, tenez-vous à ce plan. Est-ce clair ?
Tous ses compagnons hochèrent la tête. Lédara se mit alors en route pour les ruines du Saint Temple cinéraire.
Les combats contre les sbires de l'Ancien faisaient rage un peu partout au travers des ruines, ce jusqu'à l'ancien emplacement de la faille que la Messagère avait refermée il y avait de cela plusieurs mois maintenant. A coups de flèches, l'Inquisitrice avançait sans s'arrêter et dépassa le centre de l'explosion pour commencer à grimper dans les hauteurs des ruines, là où les éclaireurs lui avaient indiqué la position de Corypheus. Léliana et Cullen la suivaient de près, accompagnés de tous les compagnons de la jeune femme qui l'avaient suivie dans ses voyages et ses batailles afin d'arriver à ce moment précis. Toutefois, l'issue de ce combat-là s'annonçait plus qu'incertaine.
Enfin, Lédara atteignit une petite esplanade à moitié effondrée. Face à elle, une grande arche de pierre, vestige d'une tour en ruines. Dans son encadrement, l'Ancien se dressait, jouissant du chaos environnant et torturant des soldats de l'Inquisition avec l'orbe elfique qu'il tenait dans sa main droite. A ses côtés se tenaient des templiers rouges et quelques mages de la Garde des Ombre sous son emprise.
- Inclinez-vous devant votre nouveau dieu et je vous épargnerai, tonnait l'Ancien en brandissant l'orbe crépitante de magie devant des soldats de l'Inquisition grandement affaiblis.
- Jamais ! réussit à crier l'un d'eux avec véhémence.
- Comme vous voudrez, grogna Corypheus.
Une explosion de magie vint désarçonner les quelques soldats qui résistaient autour de lui, puis une multitude de démons apparut, s'attaquant à tout être vivant, les achevant les uns après les autres.
Cassandra fut la première à se lancer dans la bataille malgré sa blessure encore récente, suivie de près par Blackwall et Iron Bull, tandis que Lédara décochait ses flèches qui rejoignaient celles de Séra, Varric et Léliana. Des explosions de feu et de glace ponctuèrent le champ de bataille jusqu'à ce que tous les démons soient anéantis.
L'Inquisitrice passa son arc par-dessus son épaule et s'avança au-devant de l'Ancien avec une détermination sans faille.
- Je savais que vous viendriez, dit Corypheus, sa voix résonnant dans les ruines.
- C'est ce que vous vouliez, non ? lui lança Lédara.
La jeune femme s'approcha de l'engeance à pas lents, les bras légèrement relevés en signe de soumission.
- Laissez mes hommes partir et vous pourrez faire ce que vous voudrez de moi, continua-t-elle en s'éloignant de plus en plus de ses compagnons.
Corypheus se mit à rire :
- Vous reconnaissez enfin ma supériorité !
Lédara ne répondit rien. De son côté, Morrigan s'était mise en retrait et attendait le moment où le dragon de Corypheus ferait surface pour agir comme l'Inquisitrice l'avait ordonné. Les autres membres de l'Inquisition, eux, restaient difficilement de marbre devant le jeu de l'Inquisitrice, mais obéirent néanmoins à ses ordres.
L'Ancien fit un signe aux Gardes des Ombres qui encerclèrent la Marchéenne avant de l'emprisonner par des liens magiques qui la soulevèrent de terre. Lédara réprima un gémissement : une vive douleur cingla ses poignets, ses chevilles et son cou lorsque les Gardes l'immobilisèrent de leur magie. Les Gardes des Ombres emmenèrent ainsi la jeune femme auprès de l'engeance, la faisant passer de l'autre côté de l'arche. Corypheus donna un ordre au reste de ses troupes qui s'élancèrent contre l'Inquisition, arme au poing. Au même moment, le dragon de l'Ancien surgit du ciel noir en poussant un hurlement triomphant.
Tous les compagnons de Lédara avaient dégainé leurs armes et étaient prêts à faire face aux templiers rouges et aux mages, mais quand le dragon se dressa au-dessus d'eux, une courte hésitation les retint alors que ce dernier s'apprêtait à cracher ses flammes dévastatrices sur eux.
Tout à coup, alors que le dragon allait expulser son feu meurtrier, celui-ci se fit happer par une créature tout aussi gigantesque. C'était Morrigan qui s'était métamorphosée en un majestueux dragon vert tacheté, ses longues cornes dressées à l'arrière de son crâne à la manière de la coiffe de la mystérieuse Flémeth.
Cette apparition stupéfia l'Ancien ainsi que ses troupes qui se figèrent un instant, laissant l'avantage à l'Inquisition qui les chargea avec vigueur.
- Tu as osé ! s'exclama-t-il hors de lui.
- Tout se termine ici, Corypheus, lui lança Lédara avec assurance.
- Ainsi soit-il, répondit celui-ci dans un grognement de colère.
D'un large mouvement des bras, ce dernier activa l'orbe et souleva le pan de montagne sur lequel elle et lui se trouvaient, ainsi que les trois Gardes des Ombres qui la maintenaient captive. La terre se mit à trembler sous leurs pieds et tous vacillèrent, cherchant à maintenir leur équilibre jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que le sol sur lequel ils se trouvaient lévitait à une centaine de mètre dans les airs.
Ce retournement de situation déclencha un vent de panique parmi les membres de l'Inquisition qui perdirent aussitôt l'avantage qu'ils avaient pris quelques secondes plus tôt. Cullen regarda les ruines où se trouvait Lédara s'éloigner dans les airs : il n'avait plus aucun moyen de la rejoindre dorénavant. Il pria le Créateur pour qu'il n'ait pas fait la plus grande erreur de sa vie. Très vite, il retrouva ses esprits et prit la direction des combattants sur place afin d'aider au mieux Morrigan.
Au-dessus d'eux, les deux dragons se battaient avec acharnement à coups de griffes et de dents acérées. Le Commandant ordonna immédiatement aux mages et aux archers de se focaliser sur le dragon de Corypheus pendant que lui-même et tous les autres guerriers endigueraient les templiers rouges et les mages venatoris. Des démons apparaissaient également, venant compliquer la tâche des membres de l'Inquisition.
Lédara était prise au piège sans possibilité de s'échapper ou de recevoir de l'aide. Elle était livrée à elle-même et Corypheus jubilait à la voir aussi vulnérable.
- Un dragon, nota l'Ancien, comme c'est malin de ta part. Hélas, cela ne vous sauvera pas. Toi et tes disciples, vous servirez d'exemple à ceux qui s'opposent à ma volonté divine !
Corypheus s'était approché de la jeune femme et la narguait, titillant l'Ancre du pouvoir de l'orbe, la faisant crépiter d'étincelles vertes et blanches. Il aimait à la voir souffrir devant lui sans possibilité de riposter.
- Où se trouve ton Créateur ? Hein, dis-moi ? lui demanda l'Ancien avec délectation.
La jeune femme ne répondit rien, gardant un silence obstiné face à son ennemi. Il fallait gagner du temps et ce jusqu'à ce que les autres réussissent à tuer le dragon qui rugissait en contrebas.
Corypheus s'impatientait devant ce silence : une douleur aigüe traversa la main de Lédara qui ne put réprimer cette fois-ci un cri de douleur.
- Appelle-le, lui susurra l'Ancien, son visage à quelques centimètre du sien. Demande-lui d'abattre Sa colère sur moi.
Il intensifia encore la magie de l'orbe, arrachant un hurlement de douleur à sa victime. Corypheus se mit soudain à rire. Un rire frénétique et atroce.
- Tu ne le peux pas, continua-t-il en riant, car Il n'existe pas.
Un nouvel éclair de douleur traversa la main et tout le bras gauche de la jeune femme, des larmes de souffrance coulant lentement sur ses joues.
- Tu as réussi à déjouer mes plans, reprit Corypheus, mais n'oublions pas ce que tu es. Une voleuse… au mauvais endroit, au mauvais moment. Un intrus. Un moucheron.
A chacune de ses paroles, l'engeance amplifiait la magie de l'orbe, torturant la jeune femme jusqu'à voir du sang s'écouler de l'Ancre. Lédara détourna la tête. La douleur lui brouillait la vue, cependant elle put distinguer le combat qui faisait rage en contrebas : Morrigan avait réussi à mettre à terre le dragon et tous ses compagnons s'attaquaient à lui à coups de flèches, d'épées et de magie. Toutefois, le dragon vert avait disparu. Morrigan avait dû atteindre sa limite et avait certainement dû se replier, laissant les autres membres de l'Inquisition finir ce qu'elle avait commencé. Lédara pria pour que la mage, ainsi que tous ceux qui combattaient, soient encore en vie.
- Nous démontrerons ici, une bonne fois pour toutes, lequel de nous deux mérite d'accéder au statut divin.
- Ce ne sont pas tes beaux discours qui vont démontrer quoi que ce soit, réussit à articuler l'Inquisitrice.
- Je ne vais pas tolérer un tel outrage, grogna Corypheus.
Cette fois-ci, l'engeance libéra toute la puissance de l'orbe sur la marque. La douleur était telle que Lédara faillit perdre connaissance, mais elle tint bon. Néanmoins ses cris se répercutèrent en échos dans les ruines, envahissant le ciel et la vallée.
Cullen jeta un regard dans les cieux sur les monceaux de montagne qui continuaient de graviter au-dessus d'eux et qui s'approchaient de plus en plus dangereusement de la Brèche. Tout le monde avait entendu les hurlements déchirants de l'Inquisitrice et l'inquiétude mêlée à la fatigue se faisait ressentir.
- Concentrez vos efforts sur le dragon ! hurla le Commandant en chargeant l'énorme masse sombre qui se mouvait avec difficulté dans les ruines. Tuez-le !
Iron Bull prit de l'élan et chargea également le monstre, sa lourde hache ensanglantée fermement maintenue entre ses larges mains couvertes d'estafilades. Le Qunari bondit sur la gueule du dragon qui s'ouvrait grand, un jet de flammes jaillissant de sa gorge, et abattit sa hache sur la langue de la créature, lui transperçant l'organe jusqu'à ressortir la lame sous son menton. La bête mugit effroyablement, puis secoua la tête pour se débarrasser de l'intrus qui valdingua dans les airs. Varric, malgré une sérieuse blessure au pied gauche, réarma son arbalète et s'appliqua à viser les yeux du monstre. Un carreau, deux carreaux. Ce ne fut qu'au troisième tir qu'il atteignit sa cible. Le dragon hurla une nouvelle fois avant d'inonder l'esplanade de ses flammes. Toutefois, sa blessure l'interrompit dans son élan car il se brûlait littéralement la chair.
Le regard vague, Lédara aperçut le dragon de Corypheus qui était en mauvaise posture. Il était bientôt temps qu'elle mette en application son plan. Toutefois, les forces lui manquaient et elle pensa tout à coup qu'il était peut-être trop tard pour qu'elle puisse agir. Il fallait d'abord qu'elle se libère de ses chaînes magiques, puis qu'elle se débarrasse des trois Gardes des Ombres avant de pouvoir atteindre Corypheus comme elle l'entendait.
- Je planterai votre cœur sur une pique devant la Grande Cathédrale, continuait l'Ancien, décrivant les pire tourments qu'il lui ferait subir pour l'affront qu'elle lui avait fait.
La jeune femme garda le silence et ferma les yeux. Corypheus sourit, pensant enfin avoir eu le dessus sur l'Inquisitrice. Cependant, Lédara se concentrait intensément, oubliant la douleur, la fatigue et la peur. Elle devait réussir, elle n'avait pas le choix.
Tout à coup, une explosion de lumière retentit sur la plateforme volante les Gardes des Ombres furent plaqués au sol, brisant de ce fait leur sort d'emprisonnement. L'Inquisitrice, à genoux, reprenait son souffle. Ce répit fut de courte durée : les trois mages se relevaient déjà et se précipitaient sur elle. D'un geste vif, Lédara planta sa première dague dans la poitrine de l'un et trancha la gorge d'un autre. Un coup d'œil sur l'Ancien la fit se mettre à couvert : ce dernier, enragé, brandit une nouvelle fois l'orbe elfique. La jeune femme ne pouvait plus bouger, sa marque pulsant dans tout son bras gauche jusqu'à son épaule. Elle avait l'impression de ressentir sa magie dans tout son corps. Le troisième Garde la débusqua l'Inquisitrice, dans un effort surhumain, lança ses deux lames dans sa direction. L'une se perdit dans le ciel, l'autre atteignit sa cible dans l'œil. Le Garde s'effondra.
A ce moment, un long râle se fit entendre en contrebas. La bête expirait.
- Non, s'exclama Corypheus, vous avez osé… Que la fin arrive, que les cieux bouillonnent, que le monde se déchire !
Il tendit l'orbe en direction de la Brèche.
- Donnez-moi la force de terminer cet ultime rite ! s'écria-t-il comme s'il parlait aux dieux.
Lédara sortit de sa cachette et s'avança lentement en titubant vers l'Ancien qui ne la vit pas tout de suite. La Brèche s'agrandissait à vue d'œil, et des éclats en sortaient, parsemant la région de démons. Cependant, son ouverture semblait être connectée à la marque de l'Inquisitrice : celle-ci avait la douloureuse impression que l'Ancre s'étendait sur sa main. Le mal qu'elle ressentait était immense, insoutenable. Pourtant, il fallait qu'elle résiste, qu'elle arrête Corypheus pour de bon. Elle n'était plus qu'à quelques pas de lui et il ne semblait plus faire cas de sa présence, absorbé tout entier par son rituel magique.
- J'ai arpenté les couloirs de la Cité d'Or, se lamentait-il, j'ai traversé les âges…
La magie de l'orbe semblait lui échapper : l'engeance avait du mal à contenir l'artefact et paraissait maintenant se débattre pour le maintenir entre ses mains.
- Dumat ! supplia-t-il, Anciens ! Je vous implore ! Si vous existez… Si vous avez existé… Aidez-moi !
Lédara observa la marque dans sa main, crépitante et douloureuse, avant de la diriger vers Corypheus. Elle se concentra alors de toutes ses forces sur l'orbe.
D'un coup, l'orbe vint se loger dans la main de l'Inquisitrice, percutant de plein fouet le visage de l'Ancien. Celui-ci tomba à genoux, hébété par ce qu'il venait de se passer. Une fois l'orbe en contact avec l'Ancre, Lédara sentit toute la magie de ces deux éléments se joindre et s'harmoniser, au détriment de sa propre force. Elle aurait cru que l'artefact puisait sa puissance dans sa propre énergie vitale cette sensation, elle la connaissait car elle la vivait à chaque fois qu'elle refermait une faille. Toutefois, jamais elle n'avait été aussi intense.
Ne sachant pas combien de temps elle tiendrait ainsi, l'Inquisitrice brandit l'orbe elfique en direction de la Brèche avec une unique pensée : la refermer définitivement. Toute l'énergie qui s'accumulait dans sa main et l'artefact fut libérée d'un seul coup et vint se lier à l'immense faille de l'Immatériel. Au moment opportun, Lédara rompit le lien, fermant une bonne fois pour toutes la Brèche. A sa fermeture, l'orbe se brisa en mille morceaux qui s'éparpillèrent autour de la jeune femme. La magie qui permettait la lévitation des pans de montagne détruite, un flottement se fit sentir avant qu'ils n'amorcent une descente qui s'avérerait vertigineuse.
Mais Lédara n'en avait pas encore fini : elle s'approcha en titubant de l'engeance hagarde.
- Tu veux entrer dans l'Immatériel, c'est ça ? lui cracha-t-elle au visage. Je t'en prie, vas-y !
La jeune femme apposa sa main gauche sur le crâne décharné de l'Ancien et déchaîna toute la puissance qui lui restait pour ouvrir une faille au sein même du corps de l'engeance. Corypheus poussa un hurlement atroce : son sang se mit à bouillir et sa chair à cloquer, puis il se déchira en deux au niveau de la poitrine sous l'effet du déchirement du Voile. Puis, d'un battement de cil, son cadavre déchiqueté disparut à moitié dans l'Immatériel, la faille nouvellement créée s'étant instantanément refermée. Le reste de son corps s'affaissa lourdement à terre, irrévocablement inerte.
Lédara tomba à genoux sans plus aucune force pour se soutenir. Elle sentit que l'endroit où elle se trouvait faisait une chute vertigineuse, un haut-le-cœur la souleva et elle eut la présence d'esprit de se réfugier d'une glissade dans une cavité des ruines. Au moment de l'impact au sol, la terre se mit à trembler violemment sous elle et tout s'effondra la jeune femme eut juste le temps de se protéger la tête de ses bras.
Lorsque Lédara reprit connaissance, tout son corps n'était que douleur. Des fragments de pierres et de roches lui étaient tombés dessus et elle ne put s'en dégager seule. Le silence était lourd et pesant, comme si toute vie avait été éradiquée en ce lieu. La jeune femme tentait vainement de repousser un rocher qui coinçait sa jambe droite quand soudain elle entendit des pas feutrés s'approcher.
- Solas ? murmura-t-elle, sa voix éraillée et faible.
L'elfe ne répondit pas. Il semblait être indemne : aucune blessure ni même aucune éclaboussure de sang ou de terre sur ses habits. Il était pieds nus comme à son habitude et il s'agenouilla auprès de l'Inquisitrice. D'un geste sûr, il dégagea la jambe de la jeune femme qui put s'asseoir avec son aide. Une fois assuré qu'elle vivait, l'elfe se releva et s'approcha de l'endroit où elle avait vaincu Corypheus et refermé la Brèche. Il se pencha pour ramasser des petits morceaux de pierre noire.
- L'orbe, murmura-t-il avec une pointe de déception dans la voix.
- Corypheus est mort, articula Lédara. L'artefact s'est brisé après que j'ai refermé la Brèche…
- Et pourtant, nous avons tant perdu, entendit-elle l'elfe dire.
Lédara tenta de se relever mais le vertige la prit et elle s'effondra au sol, semi-consciente. Elle entendit les pas feutrés de l'elfe s'éloigner, puis des pas plus lourds approcher. Elle ne sut pas combien de temps séparait ces deux sons, si elle avait perdu connaissance ou si elle ne faisait que rêver.
- Commandant ! Elle est là ! entendit-elle hurler au loin.
Des pas précipités. On la soulève. Une chaleur diffuse, familière.
- Lédara ! Lédara, réveille-toi…
Elle ouvrit les yeux. Cullen était agenouillé et la serrait contre lui, une main chaleureuse sur son visage.
- Par le Créateur, tu es vivante… murmura-t-il en la serrant plus fort dans ses bras.
- Les autres… ? réussit-elle à articuler.
- Des blessés, mais tout le monde va bien, lui répondit-il avec un soulagement infini. Tu es en vie… Créateur, merci…
Lédara entendit des murmures autour d'elle. Ils étaient tous là.
- Aidez-moi à me relever, souffla-t-elle à Cullen.
Le Commandant passa son bras autour de la taille de la jeune femme et la souleva, la mettant sur ses pieds chancelants. Lédara put enfin apercevoir le paysage autour d'elle : ce qu'il restait des ruines était entièrement détruit, ce n'était plus qu'amas de roches et de pierres des arbres déracinés gisaient çà et là en contrebas et on pouvait apercevoir le bois d'où ils étaient arrivés quelques heures plus tôt, silencieux et sombres. Le ciel était encore couvert, la nuit était tombée et des rayons de lune perçaient en quelques endroits, illuminant des parcelles de forêt et les sommets de montagnes enneigées.
Ses compagnons étaient tous présents : Séra soutenait Varric qui avait le pied cassé, claudiquant comme il pouvait sur une jambe. Blackwall était appuyé sur son bouclier cabossé, alors qu'Iron Bull dont tout le bras gauche avait été sévèrement brûlé, bombait le torse, fier de son combat. Morrigan se tenait la tête, un filet de sang s'écoulant entre ses doigts. Dorian les rejoignait à peine, encore un peu essoufflé, tandis que Vivienne était restée en contrebas auprès de soldats blessés. Cole se tenait un peu à l'écart, son large chapeau cachant son visage, recroquevillé et observant le ciel de ses grands yeux globuleux. Cassandra, elle, s'était assise sur un rocher et se tenait la jambe droite toutefois, elle arborait un grand sourire quand son regard croisa celui de son amie. Seul Solas manquait à l'appel.
Lédara n'eut pas le temps de le faire remarquer, car ses jambes vacillèrent et Cullen la saisit à bras le corps pour qu'elle ne tombe à terre, inconsciente. Ce court instant lui avait permis de voir que rien de ce qu'il s'était passé n'était un rêve. Cela lui suffisait.
Ce fut dans une douce atmosphère de chaleur et de sérénité que Lédara se réveilla. Elle était uniquement vêtue d'une mince chemise de lin et recouverte de draps propres qui sentaient la lavande, ses cheveux dénoués et peignés reposant délicatement sur un confortable oreiller. A travers ses paupières perçait une lumière aveuglante.
Lédara ouvrit lentement les yeux, éblouie par le soleil couchant qui entrait en profusion dans sa grande chambre de Fort Céleste. Elle cligna des yeux et voulut s'abriter le visage de sa main quand elle la sentit alourdie par une tendre étreinte. Elle tourna la tête et vit Cullen assoupi à son chevet, sa tête reposant sur les draps et sa main posée sur la sienne. Il avait retiré son veston pourpre, sa chemise était froissée comme s'il la portait depuis plusieurs jours et ses cheveux en bataille démontraient qu'il avait dû souvent y passer ses doigts par nervosité. La jeune femme dégagea subrepticement sa main pour venir caresser du bout de ses doigts le visage endormi de son bien-aimé. Cullen fronça les sourcils, puis se redressa d'un coup.
- Tu es réveillée, enfin… marmonna-t-il encore bouffi de son sommeil, quelques mèches châtain retombant sur son front.
Il saisit la main de la jeune femme entre les siennes. Elle lui sourit.
- Voilà deux jours que tu restes inconsciente, l'informa-t-il dans un doux murmure. Nous étions tous inquiets…
- Deux jours ? s'étonna Lédara.
L'Inquisitrice posa alors son regard sur son autre main, celle qui portait la marque. L'Ancre était calme, mais toujours là. Elle avait été soigneusement bandée et le tiraillement habituel était plus fort qu'avant la fermeture de la Brèche. Cependant, elle sentait que ce qu'il s'était passé dans les ruines l'avait profondément changée. La douleur était différente, et la Marchéenne sentait que l'extension qu'elle avait subie ne s'arrêterait plus dorénavant. Une ombre passa sur le visage de la jeune femme.
- Qu'y a-t-il ? Tu te sens mal ? s'inquiéta Cullen en la voyant si sombre.
- Non, tout va bien, le rassura-t-elle en souriant, effaçant son souci de ses traits.
L'ancien templier caressa doucement son visage, soulagé de la voir éveillée. L'attente avait été si longue qu'il avait pensé un court instant qu'elle ne se réveillerait jamais. Cette simple idée l'aurait anéanti si cela s'était avéré. Maintenant qu'elle était là, devant lui, saine et sauve, plus rien d'autre n'avait d'importance.
Soudain, la porte de la chambre s'ouvrit, brisant le silence béat dans lequel était plongé les appartements de l'Inquisitrice et laissa entrer la jeune elfe Dila. Elle portait un plateau de victuailles dans une main, une cruche d'eau fraîche de l'autre et avait les traits tirés de fatigue malgré sa tonicité habituelle.
- Oh, Commandant, dit-elle avec exaspération, vous passez toutes vos journées ici et vous ne pensez même pas à ouvrir un seul instant les fenêtres ?
Dila se dirigea vers la table basse pour y déposer son plateau et la cruche.
- Et vous n'avez rien mangé non plus ! s'exclama-t-elle presque avec colère en remarquant que le plateau du midi était intact. Vous ne devriez pas vous laisser aller ainsi, que va-t-elle dire, Sa Grâce, à son réveil, en vous voyant affamé et tout guenillé ?
L'elfe ouvrit en grand les portes-fenêtres, laissant entrer l'air frais du soir. Le soleil s'était couché.
- Et vous n'avez même pas pensé à allumer les torches, continua Dila sans remarquer le réveil de la Messagère d'Andrasté. Il va faire nuit, vous ne l'avez pas vu ?
- Bonjour Dila, dit doucement Lédara en souriant.
- Vous devriez vraiment manger quelque…
L'elfe s'interrompit dans ses tâches, soudainement figée par ce qu'elle venait d'entendre. Elle se tourna vivement du côté du lit et vit l'Inquisitrice qui lui souriait gentiment. Dila tomba à genoux et se prosterna devant elle.
- Votre Grâce… balbutia-t-elle.
- Non, Dila… la supplia Lédara, relevez-vous, vous me rappelez notre rencontre à Darse.
- Vous vous en souvenez ? bredouilla Dila en se redressant sur ses genoux.
- Bien sûr, répondit la Marchéenne.
- Vous… Est-ce que je dois… Il faut avertir les autres ! s'écria tout à coup la jeune elfe qui débordait d'émotions.
- Attendez… commença Cullen alors qu'on entendait déjà Dila descendre en trombe les escaliers de la tour.
L'ancien templier poussa un profond soupir.
- Et moi qui souhaitait profiter de ce moment… rien que nous deux, déplora-t-il gentiment.
- Nous aurons tout le temps que nous souhaiterons, dorénavant, lui murmura Lédara.
Cullen lui rendit son sourire et l'embrassa tendrement.
- Aidez-moi à me lever, lui demanda-t-elle, tandis qu'elle ressentait le besoin de dégourdir ses membres.
Il se leva prestement et débarrassa les draps pour laisser la jeune femme se redresser et s'asseoir sur le rebord du lit. Ses pieds nus touchèrent mollement le sol, les sensations revenant lentement dans le corps de l'Inquisitrice que les deux jours de sommeil avaient endormis. Avec sa douceur et sa fermeté habituelles, Cullen saisit ses deux mains et l'aida à se lever, prêt à la rattraper si elle devait défaillir. Lédara était contente de pouvoir se mouvoir à nouveau et fit quelques pas dans la pièce, puis se dirigea vers le divan. Cullen s'assit à ses côtés et la vit prendre le repas qui était posé juste devant eux. Au-dehors, l'on percevait une clameur de plus en plus forte.
- Allez, mangez Commandant, lui dit-elle en riant.
Les deux amants prirent leur repas ensemble, interrompu par le retour de Dila, toute essoufflée :
- Commandant, je vous ai pris de quoi vous changer ! lança-t-elle d'un souffle en déposant des habits sur un fauteuil. Votre Grâce, la nouvelle de votre réveil a empli de joie toute la forteresse ! Tout le monde veut vous voir...
- J'imagine bien, soupira Lédara qui finissait d'avaler une bouchée de pain saucé.
- Vous mangez, c'est très bien ! frétilla Dila en apercevant le couple sur le divan.
La jeune elfe fila devant les grandes armoires de l'Inquisitrice pour en sortir une tenue plus adéquate que la fine chemise de lin qu'elle portait pour dormir.
Cullen se releva et se fit une rapide toilette avec l'eau fraîche de la cruche, changea de chemise et revêtit sa fourrure par-dessus son veston pourpre. Lédara enfila de son côté la tenue que lui choisit Dila, puis resta figée devant sa main portant l'Ancre. Elle défit les bandages : les cicatrices encore vives semblaient s'être étendues sur toute la paume et les lueurs magiques suivaient les entrelacs, palpitant au rythme de son sang. La jeune femme recouvrit sa main d'un fin bandage propre pour cacher la marque qu'elle ressentait vivement dans tout son avant-bras.
Après l'apprêt des deux dirigeants, Dila invita l'Inquisitrice à descendre dans le grand hall où tous l'attendaient. Cullen ouvrit la porte à Lédara qui le suivit avec appréhension.
Avant même de descendre les escaliers de la tour, la jeune femme s'arrêta net, bouche-bée : une myriade de cierges et de bougies avaient été déposés devant sa porte et tout le long des escaliers, brûlant de leurs petites lueurs vacillantes. L'Inquisitrice marcha lentement à travers ce chemin de lumière, silencieuse, le Commandant fermant la marche. Arrivée dans le grand hall, elle découvrit le même décor que dans les escaliers : un millier de petits cierges brûlaient autour de son trône et le long du couloir, illuminant toute la salle dont les allées avaient été apprêtées à la hâte de longues tables de banquet sur lesquels des domestiques et des marchands déposaient des victuailles provenant des quatre coins de Thédas.
En apercevant l'Inquisitrice sortir de sa tour, tous les gens présents s'arrêtèrent dans leurs tâches et la regardèrent avec dévotion certains baissèrent la tête, n'osant croiser son regard, d'autres s'agenouillaient les larmes aux yeux. Lédara avança lentement au centre du long couloir dans un silence religieux alors qu'on entendait encore un tumulte s'atténuer rapidement à l'extérieur. La rumeur de son arrivée avait couru si vite qu'on entendit plus que le crépitement des torches et le hennissement des chevaux au loin, dans les écuries.
Devant l'entrée principale, Lédara vit plusieurs silhouettes familières se réunir et qui l'attendaient dans la fraîcheur de la nuit. Elle les rejoignit : tous ses compagnons étaient présents. Varric, appuyé sur des béquilles, lui fit un grand sourire alors que Séra, pétillante, poussa un cri de joie et sauta au cou de Dorian qui la repoussait gentiment. Toute la foule au-dehors et à l'intérieur du grand hall se mit à crier de joie et à applaudir. Lédara s'approcha d'Iron Bull qui arborait un large pansement sur toute son épaule et son bras gauche. Elle le saisit dans ses bras, Séra vint donner une tape amicale sur l'épaule de la jeune femme, alors que Dorian s'approchait pour prendre son amie dans les bras, lui aussi. Même Vivienne, attachée au protocole, vint faire une accolade maniérée à l'Inquisitrice.
Lédara arriva enfin devant Cassandra les deux amies se regardèrent, puis tombèrent dans les bras l'une de l'autre, les yeux brillants d'émotion.
- Vous nous avez fait peur, lui murmura-t-elle à l'oreille.
- Je sais, je me suis fait peur également, lui répondit Lédara en pleurant de joie.
L'Inquisitrice vit Cullen descendre les marches et rejoindre Léliana et Joséphine sur le palier intermédiaire, là où elle avait été élue Inquisitrice. Il lui semblait que cet événement remontait déjà à plusieurs décennies alors que cela ne faisait que près d'un an seulement qu'elle était à la tête de l'Inquisition. Lédara alla à leur rencontre, la foule les acclamant tous les quatre. Des cierges continuaient de brûler le long des escaliers extérieurs et devant le bâtiment principal, résultat d'un pèlerinage et de prières venus de toute la région.
Les trois conseillers accueillirent l'Inquisitrice avec une profonde révérence en signe de respect. La foule se tut à ce moment-là et imita les trois dirigeants, s'agenouillant avec révérence et dévotion devant celle qui avait éradiqué le Mal en personne.
Lédara en fut à la fois émue et gênée. Elle balaya du regard toutes les personnes rassemblées autour d'eux, puis se tourna vers ses conseillers. Elle leur saisit une main, celle de Cullen, celle de Joséphine, puis celle de Léliana, les enjoignant à se relever. Elle fit enfin face à la foule :
- Je crois qu'il y a un buffet qui a été mis en place, dit-elle timidement, fêtons tous la réussite de l'Inquisition !
Les gens applaudirent et rirent à cette simplicité déconcertante de leur Messagère divine. Un mouvement de foule se dirigeant vers le grand hall se fit sentir, et Lédara, accompagnée de ses fidèles conseillers, rejoignirent les autres membres de l'Inquisition pour le festin.
- Inquisitrice, l'apostropha néanmoins la Maître-espionne, puis-je vous voir une minute ?
- Bien sûr, lui répondit Lédara.
Les deux femmes s'éloignèrent quelque peu de la foule afin de pouvoir se parler librement.
- Mes agents n'ont trouvé aucune trace de Solas, lui exposa Léliana d'un air concerné. Il s'est évanoui dans la nature. S'il ne veut pas qu'on le retrouve, on ne peut pas y faire grand-chose. Je vais tout de même poursuivre les recherches.
- Je l'ai vu, lui dévoila soudain l'Inquisitrice. Après la bataille, avant que vous ne me retrouviez dans les ruines. Il semblait… déçu de retrouver l'orbe en morceaux.
- L'orbe s'est brisée ? s'étonna Léliana.
- Oui… les fragments étaient sur place, près de moi… vous ne les avez pas retrouvés ?
- Nous n'avons rien trouvé de tel, répondit la Maître-espionne perplexe.
- C'est étrange, dit l'Inquisitrice d'un air tout aussi perplexe.
- Pourquoi Solas s'enfuirait-il avec les fragments de l'orbe ? L'elfe lui avait paru bien mystérieux quand elle l'avait aperçu dans les ruines. Toutefois, elle avait été trop faible à ce moment-là pour se poser des questions sur son attitude.
- Continuez les recherches, ordonna l'Inquisitrice.
Léliana hocha de la tête en signe d'approbation et invita la jeune Marchéenne à rejoindre la fête avec elle. Joséphine se précipita sur Lédara, apparemment surexcitée :
- Nous avons enfin le temps de fairrre la fête ! s'exclama-t-elle avec engouement. Et prrrofitez-en maintenant, car aprrrès, vous serez trrrop occupée !
- Comment cela ? l'interrogea Lédara en fronçant les sourcils.
- Tous les nobles du sud de Thédas demandent déjà à vous rrrencontrer ! s'écria Joséphine comme si c'était une évidence.
- Le combat est terminé, ma mission achevée, bredouilla l'Inquisitrice. Pourquoi veulent-ils me rencontrer maintenant ?
- Vous plaisantez, j'espèrrre ? répondit Joséphine l'air effaré. Ils veulent voir de plus prrrès la gloire de votrrre victoire, dans l'espoir qu'elle rrrejaillisse sur eux ! Tout le monde sait que l'Emperrreur Gaspard vous doit son trrrône, que les plus grrrands empires de Thédas sont prrrêts à vous obéir au doigt et à l'œil.
- Et n'oublions pas qu'il y a encore des milliers de problèmes à régler, l'informa Léliana, et ils voudront tous votre avis sur chacun d'entre eux, que vous vouliez le donner ou non. Nous pouvons également dire qu'ils y voient autre chose que la victoire. Avant, vous n'étiez qu'une parvenue, une noble des Marches Libres à la tête de rebelles et d'hérétiques. Avant que Corypheus ne se montre au grand jour, ils ne voyaient pas qui pouvait causer tout ce chaos. Puis, ils ont compris : un magister et une engeance combinés en une seule créature. Le mal ultime. A présent, vous êtes la seule puissance encore debout.
- Nom du Créateur, murmura Lédara la mine déconfite.
- Inquisitrrrice ! s'écria Joséphine, outrée.
Lédara la fixa du regard, perplexe, puis pouffa de rire devant la mine outrée de son Ambassadrice.
- Oh ça va ! s'exclama en riant Lédara, si je ne peux même plus jurer…
Léliana se retint de rire, mais sans succès et s'éloigna des deux femmes, hilare.
- Ah, je n'aurrrais jamais dû engager de nouveaux trrraiteurs à la dernièrrre minute, s'angoissa l'Ambassadrice.
- Détendez-vous, Joséphine, lui conseilla l'Inquisitrice. Tout est parfait, non ?
- Absolument pas ! s'écria cette dernière. Toutes mes excuses, rrrien ne se passe comme prrrévu. Que pensez-vous des boissons ? Je ne suis pas convaincue.
- Si je vous disais que le porto était un peu sec, plaisanta Lédara, vous vous enflammeriez sur place ?
- C'est une plaisanterrrie, n'est-ce pas ? se méfia Joséphine. Dites-moi que vous plaisantez. Un vrrrai désastre. Le sommelier était en rrretard, les plats ont failli ne jamais partir, et… et…
Lédara poussa un profond soupir.
- Je m'emporrrte ? demanda l'Ambassadrice en rougissant jusqu'aux oreilles.
- Respirez, tout va bien, lui dit l'Inquisitrice en souriant.
- Vous avez rrraison. Savez-vous ce dont tout le monde parrrle ce soir, rrrois comme rrroturiers ? De nous. Thédas ne parrrle que du succès de l'Inquisition.
- Je ne vous pensais pas aussi vantarde, plaisanta encore l'Inquisitrice.
- Le moment me parrraît apprrroprrrié, non ? s'enquit Joséphine.
Lédara posa une main amicale sur l'épaule de son Ambassadrice accompagné d'un sourire sincère avant de prendre congé pour se diriger vers la porte extérieur, histoire de prendre une bouffée d'air frais.
- Tout ce faste, dit soudain Blackwall qui se tenait dans l'embrasure de l'entrée en désignant le festin d'un mouvement de tête. Il n'y a pas meilleure récompense que d'avoir vu ce salaud de Corypheus brûler. Quoi qu'il arrive, je pourrai dire que j'y étais, que je vous ai aidé à le vaincre.
- Et que vous en êtes ressorti indemne ! renchérit Lédara en souriant. Je suis contente de vous voir ainsi.
- Merci Inquisitrice. Mais d'un autre côté, je vous plains : on vous ajoutera sûrement le fardeau de remettre le monde sur pied…
- Apparemment, il faut bien que quelqu'un s'en charge, marmonna Lédara.
- Si quelqu'un en est capable, c'est vous, lui répondit Blackwall avec sérieux.
Lédara baissa la tête, soudain gênée.
- Si jamais vous avez besoin de mon aide, ajouta le guerrier, vous savez où me trouver. Je serai prêt.
- A l'écurie ? plaisanta la jeune femme.
- Je vous adore, rit aux éclats Blackwall. Venez, je vous offre un verre.
Les deux compagnons pénétrèrent à nouveau dans le hall et se dirigèrent vers une table couverte de victuailles et de boissons. Assis à la table se trouvait Varric qui les invita à s'asseoir auprès de lui.
- Je me disais que cela vaudrait peut-être le coup de raconter tout cela dans un bouquin, fit remarquer Varric en sirotant une bière. Qu'est-ce que vous diriez de cela : Non mais c'est quoi ce bordel ? Les aventures de L'Inquisitrice Trevelyan.
- Ce serait le titre du livre ? demanda Lédara pas très convaincue.
- C'est un titre provisoire, ajouta le nain.
- A votre place, je le retravaillerais, lui lança Blackwall avec le plus grand sérieux.
- Je vais garder le titre pour la fin, réfléchit Varric. Donner un nom aux choses, c'est toujours ce qu'il y a de plus dur. Je n'ai pas encore décidé si j'allais écrire ce livre. Personne ne croira à cette histoire, de toute façon. Et puis, je serai bien assez occupé avec la reconstruction de Kirkwall et l'aide aux Marches Libres quand je rentrerai.
- Vous nous quitterez, alors ? devina Lédara, un peu déçue mais compréhensive.
- J'ai déjà trop repoussé mon retour à Kirkwall et les devoirs qui m'y attendent, s'excusa le nain. Mais avant que je parte, nous ferons une partie de Grâce Perfide. S'il y a bien une chose qui me manquera, c'est de jouer contre vous !
Lédara allait répondre avec enthousiasme quand elle sursauta à l'arrivée de Séra qui riait aux éclats une chope à la main :
- On a enfin le droit de faire la fête, hein ? Après avoir sauvé le monde, tout ça ! s'écria-t-elle déjà bien alcoolisée.
- Oui Séra, affirma Lédara en la laissant s'asseoir à sa place.
La Messagère d'Andrasté mérite bien ça pour avoir rétabli l'ordre, hoqueta l'elfe, renversant de la bière sur sa chemise déjà couverte de taches. Enfin, façon de parler. Parce que… tout ça, c'est pour nous, ou pour Elle ? ou « Lui », hein ?… J'y étais moi, et je sais toujours pas ce que je dois croire.
- Là, je ne peux pas vous répondre, Séra ! répliqua la Marchéenne en rigolant.
- Je crois… réfléchit l'elfe avec intensité, je crois que si le Créateur nous avait filé un coup de main, ça aurait pas été aussi dur ! Je crois qu'on peut vraiment compter que sur les gens qui nous entourent. Enfin, il reste encore des choses à faire, non ? Parce que je suis pas pressée de rentrer à… Val Royeaux, c'est là où j'étais…
- Restez autant que vous voudrez, lui répondit Lédara en faisant mine de s'éloigner.
- Assez parlé ! s'exclama tout à coup l'elfe en se levant sur le banc et brandissant sa chope à moitié vide. C'est une fête, ou bien ? A la victoire !
Lédara s'enfuit littéralement de l'elfe pour s'engouffrer dans la foule. Tous ceux qui croisaient son regard ou son chemin lui faisaient une révérence ou murmuraient avec leur voisin, les yeux pétillants. Elle rendit un énième salut et sans le vouloir, se cogna contre Dorian.
- Ma chère amie ! lança-t-il avec enthousiasme. Heureux de vous voir en vie. Vous profitez de la fête ?
- J'aimerais surtout m'y soustraire, à vrai dire, répondit sincèrement Lédara.
- Comme je vous comprends, répliqua Dorian avec exaspération. Je suis passé dans le hall ce matin, et une servante m'a vu et s'est mise à crier. Un cri perçant. Elle en a lâché son linge. Une belle pagaille. Elle arrivait à peine à respirer. « Vous avez combattu contre le Malin, n'est-ce pas ? » Je n'ai même pas eu le temps de répondre qu'elle m'a sauté dessus et m'a serré dans ses bras ! Cela, c'est grâce à votre influence.
- Avouez que cela ne vous déplaît pas, lui fit remarquer Lédara.
- Je me méfie de toute cette camaraderie, répondit Dorian avec sérieux. Ces gens qui me sourient, qui m'offrent à boire… cela sonne faux. Cela dit, j'avoue ne pas détester l'idée d'être « le gentil Tévintide ». Le forgeron m'a dit : « J'imagine que vous ne pouvez pas tous être des pourris ». Sachant que la première fois, il m'avait craché dessus. J'espère que cela va remonter aux oreilles de mon père. Il va être tellement choqué qu'il va se faire dessus.
- Vous avez bu combien de verres ? l'interrogea la Marchéenne.
- Quelques-uns… peut-être un verre de trop, vous me direz.
- Dorian, soupira Lédara.
Le mage rit doucement en posant son verre sur un plateau qu'un domestique promenait parmi les convives.
- Si cela ne vous dérange pas, j'aimerais rester encore un peu, lui confia Dorian.
- Bien sûr, vous êtes ici chez vous ! répondit Lédara, étonnée par sa demande.
- A Tévinter, je n'aurai pas ma meilleure amie, ma seule amie, ajouta le mage le plus sérieusement du monde.
- Oh, Dorian, s'adoucit l'Inquisitrice. Je suis heureuse que vous restiez encore un peu.
Soudain, Lédara croisa le regard de Cullen au travers de la foule. Dorian, qui l'avait également remarqué, poussa la jeune femme à le rejoindre.
- Je regrette déjà notre moment où nous n'étions que tous les deux, lui murmura discrètement Cullen quand ils se furent retrouvés.
- Et moi donc, souffla Lédara en plongeant ses grands yeux clairs dans les siens. Léliana et Joséphine m'ont appris que ma mission n'était pas terminée…
- Elles ont malheureusement raison, soupira le Commandant. Il y a encore tant à faire. Mais regarde-les, ajouta-t-il en balayant du regard la foule autour d'eux, tu devrais entendre ce qu'il se dit, la fierté dans leurs voix. Certains soldats ont demandé la permission de rentrer chez eux, mais beaucoup veulent continuer à soutenir l'Inquisition. Tu es la preuve que nous servions à quelque chose…
- L'armée, c'était toi, pas moi, le complimenta-t-elle. Sans toi, sans Joséphine et Léliana, sans tous ces gens qui travaillent dans l'Inquisition… Je n'aurais absolument rien pu faire.
Un groupe de nobles s'avança vers l'Inquisitrice et le Commandant, coupant court à leur discussion :
- Rejoins-moi tout à l'heure dans mes quartiers, lui lança-t-elle discrètement, sa voix se perdant dans le brouhaha de la foule.
Lédara esquiva rapidement les nobles qui la cherchaient pour l'admirer et converser avec elle, les laissant vagabonder dans le grand hall à sa recherche. Soudain, elle aperçut les longues cornes d'Iron Bull près d'une table. Elle s'approcha et vit le Qunari attablé devant un large plat de rôti coulant de sauce aux champignons. Lorsque Bull remarqua la présence de l'Inquisitrice, il avala sa bouchée et s'essuya avec le revers de sa main :
- Eh ben ! s'exclama-t-il en finissant de mâcher, des démons, des dragons, un peigne-cul tévintard sur un gros rocher magique… On s'ennuie pas avec vous, Chef ! ça me plaît.
- Contente que vous ayez apprécié ! rigola Lédara en s'asseyant à ses côtés.
Lédara jeta un coup d'œil sur les bandages du Qunari :
- Comment va votre épaule ?
- Bien brûlée, mais ça va. Les guérisseurs disent que je pourrai me battre comme avant, donc tout va bien.
Lédara lui sourit, soulagée.
- Merci d'avoir été à mes côtés tout ce temps, lui dit tout d'un coup la jeune femme.
- C'est bizarre, réfléchit-il à voix haute, j'ai rejoint l'Inquisition sur ordre des Ben-Hassrath, et je suis resté à cause de ce fumier de Corypheus.
- Qu'allez-vous faire, dans ce cas ? lui demanda-t-elle, légèrement anxieuse qu'il quitte l'Inquisition.
- Maintenant qu'il est plus là, et que j'ai plus d'ordres… Pour la première fois de ma vie, je peux aller où je veux.
- Vous savez que c'est moi qui vous dénicherai les meilleurs combats, le soudoya la Marchéenne.
- Je sais, je sais, répondit Iron Bull avec un sourire en coin. Enfin bref, ma seule destination de la soirée, c'est le fond de la bouteille !
Bull servit un verre à l'Inquisitrice et leva le sien pour faire un toast :
- A notre survie et à la mort des méchants ! Anaan !
- A la vôtre ! trinqua Lédara.
Après avoir vidé son verre de vin, Lédara se leva à nouveau et partit en direction de ses quartiers. Devant la porte donnant accès à la tour, elle trouva sa meilleure amie adossée au mur qui observait la fête le sourire aux lèvres.
- Je n'en reviens pas que ce soit terminé, dit Cassandra, sereine. Cela paraissait impossible : défier la Chantrie, monter l'Inqusition à partir de rien, vaincre une créature qui aspirait à la divinité…
- Et pourtant, nous voilà à faire la fête, conclut Lédara.
- Oui ! répondit la Chercheuse le regard brillant.
- Je suis si heureuse que vous soyez à mes côtés, lui livra la Marchéenne.
L'espace d'un instant, après l'explosion de l'orbe et votre chute, lui confia Cassandra, j'ai bien cru que vous étiez morte. J'ai prié. « Ne me l'enlevez pas, pas après tout ce qu'on a traversé. » Puis nous vous avons retrouvée… Le Créateur est bon, parfois.
Lédara ne sut que répondre et prit son amie dans ses bras, la serrant fortement contre elle. Dans leur étreinte, Cassandra lui glissa ces derniers mots à l'oreille :
- Allez le rejoindre, il vous attend.
L'Inquisitrice passa la porte de la tour et remonta les escaliers jusqu'à arriver devant ses appartements. Là, Cullen l'attendait, assis sur la dernière marche. Il se leva et tendit la main à l'Inquisitrice qui la saisit avec douceur. Fermement, l'ancien templier l'attira à lui, la saisissant par la taille et l'embrassant sans un mot ni une parole. D'un geste assuré, il ouvrit la porte et la referma derrière eux.
L'aube se levait lentement les premiers rayons du soleil venaient inonder la chambre de leur chaleur et de leur lumière. La neige des sommets se teintaient d'orange et de rose, tout comme le ciel à l'horizon. On apercevait les dernières étoiles briller au plus haut, puis s'éteindre devant l'astre diurne.
Le couple assistait au spectacle, allongés dans les bras l'un de l'autre, sereins. Lédara se leva la première, revêtant la chemise du templier embaumée de son odeur et marcha pieds nus jusqu'à la porte-fenêtre et l'ouvrit. Elle inspira une grande bouffée d'air frais, admirant le paysage encore immaculé de la journée. Elle caressait entre ses doigts la petite pièce de monnaie qu'elle portait en pendentif, fendue depuis son affrontement avec Corypheus, mais toujours intacte. Cullen la rejoignit, simplement vêtu de son pantalon, et la prit tout contre son torse nu.
- Je ne sais pas de quoi l'avenir sera fait, murmura-t-il avec douceur, mais tant que je suis près de toi, je me fiche du reste.
Lédara sourit, s'abandonnant à cette étreinte amoureuse.
Dans l'Immatériel…
- Je savais que vous viendriez, dit la vieille femme.
Celle-ci ne se retourna pas, apposant sa magie sur un haut miroir sans reflet, alors que l'individu s'approchait d'elle à pas lents.
- Vous n'auriez pas dû offrir votre orbe à Corypheus, Loup implacable, continua-t-elle à l'adresse du nouveau venu.
La vieille femme glissa une mèche de ses cheveux blancs derrière son oreille, harmonisant sa coiffure ornée de cornes de dragon.
- J'étais trop faible pour l'activer à la fin de mon sommeil, lui répondit l'inconnu d'une voix grave.
La vieille femme se retourna face à lui, l'air déçue, et vit le visage de son ami elfe tout aussi contrit.
- Je suis responsable de cet échec, reprit-il désolé, c'est moi qui devrais en payer le prix, mais le peuple a besoin de moi.
Ils n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. La vieille femme lui caressa son visage long et anguleux il respira le doux parfum de sa compagne, meurtri, et déposa sa main sur la sienne.
- Je suis vraiment désolé, murmura-t-il.
- Moi aussi, je suis désolée Fen'Harel, mon vieil ami, lui répondit-elle de sa voix légèrement éraillée.
L'elfe releva la tête et plongea son regard dans celui de son amie. Soudain, celle-ci se mit à haleter des volutes bleutées les entourèrent tous les deux, et les yeux de l'inconnu se mirent à luire étrangement. La vieille femme s'effondra dans les bras de l'elfe qui la soutint fermement contre lui, puis l'allongea délicatement sur le sol. Mythal s'était éteinte : son visage, devenu livide, n'exprimait plus aucune émotion et ses yeux, devenus laiteux, ne verraient plus jamais la lumière.
