Chapitre 36 En famille
Liver aperçut la tour de guet qui faisait office d'avant-poste dans le blizzard, sa main en visière pour se protéger des chutes de neige. La route était ensevelie sous une épaisse couche de poudreuse et ne se distinguait plus du reste du paysage arboré et rocailleux. Les pins et les sapins croulaient sous leur manteau blanc qui s'alourdissait d'heure en heure, alors que les rafales de vent emportaient des nuées blanches qui recouvraient tout sur leur passage.
L'éclaireur avança le plus rapidement possible vers la vieille tour restaurée. De la lumière à son sommet indiquait que le contingent en faction n'avait pas démissionné de son poste malgré la tempête et continuait de surveiller les alentours. Enfin arrivé devant la porte, frigorifié, Liver frappa trois coups et entra.
Une bouffée de chaleur l'envahit aussitôt lorsqu'il pénétra dans la petite pièce chauffée, des fourrures éparpillées au sol près de l'âtre et un feu crépitant sous un petit chaudron qui diffusait une douce odeur de soupe.
- Ton nom ? demanda un soldat qui s'était levé de son siège et avait posé sa main sur la garde de son épée.
- Tirius Liver, éclaireur de second rang, déclara l'elfe en retirant son manteau couvert de neige et dégoulinant sur le sol de pierre. J'ai été affecté à l'avant-poste nord cet après-midi.
- On n'a pas reçu ton ordre d'affectation pourtant, répondit le soldat qui se détendit néanmoins en apercevant l'uniforme de l'Inquisition.
- Normal, avec cette tempête, sourit Liver.
Le soldat hocha la tête devant la logique de sa réponse. Cependant, il était normal que le contingent en place n'ait rien reçu de cette nouvelle affectation puisque cet ordre n'avait jamais été émis. Lorsque Liver avait entendu la rumeur de l'arrivée de l'Inquisitrice et que la tempête annonçait que celle-là ne pourrait aller plus loin que l'avant-poste nord, il avait échafaudé ce plan afin de se retrouver en conditions favorables pour effectuer sa mission.
- Voici Esther et Fabrice, présenta le soldat en désignant deux personnes assises près du feu qui le regardaient fixement. Moi c'est Brien. Bienvenu au « Terrier ».
Liver hocha brièvement de la tête, puis on l'invita à se réchauffer près de l'âtre.
- Il n'y a que nous ? demanda Liver qui avait balayé la pièce du regard.
- Non, Steph et Acha sont de garde au sommet de la tour, lui répondit Brien.
L'Inquisitrice n'était donc pas encore arrivée. Il lui faudrait l'attendre ici en espérant que la tempête n'allait pas l'arrêter en chemin. Liver vint s'asseoir aux côtés des trois soldats qui lui donnèrent un bol de soupe chaude. C'était un bouillon de légumes où avait mijoté un lièvre. A l'extérieur, on entendait le vent frapper les murs de pierre et siffler dans les branches des arbres alentours à mesure que la soirée avançait.
Les trois soldats de l'Inquisition discutaient peu, la fatigue et la chaleur du feu les emportant lentement dans un demi-sommeil. Liver gardait son regard fixé sur les flammes, ressassant son plan dans sa tête et essayant de penser à toutes les éventualités qui pourraient survenir. Ce fut à ce moment qu'un bruit soudain les sortit brutalement de leur torpeur.
La porte de la tour s'était brusquement ouverte et plusieurs hommes pénétrèrent dans la bâtisse, couverts de neige et grelotant. Une femme de petite taille, une naine, soutenait un autre homme qui semblait avoir du mal à marcher alors qu'une autre femme plutôt svelte sous ses vêtements de voyage aidait un jeune homme au bord de l'évanouissement.
- Aidez-nous, vite ! s'écria la jeune femme en retirant son écharpe qui lui servait de capuchon, dévoilant une longue chevelure roux sombre.
- Inquisitrice ! s'exclama Brien en se levant précipitamment.
Les trois soldats de garde et l'éclaireur s'empressèrent d'aider les nouveaux arrivants en leur fournissant sièges et couvertures. Après un rapide examen, il fut déterminé que la plupart souffraient d'engelures sévères et avaient les extrémités des membres qui avaient commencé à geler. Ils furent tous agglutinés devant le feu afin de les réchauffer.
- Nous aurons plus de place dans la pièce du dessus, déclara Fabrice. Le poêle y est déjà allumé, je vais y installer des couches supplémentaires.
Liver aida ses compagnons à installer les nouveaux venus, les réchauffant et leur donnant de quoi manger chaud. Cinq soldats au total sur les sept arrivants étaient épuisés et sévèrement touchés par le froid. Tous furent donc mis à l'étage où Fabrice, Brien et Esther s'occupèrent de leurs soins.
La naine et la jeune femme, voyant leurs compagnons pris en charge, s'assirent en tailleur près de l'âtre pour ranimer leurs membres endoloris par la tempête.
- Quelle expédition ! s'exclama Harding d'un ton étonnamment jovial.
- Ne me le faites pas dire, répondit l'Inquisitrice en souriant enfin.
Cette dernière servit deux bols de soupe chaude et en tendit un à la jeune femme naine qui le prit entre ses mains et souffla légèrement dessus afin de le boire sans même un couvert. Elles grelotaient toutes les deux, frigorifiées par ce temps qui les avaient surprises. Elles portaient des vêtements bien trop légers de par leur voyage dans les Plaines sifflantes, région des éternelles chaleurs. Lédara avait posé son bol devant elle et se réchauffait les mains devant le feu, se massant régulièrement la paume de la main gauche toujours occultée par le bandage opaque.
L'atmosphère se détendait enfin ils étaient arrivés dans un refuge bien connu et Fort Céleste n'était plus qu'à une demi-heure à pied par temps clément. Les deux femmes se mirent à discuter paisiblement, faisant part surtout de leur impatience d'arriver chez elles.
- Nous aurions dû arriver il y a deux jours, fit remarquer Lédara.
- Je sais, personne n'a vu venir cette tempête, répondit Harding. Surtout si tôt dans l'année. Mais ne vous inquiétez pas, nous serons à Fort Céleste demain.
Lédara lui sourit puis enfouit le bas de son visage dans son écharpe, son regard plongé dans les flammes.
- Il doit vous manquer, dit tout bas Harding après avoir jeté un œil par-dessus son épaule.
- Oui, beaucoup, murmura Lédara. Mais parlons d'autre chose : cela avance avec Gwen ?
- Nous avons dîné ensemble avant de partir pour les Plaines sifflantes, répondit Harding le sourire aux lèvres. Il est toujours hésitant, qu'il soit mage… ça l'ennuie beaucoup. Il a encore les anciennes règles dans la peau.
- Pourtant, Vivienne fait du très bon travail en tant que Première grande enchanteresse des Cercles unis, réfléchit Lédara. Les mages ne sont plus prisonniers, ils peuvent aller et venir en toute sécurité. Et les nouveaux templiers n'ont plus du tout la même tâche qu'autrefois.
- Vivienne a su tenir tête aux réfractaires, mais c'est vous qui avez réformé en profondeur les Cercles… avec l'aide de la Divine.
Lédara poussa un léger soupir et replongea son regard dans les flammes, puis se mit à rire doucement.
- Gwen est adorable quand je le croise à la bibliothèque, dit-elle alors, il devient tout rouge et ne sait toujours pas s'il doit faire une révérence ou me saluer simplement comme je le lui ai demandé !
Des rires éclatèrent dans la petite pièce. Liver descendit, les soldats de garde n'ayant plus besoin de lui à l'étage. Lorsqu'il vit les deux femmes seules devant le feu, une lueur passa rapidement dans son regard. Elles n'avaient pas remarqué sa présence, ou bien ne s'en préoccupaient pas au vu de leur absence de réaction à son arrivée dans la pièce. Les autres soldats seraient occupés un bon moment encore, c'était donc l'instant idéal qu'il attendait il ne pouvait pas espérer mieux d'ailleurs.
Dos aux deux femmes, il s'avança à pas lents et silencieux tout en sortant de sa ceinture un coutelas peu commun dans la région qui arborait le symbole du Qun. Il ne se trouvait plus qu'à deux pas de l'Inquisitrice, cette femme au pouvoir surnaturel qui pouvait contrôler l'Immatériel selon certains, même traverser le Voile à sa guise… Cela ne pouvait plus durer, ce n'était qu'une pure hérésie pour le Qun. Cependant, l'Arishak avait été clair : son rôle n'était que de récolter des informations sur l'Inquisition. Malgré tout, Liver se sentait investi d'une mission supérieure et une opportunité s'offrait à lui. Peut-être la seule. Il éleva son couteau au-dessus de sa tête, le pointant en direction du cœur de la jeune femme.
Alors que l'éclaireur allait abattre sa lame, Harding détourna au même moment son regard de l'âtre et aperçut l'elfe. D'un bond elle repoussa l'Inquisitrice, prenant le coup à sa place. Décontenancé, Liver ne fit qu'entailler la naine qu'il écarta violemment de son bras. La Marchéenne ne comprit pas tout de suite ce qu'il venait de se passer, mais lorsqu'elle vit le coutelas ensanglanté, elle attrapa l'éclaireur par le bras pour l'empêcher de nuire à nouveau. Liver se débattit pour abattre sa lame sur la jeune femme, mais elle le bloquait il la poussa brutalement contre terre pour la désarçonner et la faire lâcher prise, pourtant elle tenait bon. Quand il vit qu'elle allait donner l'alerte, il plaqua sa main sur son visage pour la faire taire.
Liver sentait que la jeune femme faiblissait sous son emprise il fournit un dernier effort pour la frapper brutalement au visage quand il fut saisi violemment par le col et propulsé contre terre. Il n'avait pas entendu la porte de la tour s'ouvrir brusquement derrière lui. Un violent coup dans les côtes le fit se retourner et on le saisit par le haut de son uniforme puis il fut surélevé à plusieurs centimètres du sol. Le visage que Liver aperçut était fermé par une colère sourde, des yeux mordorés enflammés le paralysant littéralement. L'homme jeta l'éclaireur contre le mur sans ménagement, face contre la pierre froide, et lui bloqua un bras, prêt à le lui briser s'il faisait le moindre mouvement.
- Cullen ! s'exclama Lédara décontenancée et endolorie, mais soulagée à la vue du Commandant qui avait maîtrisé l'intrus.
Elle regarda autour d'elle et lorsqu'elle vit Harding qui ne bougeait plus elle rampa à ses côtés, horrifiée. La naine était encore en vie, mais sa blessure semblait plus grave qu'il n'y paraissait : Lédara saisit le coutelas que Liver avait lâché dans l'altercation et observa rapidement la lame : elle devait vraisemblablement être enduite de poison.
- Inquisitrice, murmura Harding qui faiblissait à vue d'œil.
- Tenez bon Erika ! s'écria Lédara en fouillant dans son corset.
Cette dernière en sortit une petite fiole remplie d'un liquide foncé. Elle déboucha le flacon et le porta aux lèvres de la naine, la forçant à le boire entièrement. Il ne fallut que quelques instants pour que le capitaine Harding retrouve déjà de ses couleurs.
- Ensuite, l'Inquisitrice se leva prestement et s'approcha du Commandant qui maintenait fermement l'éclaireur contre le mur :
- Qui vous envoie ? l'interrogea-t-elle avec force.
Liver, acculé et conscient de l'échec de sa mission, se mit à serrer fort sa mâchoire, sectionnant sa langue qu'il avala aussitôt.
- Non ! rugit Cullen en le retournant et le forçant à ouvrir la bouche.
- Il est trop tard, murmura Lédara.
La jeune femme observa avec horreur le visage violacé du jeune elfe qui retomba à terre, mort. Harding se relevait lentement, observant sa blessure mais qui se remettait déjà du poison qui avait pénétré son corps. Lédara détourna son regard du corps inerte et le posa sur le Commandant qui lui ne l'avait pas quittée des yeux depuis un moment. Cullen s'approcha de la jeune femme et déposa une main réconfortante sur son épaule :
- Tu n'as rien ? demanda-t-il encore un peu essoufflé.
L'ancien templier avait chevauché plus d'une heure dans la tempête afin de gagner l'avant-poste. Ses cheveux étaient trempés de la neige qui y avait fondu et son manteau ainsi que sa fourrure étaient perlés de gouttelettes brillant à la lueur des flammes.
Lédara ne répondit rien. Elle sentait le contrecoup de l'évènement ainsi que la fatigue accumulée durant le voyage la submerger tout à coup. Cullen la prit alors tout contre lui, se rassurant lui-même par cette étreinte silencieuse. La Marchéenne enfouit son visage dans la sombre fourrure, reconnaissante envers la Providence.
Au-dessus d'eux, on entendit des bruits de pas l'Inquisitrice, se ressaisissant enfin, s'écarta des bras réconfortant de son bien-aimé et trois soldats déboulèrent des escaliers déroutés par le spectacle qu'ils découvraient.
- Qu'est-ce que… Commandant ? s'exclama Brien qui n'y comprenait plus rien.
- Occupez-vous du capitaine Harding, elle a été blessée, lui ordonna l'Inquisitrice qui s'était à nouveau agenouillée à ses côtés.
- Ça va aller, Inquisitrice, lança Erika de sa voix suave encore faible. Allez vous reposer, vous en avez besoin.
Lédara lui sourit.
- Je n'aurais pas supporté de vous perdre, lui murmura-t-elle. Vous avez toujours été là, depuis le début.
- Je sais, répondit Harding d'un ton jovial, je vous suis indispensable, et… je pourrais obtenir une augmentation ?
Le capitaine Harding lui fit un clin d'œil bienveillant.
- Votre Grâce, vous pouvez disposer de la pièce d'à côté à l'étage, elle est vide, indiqua Esther qui examinait le corps de l'éclaireur afin d'effectuer son rapport pour la Maître-espionne au plus vite.
Lédara laissa les trois soldats prendre soin du capitaine et ramassa son paquetage. Elle monta les marches du petit escalier et se rendit dans une petite pièce équipée d'un petit poêle éteint. Elle déposa ses affaires dans un coin aux côtés d'une paillasse composée d'épaisses fourrures et de couvertures à même le sol, puis s'évertua à allumer un petit feu afin de chauffer quelque peu la pièce. Ce fut également sa source de lumière principale étant donné le mauvais temps et l'étroitesse de l'unique meurtrière. Une fois que les flammes commencèrent à prendre et léchaient vigoureusement les petites bûches du poêle, la jeune femme s'assit en tailleur sur sa couche et ôta son écharpe qui était restée lâche autour de son cou.
De petits coups retentirent contre la porte avant que celle-ci ne s'entrouvre et ne se referme derrière Cullen qui portait une sacoche, des serviettes posées sur son bras et une grande bassine d'eau qu'il déposa sur le poêle.
- J'ai pensé que tu aurais envie de te rafraîchir un peu après tout cela, dit-il en dépliant une petite serviette et posant les autres à côté de la couche.
Cullen retira lui aussi sa fourrure et son manteau, ainsi que son veston pourpre afin d'être plus à l'aise, l'ancien templier ne craignant nullement le froid. Lédara le remercia d'un sourire et continua d'ôter ses bottes, puis son manteau retenu par sa large ceinture de toile. L'eau commençait à fumer doucement au-dessus du poêle et Cullen la retira mais laissa la bassine proche de celui-ci afin de maintenir quelque peu la chaleur de l'eau. Il vint ensuite s'asseoir aux côtés de la jeune femme et sortit les affaires que contenait la sacoche que lui avait donnée Shanna : une longue cape surmontée d'une magnifique fourrure argentée et un flacon rempli d'un liquide transparent.
- Shanna pense vraiment à tout, fit-il remarquer en souriant. De l'elfidée royale… celle du jardin j'imagine.
Lédara lui prit le flacon des mains, retira le petit bouchon et but une gorgée de l'élixir. Très vite, la jeune femme ressentit une sensation de soulagement et d'apaisement, la douleur provenant de la marque s'atténuant lentement. Pendant ce temps, Cullen avait déplié la cape de fourrure argentée.
- Entre nous, je préfère de loin porter ta fourrure, répondit Lédara d'une voix aérienne en caressant la large fourrure sombre aux reflets mordorés. Elle porte ton odeur…
- Si tu portais un peu plus la tienne, je pourrais dire la même chose ! la taquina Cullen.
Il déposa un baiser sur son front et l'aida à défaire les lacets de son bustier. Délicatement, il desserra l'étreinte du vêtement en cuir souple, caressant au passage son dos et ses épaules par-dessus sa chemise de lin. Il retira enfin le bustier et rapprocha un peu plus la bassine pour y tremper la petite serviette mise de côté plus tôt. Lédara retira sa chemise d'un geste ample, dévoilant le haut de son corps perlé de grains de sable et de sueur.
- Je ne suis pas très présentable, dit-elle avec une certaine timidité en resserrant ses bras autour de sa poitrine.
- Tu sais que tu me fais d'autant plus d'effet ainsi, lui murmura Cullen à l'oreille.
Un frisson agréable parcourut la Marchéenne. Toutefois, son bras gauche était toujours bandé de ce fin tissu opaque qui occultait l'Ancre.
- Elle s'est encore étendue, remarqua Cullen en observant le bras de sa compagne.
En effet, le bandage remontait jusqu'au coude de l'Inquisitrice, mais l'on pouvait apercevoir des filaments lumineux dépasser et remonter au-dessus du coude le long de son bras. Lédara garda le silence et entreprit de dénouer les fines bandes de tissu, dévoilant l'étendue complète de la marque. Celle-ci, qui n'avait été qu'une série de petites cicatrices au creux de la main de sa porteuse, n'avait cessé de s'agrandir depuis deux ans les cicatrices s'étendaient dorénavant sur l'entier de la paume et débordaient sur le poignet et l'avant-bras, puis des filaments lumineux s'étaient répandus sous sa peau, recouvrant le dessus de sa main et l'entier de son avant-bras et atteignait maintenant le dessus de son coude.
Cullen saisit doucement la main de Lédara dans la sienne et ferma un instant les yeux, concentré. Il ne fallut que quelques instants pour que la jeune femme se détende complètement et pousse un soupir de soulagement et qu'elle ne s'affaisse contre le torse de l'ancien templier, épuisée mais sereine. L'éclat des filaments s'estompa lentement, sans toutefois disparaître totalement.
Une fois sa compagne parfaitement apaisée, Cullen ramena d'un geste lent la longue chevelure de Lédara sur son épaule gauche et appliqua doucement la serviette imbibée d'eau tiède sur sa peau, ôtant le sable et les impuretés. La Marchéenne eut un frisson qui la parcourut de haut en bas mais se laissa faire, portée par la douceur et la tendresse de cet instant.
- Dire qu'il n'y a pas si longtemps, je rêvais de prendre un bain d'eau froide tellement il faisait chaud, sourit Lédara tout en frissonnant.
Cullen se contenta de déposer un baiser dans son cou fraîchement humide, éveillant ses sens et ceux de la jeune femme. Une quiétude assoupissante se diffusait dans la petite pièce et d'un même mouvement, les deux amants s'allongèrent sur la couche, leurs corps enlacés et leurs lèvres se cherchant éperdument.
Le lendemain, la tempête avait disparu et les nuages laiteux laissaient place à un ciel pâle. Ce fut vers le milieu de la matinée qu'un groupe de soldats arriva à Fort Céleste, tous emmitouflés dans de larges manteaux et leurs chevaux traînant la patte dans la haute couche de poudreuse. Au sein du groupe, deux individus se distinguaient par leur cape surmontée d'une large fourrure, l'une d'un brun foncé rehaussé de reflets mordorés et une autre d'un gris argenté faisant ressortir une tignasse sombre aux reflets rougeoyants. A leur arrivée, des palefreniers vinrent à leur rencontre ainsi que des éclaireurs et quelques domestiques récupérant les sacs et sacoches des nouveaux arrivants.
- Regardez, c'est Cullen, fit remarquer Mia à ses parents.
Les Rutherford, inquiets pour leur fils qui était parti en pleine tempête la veille, surveillaient les allées et venues qui avaient repris à la forteresse depuis l'aube à partir de l'entrée du bâtiment principal où la chaleur était maintenue de manière constante.
- C'est elle à ses côtés ? demanda Mathilda qui tendit le cou pour mieux voir.
- Vraisemblablement, ma Chérie, lui répondit son mari d'un ton amusé.
- Que penses-tu qu'ils se disent ? demanda encore Mme Rutherford qui observait le couple.
L'Inquisitrice et le Commandant étaient descendus de cheval et semblaient discuter dans la cour inférieure. A leurs côtés, une jeune elfe paraissait attendre la Messagère, sûrement pour l'accompagner dans ses quartiers. Une autre femme les rejoignit, menue et entortillée dans un grand manteau et une large cape de fourrure, ses cheveux noir de geai brillant à la lueur des pâles rayons du soleil. C'était l'Ambassadrice qui apostrophait l'Inquisitrice et qui lui présenta des documents qu'elle conservait sur un porte-document en bois.
- Aucune idée, répondit Rupert qui observait d'un œil plus discret son fils.
- Attention, Cullen vient par ici ! s'écria Mia soudainement tout affolée.
Les trois dirigeants s'étaient séparés et le Commandant remontait les escaliers jusqu'à l'entrée du bâtiment principal où était postée sa famille.
- Tout va bien, fiston ? demanda M. Rutherford lorsque celui-ci fut à leur hauteur.
- Oui, tout va bien maintenant, répondit Cullen l'air bien plus détendu que la veille. Elle ne pourra pas vous rencontrer tout de suite, nous devons d'abord nous réunir avec Joséphine et Léliana.
- Nous comprenons, lui répondit son père. Il faut aussi lui laisser le temps d'arriver, n'est-ce pas ?
- Oui, merci Papa.
Cullen partit à nouveau et disparut derrière une des nombreuses portes du grand hall.
Peu avant le déjeuner, les trois conseillers se trouvaient dans la salle de commandement afin de discuter des derniers événements, lorsque l'Inquisitrice les rejoignit enfin.
- Nous pouvons commencer, déclara Léliana une fois que Lédara fut à leur hauteur.
- Tout d'aborrrd, avez-vous fait bon voyage, Inquisitrrrice ? demanda Joséphine toujours aussi prévenante.
- Il aurait pu être plus agréable s'il n'y avait pas eu cette tempête et la tentative d'assassinat, releva Lédara.
- Oui, parlons-en, enchaîna Léliana qui souhaitait aborder le vif du sujet le plus rapidement possible.
- J'ai cru savoir qu'il appartenait au Qun, dit l'Inquisitrice, l'arme qu'il a utilisé portait son symbole.
- C'est exact, confirma la Maître-espionne.
- Nous aurions dû nous attendre à une telle tentative, intervint Cullen. Il nous faut resserrer les rangs et vérifier bien plus minutieusement l'entourage de l'Inquisitrice.
- En effet, il pourrait y avoir d'autres infiltrations, reprit Léliana. Tant que nous n'avons pas passé nos hommes au peigne fin, vous ne serez accompagnée que d'agents pour lesquels nous avons une confiance absolue.
- J'aimerais contacter Iron Bull, réfléchit Lédara, il aura peut-être des informations à nous transmettre.
- Il est actuellement en Orlaïs, en mission, répondit Léliana. Je me chargerai de le contacter. J'ai également entrepris des recherches sur ce Liver, j'arriverai peut-être à remonter jusqu'à des commanditaires précis. Ce n'est peut-être qu'une tentative de monter l'Inquisition contre le Qun, qui sait.
- Très bonne idée, Léliana, lui répondit l'Inquisitrice. Je vous fais confiance.
Joséphine gratta son parchemin à vive allure, notifiant tout ce qui venait d'être dit. De son côté, Lédara commença à feuilleter la haute pile de parchemins qui l'attendait sur la large table d'Etat-major et allait repartir avec les feuillets lorsque l'Ambassadrice l'interpela :
- Dame Inquisitrrrice, il doit se tenir aujourrrd'hui une cérrrémonie de rrrécompense pour de futurrrs templiers qui rrrejoignent officiellement l'Orrrdre des Chercheurs de la Vérrrité que l'Inquisition abrrrite. Etant donné que nous avons comme invités les hauts chanceliers de la Chantrrrie de Val Royeaux et des gens de la noblesse orrrlésienne et férrreldienne, il serrrait de bon ton que vous prrrésidiez à cette cérrrémonie.
- Moi ? s'étonna Lédara en reposant les feuillets sur la table. Mais je ne fais pas partie de l'Ordre, ni de la Chantrie…
- Ces recrues intègrent l'Ordre parce qu'ils se sont démarqués sur certains champs de bataille où dans leur attitude protectrice envers les mages durant la rébellion, indiqua Cullen. La plupart d'entre eux avaient rejoint l'Inquisition et ont servi sous votre bannière. Je pense qu'ils seraient tous honorés d'être intronisé par la « Messagère d'Andrasté » en personne.
- Je préférerais que l'on annule cette cérémonie, intervint Léliana d'un air grave. On ne sait pas s'il y a d'autres intrus parmi nos hommes ou même les invités.
Lédara prit un instant pour réfléchir, massant la paume de sa main gauche, geste devenu un réflexe dès qu'elle ressentait trop fortement les tiraillements de l'Ancre.
- La cérémonie aura lieu, décida l'Inquisitrice.
- Je suis votrrre décision, renchérit Joséphine. S'il devait y avoir d'autrrres intrrrus, il nous faut leur montrrrer que la Messagère est rrrestée forrrte et inébrrranlable. Nous pouvons l'orrrganiser pour l'heurrre qui vient, Votre Grâce. Tout est prrrêt, je n'ai plus qu'à convoquer l'assemblée.
Joséphine consigna l'affaire sur un nouveau parchemin puis quitta la salle de commandement en compagnie de la Maître-espionne avec ses ordres. Lédara poussa un petit soupir, massant toujours inconsciemment sa main gauche.
- Ça veut aller ? lui demanda Cullen, inquiet.
- Oui, répondit Lédara d'un ton rassurant. C'est juste que tes parents…
- Ne t'inquiète pas pour eux, nous pourrons les voir ensemble après la cérémonie.
L'Inquisitrice hocha la tête, appréhendant de plus en plus cette fameuse rencontre. Elle saisit ensuite les feuillets posés sur la table et sortit de la salle de commandement en compagnie du Commandant, parcourant des yeux les dernières nouvelles de Thédas.
Lédara et Cullen se séparèrent dans le bureau de Joséphine, le Commandant ayant à faire de son côté afin de finaliser les préparatifs de la cérémonie. Lédara allait emprunter une porte dérobée qui donnait accès à ses appartements quand elle s'arrêta soudain, une pensée traversant son esprit :
- Joséphine, des nouvelles des Marches Libres ?
- De votrrre pèrrre ? pas depuis plusieurrrs mois maintenant, répondit l'Ambassadrice avec fierté. Je crrrois avoir rrréussi à l'embourrrber dans les méandrrres juridiques, faisant échouer de ce fait sa nouvelle tentative de vous marrrier de forrrce.
Lédara sourit, soulagée de cette nouvelle. En effet, depuis deux ans maintenant son père employait toutes ses forces pour revendiquer son droit patriarcal sur la jeune femme, sans succès grâce aux stratagèmes de dame Montilyet qui était la seule dans la confidence. Lédara n'avait pas voulu inquiéter Cullen avec ces histoires et elle-même voulait en entendre parler le moins possible.
- Je vous remercie, Joséphine, lui répondit Lédara avant de remonter dans ses quartiers.
Une fois arrivée au sommet de la tour, elle retrouva Dila qui finissait de nettoyer les vitres des portes-fenêtres.
- Lorsque vous aurez un moment, il me faudrait une tenue pour une cérémonie d'intronisation…
- … d'anciens templiers dans l'Ordre des Chercheurs de la Vérité, bien sûr Votre Grâce ! dit la jeune elfe en finissant sa phrase.
Lédara lui sourit, épatée par la prévenance de Dila, avant de se replonger dans ses lectures. Soudain, un pli officiel de la Grande Cathédrale retint son attention elle déposa les autres feuillets sur son bureau et décacheta l'enveloppe qu'elle déplia. C'était une lettre de la Divine :
Chère Lédara,
Vous n'avez pas besoin que je vous dicte chaque phrase, n'est-ce pas ? J'ai beau être la Divine, cela ne veut pas dire que je suis douée avec les mots. Devrais-je commencer par une plaisanterie ? Je ne vois déjà guère comment décrire des heures de réunion avec les Grandes prêtresses comme une activité un tant soit peu intéressante, alors une blague… Sur leurs chapeaux, peut-être ? Varric saurait, lui.
Il est important que j'aie l'air rassurante. L'Inquisitrice a bien assez à faire et ne devrait pas en plus avoir à s'occuper de l'état de la Chantrie. Vous pourriez parler de la purge du lyrium rouge et des progrès effectués, qu'en dites-vous ? Et peut-être évoquer que les templiers et les mages… Non, oubliez, ce sujet a été suffisamment discuté. Ah ! et si vous parliez de la pièce de théâtre sur l'héroïsme de l'Inquisitrice qui se joue actuellement à Val Royeaux ? Voilà qui pourrait plaire.
Oh, je suis en retard pour une réunion avec des révérendes mères névarrannes. Je vous laisse finir par quelque chose de simple et approprié.
Avec la grâce et la bénédiction du Créateur,
Divine Victoria
Lédara éclata de rire :
- Oh, Cassandra !
La Chercheuse, nommée Divine par le Conseil des Grandes prêtresses deux ans auparavant, ne s'était toujours pas habituée aux us d'une personne aussi importante qu'elle était devenue, et Lédara se demandait si ce n'était pas fait exprès d'ailleurs. Malgré tout, son amie lui manquait terriblement. Elles n'avaient pu se voir que très rarement, les responsabilités de l'une comme de l'autre les empêchant de se réunir aussi souvent qu'elles l'auraient souhaité.
- Votre tenue est prête, Votre Grâce, l'informa Dila en la sortant de ses pensées.
Dans le hall, une foule de plus en plus ample commençait à se presser à l'annonce du début de la cérémonie d'intronisation. Celle-ci était attendue depuis longtemps et avait dû être ajournée à cause de la tempête, les derniers représentants de Férelden étant tout juste arrivés à la forteresse. De plus, la nouvelle que l'Inquisitrice présiderait à la cérémonie avait fait le tour de Fort Céleste et tous les habitants avaient arrêté leurs tâches pour assister à l'événement.
Shanna réserva des places de choix pour la famille du Commandant avant de retourner à l'infirmerie prendre soin d'Anton qui se remettait lentement de ses gelures. Mathilda, Rupert et Mia se tinrent un peu en retrait mais se trouvaient néanmoins aux premières loges pour assister à la cérémonie.
Des soldats de l'Inquisition se postèrent le long de l'allée et limitaient la foule à plusieurs mètres du trône inquisitorial afin de laisser la place aux futurs initiés qui se tenaient pour l'instant sur un côté de la salle et arboraient fièrement leur nouvelle armure des Chercheurs de la Vérité. Mathilda observa autour d'elle et vit qu'ils étaient parmi les nobles et quelques marchands qui avaient réussi à grappiller quelques places suffisamment tôt à l'annonce de la cérémonie. La salle était illuminée de nombreuses torches sur les murs, mais également par un gigantesque lustre orné de mille chandelles et situé à peu près au centre du grand hall. Sur les murs, des ornements divers tels que des plaques de cuivre représentant des scènes de chasse, d'Histoire elfique ou naine offertes à l'Inquisitrice par les différentes nations et races en cadeau, mais aussi un immense crâne de dragon surmontait l'entrée du grand hall, ses cornes menaçantes s'étalant majestueusement le long du mur de pierre.
Le ronronnement des discussions commença soudain à s'éteindre tandis que la Maître-espionne et l'Ambassadrice prenaient place sur le côté gauche du trône. L'une d'entre elles tenaient entre ses mains une épée d'un métal rougeoyant rangée dans un fourreau de cuir noir. Puis le silence se fit lors de l'entrée du Commandant de l'Inquisition que tous les soldats saluèrent d'un même mouvement, faisant résonner leurs armures. L'ancien templier était habillé de son veston pourpre boutonné jusqu'au col et de sa large fourrure ceignant son cou avec noblesse, ses cheveux étaient coiffés en arrière, quelques mèches retombant sur son front droit et son visage affichait un air à la fois modeste et solennel, ses yeux mordorés brillant à la lueur des nombreuses torches. Il se posta à la droite du trône, une main posée sur la garde de son épée qu'il gardait toujours à sa ceinture.
Toutefois, le silence qui s'était établi fut rompu par un bruissement de murmures lorsque l'Inquisitrice fit enfin son entrée dans le grand hall Mathilda tourna vivement la tête du côté d'une porte qu'elle n'avait pas remarquée auparavant, à peu près à la hauteur du trône, qui s'ouvrit soudainement et laissa passer la Messagère d'Andrasté. Celle-ci dégageait une prestance inouïe : la couleur de ses longs cheveux, parfaitement arrangés en un chignon élégant qui laissait retomber quelques mèches autour de son visage, était mise en valeur par une magnifique robe noire rehaussée d'argent dans une vaste broderie d'entrelacs qui encadraient les armoiries de l'Inquisition au bas de son dos. Celle-ci était composée d'un manteau de velours noir brodé au col serré mais laissant entrevoir au-devant un bustier argenté lui aussi orné de riches broderie et d'un jupon du même tissu. Les longues manches amples du manteau retombaient élégamment et suivaient les mouvements de la jeune femme, et ses bras étaient couvert de manches plus resserrées, argentées tout comme son bustier. Sa main gauche semblait avoir été bandée de fin tissus de lin blanc ivoire, recouvrant des lueurs vertes et blanches qui en émanaient.
L'Inquisitrice vint s'asseoir majestueusement sur le trône qui lui était dédié, son visage d'apparence impassible était néanmoins d'une grande beauté aux yeux de Mme Rutherford, composé de traits d'une agréable douceur et des yeux quasi hypnotisants de par leur couleur atypique, d'une clarté éclatante. Seule une ancienne cicatrice venait troubler ce splendide tableau qui paniqua la pauvre femme. Comment pourrait-elle se tenir devant cette femme sainte après la cérémonie ? Mathilda s'appuya sur le bras de son mari, la tête lui tournant un peu.
Cullen fit un pas en avant et d'un geste de la main invita les recrues à se présenter devant le trône inquisitorial. Dans une marche cadencée, cinq soldats dont trois templiers s'avancèrent, leurs armures cliquetant avec éclat.
- Templiers, soldats, commença Cullen en ouvrant lui-même la cérémonie. Vous avez tous souhaité rejoindre le nouvel Ordre des Chercheurs de la Vérité. Vous, templiers, vous vous êtes sevrés du lyrium avec courage et volonté.
Un murmure parcourut la foule, saluant la détermination des templiers.
- Vous cinq, continua le Commandant, vous êtes ensuite initiés une année durant et avez acquis le don du Chercheur qui vous est propre. En vertu des pouvoirs que m'a conférés la Divine Victoria, je vous accueille dans l'Ordre avec fierté.
A ce moment, Cullen dégaina son épée et la tint devant lui, pointe au sol. La Messagère se leva et se tourna du côté de la Maître-espionne qui lui tendit le fourreau qu'elle tenait depuis le début de la cérémonie. La Marchéenne dégaina l'épée dont la garde était ornée d'un dragon, épée qui l'avait elle-même intronisée au titre d'Inquisitrice il y avait plus de deux ans de cela, et qu'elle utilisait uniquement lors des jugements et des cérémonies officielles de l'Inquisition. Lédara se mit ensuite face aux cinq initiés et prit la même pose que son Commandant.
- Templiers, soldats, déclara la Messagère, je connais vos visages.
Lédara se tourna vers une templière, la seule femme entrant dans l'Ordre.
- Chevalier Lysette, continua-t-elle, vous avez intégré l'Inquisition à ses débuts alors que nous n'étions que des hérétiques aux yeux de tous et aux yeux de la Chantrie. Vous avez eu le courage de renoncer à votre Ordre et de suivre votre cœur. Vous avez ensuite survécu à l'attaque de Darse, et m'avez veillée dans les montagnes, alors que nous n'avions aucun refuge.
La templière releva la tête, ses yeux brillaient d'émotion et admiraient la Messagère qui se tenait devant elle.
- Votre mérite est grand, continua Lédara, et je vous demanderai seulement de garder votre intégrité quoi qu'il arrive.
- Oui, Votre Grâce, répondit le Chevalier Lysette. Je vous le promets, et vous remercie.
- Templiers, reprit la Marchéenne en s'adressant aux deux autres templiers. Vous avez rejoint l'Inquisition par conviction, et vos actes vous ont valu d'être recommandé pour l'Ordre des Chercheurs de la Vérité. Sachez suivre votre cœur et rester sur le chemin de la droiture.
- Oui, Votre Grâce, répondirent-ils d'une même voix.
- Soldats, finit Lédara, vos actes et votre bravoure vous ont mené jusqu'ici. Je connais vos visages pour vous avoir vu combattre à nos côtés à l'Inébranlable avec force et détermination. L'Inquisition perd de bons éléments, mais vous saurez être utile dans le nouvel Ordre que vous intégrez.
- Oui Votre Grâce, répondirent-ils.
- Vous servir et combattre à vos côtés fut un immense honneur, Messagère, ajouta l'un d'eux.
- Nous vous porterons toujours dans notre cœur et seront toujours à vos côtés si besoin est, ajouta l'autre.
L'Inquisitrice leur sourit, touchée par leurs interventions. Enfin, elle souleva son épée. Devant ce geste, les cinq initiés s'agenouillèrent et la Messagère la déposa sur l'épaule droite de chacun d'entre eux en signe d'adoubement. La foule se mit à applaudir fortementce qui mit fin à la cérémonie. Les cinq nouveaux Chercheurs se relevèrent et saluèrent le Seigneur Chercheur puis rejoignirent leurs familles qui avaient assisté à leur intronisation.
La Messagère rengaina son épée dans le fourreau et la confia à nouveau à Léliana avant de repartir en direction de ses appartements tout en se massant la paume de sa main gauche. Mathilda était restée stoïque tout au long de la cérémonie et resta bouche-bée, bousculée par quelques nobliaux qui repartaient à leurs occupations oisives.
- Allons dans les jardins, décida M. Rutherford en voyant sa femme si pâle.
La fraîcheur de l'air extérieur revivifia Mathilda qui reprit aussitôt des couleurs. Mia frétillait d'impatience, ressassant tout ce qu'il s'était passé et ce qui avait été dit, relevant tous les détails des tenues et des ornements avec des yeux brillants de mille feux. Rupert quant à lui restait calme pour tenter de tempérer à la fois sa femme et sa fille.
Cullen les rejoignit dans les jardins enneigés le ciel s'était dégagé de tout nuage et le soleil tiédissait les vieilles pierres de la forteresse. Toutefois, la neige persistait dans une atmosphère glacée qui avait suivi la tempête et s'était durablement installée dans les Dorsales de Givre. Des herboristes vaquaient à leurs occupations, entretenant les plantes médicinales en dégageant la neige qui les recouvrait et protégeant les racines d'un fin paillage d'hiver composé de feuilles mortes et de petites branches.
Mathilda n'avait de cesse de les observer, absorbée par ses pensées, et ne prêta pas grande attention à son fils qui avait déboutonné le haut de son veston pour être plus à son aise.
- C'était une magnifique cérémonie, lança Rupert avec entrain. Quelle dignité ! Il y a de quoi être fier.
- Merci, Père, bredouilla Cullen les joues rosies par le froid. Lédara ne devrait pas tarder à nous rejoindre.
Mia se dandinait d'impatience et d'appréhension, sautillant telle une enfant au bras de son père alors que Mathilda sortait tout juste de ses pensées lorsqu'elle aperçut l'Inquisitrice s'avancer sous les arches accompagnée d'un soldat de l'Inquisition avec qui elle semblait discuter.
Quand Lédara aperçut Cullen auprès de sa famille près du pavillon de pierre, elle congédia le soldat et se dirigea vers eux, son cœur battant de plus en plus fort à mesure qu'elle s'approchait. Ses mains s'entortillaient de nervosité alors que la neige crissait sous ses pas hésitants. Cullen l'accueillit en lui tendant une main bienveillante accompagné d'un sourire détendu malgré sa propre appréhension.
- Voilà, dit-il maladroitement à sa famille, je vous présente Lédara Trevelyan, ma compagne.
Mia s'était figée, ne sachant plus quoi dire ni faire à cet instant-là, tandis que Mathilda, toujours muette, avait ouvert de grands yeux presque apeurés. Ce fut Rupert qui fit le premier pas :
- Enchanté de vous rencontrer enfin, dit-il avec tranquillité. Je suis Rupert Rutherford, le père de Cullen.
- Ravie de faire votre connaissance, répondit Lédara en voulant lui tendre la main.
M. Rutherford anticipa son geste et la saisit avec bienveillance afin d'effectuer un baisemain respectueux.
- Et voici ma mère, Mathilda, reprit Cullen toujours un peu maladroit, et ma sœur aînée, Mia.
Lédara leur sourit timidement.
- Vous devez vous poser beaucoup de questions, leur dit l'Inquisitrice en serrant la main de son Commandant. J'ai demandé à ce qu'on ne soit pas dérangés, ce qui était plutôt facile après les événements d'hier…
- On a tenté de vous assassiner ? s'écria Mia abasourdie, qui parlait pour la première fois. Je le savais ! C'est pour cela que tu es parti si vite hier soir, Cullen ?
Lédara garda le silence.
- Ecoute Mia, intervint Cullen d'un ton confident, il faudrait éviter que cela s'ébruite… Nous enquêtons sur les véritables intentions de l'individu et moins les gens en sauront, plus vite nous avancerons.
- Je comprends, répondit Mia en rougissant. Comme c'est excitant ! Nous entrons dans les confidences de l'Inquisition.
- Oui, bien ne fait pas trop la maline, veux-tu ? la rabroua son frère.
- Alors, comment cela s'est-il passé ? Vous avez pu le neutraliser ? questionna Mia à l'adresse de l'Inquisitrice.
- Disons que Cullen est arrivé au bon moment, répondit Lédara amusée par l'exubérance de Mia. Je ne m'attendais pas à être prise pour cible en un tel endroit, à un tel moment.
- C'en est presque romantique ! gloussa la sœur de l'ancien templier. Dites-moi tout, comment vous êtes-vous rencontrés ? Cullen nous a dit que vous vous étiez connu il y a de cela dix ans à Kirkwall…
Les yeux de Mia pétillaient de malice et d'innocence, ce qui fit sourire la Messagère. La réaction enthousiaste de la jeune femme et son avalanche de questions mit le couple à l'aise.
- Tu leur as dit cela ? s'étonna Lédara en se tournant vers le Commandant.
Cullen bredouilla une réponse inintelligible en se frottant la nuque d'embarras.
- A vrai dire, nous ne nous sommes pas vraiment rencontrés à ce moment-là, expliqua alors la Marchéenne. A cette époque, je faisais partie de la Chantrie et je séjournais à Kirkwall lorsqu'une épidémie est survenue. J'étais au chevet de plusieurs templiers, notamment celui de Cullen. Je suis partie avant qu'il ne soit tout à fait rétabli…
- … En m'empruntant quelques souverains, lui rappela Cullen en réprimant un sourire.
- Je te les ai rendus ! répliqua Lédara avec insistance.
- Je sais, je te taquine, lui répondit-il en effectuant un léger baiser furtif sur son front.
Mia poussa un gloussement enthousiaste devant ce geste tendre.
- Mon frère ! s'exclama-t-elle, au grand jamais je n'aurais cru assister un jour à une telle scène !
- Mia... maugréa Cullen à nouveau gêné.
- Mais alors, intervint M. Rutherford en s'adressant à Lédara, si vous ne vous êtes pas rencontrés à Kirkwall, comment en êtes-vous arrivés là ?
- Contrairement à ce que l'on aurait pu penser, répondit la Marchéenne, ce ne fut pas si simple ! D'abord, après l'explosion du Conclave, j'étais considérée comme la responsable de la création de la Brèche… puis, le peuple m'a donné le titre de « Messagère d'Andrasté ». Cullen était le Commandant d'une petite organisation hérétique et j'avais été catapultée dans cette histoire malgré moi. Il faut dire que je ne savais pas vraiment quelle était ma place, et votre fils m'impressionnait beaucoup…
- Je t'impressionnais ? s'étonna Cullen.
- Bien sûr ! avec ton armure, ta large fourrure et ton air sévère… Tu dirigeais tes hommes, leur prodiguait un entraînement digne des templiers de la Flèche Blanche, il y avait de quoi être impressionné…
Cullen la fixa du regard, surpris.
- De plus, tu me fuyais tout le temps, ajouta l'Inquisitrice.
- Je… non ! protesta le Commandant. Enfin… j'étais persuadé que tu ne me reconnaissais pas, et... je n'osais pas t'aborder.
Lédara se mit à rire.
- Et j'étais persuadée que tu ne te souvenais pas de moi ! répliqua-t-elle. Normal, tu délirais de fièvre lorsque je m'étais occupée de toi à Kirkwall.
Les Rutherford les observèrent avec amusement et effarement à la fois.
- Donc, reprit Rupert, vous vous êtes côtoyés et c'est venu tout seul ?
- Oh que non ! s'exclama Lédara en riant. Mais avec de la patience et de la persévérance… Nous nous sommes trouvés.
Les deux dirigeants de l'Inquisition se sourirent dans un regard attendri.
Lédara, Cullen et sa famille restèrent tout l'après-midi dans les jardins au soleil à discuter, le couple répondant aux différentes questions que leur posaient Mia et Rupert. Mathilda resta néanmoins très silencieuse, observant son fils aux côtés de la jeune femme qu'il avait choisi pour compagne avec l'impression que cette dernière connaissait beaucoup mieux son fils qu'elle, sa propre mère.
Le soleil déclinait à l'horizon et tous riaient à une anecdote racontée par Mia sur son enfance avec Cullen quand soudain Lédara fut prise d'un tiraillement douloureux dans son bras gauche.
- Vous allez bien ? demanda Mia la mine catastrophée.
L'Inquisitrice maintenait sa main gauche contre sa poitrine et tout son visage s'était crispé de douleur.
- Veuillez m'excuser, murmura Lédara la voix affaiblie.
- Va te reposer, lui ordonna Cullen d'un ton calme et ferme alors qu'il l'avait prise par les épaules.
Lédara acquiesça et prit congé des Rutherford pour remonter dans ses appartements. Arrivée au sommet de la tour, elle s'assit sur le divan, massant sa main gauche avec lenteur. Sur la table basse se trouvait un petit flacon de verre contenant un liquide transparent, identique à celui que Shanna avait glissé dans la sacoche du Commandant. Lédara le saisit et en ouvrit le bouchon avant d'en boire quelques gorgées. La douleur s'atténua progressivement grâce à l'essence d'elfidée royale que les herboristes de Fort Céleste distillaient à son attention.
Il arrivait de plus en plus souvent à l'Inquisitrice de ressentir des pics de douleur causés par l'Ancre. Celle-ci grandissait inexorablement et la jeune femme la sentait puiser dans ses forces et amenuir son énergie. Elle ne voulait pas le reconnaître, mais elle savait au plus profond d'elle-même que la marque la tuait à petit feu et que le temps jouait contre elle.
Appuyée contre le dossier du divan, elle ferma un instant les yeux, jusqu'à ce qu'une voix apaisante la sorte de ses pensées.
- Comment te sens-tu ? demanda Cullen avec inquiétude.
Lédara se sentit vaporeuse.
- Tu t'es assoupie, lui indiqua-t-il en devinant son interrogation.
- Combien de temps ? l'interrogea-t-elle stupéfaite.
- Une petite demi-heure.
- Autant que cela ? s'étonna la jeune femme en se redressant sur son séant. Je n'ai pas eu l'impression de m'endormir…
- Ce doit être dû à l'elfidée que tu as prise, répondit Cullen en soulevant le flacon à moitié vide.
Lédara garda le silence, non encore sortie de la brume qui enveloppait son esprit.
- …te reposer ce soir, entendit-elle, ne percevant que des bribes de ce que lui disait le Commandant.
- Non, répondit la jeune femme, cela va déjà mieux. Dîner avec tes parents m'honore.
Elle lui sourit d'un air rassurant.
- Ta mère est restée bien silencieuse, lui fit-elle remarquer.
Elle a eu beaucoup d'informations à intégrer ces derniers jours, soupira Cullen.
- Que peux-tu me dire sur elle ? lui demanda alors Lédara.
- Je sais pas… Elle aime lire, réfléchit-il en se levant du sofa.
Lédara resta assise avec un air méditatif.
- Viens t'allonger un instant, il te faut te reposer, réitéra Cullen avec bienveillance.
- Trouve-moi plutôt ma robe turquoise, lui demanda-t-elle gentiment en se levant à son tour.
La nuit était tombée et les torches ainsi que les chandeliers illuminaient les couloirs et les salles de Fort Céleste. Cullen accompagnait sa famille dans la petite salle à manger privée que leur réservait toujours Shanna, lorsque l'Inquisitrice les rejoignit dans le grand hall. Tous les invités et les passants s'écartaient spontanément du chemin de la Messagère avec une révérence plus ou moins marquée. Arrivée devant la famille de Cullen, Lédara les salua chaleureusement.
- Nous sommes heureux de dîner en votre compagnie, lui dit Rupert avec un grand sourire.
- Je vous remercie, M. Rutherford, lui répondit l'Inquisitrice. Toutefois, avant d'aller dîner, puis-je vous demander une faveur ?
Les Rutherford la regardèrent avec surprise, attendant la requête de la jeune femme. Lédara se tourna alors vers Mathilda et lui demanda avec timidité :
- Mme Rutherford, puis-je vous emprunter quelques minutes ? J'aimerais vous montrer quelque chose.
Mathilda hocha lentement de la tête, encore plus stupéfaite que sa fille et son mari, puis emboîta le pas de l'Inquisitrice qui lui fit signe de la suivre en souriant. Les deux femmes traversèrent le hall et se dirigèrent vers les appartements privés de la Messagère. Elles montèrent au sommet de la tour, puis Lédara lui indiqua de s'asseoir sur le divan de soie ivoire.
- Une tasse de thé ? lui proposa l'Inquisitrice en servant deux tasses de thé à la camomille que Dila avait laissé à sa demande.
Lédara déposa les tasses sur la petite table basse et s'assit en face de son invitée.
- Merci, Votre Grâce, bredouilla Mathilda en prenant sa tasse dans les mains.
- Oh ! pas de cela entre nous, je vous prie, intervint Lédara un peu gênée. Considérez-moi plutôt comme… la bonne amie de votre fils, et non comme l'Inquisitrice. Même si je sais que ce que je vous demande est difficile à faire, je le conçois.
La Marchéenne baissa la tête, gênée de la situation. Elle ne savait pas trop comment mettre à l'aise la mère de Cullen et se releva aussitôt pour s'approcher de ses bibliothèques. Elle parcourut les rayons de ses doigts à la recherche d'un livre précis, puis tenta d'entamer une conversation :
- Cullen m'a dit que vous aimiez lire, connaissez-vous les ouvrages de Maître Varric Téthras ?
- Oui, Votre…, bredouilla Mathilda sans finir sa phrase, se rappelant de la requête de l'Inquisitrice.
- Lisez-vous la série de Nuit torride dans la Hauteville ? continua Lédara. J'aime beaucoup cette intrigue policière.
- Oh oui ! s'enthousiasma Mme Rutherford. J'attends d'ailleurs avec impatience le dernier tome…
- C'est vrai ? s'exclama la jeune femme, son visage s'illuminant enfin.
Lédara quitta les rayons de sa bibliothèque et farfouilla dans la paperasse qui s'amoncelait sur son bureau, jusqu'à en sortir un livre recouvert d'un tissu de jute brut. Elle l'en débarrassa et caressa la couverture avant de revenir auprès de Mme Rutherford.
- Ceci devrait vous intéresser, dit-elle en s'asseyant en face de son invitée.
Mathilda saisit l'ouvrage que lui tendait l'Inquisitrice et lut le titre :
- « Nuit torride dans la Hauteville, tome 10 »… Mais il n'est pas encore sorti !
- Varric est un de mes proches amis, il me les envoie avant leur publication, expliqua Lédara, ravie d'avoir enfin déridé la vieille femme. Je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire, et ne l'aurais sans doute pas avant un bon bout de temps ! alors si vous le voulez bien… vous me raconterez ce qu'il advient du garde Brennon.
- Oh bien sûr, avec joie ! lui répondit Mathilda en souriant.
- Et cela nous fera une bonne excuse pour que vous reveniez à Fort Céleste le plus vite possible, ajouta Lédara avec un clin d'œil.
Mme Rutherford poussa un léger soupir.
- Veuillez sincèrement excuser mon comportement de cet après-midi, déclara celle-ci. Je ne savais plus quoi dire ou faire face à vous… Premièrement parce que vous êtes la Messagère d'Andrasté, mais surtout parce que…
Lédara l'écouta attentivement, soulagée de connaître les raisons de Mme Rutherford pour ne pas lui avoir parlé de toute la journée.
- … Ce serait plutôt la faute à mon fils. Il s'est tant éloigné de moi, de sa famille… lorsque je le retrouve enfin, je me rends compte qu'une autre, une étrangère le connaît bien mieux que moi, sa propre mère. Cela m'a affligée…
La Marchéenne poussa un soupir.
- Ce n'est pas à moi de vous raconter le passé de Cullen, répondit Lédara, mais tout ce que je peux vous dire, c'est que ce qu'il a vécu le hante encore aujourd'hui. Il vous a mis en retrait parce qu'il voulait vous protéger avant tout. Il ne faut pas que vous y voyez autre chose que cela.
Des larmes se mirent à couler sur les joues de Mathilda.
- Cullen a mis beaucoup de temps à me confier ses sentiments, continua-t-elle. Il s'y refusait catégoriquement… mais j'ai l'impression qu'à partir de maintenant, vous verrez votre fils plus souvent.
Lédara lui adressa un sourire encourageant.
- Merci, Votre… ma Dame, dit Mathilda en lui rendant son sourire et en effaçant ses larmes.
- Allons manger, conclut Lédara en se levant.
Les deux femmes riaient aux éclats lorsqu'elles entrèrent dans la petite salle à manger où les attendaient Cullen, Rupert et Mia. L'ancien templier lança un regard à la fois interrogateur et soulagé à la Marchéenne quand elle s'assit à ses côtés, heureux de voir que sa mère s'était déridée face à sa bien-aimée.
Le repas se déroula dans la joie et les éclats de rire, Lédara découvrant l'enfance de Cullen au travers des anecdotes de sa famille, et elle-même dévoilant des souvenirs de sa propre enfance dans les Marches Libres.
Une fois repus, Rupert, Mathilda et Mia se retirèrent dans leur chambre, fatigués mais heureux de leur journée. Cullen et Lédara se retrouvèrent ensemble et l'ancien templier proposa de retourner dans les jardins afin de terminer tranquillement la soirée. Lédara accepta avec gaieté malgré les tiraillements de douleurs qui pulsaient dans son bras gauche, et les deux dirigeants se rendirent dans les petits jardins illuminés de torches.
La lune brillait dans le ciel entaché de quelques nuages sombres, faisant jouer les ombres sur la neige. Cette dernière qui recouvrait le pavillon avait été déblayée et des sièges y avaient été installés avec des coussins et des fourrures. Au centre, un échiquier sur lequel une partie semblait avoir été entamée attendait ses joueurs.
- Prête à finir notre partie ? demanda Cullen.
- Tu l'as fait conserver ? s'exclama la jeune femme en s'approchant du plateau.
Les deux amants s'assirent à leur place respective dans les sièges confortablement aménagés. Il fallut plusieurs minutes aux deux joueurs pour se remémorer leurs derniers coups et se souvenir de leur stratégie.
Après un long silence, Lédara déplaça son cavalier avant de se masser la main gauche avec insistance.
L'ancien templier saisit sa tour et l'avança de deux cases. Lédara s'affaissa dans son siège, en pleine réflexion. Tandis qu'elle était absorbée par le jeu, Cullen sortit discrètement la bague de sa grand-mère que son père lui avait apportée. Il la garda au creux de sa main, se reformulant les paroles qu'il allait prononcer d'un moment à l'autre.
Alors que la Marchéenne jouait enfin son coup, Cullen tendit sa main et arrêta net le geste de la jeune femme :
- Jouez plutôt cette pièce-là, murmura-t-il en glissant la bague dans la main de Lédara.
- Surprise, elle regarda au creux de sa main le petit bijou qui brillait à la lueur des flammes.
- Lédara, reprit Cullen dans un murmure, veux-tu m'épou…
- Inquisitrice, les interrompit un éclaireur que l'instant ne les avait pas fait remarquer. Une missive de…
Mais l'éclaireur n'eut pas le temps de terminer sa phrase.
- J'ai demandé à ne pas être dérangé, grogna le Commandant qui se crut porteur d'une malédiction.
Le jeune homme prit peur devant les yeux courroucés du Commandant, mais ne put cependant pas rebrousser chemin.
- Ce… c'est important, Votre Grâce… Dame Montilyet a dit… bégaya-t-il avec nervosité.
- Donnez-la-moi, finit par dire l'Inquisitrice en tendant sa main libre et cachant la bague dans le creux de son autre main.
L'éclaireur remit le pli à la Messagère et fit quelques pas en arrière afin de mettre de la distance entre lui et le Commandant.
Lédara décacheta l'enveloppe et se mit à lire la missive avec de plus en plus d'attention. Puis elle se leva soudain et fit quelques pas dans le jardin tout en finissant de lire la lettre. Son visage s'était d'abord assombri, puis devint pâle.
- Que se passe-t-il ? s'inquiéta Cullen en se levant à son tour et la rejoignant.
La jeune femme lui tendit la lettre. Il la parcourut rapidement des yeux, puis jura involontairement avec colère.
- Ce n'est pas possible, s'exclama-t-il après avoir terminé la missive. Pourtant Cassandra nous en a préservé jusqu'à maintenant !
- Elle ne pouvait pas le faire indéfiniment, murmura Lédara, il fallait bien que cela arrive un jour…
- Nous pouvons peut-être encore y échapper, suggéra Cullen.
- Non, répondit Lédara d'un ton catégorique. Je suis convoquée au Conseil exalté. Autrement dit, Orlaïs et Férelden ont décidé de faire mon procès…
