Résumé: Durant l'absence de Severus à New-York, Lucius a de plus en plus de mal à réfréner son désir pour Harry, au point de préférer le fuir. Ils retrouvent leur complicité lorsque Severus revient, mais celui-ci, accaparé par le travail, voit d'un très mauvais oeil leur rapprochement et devient extrêmement jaloux. Au point que c'est à Lucius que Harry demande de l'accompagner pour vider la maison d'Andromeda, un moment qui leur permet de jouer l'un avec l'autre tout en échangeant souvenirs tristes et confidences. Après une énième crise de jalousie de Severus, Lucius va passer la nuit avec Mark, un de ses anciens mignons, dont la fragilité et la tendresse le bouleversent.

à Shoupito: Merci! J'espère que tu apprécieras autant la suite!

Un petit chapitre un peu plus rapidement, parce qu'il est la suite immédiate du précédent et que j'ai gratté un week-end de quatre jours... ^^

Bonne lecture


– Allez, debout !

À côté de lui, la voix familière de Severus semblait bien trop dynamique pour émerger à peine du sommeil et le sourire qui tempérait son injonction ne convainquait nullement Harry. Il se contenta de grogner son désappointement à être ainsi secoué de si bonne heure.

– Debout ! Il fait grand jour et un peu de natation te fera le plus grand bien !

Il gémit de plus belle tandis que Severus ricanait devant ses yeux gonflés de sommeil qu'il peinait à ouvrir dans la lumière trop vive de la chambre.

– Si je descends avec la couette et que je te regarde nager, ça suffit ?

– Non, ça ne suffit pas ! Debout !

Non sans traîner les pieds, Harry se leva péniblement et suivit Severus dans l'escalier en colimaçon pour descendre à la piscine. Il n'avait pas pris la peine de s'habiller, ne serait-ce qu'un pantalon, mais il savait que Lucius n'était pas encore rentré et Severus, lui, ne se plaindrait pas de sa nudité.

Il lui semblait toujours étrange de vivre ce que Lucius avait vécu pendant tant d'années : le réveil si matinal de son amant. Pour l'instant, Severus prenait encore la peine de le réveiller, soit d'un câlin entreprenant qui débouchait sur une partie de jambes en l'air, soit pour descendre faire sa séance de natation quotidienne. Mais Harry avait malgré tout davantage besoin de sommeil que Severus, et il ne doutait pas qu'un jour prochain, quand son amant aurait trop de mal à le réveiller, il finirait par disparaître en silence et descendre sans lui, l'abandonnant dans le lit comme il le faisait avec Lucius. Il se souvenait parfaitement des mots désabusés de l'aristocrate : « Je me réveille rarement à ses côtés ». Alors, malgré tout, il faisait l'effort de se lever.

Heureusement, l'eau était chaude, un peu plus même depuis qu'il avait demandé en toute discrétion aux elfes du Manoir d'augmenter légèrement sa température, ce qu'ils avaient fait avec le plaisir évident de lui rendre service. Harry se coula dans l'eau comme dans un bon bain, délassant à souhait, et ferma les yeux de plaisir.

– Vas-y. Fais les trois premiers kilomètres et je te rejoins pour la fin.

– C'est ça, ricana Severus. Prends-moi pour un idiot !

Les lèvres exigeantes de son amant le surprirent mais le temps d'ouvrir les yeux, Severus avait déjà plongé pour enchaîner les longueurs.

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Bercé par les mouvements de l'eau, Harry laissa ses pensées dériver, repensant à sa visite de la maison d'Andromeda la veille avec Lucius, aux aveux que l'aristocrate avait concédés, sur le comportement de Severus, sur son inquiétude sous-jacente et sur le désir qu'il avait pour lui. Un désir qu'il éprouvait aussi pour Lucius et dont il ne se cachait plus, excepté devant Severus.

Bizarrement, la situation s'était complètement inversée : Severus était devenu le nœud du problème, celui dont la jalousie minait leurs relations à tous les trois et la paix du Manoir. Harry était certain de ses sentiments pour son amant, même s'il n'avait jamais prononcé les mots fatidiques, mais il ne pouvait pas nier que le comportement récent de Severus ne jouait pas sur ses certitudes et son enthousiasme.

Plus ils dormaient ensemble et moins ils faisaient l'amour, et cela aussi l'inquiétait. Ce qui était auparavant exceptionnel et précieux, était devenu d'une banalité qui diluait le désir dans le temps et dans l'habitude. Cette nuit encore, ils n'avaient pas couché ensemble, pas plus que la nuit précédente, et cela ne lui manquait pas outre mesure. C'était normal sans doute : ils n'allaient pas éternellement s'envoyer en l'air tous les jours, voire plusieurs fois par jour, mais cela le troublait malgré tout. Severus n'en disait rien et ne manifestait ni manque, ni inquiétude, mais Severus ne manifestait pas grand chose au sujet de leur relation, comme s'il se contentait de la vivre au jour le jour.

Harry ne savait pas avec quelle fréquence Lucius et Severus avaient des rapports ensemble, mais le mot qui lui venait en tête était « souvent ». En même temps, « souvent », au vu de ce qu'avait été sa propre vie sexuelle depuis Charlie et son départ d'Europe, ne voulait pas dire grand-chose; tout était plus souvent que ce néant qui avait duré tant d'années sans que ce soit une souffrance ou même une interrogation. Mais aujourd'hui, c'était redevenu un besoin, presque vital, comme lorsqu'il avait dix-huit ans.

Il savait que Lucius, lui aussi, avait toujours des appétits conséquents en matière de sexe, et d'ailleurs, cette abstinence forcée par le refus de Severus devait lui peser d'une manière que Harry imaginait mal. Peut-être que le désir qu'il avait envers lui n'était dû, en grande partie, qu'à ce sevrage non-désiré et que cela se calmerait une fois les deux hommes réconciliés ? Dans tous les cas, la situation entre eux ne pouvait pas perdurer ainsi, mais Harry ne savait comment aborder cela avec son amant sans le braquer davantage ou paraître se mêler de choses qui ne le regardaient pas.

Severus paraissait de bonne humeur ce matin, c'était peut-être l'occasion qu'il attendait depuis un moment mais en même temps, gâcher ce moment de complicité pour une discussion sérieuse ne lui faisait pas envie. Il préférait profiter un peu de son amant dans de bonnes dispositions, souriant, léger et sensuel alors qu'il était lui aussi dans le même état d'esprit. Finalement, il avait même envie de sexe. Ou au moins d'un minimum de contact physique qui déboucherait certainement sur du sexe.

– Eh bien ? Tu t'endors à moitié dans l'eau... Tu essaies de te noyer ? ricana Severus, à peine essoufflé en rejoignant le bord à côté de lui.

– Mmhh... Je suis bien..., marmonna Harry sans même ouvrir les yeux.

Depuis que Severus avait commencé à nager, il se servait du rebord de la piscine pour caler sa tête en laissant son corps flotter sur le dos entre deux eaux, se contentant de vagues mouvements pour maintenir sa position.

– Je veux bien croire que tu es bien ! Au vu de ton sourire béat et de ton érection !

Harry sourit devant le ton moqueur de son amant et ouvrit les yeux pour rencontrer son regard sombre. Accoudé sur le carrelage, Severus le contemplait avec une gourmandise pleine d'ironie et reposait ses muscles fatigués en attendant sa réaction. Ou son bon vouloir.

– On l'a encore jamais fait dans la piscine ? sourit Harry en se tournant pour venir se coller contre le dos de son amant.

– Pas que je me souvienne. Ou alors ça n'a pas été convaincant, railla Severus.

Harry voulut mettre une claque sur les fesses de son amant, que la résistance de l'eau rendit dérisoire et inutile.

– Est-ce qu'il y a des fois où je n'ai pas été convaincant ? gronda-t-il à l'oreille de Severus avant de la lui mordre jusqu'à lui arracher un gémissement de douleur.

Se plaquant contre lui, Harry saisit à pleines mains les fesses de son amant, les écarta légèrement pour venir y intercaler son sexe et ondula de quelques mouvements de bassin dont les simples frottements lui déclenchèrent des frissons puissants. Severus s'était cambré pour lui laisser un accès plus facile et Harry ne résista pas plus longtemps à l'envie de le pénétrer. Il fut surpris de voir que les sortilèges de lubrification fonctionnaient même dans l'eau et regretta de ne pas en avoir profité plus souvent, avant de se laisser emporter par les sensations divines que lui procurait l'étroitesse de Severus.

Rapidement cependant, la contrainte de l'eau l'agaça et sans même y réfléchir, il fit en sorte que la magie les transporte dans sa chambre, secs si ce n'était la sueur qui commençait à ruisseler dans son dos. Tous deux à genoux sur le lit, Harry enlaçait son amant, caressant sa gorge ou martyrisant ses tétons tandis que Severus venait s'empaler de lui-même sur son sexe dressé qui n'attendait que cela. Leurs halètements et le son du claquement de la chair contre la chair emplissaient le silence du Manoir, désordonnés, furieux, avides de plaisir.

Derrière lui, Severus cherchait son corps, ses hanches, ses fesses, quelque chose pour s'agripper et le faire venir toujours plus profondément en lui. La vision de ces bras tendus vers l'arrière avait quelque chose de très excitant et Harry laissa Severus aller et venir sur lui jusqu'à ce que l'envie de reprendre le contrôle soit la plus forte. Il saisit ces bras de ses mains, les bloqua dans le dos de son amant et entama des va-et-vient secs et rapides qui secouaient le corps de Severus cambré comme un arc.

La douceur ne lui faisait plus envie, pas plus que les caresses ou la délicatesse; Harry avait besoin d'une certaine fureur, de quoi évacuer une énergie inemployée, quelque chose de brusque, de puissant, de brutal. Quelque chose à quoi Severus se laissait aller avec une docilité surprenante.

Harry relâcha soudain sa tension sur les bras de son amant et l'obligea à se pencher jusqu'à ce que le visage de Severus repose sur les draps, les yeux clos et perlant de sueur. Dans cette position: à genoux et incliné vers l'avant, les bras retenus dans son dos, son amant semblait le plus beau des captifs et Harry dut ralentir le mouvement pour ne pas jouir immédiatement. Mais le souffle de Severus s'était fait plus rapide et plus sonore, signe de sa montée vers le plaisir et Harry reprit sa cadence jusqu'à entendre le grondement rauque caractéristique de l'orgasme de son amant et pouvoir enfin jouir à son tour.

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Le rayon de soleil qui tombait de la fenêtre lui chauffait agréablement le visage mais la lumière devenait trop vive malgré ses paupières closes, et Severus tourna la tête en grognant. Un ricanement moqueur lui parvint dans ce demi-sommeil, reconnaissable entre mille, puis la voix moqueuse de Harry lui fit brusquement redresser la tête.

– Alors ? Ça va mieux après cette petite sieste ?

– Quelle heure est-il ?!

– Une heure raisonnable pour se lever, cette fois-ci ! Tu n'as dormi qu'une vingtaine de minutes, pas de quoi te mettre en retard à la Librairie. Mais tu en avais visiblement besoin !

Severus s'étira paresseusement tandis que Harry ricanait de plus belle, visiblement satisfait de ses effets sur lui.

– Ne fais pas le malin ! fit-il en se mettant à quatre pattes pour surplomber son amant qui lisait tranquillement. Tu t'es pris pour Lucius ou bien ?

– Et encore ! Estime-toi heureux que je n'ai pas utilisé la magie puisque tu n'aimes pas ça.

– Je n'ai pas dit que je n'aimais pas ça. J'ai dit que c'était particulier et surprenant, et qu'il ne fallait pas en abuser... mais je ne suis pas contre de temps en temps.

– Ah oui ? fit Harry avec un sourire carnassier. Méfie-toi, je saurai m'en souvenir !

– Des promesses..., ricana Severus en l'embrassant rapidement. Allez ! Debout, maintenant ! Il est temps d'aller à la douche, au petit-déjeuner et au boulot !

D'un bond souple, il se leva et s'avança vers la fenêtre pour tirer en grand les rideaux entrouverts.

– Sans moi, répondit Harry en se coulant à nouveau dans les draps. J'ai pris ma journée...

– Qu'est-ce que c'est que cette lubie ? Tu as besoin de temps pour te remettre d'une partie de jambes en l'air ?!

– Je voulais commencer à lire tous les courriers et les carnets que j'ai ramenés de chez Andromeda...

– Oh.

En tournant la tête vers Harry toujours étendu de tout son long dans le lit, Severus aperçut le coffret que le jeune homme avait posé sur le secrétaire de sa chambre en rentrant la veille. Il ne savait pas trop ce qu'il contenait mais Harry avait paru chamboulé par ce qu'il avait trouvé et surtout nerveusement épuisé.

– Ça va aller, fit le jeune homme en souriant. Je n'ai pas besoin que tu me tiennes la main pendant que je lis tout ça. Et sans vouloir te vexer, je préférerais même que tu ne sois pas là.

Severus hocha la tête, vaguement vexé malgré tout, à la fois par ce que venait de dire Harry, et parce que le jeune homme avait cette désagréable habitude de lire en lui si facilement qu'il se sentait ensuite obligé de vérifier systématiquement ses barrières d'occlumancie. Elles restaient intactes, bien entendu; Harry était simplement assez fin psychologue et observateur pour deviner ses pensées et lire ses émotions sur son visage. Severus grimaça intérieurement. Merlin ! S'il avait été aussi transparent pendant la guerre, il n'aurait pas tenu plus de quelques jours face aux mangemorts et au Seigneur des Ténèbres ! Il fallait croire que la paix l'avait conduit à relâcher sa méfiance et sa maîtrise habituelles de manière beaucoup trop laxiste. Ou bien était-ce parce qu'il souhaitait être foncièrement honnête vis à vis de Harry et qu'il ne cherchait plus à cacher ses sentiments derrière des faux-semblants ?

– Ne fais pas cette tête, sourit Harry en se levant pour le rejoindre. Toi et moi savons très bien que si tu es présent, tu vas être aux aguets de mes réactions et que, probablement, je ne lirai même pas ces lettres... Ne m'en veux pas si parfois j'ai besoin d'une certaine intimité.

– Je ne t'en veux pas, fit Severus en relevant doucement le menton du jeune homme pour l'embrasser. Je sais que tu as raison. J'aimerais juste pouvoir... être plus utile, et pouvoir t'éviter tout ça.

– Je ne suis pas un enfant, Severus ! fit Harry en riant. Cesse de vouloir toujours me protéger. Il y a une demie-heure, tu étais à genoux presque à supplier que je te fasse jouir et maintenant, tu voudrais jouer les amants protecteurs ?!

– Le jour où tu me verras supplier pour quoi que ce soit n'est pas prêt d'arriver ! bougonna-t-il en s'écartant de Harry.

– Mets ta fierté où tu veux, ça ne me regarde pas ! sourit le jeune homme. Mais, Severus... ? Je voudrais vraiment que tu te réconcilies avec Lucius. Réellement. Et s'il faut te supplier pour ça, ça ne me pose aucun problème.

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Severus resta sous la douche plus longtemps qu'à son habitude, profitant de sa solitude dans sa propre chambre pour songer à ce qui venait de se passer. Harry n'avait pas tort en disant qu'il cherchait trop à le protéger, et pourtant il s'était promis de ne pas reprendre ce rôle que lui avait confié Mayahuel. Harry avait simplement besoin qu'il soit là après, s'il avait besoin d'en parler ou de venir chercher du réconfort dans ses bras, mais certainement pas pour le surveiller et lui tenir la main pendant la lecture de ces lettres.

Et il n'avait sans doute pas tort non plus sur la nécessité de se réconcilier avec Lucius. Severus avait beau être jaloux des désirs qu'il éprouvait pour Harry, son compagnon commençait sérieusement à lui manquer. Sa façon de lui parler – ou de ne pas parler lorsqu'il leur suffisait de se regarder pour se comprendre – sa façon d'être avec lui, de le toucher, de l'embrasser, de lui faire l'amour, tout lui manquait. Leur complicité forgée par les années, leur connivence instinctive, bien plus forte que celle qu'il partageait avec Harry, laissaient un vide en lui.

Avec son amant, Severus avait encore trop besoin que les choses soient dites, mises à plat, décortiquées. Leurs réactions, peut-être surtout les siennes d'ailleurs, nécessitaient des explications pour ne pas que l'un ou l'autre, comme tout à l'heure, finisse vexé sur une incompréhension ou un non-dit. Rien n'était encore simple et spontané comme il l'aimait, rien n'était intuitif. Cela viendrait sans doute avec le temps, mais cette fluidité qu'il connaissait avec Lucius lui faisait cruellement défaut.

Et puis Harry n'était pas dupe de son petit jeu qui consistait à passer seul dans sa chambre les nuits qu'il était censé passer avec Lucius. Ce demi-mensonge n'était pas quelque chose dont il était fier. Cela ne collait pas avec son désir d'être en tout point honnête avec Harry et il ne voulait pas trahir trop longtemps sa confiance. Et puis Severus n'aimait pas dormir seul. Il n'en avait plus l'habitude et ces nuits solitaires lui laissaient un goût amer le matin au réveil, celui d'une trahison envers Harry et celui d'une punition infligée à Lucius, mais aussi à lui-même. Plus le temps passait, plus il aurait préféré passer ces nuits avec son compagnon et plus certaines pratiques lui manquaient.

Quoique... au vu de ce qui venait d'avoir lieu avec son amant, il se sentait provisoirement rassasié. Harry avait été surprenant. Il ne pouvait pas dire qu'il s'en plaignait, loin de là, et c'était sans doute la meilleure séance de sexe qu'il avait eue depuis bien longtemps – depuis la fois où Lucius avait baisé sa bouche... ou peut-être depuis celle où il l'avait immobilisé contre la porte en lui enjoignant de se taire – mais Severus savait qu'il ne pourrait jamais demander certaines choses au jeune homme. Et cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas eu mal, qu'il n'avait pas ressenti ce plaisir de la douleur, pour qu'une séance dans l'antichambre avec Lucius ne le fasse cruellement rêver.

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ooOOoo

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Harry replia la lettre et la rangea soigneusement avec les autres avant de se servir une nouvelle tasse de thé. Celle-ci n'avait pas été très intéressante. Provenant d'une parente éloignée, elle ne contenait que des nouvelles de personnes qu'il ne connaissait pas et aucune information digne d'intérêt à ses yeux. Comme la veille pour la visite de la maison, il avait commencé par le courrier d'Andromeda, se gardant tout ce qui concernait Tonks, puis Remus pour la fin. S'il en avait le courage.

Se renfonçant contre le dossier moelleux de son fauteuil, sa tasse brûlante entre les mains, il ferma les yeux pour un instant de pause bienvenu. Severus était parti depuis plusieurs heures, et après s'être attelé un moment à son courrier avec Sky, il avait traversé le Manoir vide pour s'installer dans la Bibliothèque et attaquer la lecture de ces lettres.

Ouvrant les yeux, Harry parcourut du regard cette pièce qu'il aimait beaucoup. Les murs recouverts par les couvertures sombres des livres donnaient une impression permanente de semi-obscurité et de densité presque étouffante. Du sol au plafond, les étagères d'acajou croulaient sous les ouvrages anciens dont l'odeur entêtante réveillait en lui des souvenirs enfouis. Le plaisir des longues heures d'étude à Durmstrang et BeauxBâtons, le silence entrecoupé de voix à peine chuchotées, cette sensation d'immobilité et d'éternité capables de traverser les siècles.

La Bibliothèque du Manoir dégageait ces mêmes parfums de poussière et de parchemin d'autrefois, l'odeur des vieux livres et du savoir, une impression de paix et de tranquillité qu'il trouvait profondément rassurante. Et le souvenir piquant de Severus en train de le prendre à plat ventre sur la table de travail ne faisait que rajouter à son sourire et à son plaisir d'être là.

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Avec un sursaut de surprise, Harry entendit la grande porte du Manoir s'ouvrir. Le retour plus que tardif de Lucius l'étonnait tout autant que sa propre capacité à reconnaître peu à peu les bruits de la maison. Le son que faisait telle porte plutôt qu'une autre lui était devenu familier, tout autant que le grincement particulier du parquet du couloir juste devant le bureau de Lucius, qui signait ses entrées et ses sorties aussi sûrement qu'un majordome ne l'aurait fait. Même leur façon de marcher ou le bruit de leurs chaussures ne lui étaient plus étrangers, et il savait, bien avant leur arrivée dans la pièce, lequel des deux hommes approchait.

Il tourna les yeux vers la porte, incertain de la venue de Lucius dans cette pièce qu'il fréquentait peu, jusqu'à la voir s'ouvrir en grand sur sa silhouette longiligne et distinguée. L'elfe de service dans le Hall lui avait certainement précisé sa présence et l'aristocrate venait sans doute le saluer. Mais en lieu et place d'un simple « Bonjour », Lucius vint s'asseoir pesamment dans un fauteuil à côté de lui, croisant les jambes en grimaçant légèrement.

Harry inclina la tête en souriant.

– Lucius...

L'aristocrate lui sourit en retour, un sourire fatigué et légèrement triste qui le surprit.

– Bonjour, Harry.

Les yeux de Lucius affichaient des cernes impressionnants et son regard gris semblait voilé.

– Vous avez passé une bonne soirée ? fit Harry en reposant sa tasse vide. Je ne savais même pas que vous deviez sortir hier soir...

– Ce n'était pas tout à fait prévu, avoua Lucius. Et ce fut... étrange.

– Étrange ? releva Harry tandis que dans l'encadrement de la porte, la voix nasillarde d'un elfe de maison se faisait entendre.

– Maître ? Une communication par cheminette dans votre bureau...

Lucius tourna brusquement la tête en fronçant les sourcils, soudain beaucoup plus alerte.

– Qui ?

– Mandy Woodward, répondit l'elfe en reculant d'un pas, presque apeuré.

L'aristocrate se leva d'un bond, le visage grave et soucieux – pour un peu, Harry aurait dit « inquiet » – avant de disparaître dans le couloir du Manoir, le laissant seul et légèrement décontenancé par son attitude.

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– Mandy ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

– Lucius, répondit le visage préoccupé de son ancienne secrétaire. Ça a été hier soir avec Mark ? Quelque chose s'est mal passé ?

Lucius sursauta, surpris de la question. La soirée et la nuit avaient été étranges, chargées d'émotion tout autant que de sexe, mais il ne pouvait pas dire que quelque chose s'était mal passé.

– Non. Pourquoi ?

– Mark a refusé d'établir une quelconque facture à l'Agence. J'ai eu beau insister, rien n'y a fait, il ne veut pas être payé pour la soirée. Je me disais que peut-être, il ne t'avait pas satisfait.

Lucius esquissa un sourire triste et résigné. Mark avait sa fierté et Mandy n'en obtiendrait rien. Il comprenait les raisons qui avaient poussé le jeune homme à ce geste et il ne pouvait que lui reconnaître une certaine élégance. Mark avait sans doute l'impression de ne pas avoir rempli son rôle, de s'être épanché sur son sort alors qu'il n'aurait pas dû, d'avoir larmoyé sur son existence quand Lucius était venu chercher du sexe et un corps qui le satisfasse. Peut-être même se sentait-il coupable d'avoir fait pression pour obtenir ce que Lucius ne pouvait lui donner.

Mais il ne lui en voulait pas. Bien au contraire. Ce que Mark lui avait offert cette nuit allait bien au-delà du sexe. Il lui avait redonné l'impression d'être humain. D'être quelqu'un de bien et de bienveillant. Et cela n'avait pas de prix.

– L'Agence m'a dit aussi que tu avais pris le statut de Membre Protecteur ? insista Mandy en fronçant les sourcils devant son silence.

– C'est exact, répondit Lucius avec un sourire tranquille.

Il ne l'avait jamais fait à l'époque de son passage au Ministère et certainement pas depuis qu'il avait quitté ses fonctions et qu'il ne faisait plus appel aux services de l'Agence, mais ces retrouvailles avec Mark l'avaient mis en face de ses responsabilités et surtout en face de la réalité de la vie du jeune homme. Ses mots l'avaient frappé, durement. « Je ne suis qu'une jolie petite pute, juste bonne à offrir son cul et dont aucun homme ne voudra jamais ». « Tu es bien plus que ça », avait-il répondu en caressant son visage.

Il ne pourrait sans doute jamais être celui dont rêvait Mark, mais le statut qu'il avait pris permettrait au jeune homme d'être davantage protégé. Il pourrait choisir ses clients sans être pénalisé financièrement – Lucius venant couvrir le manque à gagner pour l'Agence – et en refuser certains : les moins respectueux, les clients malsains ou violents sur lesquels Mark refusait de s'étendre.

Cela ne représentait presque rien pour Lucius : un simple mécénat de plus parmi toutes les subventions qu'il accordait à droite et à gauche, mais cela adoucirait peut-être un peu la vie de Mark. Et celles de Sean et Antonio.

– Ne t'inquiète pas, fit-il à Mandy d'un ton rassurant. Tout s'est très bien passé avec lui. Et je te remercie encore de ton efficacité.

Malgré ses mots, le visage de Mandy restait perplexe.

– Lucius, est-ce que tout va bien ?

Il sourit pour toute réponse et coupa la communication d'un geste de la main.

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– Tout va bien, Lucius ? fit en écho la voix de Harry lorsqu'il pénétra à nouveau dans la Bibliothèque.

Il sourit paisiblement en retournant s'asseoir dans son fauteuil.

– Oui, tout va bien. Rien d'inquiétant.

Harry l'observa un instant d'un regard circonspect puis dut juger son sourire suffisamment convaincant pour valider sa réponse et se détendre.

– Alors, cette soirée d'hier ? le taquina-t-il. Qu'avait-elle de si étrange ?

L'obstination amusée du jeune homme le fit rire et Lucius éluda par une autre question.

– Et la tienne ? Tu as l'air plutôt... satisfait.

– Je ne suis pas à plaindre, fit Harry avec un sourire entendu.

– Je vois, se moqua gentiment Lucius. Fatigué au point de devoir rester à la maison aujourd'hui ?

Harry ne put s'empêcher de frémir aux mots de Lucius. Ce à la maison qu'il employait si naturellement à son propos pour désigner le Manoir lui faisait chaud au cœur d'une manière inexplicable.

– Ça n'a rien voir. J'ai pris ma journée pour commencer la lecture de tout ça, fit-il avec un signe de tête en direction du coffret posé sur une table basse.

– Mmh. Et est-ce que ça va ?

– Oui, ça va. Pour l'instant. Mais je garde le meilleur pour la fin, ironisa Harry.

Lucius l'observa un moment en silence. Le jeune homme était cruellement sincère et il ne doutait pas qu'il avait surtout pris sa journée pour être seul en découvrant ces souvenirs amers.

– Je te laisse tranquille, fit-il en se levant. Je vais faire un tour dans les jardins, j'ai besoin d'air.

Harry fronça les sourcils une seconde puis se leva à son tour.

– Si vous le voulez bien, je vous accompagne... Un peu d'air frais me fera le plus grand bien aussi, et je n'essayais certainement pas de vous chasser, Lucius. Tout ça peut bien attendre. Les morts sont morts et enterrés depuis longtemps.

Lucius sourit pour toute réponse et lui offrit son bras pour quitter le Manoir.

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oooooo

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En descendant les marches de la terrasse, Harry ricanait intérieurement. Comme une demoiselle de bonne famille, il se promenait au bras de Lucius dans des jardins magnifiques, au son du chant des oiseaux et du bruissement doux des fontaines, et sous un soleil radieux sans être trop puissant. S'il avait vraiment été une jeune fille de bonne famille, il aurait sans doute porté une robe toute en volants et en dentelle, et une ombrelle délicate pour se protéger de la lumière. Mais il était Harry Potter, en pantalon de lin et en chemise blanche, sans doute trop entrouverte sur son torse pour être décente, les cheveux un peu en bataille et le teint trop hâlé, au bras de Lucius dont il doutait même qu'il se soit rendu compte de son geste et de la position que cela leur conférait. L'aristocrate lui avait offert son bras avec une grâce si naturelle et une spontanéité si désarmante qu'il ne lui était même pas venu à l'idée de refuser. Et à présent, il aurait presque souhaité qu'un photographe indélicat immortalise cette scène si charmante.

– Qu'est-ce qui te fait sourire ainsi ?

– Cette façon de me promener à votre bras, gloussa Harry. Severus en ferait probablement une syncope.

Il tourna la tête vers Lucius qui souriait autant que lui mais dont la fatigue lui sauta à nouveau aux yeux. La lumière du plein jour révélait une pâleur surprenante que la semi-obscurité de la Bibliothèque avait dissimulée.

– Sans doute parce que Severus a toujours rêvé que je l'introduise ainsi au bal des Malfoy ou à toute réception en société...

Lucius avait parlé sans amertume ou gêne mais la vérité de ses paroles effaça instantanément le sourire de Harry. Il savait que, même s'il semblait aujourd'hui résigné, Severus avait longtemps attendu une reconnaissance officielle de la part de Lucius. Ce qui lui avait paru admissible pendant les années où son compagnon avait œuvré au Ministère ou dans certains milieux huppés, lui avait paru beaucoup moins compréhensible une fois Lucius retiré de la vie politique et mondaine. Et ce silence voulu sur leur relation, alors même que bien des gens savaient, restait un accroc dans leur bonheur paisible.

– Pourquoi ?

Lucius ne s'était pas mépris sur le sens de sa question et il répondit sans tergiverser.

– Parce que cela m'enlèverait beaucoup de crédibilité et d'influence. C'est malheureux à dire mais c'est ainsi. Les gens ne sont pas prêts à confier trop de responsabilité à un homme qui vit avec un autre homme, et je tiens à préserver le petit rôle qui me reste. J'ai déjà abandonné beaucoup pour Severus.

Lucius avait rarement été aussi franc sur ce sujet et Harry s'étonna de ce qui motivait cette honnêteté soudaine. Les regrets de l'aristocrate restaient vifs, prégnants, et s'il assumait parfaitement son couple dans le privé, il ne voulait pas non plus tout lui sacrifier. Chacun d'eux avait dû faire des concessions.

– Le fait d'être veuf de Narcissa me protège un peu de cette image de décadence que beaucoup verraient autrement, mais ça ne fait pas tout. Et puis aujourd'hui... Severus s'est fait à cette idée. Ça n'a plus beaucoup d'importance.

De cela, Harry doutait fortement mais il ne voulut pas le soulever. Selon lui, même s'il n'en disait plus rien, Severus conservait beaucoup d'amertume et de rancœur envers son compagnon pour ce qu'il estimait au final être une lâcheté, mais il était délicat de se mêler de cela, surtout étant donné l'état de leurs relations actuelles.

Au détour d'une allée, ils croisèrent un des paons du Manoir, occupé à gratter la terre pour picorer des graines ou de petits insectes, traînant derrière lui ses longues plumes blanches et complètement indifférent à leur présence.

– Tout va bien... entre vous ? demanda soudain Lucius alors que Harry songeait encore à ce présent de Draco venu remplacer les paons tués par Voldemort.

Il tourna la tête vers l'aristocrate, surpris de cette question qui aurait pu paraître intrusive si elle n'avait pas été posée par Lucius, et il s'obligea à la même franchise que lui.

– Oui. Je ne peux pas dire que je ne lui en veux pas... pour son comportement envers vous. Et pour d'autres petites choses. Il est parfois... maladroit. Ou dans l'excès. Mais ça va. Et le sexe rattrape bien des choses ! fit-il en riant.

Lucius sourit en approuvant de la tête.

– Tant mieux. Je ne voudrais pas que tout cela soit vain... Et puis, Severus n'a jamais été quelqu'un de réfléchi, ou de mesuré. Et il l'est sans doute de moins en moins.

– Comment faites-vous pour supporter son comportement ? s'exclama Harry malgré lui. Comment faites-vous pour ne pas être en colère contre lui ? Pour ne pas exploser ? Il est injuste envers vous, il est... Il ne s'est rien passé entre vous et moi, et il vous le fait payer quand même !

Devant son attitude outrée et son emportement soudain, Lucius se contenta de sourire à nouveau, plus flegmatique que jamais.

– C'est ainsi. Je ne dis pas que son comportement n'est pas blessant. Mais je prends sur moi pour ne pas lui en vouloir. Je comprends ce qu'il ressent, ce qui motive sa jalousie. Et je lui ai sans doute fait bien pire autrefois... Je ne peux que l'excuser. Et je l'aime assez pour que son bonheur personnel compte plus que le mien.

– Vous l'aimez plus que moi alors, lâcha Harry d'une voix sceptique.

– Peut-être..., sourit Lucius.

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Les paroles de Lucius tournaient encore et encore dans son esprit et Harry avait toujours du mal à comprendre cette distance et cette capacité à relativiser dont faisait preuve l'aristocrate. S'il l'aimait autant qu'il le disait, comment pouvait-il tolérer sereinement la façon dont Severus le traitait, sa méfiance, ses remarques acerbes, sans même répondre ou protester ? Comment pouvait-il attendre patiemment en espérant que Severus ouvre les yeux et se rende compte de sa propre attitude ? en espérant qu'il lui fasse confiance à nouveau ? Comment pouvait-il être certain que Severus revienne vers lui ? À moins qu'il ne le soit pas. Auquel cas, c'était encore plus effrayant.

Et puis, au milieu des mots de Lucius, il entendit à nouveau les siens, « vous l'aimez plus que moi », cet aveu inopiné de ses sentiments pour Severus, impromptu et surgi comme une évidence. C'en était une aux yeux de Lucius sans doute depuis longtemps, et aux yeux de bien d'autres, mais ces mots qu'il venait de prononcer, il ne les avait encore jamais dits à Severus, comme si l'aveu était plus aisé à n'importe qui plutôt qu'au principal concerné.

En levant le nez vers le ciel d'un bleu étincelant, Harry sourit à nouveau, parcouru de frissons dans le ventre qui le chatouillaient délicieusement et qui prenaient peu à peu de l'ampleur pour venir exploser dans sa poitrine dans une grande gerbe de chaleur et de bonheur. Oui, il aimait Severus. Malgré tout. Malgré son tempérament parfois emporté, malgré ses sarcasmes, sa mauvaise foi, son orgueil et son amertume, il aimait Severus avec passion, tout entier et jusque dans ses défauts. Et il lui faisait suffisamment confiance pour finir par maîtriser cette jalousie qui les minait tous.

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Les massifs de fleurs avaient laissé place à de vastes pelouses, d'un vert lumineux, aussi parfaites que pouvait l'être un gazon en Angleterre. Devant eux, au loin, se profilait le terrain de quidditch du domaine où il s'était si bien épuisé avec Draco, et plus loin encore, l'allée qui menait vers les écuries. Mais Lucius semblait se promener sans but précis, voulant simplement profiter du beau temps et des jardins, de la douceur de l'air et du plaisir de sa compagnie.

– Alors ? Où étiez-vous hier soir ? fit Harry d'un air innocent.

– Tu ne lâcheras pas le morceau, hein ? sourit Lucius.

– Si cela avait été anodin, vous me l'auriez dit depuis longtemps ! Vous étiez à Paris ?

– Oui, comme souvent. Tu sais que j'aime beaucoup cette ville.

– Avec Dorléans et Mandy ?

– Non.

– Alors quoi ? insista Harry en souriant pour tenter de l'amadouer. Et pourquoi était-ce si étrange ?

Lucius se tut un instant, le regard brusquement plus lointain.

– J'ai été... jouer le bureau des pleurs.

Alors que Harry tournait un visage étonné vers lui, Lucius grimaça devant sa propre ironie acerbe. Il n'avait pas à être méprisant ainsi. Lui-même avait été chercher auprès de Mark bien plus que du sexe... Ce n'était pas rendre justice à tout ce que le jeune homme lui avait donné sans même le savoir.

– Auprès de qui ? fit Harry, poussé par la curiosité.

– Personne que tu ne connaisses, ni que tu n'aies besoin de connaître.

Un sourire vint adoucir la sécheresse de ses propos, mais Harry avait bien saisi le message.

– Et c'est ça qui vous a tant fatigué ? ricana le jeune homme de manière provocante.

– Je ne suis pas fatigué, protesta Lucius.

– Allons, Lucius ! Vous êtes pâle comme la mort, et si cela continue, vous allez devenir translucide !

Il devait avouer qu'il ne se sentait pas en grande forme mais il ne le dirait certainement pas à Harry.

– Moi je crois que vous vous êtes envoyé en l'air toute la nuit et que ce n'est plus de votre âge !

– Et qu'est-ce qui te fait dire ça ? fit Lucius en éclatant de rire.

Malgré la tentation, il ne voulait pas argumenter sur la petite pique du jeune homme, sous peine de lui donner trop de crédit et de s'en mordre les doigts ensuite.

Harry s'arrêta net et leva le nez comme s'il humait l'air environnant puis tourna la tête vers lui en ricanant.

– L'odeur !

Lucius frissonna tout en rougissant légèrement, autant de la réponse de Harry que de sa façon de coller son visage sur son costume et dans ses cheveux longs répandus sur son épaule pour y dénicher une odeur quelconque. Son mouvement était si animal et sensuel en même temps qu'il dut se faire violence pour ne pas l'enlacer immédiatement.

– Vous portez un parfum qui n'est pas le vôtre, se délecta Harry qui n'avait rien perdu de son trouble. Un parfum d'homme. Sans parler d'autres odeurs plus explicites...

Lucius ne pouvait décemment pas lui avouer qu'il avait raison mais son attitude parlait sans doute pour lui. Il se mordit la lèvre en songeant que s'il avait lancé un sort de nettoyage sur Mark et lui-même après chaque rapport qu'ils avaient eu, ce n'était qu'un pis-aller. Il avait eu l'intention de prendre une douche et de se changer directement en rentrant au Manoir, et puis... il était là à se promener avec Harry qui était tout bonnement en train de lui dire qu'il sentait le sexe à plein nez.

– Ne sois pas désobligeant, parvint-il tout juste à dire.

Harry éclata de rire en entraînant Lucius un peu plus loin, jubilant d'avoir raison. Et quelque part, ravi aussi que l'aristocrate ait pu prendre du bon temps sans se laisser abattre par la situation tendue avec Severus. Lucius aussi avait droit à un peu de plaisir et de légèreté, fut-ce dans les bras d'un autre parce que son compagnon se refusait à lui.

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Sur sa main toujours au bras de l'aristocrate, Harry sentit la main de Lucius, surprenante. Puis pesante. Il tourna brusquement la tête et vit le visage blême dont le regard vague semblait incapable de se concentrer sur quoi que ce soit.

– Lucius ? Est-ce que ça va ?

– Un vertige, souffla-t-il. Ça va passer.

Harry fronça les sourcils devant la position de Lucius, légèrement courbé vers l'avant et qui portait brusquement la main à son ventre.

– Vous avez mangé ce matin ?

– Non, fit-il surpris. Je... Non. Je crois que j'ai besoin... de m'asseoir...

Harry frissonna et sans même l'avoir réfléchi, sa magie se libéra et vint alléger le poids de ce corps imposant qui lui tomba dans les bras.

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oooooo

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– Le réveil de la belle au bois dormant, sourit Harry en voyant Lucius ouvrir les yeux. Comme c'est charmant. Et dire que je n'ai même pas eu besoin de vous embrasser pour ça !

– Un simple vertige, se défendit-il mollement sans comprendre l'allusion. Tu exagères !

Harry sourit sans vouloir argumenter contre l'aristocrate. Ce n'était rien de méchant en effet, un simple malaise dû à l'hypoglycémie et à une grosse fatigue, mais Lucius était tout de même resté inconscient quelques minutes. Suffisamment pour qu'il ait le temps de le transplaner au Manoir et de l'examiner sous toutes les coutures.

– Ça faisait trop longtemps que je n'avais pas joué les médecins pour vous, se moqua gentiment Harry. Ça me manquait !

Lucius ouvrit des yeux un peu plus grands en découvrant sa chambre autour de lui et le jeune homme tranquillement assis dans un fauteuil près de son lit. Cela lui rappela le soir où Harry l'avait attendu toute la soirée près de la cheminée, alors qu'il était parti se perdre à cheval dans la campagne pour fuir son désir obsédant. Ce même soir où il avait plaqué le jeune homme contre la porte, à deux doigts de l'embrasser et bien plus encore.

Un frisson le parcourut à ce souvenir mais il se contenta de sourire. Harry semblait aimer venir se perdre dans sa chambre... si seulement c'était le cas plus souvent !

– Et pourquoi suis-je à moitié nu ? fit-il en haussant un sourcil malicieux.

Le drap gris perle lui arrivait à peine au milieu du torse et dessous... ? Eh bien, en bougeant légèrement les jambes, il ne portait visiblement que son boxer. Même les chaussettes avaient disparu avec son costume de la veille et sa chemise qui sentait tant le parfum de Mark.

– Je n'allais pas vous laisser tout habillé pour vous mettre au lit ! Ce n'est pas très... propre. Et puis il fallait bien que je vous examine !

– Tout ça pour te rincer l'œil ! ricana Lucius.

Le sourire de Harry s'élargit brusquement avec une franchise désarmante.

– Je ne m'en suis pas privé ! Et ça n'était pas la partie la plus désagréable... Et encore ! Estimez-vous heureux que je me sois servi de la magie pour vous déshabiller, et pas de mes mains !

Lucius éclata de rire devant le regret manifeste du jeune homme et son regard de plus en plus alléché à mesure que le drap découvrait doucement son ventre jusqu'à ne cacher que l'essentiel. Est-ce qu'il avait fait exprès de se redresser pour s'adosser aux oreillers et laisser ainsi le tissu glisser vers le bas ? Certainement. Mais il n'était pas un Serpentard pour rien.

– C'est à cause des cheveux longs que tu m'as pris pour une jouvencelle en détresse ? fit-il en passant la main dans sa chevelure pour retrouver une apparence plus digne.

– Ça... ou le fait que vous me tombiez dans les bras, ironisa Harry.

– C'était bien joué, hein ? Tu as remarqué cette habile manœuvre pour me rapprocher de toi ?

Harry eut un instant de surprise où il écarquilla les yeux devant son mensonge éhonté puis il éclata d'un rire frais qui le fit sourire en retour. Le jeune homme était si vivant, si léger, si piquant que Lucius en frissonna à nouveau.

– Comment faites-vous pour toujours retomber ainsi sur vos pattes, Lucius ? C'est impressionnant, cette capacité à toujours tourner les choses à votre avantage !

– Beaucoup de souplesse et d'imagination, sourit-il. C'est utile dans bien des situations...

Harry secoua la tête devant ses insinuations et désigna du menton une grande tasse posée sur la table de nuit à côté de lui.

– Allez. Buvez ça et je vous autorise à vous lever.

– En réalité, je préférerais que tu te déshabilles et que tu viennes t'allonger à côté de moi... Ou sur moi. Et je crains que certaines parties de mon anatomie n'aient pas attendu ton autorisation pour se lever.

Il vit littéralement Harry frémir comme si ses mots l'avaient caressé et secouer à nouveau la tête.

– Foutaises. Taisez-vous et avalez ça.

Avec un large sourire, Lucius posa sa main sur le bord du drap comme s'il voulait se découvrir d'un grand geste.

– C'est une preuve que tu demandes ?...

Enfoncé au fond de son fauteuil, Harry ferma les yeux en soupirant.

– Lucius, arrêtez ce petit jeu.

– Pourquoi ?

– Parce que c'est moi qui vais finir par vous sauter dessus et que je ne veux pas que ça se passe comme ça.

Il ne voulut pas demander comment Harry souhaitait que cela se passe au juste; le simple aveu de son désir sur le point de céder fit frissonner Lucius des pieds à la tête.

Avec regret et un rien de frustration, il ôta sa main du drap et attrapa la tasse brûlante tout en se demandant comment il était même possible qu'il arrive encore à bander si tôt après son malaise et après la nuit qu'il venait de passer avec Mark. Il fallait croire que Harry réveillait en lui des ardeurs insoupçonnées.

– Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il à présent que la tension sexuelle entre eux était légèrement retombée.

Il s'attendait à une potion infâme, mais en approchant la tasse de ses lèvres, il perçut l'odeur de chocolat et d'épices si caractéristique de cette boisson au nom imprononçable dont raffolait le jeune homme.

– Ce n'est pas si mauvais, finalement. C'est même plutôt bon...

Toujours tendu, Harry sourit faiblement, semblant peiner à maîtriser son désir. Lucius imaginait sans peine le bouillonnement intérieur auquel il faisait face, presque curieux de savoir ce qu'il aurait ressenti si Harry n'avait pas parfaitement contenu sa magie en lui. Le peu qu'il en avait parfois perçu l'avait emporté avec une ardeur puissante, presque écrasante, et il avait eu toutes les peines du monde à rester loin du jeune homme.

– Tu peux utiliser la salle de bains si tu as besoin de te rafraîchir.

Étonnamment, ce fut à ce moment-là que Harry rougit alors qu'il avait été si aguicheur dans ses paroles quelques instants auparavant.

– Ça ira, merci ! marmonna-t-il en se levant pour s'éloigner vers les fenêtres.

Lucius soupira en fermant les yeux. Merlin ! Il aurait tant rêvé d'autre chose, même sans aller jusqu'au bout ! Mais simplement imaginer Harry s'asseoir sur le bord de son lit et pouvoir prendre sa main pour la glisser sous le drap lui arracha presque un gémissement de frustration tout en raffermissant son érection inopportune. En réalité, si Harry s'approchait, ne serait-ce que d'un millimètre, il serait incapable de ne pas aller jusqu'au bout.

En rouvrant les yeux, il aperçut devant la fenêtre sa silhouette à contre-jour dans la lumière puissante du matin, entourée d'un halo lumineux de magie qui flottait librement autour de lui. Émerveillé, Lucius s'abandonna dans la contemplation de cette aura si particulière. Les volutes vaporeuses qui dansaient dans les rayons de soleil, du même vert que les yeux de Harry, l'enveloppaient dans une brume chatoyante qui le fascinait comme au premier jour. Dans la pièce, il sentait pulser la magie libérée par le jeune homme, chaude, mouvante, d'une puissance attirante.

Au bout de quelques instants, elle sembla s'apaiser et les volutes vertes se firent plus calmes, moins agitées, pour finir par disparaître peu à peu, laissant dans la chambre une impression de vide et de fraîcheur étrange.

Le temps de constater que son propre désir s'était également calmé sous l'effet de la magie, Lucius vit Harry s'approcher de la porte située près de la fenêtre et tendre la main vers la poignée.

– Non. Pas celle-là, frémit-il en souriant, désignant à la place la porte qui faisait face au lit, de l'autre côté de la pièce. La salle de bains est là, si tu as besoin.

– Je n'ai pas besoin de la salle de bains, fit Harry en riant, suivant du bout des doigts le contour du chambranle de la porte.

Au passage de sa magie, les enluminures et les runes incrustées par les sortilèges de Severus luisirent doucement d'une lueur verte puis se fondirent à nouveau dans le bois sombre. Harry gloussa et revint s'asseoir dans son fauteuil, un sourire espiègle sur les lèvres.

– Je n'ai jamais compris cette sorte de magie, avoua Lucius en terminant sa tasse de champurrado et en la reposant sur sa table de chevet. Qu'est-ce que ça dit ?

– C'est intraduisible. C'est autant un charme de protection que d'avertissement... C'est ce que vous appelez entre vous l'antichambre, n'est-ce pas ?

– J'ignorais que Severus t'en avait parlé, fit Lucius en souriant.

Le regard malicieux de Harry montrait sans hésitation qu'il savait très bien de quoi il s'agissait et sa curiosité envers ce qui se cachait derrière la porte était presque palpable.

– On a effleuré le sujet une fois ou deux, concéda le jeune homme. Disons que... je suis forcément témoin des moments que vous y passez.

Devant cette évocation délicate des marques qu'il laissait sur le corps de son compagnon, Lucius ne put s'empêcher de frémir et d'afficher un sourire gourmand. S'il savait que Severus aimait les arborer pour provoquer Harry, il n'avait encore jamais eu l'occasion d'en parler directement avec le jeune homme.

– Je sais très bien que ça vous plaît de réveiller ma jalousie, ricana Harry.

Si son excitation s'était calmée un moment, Lucius se sentait à nouveau entraîné sur une pente glissante en imaginant Harry découvrir les rougeurs plus ou moins violacées sur le dos et les fesses de l'homme qu'il baisait à son tour.

– C'est ce que ça provoque chez toi ? De la jalousie ? interrogea Lucius d'une voix légèrement rauque.

– Vous le savez très bien, se défendit Harry avec un regard incandescent.

– Non, je ne sais pas. Dis-le. Sois franc.

Harry avait vibré à son ton autoritaire comme sous un coup de fouet, et après avoir hésité quelques secondes, il répondit malgré tout d'une voix basse et grondante.

– De la jalousie. De l'envie. Du désir...

La lueur qui dansait dans les yeux verts ressemblait tant aux volutes de sa magie que Lucius en frissonna.

– …. Ça m'excite.

Lucius sourit, laissant le silence calmer la tension qui avait ressurgi en quelques mots et la chaleur dévorante qui tourbillonnait dans son corps. Son propre désir le brûlait de l'intérieur mais si Harry restait à distance de lui et s'il ne libérait pas sa magie, il parviendrait à se maîtriser et à faire redescendre son excitation.

Harry ne semblait pas dans un meilleur état mais sa curiosité était plus forte que tout.

– Je peux... comprendre le plaisir que vous y prenez...

Lucius leva un sourcil dubitatif et intéressé mais décida de le laisser poursuivre.

– … Mais lui ? Comment ? Comment est-il... pendant... ?

– Tu veux savoir s'il en éprouve vraiment du plaisir ? précisa Lucius avec un sourire ironique. Puis devant le hochement de tête du jeune homme, il ajouta : Il faudrait que tu assistes à une de ces séances... Mais je ne sais pas si Severus serait d'accord.

Et tandis que ses mots cheminaient dans l'esprit de Harry et y imprimaient des images licencieuses et envoûtantes, il dit simplement :

– Il bande. Du début à la fin. Jusqu'à ce que je le fasse jouir d'une manière ou d'une autre, il bande. Comme un forcené. Ça l'excite autant que toi quand tu le vois après.

Harry déglutit difficilement, crispé et presque vibrant de la tension nécessaire pour se contenir.

– Et vous, qu'est-ce qui vous excite là-dedans ?

– Le pouvoir. Le contrôle. Le fait de laisser mes marques sur son corps. Son abandon. Sa confiance. Son plaisir... Et j'admire sa résistance à la douleur.

Lucius avait parlé avec une lenteur calculée, laissant à chaque fois à Harry le temps de bien mesurer ce qu'il voulait dire, mais il était sans doute celui qui réagissait le plus à ses propres paroles. Les images qui lui venaient en tête pour expliquer ce qu'il aimait tant dans ces séances particulières l'obligèrent à se mordre la lèvre pour retrouver une certaine contenance. Non sans mal, il s'empêcha aussi d'un mouvement instinctif du bassin, trop désireux d'un quelconque frottement pour soulager son désir incendiaire.

– Comment... Comment peut-il éprouver du plaisir à la douleur ?

Harry, lui, se servait de la magie pour se calmer et Lucius envia un instant cette facilité à rester serein au vu de leur conversation.

– C'est une question que tu devrais lui poser.

– Je l'ai fait. Mais sa réponse... Je persiste à ne pas comprendre.

Lucius haussa un sourcil surpris en se réinstallant contre ses oreillers. Ce face à face avec Harry, pour étonnant – et par moments insoutenable – qu'il soit, ne le dérangeait pas, même s'il aurait pu se sentir en état d'infériorité en raison de sa position, à demi-nu allongé dans un lit. Au contraire, cette discussion étrange, intime au point d'être presque inconcevable, lui plaisait plus que de raison.

Harry ne cessait de le surprendre et de le fasciner. Sa franchise spontanée, sa façon de se mettre à nu, aussi réelle que sa propre nudité, l'attiraient comme un aimant. Il allait toujours plus loin que Lucius ne l'en pensait capable, plus loin dans ses aveux, dans sa curiosité, dans sa manière de s'ouvrir à lui. Harry ne trichait pas. Jamais.

Et pas davantage en posant cette question si taboue à Severus. Aborder avec lui le sujet du plaisir de la douleur n'avait pas dû être simple et Lucius comprenait parfaitement qu'il n'ait pas obtenu de réponse qui le satisfasse. Au bout de tant d'années, lui-même n'était pas certain de comprendre parfaitement ce qui sous-tendait le plaisir de Severus. Et il en avait suffisamment été témoin pour savoir qu'il s'agissait de plaisir et pas seulement d'excitation.

– Severus n'aime pas toutes les douleurs, fit Lucius en fermant les yeux pour se concentrer sur ce qu'il voulait dire. Il aime certaines douleurs, dans un contexte particulier, qui précède ou qui suit un orgasme. Il aime la morsure de la douleur, sa sensation cuisante, intense, et qui régresse peu à peu. Comme une caresse poussée à son paroxysme jusqu'à l'extrême opposé. Je crois... qu'il ne ressent pas la douleur physique comme nous. Il savoure sa puissance, et lorsque la douleur s'atténue, il aime le calme et la paix que cela laisse en lui.

– Même... même un Doloris ? s'étonna la voix lointaine de Harry.

– Je n'utilise plus le Doloris sur Severus depuis bien longtemps, fit Lucius en rouvrant les yeux sur les voilages gris du baldaquin de son lit. Et devant le regard interrogateur du jeune homme, il poursuivit : C'est un sortilège extrêmement difficile à doser si tu veux moduler son intensité. Et comme tous ceux qui l'ont énormément subi, Severus y est particulièrement sensible. Aujourd'hui, lui lancer un Doloris de quelques secondes lui causerait autant de douleur que si n'importe qui le subissait pendant une heure.

– Comment c'est possible ?

– C'est une espèce d'effet d'accumulation. Il l'a enduré tant de fois que son corps en est comme saturé. Et Merlin sait que Voldemort n'avait pas la main légère ! Je l'ai vu tuer certains de ses Mangemorts sous l'effet du Doloris !

Lucius s'interrompit brutalement, le dégoût et l'amertume au bord des lèvres. Tournant la tête vers Harry, il observa les sourcils froncés du jeune homme, son visage sombre et son regard à la fois intense et absent, tourné vers des souvenirs anciens. Lui aussi avait subi le Doloris de la part de Voldemort, mais le Seigneur des Ténèbres s'était contenté de jouer mollement avec sa proie comme un chat; il n'avait pas eu affaire à sa colère la plus noire, ni à son envie de vengeance.

– Pourquoi lui ? Pourquoi Severus ?

Lucius soupira en fermant à nouveau les yeux. Harry ne lui épargnerait rien, et sa curiosité était autant dépourvue de pudeur pour aborder ces années sombres que pour évoquer les plaisirs sexuels de son amant. En tout état de cause, il devait lui reconnaître d'avoir fait redescendre son excitation aussi bas qu'il avait su la mener à son sommet.

– Severus avait une position particulière auprès de Voldemort, reprit-il. Une place unique. Il n'était pas un simple homme de main, pas plus qu'un de ses bras droits, comme Bellatrix ou moi. Il était à part, et Voldemort l'adorait tout autant qu'il le méprisait. Il était l'espion, le serpent glissé dans le berceau de ses ennemis, une arme étincelante mais capable de blesser n'importe qui et même de se retourner contre lui, un piège fascinant qu'il manipulait à coup de récompenses ou de Doloris. Les mangemorts étaient punis pour une erreur, pour l'échec d'une mission, parfois durement. Mais Severus était puni pour ce qu'il était, pour ce que Voldemort avait fait de lui. Il a subi plus que tous les autres réunis simplement parce que Voldemort aurait voulu en faire son favori, alors qu'il était condamné à s'en méfier.

– Et vous ? murmura Harry.

Lucius haussa les épaules et ramena le drap un peu plus haut sur son ventre, saisi d'un froid qui n'était pas seulement celui de la fraîcheur de la pièce.

– J'en ai reçu ma part. Bien assez pour apprendre à ne pas provoquer sa colère, mais sans doute bien moins que certains. J'étais son second, Voldemort ne voulait sans doute pas trop m'abîmer... Et il a toujours pris soin de le faire dans les coulisses, et pas devant les autres Mangemorts. Pour ne pas saper mon autorité probablement. Mais il avait surtout d'autres moyens de me tenir en laisse, à travers Narcissa ou Draco. Eux aussi ont reçu leur part de punitions. Draco moins, parce qu'il est rentré en scène plus tardivement, mais Narcissa a longtemps servi à lui garantir ma plus complète loyauté. Et Severus a subi plus que tout autre... Il n'y avait rien de plus amusant pour Voldemort que de le voir se rouler au sol pour ensuite le choyer comme un enfant. Et c'était un châtiment qui était autant destiné à Severus qu'à moi...

– Comment ça ?

La voix étouffée de Harry lui fit lever la tête et Lucius fut surpris de voir la magie palpiter sourdement autour de lui, dense, épaisse comme du sable ruisselant le long de son corps et pulsant comme un battement de cœur.

– Il a mis du temps à le comprendre, reprit Lucius en fermant à nouveau les yeux, mais Voldemort a fini par percevoir que Severus était plus qu'un ami. J'étais marié, j'avais un enfant, mais il était de notoriété publique que mon union avec Narcissa était un mariage arrangé par nos familles. Et même si nous nous entendions parfaitement bien, personne ne pouvait prétendre qu'il s'agissait d'amour. Alors que, même si nous avons toujours fait extrêmement attention, Severus était proche de moi, sur un plan qui n'était ni professionnel, ni politique. Et cela a toujours surpris. En dehors des périodes scolaires, il vivait déjà au Manoir, il mangeait à ma table, il était le parrain de mon fils... C'était sans doute trop flagrant et j'aurais dû faire plus attention, mais personne ne pouvait deviner que Voldemort allait revenir...

Lucius soupira et marqua une pause. Que n'aurait-il donné pour un cognac ! Mais même avec cela, il se doutait que Harry ne lui laisserait aucun repos jusqu'à ce qu'il soit allé au bout de ce qu'il voulait savoir.

– Quand Voldemort a compris la nature réelle de notre relation, il en a joué bien évidemment. Ma position est rapidement devenue intenable, et Severus un pion entre ses mains pour m'atteindre et me contraindre. Voldemort avait en lui tout ce qu'il y a de plus noir et de plus malfaisant. Sa cruauté n'avait d'égale que son sadisme. Je crois qu'il n'a jamais pris de plus grand plaisir qu'en me demandant de punir moi-même Severus...

– Cette blessure que j'avais soignée en vous... ? murmura Harry en repassant dans son esprit le souvenir de ce combat entre les deux hommes sous le regard sarcastique de Voldemort.

– … Était en partie due à ça, acquiesça Lucius alors qu'il lui semblait encore entendre un rire aigu et jubilatoire. Durant la première ascension de Voldemort, et durant la plus grande partie de la deuxième guerre, j'ai été son bras droit. J'avais une large marge de manœuvre, je menais les Mangemorts à ma guise, je décidais qui participait à quelle action et qui devait rester en retrait. Je pouvais choisir des pions sans importance pour les missions qui s'avéraient vouées à l'échec ou être un pur suicide. Je faisais en sorte de protéger certains, les plus proches de moi, quitte à sacrifier les autres. Ce n'était pas glorieux, mais ça m'a longtemps permis de tenir Narcissa et Draco hors du théâtre des opérations. Et dans une moindre mesure, Severus. Il était celui qui était capable d'endurer le plus, et j'ai dû l'exposer plus souvent que je ne l'aurais voulu... Mais je ne pouvais pas non plus le protéger comme la prunelle de mes yeux. C'eut été trop flagrant, trop suspect et ça aurait fini par se retourner contre nous. J'ai dû parfois le mettre en échec volontairement, lui fournir de fausses informations pour maintenir cet équilibre précaire. Pour que personne ne remarque toutes les fois où je le maintenais à l'écart des opérations les plus dangereuses... Quand Voldemort a deviné cela, c'est devenu beaucoup plus compliqué, jusqu'à ce que cette fameuse nuit au Département des Mystères ne fasse tout voler en éclat.

Harry ne lâcha pas un mot, mais il blêmit considérablement et l'aura de magie autour de lui se fit poisseuse de culpabilité en comprenant à quel point son action de l'époque avait mis en danger la vie de ceux qui partageaient aujourd'hui sa propre vie.

– Peu importe, fit Lucius en haussant les épaules. Chacun a fait ce jour-là ce qu'il devait faire. Et paradoxalement, ce petit séjour à Azkaban m'a protégé : Voldemort m'aurait sans doute tué pour cet échec. Mais je n'étais plus là pour protéger Narcissa, Draco, et encore moins Severus... Ils ont payé à ma place. Longtemps et douloureusement. Et lorsque j'ai pu revenir, Draco était déjà condamné.

– Condamné ?

– Quand Voldemort l'a obligé à prendre la Marque et lui a confié la mission de tuer Dumbledore, Draco a espéré pouvoir racheter ma faute, mais aux yeux de Voldemort, il ne s'agissait que d'un plaisir sadique pour me punir insidieusement. Il savait que Draco échouerait et il m'aurait sans doute demander de tuer mon propre fils en guise de châtiment.

Lucius grimaça sans même s'en apercevoir. Il avait froid, il était fatigué et il regrettait presque la chaleur et le goût de cette boisson si réconfortante que Harry lui avait fait boire.

– Mais Narcissa a décidé que tout cela se passerait autrement... C'est sans doute la seule fois où elle m'a trahi. Je ne voulais pas qu'elle mêle Severus à tout ça. J'espérais pouvoir sortir d'Azkaban grâce à mes relations et accomplir moi-même la mission de Draco. Dumbledore mort, Draco aurait été sauvé et si ça n'avait pas suffi à rentrer dans les bonnes grâces de Voldemort, nous nous serions sans doute enfuis à l'étranger avec Severus... Mais Narcissa avait peur. Elle avait peur que je ne réussisse pas à sortir à temps, elle subissait la colère de Voldemort et elle a préféré choisir son fils contre mon amant... Lorsqu'elle a fait prêter ce serment inviolable à Severus, j'ai cru m'arracher les cheveux. Je savais quel dilemme ce serait pour lui, et pourtant il était aussi piégé que nous tous et il ne pouvait pas refuser, sinon Bellatrix et Voldemort après elle, auraient remis en cause sa loyauté.

– Vous saviez quel dilemme ce serait pour lui ?!

Lucius soupira et tourna son regard vers la fenêtre. Dehors, la chaleur vibrait dans l'air alors qu'il faisait si froid dans la chambre.

– Oui. Je savais qu'il était dans une position intenable, à devoir tuer Dumbledore pour sauver mon fils, son filleul, ou à devoir sacrifier Draco pour protéger le camp de la Lumière. Je l'ai regardé se débattre sans rien pouvoir faire et en me préparant à les perdre tous les deux. Si je ne parvenais pas à sortir d'Azkaban pour tuer moi-même Dumbledore, ils étaient condamnés d'une manière ou d'une autre par la colère de Voldemort. Je ne pensais pas Severus capable de tuer le seul sorcier qu'il estimait en capacité de battre le Seigneur des Ténèbres. Même pour la vie de mon fils. À l'époque, je ne savais pas que Dumbledore était condamné par son contact avec un horcruxe. Je ne le remercierai jamais assez pour son sacrifice...

– Vous saviez pour Severus et l'Ordre ?! Pendant toute la guerre ?! s'exclama Harry tandis que sa magie devenait plus dense encore et se ramassait autour de lui comme une seconde peau presque solide.

– Oui. Je savais depuis longtemps que son allégeance avait changé de camp. Mais j'ai fait tout ce que j'ai pu pour le protéger et je ne l'ai jamais trahi.

Le silence s'installa lentement. Harry semblait avoir épuisé la liste de ses questions et il restait simplement là à l'observer et à mesurer l'ampleur de ses révélations sur un passé depuis longtemps révolu.

– Si tu en as terminé et maintenant que tu as ma version des faits, fit Lucius d'un ton las, j'aimerais bien pouvoir me lever, aller prendre une douche et m'habiller.

Mais s'il avait perçu ses paroles, Harry n'en montra rien et resta parfaitement immobile dans son fauteuil de velours sombre qui l'enveloppait comme un trône. Lucius soupira en fermant les yeux, plus que jamais conscient de son épuisement physique aussi bien que moral. Il s'apprêtait à tirer le drap et à descendre malgré tout de son lit lorsque la voix pleine d'émotion de Harry l'arrêta dans son élan.

– Je ne sais pas si c'est le moment le plus mal choisi pour ça, fit-il doucement, ou au contraire, le plus opportun, mais... je crois que ceci vous revient.

Dans sa main qu'il tendait vers lui, comme surgie de nulle part, se trouvait une liasse de lettres maintenues ensemble par un ruban de soie bleue.

– Qu'est-ce que c'est ? fit Lucius en se levant, brusquement indifférent à sa demi-nudité et à la fraîcheur de la pièce.

– L'ensemble des lettres que Narcissa a écrites à Andromeda et que j'ai trouvées dans sa maison. Je ne les ai pas lues, je ne m'en suis pas senti le droit.

Lucius ne put empêcher sa main de trembler en recueillant ces lettres précieuses qu'il craignit brusquement de lire. Si Narcissa n'avait jamais été une compagne à proprement parler, elle avait été la femme de sa vie et elle lui ferait toujours cruellement défaut. Son cœur se serra un peu plus quand il reconnut, sur la première enveloppe, son écriture enlevée, précieuse, pleine de pleins et de déliés qu'elle exécutait avec tant de facilité et de charme. Il lui sembla entendre son rire quand il se moquait de cette manie calligraphique qui n'appartenait qu'à elle, un rire cristallin et futile qui secouait ses boucles blondes avec une grâce indéfinissable.

Pour s'arracher à ce souvenir, il leva le regard vers les yeux de Harry, de grands yeux émeraudes qui brillaient d'un éclat vif et dans lesquels il ne voulait surtout pas voir de la pitié. Mais Harry était redevenu douceur et pudeur, et il se contenta de sourire tendrement.

– Je vous laisse aller prendre une douche pour retrouver une odeur moins alléchante...

Et avant même que Lucius ne comprenne son allusion à sa nuit de débauche passée avec Mark, Harry avait déjà transplané, le laissant troublé et surpris de cette pirouette pour tenter d'effacer une partie de sa tristesse.

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Dire qu'il avait fui Harry le reste de la journée était un euphémisme. Lucius avait déjeuné rapidement, sans dire quasiment un mot, avalant quelques bouchées d'un plat qui ne lui faisait même pas envie avant de retourner s'enfermer dans son bureau. Harry n'avait paru ni surpris ni vexé de son comportement, comprenant sans doute mieux que nul autre son besoin de rester seul un moment pour digérer ses souvenirs. Et Lucius avait attendu le départ du jeune homme pour sortir de son nid et s'installer plus librement dans le Petit Salon.

Plongé dans la lecture d'une lettre, la présence de Severus le prit par surprise. Irrité de son retour malvenu, Lucius s'abstint de lever le regard vers son compagnon.

– Harry n'est pas là ?

– Parti à son entraînement de quidditch.

– Qu'est-ce qu'il y a ? ricana-t-il. Il a encore refusé tes avances ?

Lucius déglutit lentement, contenant à grand peine sa colère devant un énième sarcasme qui n'avait pas lieu d'être. Il ne faisait que jouer avec Harry; c'était certes un jeu dangereux, mais ils étaient deux à y jouer et Harry ne participait pas moins que lui. Et en tout état de cause, ce n'était certainement pas le moment de lui parler de ça après leur dernière conversation qui lui faisait encore froid dans le dos et les lettres qu'il était en train de lire.

– Franchement, Severus ? fit-il en levant enfin la tête. Fous-moi la paix ! Sors d'ici et attends patiemment qu'il revienne pour le sauter !

Severus sursauta en entendant sa vulgarité si inattendue et anormale, brusquement conscient qu'il y avait autre chose.

– Lucius, qu'est-ce que tu as ?

– Je ne pense pas que tu en aies quoi que ce soit à faire, alors, s'il-te-plaît, fous-moi le camp.

Comme un gosse impertinent, Severus croisa les bras en se campant fermement sur ses deux pieds avec l'intention manifeste de rester sur place.

– Je ne bougerai pas d'ici tant que je n'aurais pas une explication.

– Et au nom de quoi te devrais-je une quelconque explication, je te prie ?

– Au nom des trente et quelques années depuis lesquelles on vit ensemble.

Ébahi, Lucius éclata de rire devant cet argument saugrenu avant de se ressaisir et de ranger rapidement avec les autres la lettre qu'il avait toujours en main.

– Je ne pense pas que cela ait pesé bien lourd dans la balance ces derniers temps, fit-il en se levant. Écoute, si tu ne veux pas sortir d'ici, c'est moi qui vais le faire avant de dire ou de faire des choses que je vais regretter.

Esquivant la main de Severus qui cherchait à le retenir, il s'éloigna dans le couloir à grand pas, traversa le Hall et sortit sur le perron du Manoir pour transplaner avant que son compagnon ne l'approche à nouveau.

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oooooo

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Lucius avait transplané sans réfléchir et il jura en réalisant qu'il se trouvait sur le perron de la maison de Draco. Il réfléchissait rapidement à un endroit où il pourrait être tranquille quand il aperçut le rideau s'agiter derrière la fenêtre et la jolie frimousse d'Iris apparaître au carreau.

– Maman, Maman ! Y'a PapiLuce à la porte !

Tandis qu'une cavalcade résonnait sur le parquet, Lucius grimaça de dépit. Il était trop tard pour disparaître maintenant, alors même qu'il n'avait aucune envie d'affronter la gaieté et la fougue de ses deux petites-filles. Mais si quelqu'un était capable de lui changer les idées et de respecter son silence, c'était bien Daphnée. Et ce fut justement elle qui ouvrit la porte sur son visage surpris et son ventre rebondi, un torchon à la main et légèrement décoiffée.

– Lucius ?! Qu'est-ce que tu fais là ? Entre ! Tu vas bien ?

– Tu ne devrais pas rester tranquillement à te reposer au lieu de faire le ménage ? la sermonna-t-il doucement en la prenant dans ses bras pour l'embrasser sur la joue.

– J'essuyais simplement la vaisselle ! protesta-t-elle en riant. Et je ne suis pas en sucre ! Assieds-toi. J'arrive...

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Sans même l'interroger, il ne fallut pas très longtemps à Daphnée pour deviner que quelque chose n'allait pas. Son silence relatif, son peu d'empressement à répondre aux sollicitations de Minerva et Iris... Au bout de quelques minutes, elle proposa aux filles d'aller faire un tour dans le parc de jeux voisin afin de les occuper et de leur laisser un peu de liberté pour parler.

Ce n'était pas une mauvaise idée après tout, et Lucius sortit sa baguette pour métamorphoser ses vêtements en quelque chose d'un peu plus moldu.

– Ça ira, tu crois ? fit-il à Daphnée.

– Ça ira très bien, répondit-elle en riant. Les voisins te prennent déjà pour une sorte d'excentrique, ils ne font même plus attention !

Avec Daphnée à son bras comme il l'avait fait le matin même avec Harry, ils se dirigèrent tranquillement vers le parc à quelques rues de la maison. Dans sa robe légère qui enveloppait si joliment son ventre, Daphnée était radieuse, souriante et rayonnante de bonheur. Libérée de l'inquiétude des premiers mois, elle paraissait encore plus épanouie pour cette grossesse que pour les précédentes. Draco avait vraiment de la chance d'avoir trouvé sa perle rare et de partager un amour si sincère avec elle et Lucius leur souhaita brusquement que cela dure le plus longtemps possible. Il gardait un regret amer et indélébile de la façon dont il s'était opposé à ce mariage mais il ne pouvait pas revenir sur le passé.

– Je suis heureux que tu fasses partie de ma vie, fit-il alors qu'ils s'asseyaient sur un banc à l'ombre d'arbres centenaires. Et encore plus de celle de Draco.

– Mon Dieu ! s'exclama Daphnée en riant. Pareil épanchement ne te ressemble pas, Lucius ! Tu es parti bien loin dans les souvenirs et les regrets !

Avec Daphnée, il n'avait pas besoin de parler, pas besoin de s'épancher ou de se justifier, elle l'accueillait simplement à bras ouverts, disponible à ce dont il avait envie ou besoin, et capable de le faire rire et de lui changer les idées s'il voulait juste ne pas parler. Elle lui fit penser à la façon dont Mark était capable de badiner pour le plaisir, futile et léger, jusqu'au moment où il avait craqué la nuit dernière. Il ne voulait pas se servir de Daphnée de la même manière.

– Et toi, tu vas bien ? demanda-t-il brusquement en fronçant les sourcils.

– Je vais bien. Très bien, insista-t-elle en souriant pour le convaincre.

D'un coup d'œil, elle s'assura que les filles parties jouer un peu plus loin ne faisaient pas de bêtises, puis elle se tourna à nouveau vers lui.

– Draco va rentrer dîner après l'entraînement de quidditch... Je t'invite bien entendu à manger avec nous, mais je ne sais pas si tu veux être là ?

Elle n'eut pas besoin de sa réponse qu'elle souriait déjà en ayant compris qu'il ne resterait pas pour affronter un interrogatoire en règle de son fils.

– J'ai besoin d'une soirée tranquille, s'excusa-t-il. Et seul.

– Je comprends. Où comptes-tu aller ?

– Dans notre maison en Provence sans doute...

Elle esquissa une grimace fugitive avant de répondre.

– C'est là que Severus ira voir en premier, s'il te cherche... Pourquoi tu n'irais pas à Torquay ?

Lucius doutait que Severus se déplace où que ce soit pour partir à sa recherche, mais poussé par Harry, on ne savait jamais... Et il ne voulait surtout pas prendre le risque de devoir affronter son compagnon ce soir.

– Il ne pensera jamais à Torquay, sourit Daphnée. Il n'a jamais vraiment apprécié cet endroit...

Elle avait raison, personne n'irait le déranger là-bas, pas même Draco qui ne saurait probablement jamais que Daphnée lui avait offert l'hospitalité de leur maison de vacances. Et au vu du sourire affectueux de la jeune femme, Lucius en fut brusquement certain.

– Le mot de passe de cette année est « Mulholland Drive ».

– Celui-là, je suis sûr que c'est toi qui l'as choisi ! fit-il en riant au nom du film préféré de Daphnée.

– Tu peux y rester autant que tu veux, évidemment, sourit-elle. Mais j'espère que tu seras au match demain ?

– Je ne sais pas, avoua-t-il. J'espère...

Daphnée hocha simplement la tête tandis que les filles au loin, leur faisaient de grands signes de la main en riant au sommet d'une cabane perchée en hauteur.

– Il doit rester un peu d'épicerie dans les placards, fit-elle en agitant la main à son tour. Tu dois même pouvoir te faire à manger si tu maîtrises un ou deux sortilèges de cuisine.

Lucius leva la main pour saluer les fillettes, tout en ricanant après Daphnée.

– Je croyais que tu me connaissais mieux que ça, franchement ! Tu m'imagines faire la cuisine alors qu'il y a au moins trois ou quatre restaurants corrects dans cette ville ?

Daphnée se mit à rire en tournant vers lui un regard doux et attendri.

– J'avais oublié ton snobisme si délicieux et je t'ai pris une seconde pour un homme simple... Tu ne seras jamais un homme simple, Lucius, c'est pour ça que l'on t'aime tous. Veux-tu... veux-tu que je transmette un message à Severus s'il appelle à la maison ?

Il ne sut comment interpréter ses paroles mais venant de Daphnée, il savait qu'il n'y avait aucune malice, juste une affection sincère et désintéressée.

– Dis-lui simplement de se tenir prêt pour aller au stade à dix-huit heures. S'il souhaite venir.

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Lucius avait fini la lecture des lettres de Narcissa tard dans la nuit, après avoir dîné dans le meilleur restaurant de la ville. Il avait été un des rares clients à braver le mauvais temps et le vent pour venir déguster un délicieux homard et un non moins délicieux cognac avec des serveurs aux petits soins pour lui. Il avait laissé un généreux pourboire avant de s'enfoncer dans la nuit pluvieuse pour transplaner et rejoindre la maison de Draco et Daphnée.

La villa était située un peu à l'écart de la ville, sur les hauteurs d'une colline qui surplombait la plage en s'achevant avec l'à-pic d'une falaise, éclatante de blancheur sous le soleil de la journée, et à cette heure tardive de la nuit, aussi sinistre qu'un abîme sans fond. La pluie emportée par les rafales de vent cinglait les vitres, claquant avec force dans le silence de la maison vide. La nuit au-dessus de l'océan était d'un noir d'encre, sans aucune lueur à l'horizon, et s'il n'avait su la ville si proche, Lucius aurait pu se croire seul au monde.

Il savourait un dernier cognac devant la baie vitrée ruisselante d'eau, résolu à aller se coucher malgré les rêves agités qui l'attendaient certainement. Mais il était fatigué. La visite de la maison d'Andromeda. La nuit précédente avec Mark. La matinée qu'il avait passée avec Harry et cette conversation improbable et dérangeante. Et maintenant ces lettres sorties d'un passé si lointain et encore si présent... Tout cela était bien trop pour si peu de temps.

Et demain, il lui faudrait rentrer, affronter de nouveau Harry et surtout Severus, avec qui il souhaitait désespéramment se réconcilier, assister à cette finale de quidditch qui ne le tentait nullement, et la journée serait encore si longue qu'il n'avait pas envie de se réveiller avant même de s'être couché.

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Dans cette villa silencieuse au possible, Lucius se réveilla fort tard, découvrant un ciel limpide lavé par la tempête. Un soleil puissant éclatait de lumière et de reflets dans les flaques d'eau qui parsemaient encore les terrasses des maisons et les rues de la ville. Il déjeuna dans le même restaurant que la veille avant de partir se promener le long de la plage dorée, le visage fouetté par un vent marin qui faisait voler ses cheveux autour de lui comme la traîne d'une mariée. L'air était imprégné d'iode et d'embruns, un parfum d'immensité et de liberté qui le dérouta. Il n'aimait pas particulièrement le bord de mer, au contraire de Draco et Daphnée, mais il aimait sentir la puissance des éléments, cette force de la nature que même la magie ne pouvait dompter. Sauf celle de Harry.

Il allait rentrer bien sûr. Mais il ne voulait pas passer trop de temps au Manoir avant de partir à ce fameux match. Moins il serait obligé d'affronter Severus, mieux cela vaudrait. Ce n'était certainement pas en le fuyant qu'ils parviendraient un jour à se réconcilier – si tant est que Severus le souhaite – mais il n'avait plus la patience pour supporter ses sarcasmes continuels et ses provocations incessantes.

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L'après-midi touchait à sa fin quand Lucius transplana au Manoir, content de rentrer chez lui mais aussi inquiet de ce qu'il allait y trouver. Il hésita un instant devant la Bibliothèque où se trouvait Severus, puis poussa la porte en restant sur le seuil, loin de son compagnon assis à la table de travail avec nombre de livres ouverts autour de lui.

– Tu es rentré...

Severus avait sursauté à sa présence, mais sa voix contenait une légère trace de soulagement.

– Je pars pour le stade dans une heure, fit Lucius d'un ton neutre. Tu viens ?

– Bien sûr. Daphnée m'a transmis le message.

C'était une façon détournée de lui faire comprendre qu'il l'avait cherché la veille au soir, au moins chez Draco. À moins que Daphnée ait pris les devants pour le contacter, mais ce n'était pas vraiment son genre. Si elle avait fait en sorte de procurer un endroit tranquille à Lucius, ce n'était pas pour prévenir ensuite Severus de son passage.

– Harry est déjà parti ?

– Oui. Il fait le dernier échauffement avec l'équipe et il nous rejoindra dans la loge.

– Bien. Je monte prendre une douche et me changer, dit Lucius. Je te retrouve tout à l'heure.

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Il avait déjà pris une douche à Torquay, mais il se sentait plus à l'aise au Manoir, et cela lui permit d'effacer les traces d'embruns et les grains de sable venus se glisser dans ses cheveux. Tandis qu'il les attachait sur sa nuque avec un ruban de satin noir, il ne put s'empêcher de grimacer en contemplant son reflet dans le miroir. Sa fatigue se lisait sur son visage et les cernes sous ses yeux lui donnaient l'impression d'avoir pris dix ans en quelques jours. Un glamour rapide lui redonna son apparence habituelle mais il savait bien que sous les faux-semblants, son visage marquait le coup de cette période tourmentée.

Et ce soir plus que tout autre, il lui faudrait maintenir les apparences et revêtir ce masque hautain et arrogant des Malfoy qu'il n'abandonnait qu'en privé. La réception qui suivrait la victoire tant espérée des Harpies allait drainer toute la bonne société et l'aristocratie d'Angleterre et il était tout à fait hors de question de montrer le moindre signe de faiblesse ou de fatigue. Ce n'était qu'une question d'habitude. Son père l'avait parfaitement dressé à cela et il allait à nouveau plaquer sur son visage ce rictus méprisant que tout le monde attendait de lui et que Severus détestait par-dessus tout. Mais ce n'était pas comme si l'opinion de Severus avait de l'importance ce soir.

Il fut prêt malgré tout bien avant l'heure et se fit servir un thé dans sa chambre pour patienter. Il regardait la lente course des aiguilles sur la petite pendule de la cheminée quand Severus – qui d'autre ? – frappa à la porte de la chambre.

– Entre. Depuis quand est-ce que tu as besoin de frapper pour rentrer ici ?

Severus s'avança en haussant les épaules, visiblement peu désireux de soulever un conflit.

– J'ai besoin de ma chemise noire, je pense qu'elle est dans le dressing.

Est-ce qu'il avait fait exprès de venir se pavaner dans sa chambre torse nu, comme pour le narguer de ce qui lui était désormais inaccessible ? Très certainement. Est-ce qu'il avait fait exprès de mettre ce pantalon en cuir dont Lucius raffolait tant, et cette ceinture dont la boucle d'argent luisait faiblement et qui éveillait toujours en lui des idées lubriques... ? C'était... possible.

En sortant du dressing avec sa chemise à la main, Severus tourna la tête vers lui, le regardant réellement pour la première fois depuis qu'il était entré. Il marqua un temps d'arrêt durant lequel Lucius se prépara à une nouvelle pique, soupirant intérieurement de lassitude.

– Tu es... magnifique, murmura Severus en le contemplant des pieds à la tête.

– Merci, fit-il surpris.

Certes, il avait mis un costume assez chic qui lui donnait une apparence flatteuse, certes le glamour lui donnait un visage plus reposé que la réalité, mais c'était bien la première fois qu'il entendait un mot gentil sortir de la bouche de son compagnon depuis des jours et des jours.

Brusquement, le visage de Severus se renfrogna en apercevant le plateau avec la théière et la tasse sur le guéridon, ce qui n'était probablement jamais arrivé en trente et quelques années qu'il vivait ici.

– Je serai dans ma chambre pour me préparer. Tu peux descendre boire ton thé ailleurs qu'ici. Je ne veux pas t'empêcher de quoi que ce soit.

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Merci à ceux qui lisent, qui commentent ou qui review... N'hésitez pas à laisser un petit mot!

C'est encore un peu sombre, mais promis! les choses vont s'améliorer dans le prochain chapitre!

Au plaisir

La vieille aux chats