Bonjour !

Cette histoire est une version alternative de la saison 8 et comporte 10 chapitres, chacun raconté du point de vue d'un personnage différent. Les éléments de contexte seront dévoilés au fur et à mesure. Au programme : personnages dépressifs et désabusés, smut, inceste, mentions de viol et d'avortement. Ah, et une déclaration d'amour à Charles Baudelaire. Parce qu'il le mérite. Et parce que, quoi qu'en dise Angèle, le spleen est toujours à la mode.


Jon - Duellum

Deux guerriers ont couru l'un sur l'autre ; leurs armes

Ont éclaboussé l'air de lueurs et de sang.

Ces jeux, ces cliquetis du fer sont les vacarmes

D'une jeunesse en proie à l'amour vagissant.

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Les glaives sont brisés ! comme notre jeunesse,

Ma chère ! Mais les dents, les ongles acérés

Vengent bientôt l'épée et la dague traîtresse

Ô fureur des cœurs mûrs par l'amour ulcérés !

oOo

Le soleil se lève, traverse les rideaux épais et inonde la pièce de sa cruelle lumière. C'est trompeur, le soleil, on pense que le jour est comme l'espoir, le réveil, la vie, tous ces trucs qu'on raconte aux enfants qui ont peur du noir.

Quelle blague.

Sansa aimait beaucoup ce genre d'histoires, à une époque. Sansa n'aime plus trop le soleil, maintenant. A vrai dire, Sansa n'aime plus grand chose.

J'ouvre les yeux, tends un bras par réflexe.

L'autre côté du lit est vide.

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Je déambule dans les couloirs du Donjon Rouge, on s'incline sur mon passage, je réponds par un petit signe de tête cordial.

Aegon le Cordial. C'est mon nom, maintenant.

A ce qu'on dit.

Je passe par la salle du Trône, je contemple le Trône de Fer comme je le fais chaque matin, pour me rappeler que tout ça n'est pas une mauvaise plaisanterie, que tout ça est bien réel. Je ne m'en approche pas. Je ne m'en approche jamais. Je ne me suis même jamais assis dessus.

C'est le trône de Dany, pas le mien.

Je sors dans la cour. Le soleil est chaud sur ma peau. Je ferme les yeux.

« Jon ? »

Je mets quelques secondes à réaliser qu'on s'adresse à moi. Jon, Aegon – les deux se confondent, je ne sais plus qui je suis vraiment. Sam se dirige vers moi, les sourcils froncés. Il courbe la tête, je grimace. Il m'a appelé Votre Majesté, une fois, après le couronnement.

Il n'a jamais recommencé.

« Oui ? »

Ma voix est rauque. Depuis combien de jours n'ai-je pas prononcé le moindre mot ?

« Jon, un corbeau vient d'arriver de la Citadelle. »

Pas un nuage ne vient cacher le soleil.

« L'été a pris fin, » poursuit Sam.

Une légère brise vient emporter ses paroles. C'est une surprise, je ne parviens pas à cacher mon étonnement. A vrai dire, je n'ai jamais rien réussi à cacher quoi que ce soit. C'était Ned Stark qui gardait les secrets. Quoi qu'on en dise, je ne suis pas son fils.

« C'était un court été, » poursuit Sam face à mon absence de réponse. « Quatre ans à peine. »

Je regarde ses yeux gentils, son visage rond, son expression inquiète. C'est un bavard, Sam. Se taire, il n'a jamais su. Tout le contraire de moi.

« L'hiver vient, » je dis.

Et je tourne les talons. L'hiver vient. La devise des Stark. Les paroles de Ned. Le mantra des loups.

Je retourne à l'intérieur. Mes doigts se referment sur le pommeau de Grand-Griffe. Celui que je n'ai jamais eu le courage de changer, ou peut-être le désir, comme un souvenir qui ne se laisse pas oublier.

L'hiver n'est pas encore là ; je me sens gelé.

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Dany est assise à la table du conseil restreint. Seule. Tyrion est encore à Winterfell, il devrait revenir prochainement. Elle fait tourner un rouleau de parchemin entre ses doigts, pensive. Le soleil fait briller ses cheveux d'or argenté. Je déglutis.

Elle n'a pas remarqué ma présence. Je me racle la gorge.

« Dany ? »

Elle bat des paupières, se tourne vers moi, garde le silence, ne me propose pas de m'asseoir avec elle. Elle ne le fait jamais.

Je vois qu'elle attend que je poursuive.

« Je viens de parler à Sam, » je lâche. « L'été a pris fin. »

Dany se désintéresse de moi, hausse les épaules, contemple le plafond en songeant à on ne sait quoi. L'hiver vient. J'aurais pu le dire, je ne l'ai pas fait, comme pour lui rappeler que je ne suis pas un Stark, pas un loup, moi aussi je suis un dragon, comme elle, si seulement elle voulait bien s'en souvenir ne serait-ce qu'une fois de temps en temps, je ne demande pas grand chose pourtant.

« Oui, il me l'a dit. »

C'est sa seule réponse, elle ne dit rien d'autre. Je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas crier. Un goût de sang se répand bientôt dans ma bouche.

Feu et Sang. C'est approprié.

« Tu as besoin de moi ? »

C'est plus fort que moi. Je suis un taiseux, c'est vrai. On pourrait croire que Dany aime les mots et les discours, elle qui a su rallier des peuples entiers derrière elle, on pourrait penser que l'écho de sa voix traverse le Détroit et monte jusqu'au ciel. C'était peut-être vrai, à une époque. Peut-être – je ne suis plus sûr de rien.

Dany a grandi dans le silence. Moi, j'avais Ned Stark, Robb, j'avais Arya et Bran qui se glissaient dans mon lit pour bavarder jusqu'au petit matin, j'avais les piques de Sansa et celles de Catelyn. Dany n'avait que son frère, son frère qui délirait et lui remplissait la tête d'histoires de vengeance et de reconquête.

Elle ne me regarde même pas, me fait un vague signe de la main.

« Non, c'est bon. »

Dany est la reine, la vraie reine, celle qui s'assoit sur le Trône de Fer. Moi, je ne suis que le roi consort, le roi de l'ombre, celui qui la suit l'échine courbée en rêvant d'être ailleurs.

La conversation est terminée, je n'ai plus aucune raison de rester. Je n'ai plus rien à dire. Je perds le contrôle de ma propre voix.

« Je t'ai attendue, hier soir. »

C'est un reproche, mes poings sont crispés, j'ai envie de hurler. Je ne lui demande pas où elle était. Je le sais, et ça me tue. Elle hausse les épaules d'un air ennuyé, ne cherche même pas à se justifier, ni à mentir – elle ne me fera pas cet affront.

« Je te rejoindrai ce soir. »

Je me calme légèrement, hoche la tête. C'est une maigre victoire.

Mais c'est une victoire quand même.

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Je croise Jorah dans un couloir. Mon corps se tend instinctivement. Il ne s'incline pas devant moi – pourquoi le ferait-il ? C'est face à Dany qu'il a ployé le genou, pas face à moi.

Je regarde son visage ridé, son corps marqué par le poids de l'âge. Ma gorge se noue. Je me rappelle du temps qu'on passait ensemble, lui, moi et Tyrion, à Winterfell. Cinq mois de siège, c'est long. Le Roi de la Nuit n'était pas pressé. Qui aurait cru qu'il aimait jouer ?

Le pire, ce n'était pas les combats. Le pire, c'était l'attente, cette terreur interminable qui ralentissait nos cœurs, meurtris dans leurs prisons de glace. Alors, on parlait, on parlait du futur, du retour de l'été, de Dany sur le Trône de Fer. On espérait, aussi, un peu, beaucoup, ça dépendait des jours. Et Dany venait nous rejoindre, elle souriait à Tyrion et pressait le bras de Jorah, mais c'était mes lèvres à moi qu'elle embrassait. Elle était mienne, j'étais sien.

« Elle est à la table du conseil, » je dis.

Ma voix est bien trop sèche. Il baisse les yeux, il se sent peut-être coupable. Je suis injuste avec lui, je le sais, mais c'est plus fort que moi.

Je retire le long cheveu argenté accroché sur sa chemise et je reprends ma route.

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Mes pas m'amènent à Fossedragon. Je viens souvent ici, cet endroit est toujours désert. Je dégaine Grand-Griffe, combats un ennemi invisible, et puis je laisse tomber l'épée sur le sol. Alors, c'est à ça que je suis réduit, maintenant ? Moi, l'ancien Commandant de la Garde de Nuit ? L'ancien roi du Nord ? L'un des deux derniers dragons ? Pour toujours, je serai condamné à me terrer dans l'ombre de Dany et à combattre des fantômes ?

Je m'esclaffe, me trouve pathétique, des larmes de rage me brûlent les yeux. Je l'ai dit à Dany, il y a toutes ces années, dans notre chambre à Winterfell. J'ai dit que cette vie n'était pas faite pour moi. Elle était nue contre moi, sa peau était chaude.

« Après la guerre, nous nous marierons, pas vrai, Jon ? Tu seras mon roi. »

Ses yeux violets brillaient, ça m'a mis le cœur au bord des lèvres.

« Je ne suis pas fait pour m'asseoir sur un trône, Dany. »

Ma réponse l'a amusée, mais j'étais sérieux. Je suis un combattant, un guerrier, je suis fait pour les batailles et les guerres à mener.

Dany a insisté.

« Je veux t'épouser, Jon. Je veux que tu sois mien. Promets-moi que nous nous marierons. Que ferait une reine sans son roi ? »

Elle était nue contre moi, sa peau était chaude, ses lèvres douces, il y avait des étoiles dans ses yeux violets. Et je l'aimais. Je l'aimais à en crever.

J'ai cédé.

« D'accord, je t'épouserai. »

J'aurais tout fait pour elle, tout, et elle le savait.

Mes yeux balayent Fossedragon, je pense au règne fastueux des Targaryen, à leur déchéance, à la mort de leurs dragons, à Dany et ses enfants.

C'est fini, maintenant, tout ça c'est du vent, il n'y a plus de dragons, les deux derniers sont morts pendant la guerre. Le Roi de la Nuit a eu Rhaegal, et puis Arya l'a eu lui. On pensait qu'on avait gagné, que tout était fini.

Je secoue la tête.

Du vent, tout ça, rien que du vent.

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Dany tient parole, c'est mon lit qu'elle réchauffera ce soir. Mon cœur accélère alors que je l'observe retirer ses vêtements, je me souviens de mes mains sur ses seins et ma tête entre ses cuisses et mon corps pressé contre son corps, je me souviens de ses cris et ses gémissements, de la façon dont elle murmurait mon nom, de l'effet qu'elle avait sur moi, de notre passion brûlante et infinie.

C'était fort, ce qu'on avait, tellement fort, et puis tout a foutu le camp.

Elle est nue, grimpe sur moi, je la laisse me chevaucher, elle plonge son regard dans le mien, c'est tout ce dont j'ai besoin, je ferme les yeux et je suis de retour à Winterfell il y a toutes ces années, je gémis, une vague de plaisir me submerge et puis c'est déjà terminé, ça fait trop longtemps que je l'ai touchée. Dany roule sur le côté et regarde le plafond, le visage de marbre. Avant on aurait recommencé, encore et encore, ça aurait duré toute la nuit, nos corps collés l'un contre l'autre dans une danse lascive, le feu et la glace s'affrontant dans un duel de luxure, les derniers dragons se chevauchant à tour de rôle.

Dany fait semblant, maintenant, Dany n'a plus de dragons, plus depuis qu'Euron Greyjoy a tué Drogon. Le Roi de la Nuit était mort. On n'avait pas pensé à celui des Sept Couronnes.

Cersei Lannister aurait dû mieux choisir ses alliés.

Dany se lève, se rhabille, elle a d'autres lits à visiter, j'ai envie de pleurer, tout ça je n'en voulais pas, les Sept Couronnes, le Trône de Fer, le Donjon Rouge et toutes ces foutaises, moi je serais resté un loup, je me serais fait oublier s'il n'y avait pas eu ces cheveux d'argent et ces yeux violets juste devant moi, si elle n'avait pas emporté mon cœur avec elle, si j'avais su qu'elle y mettrait le feu.

Elle me jette un coup d'oeil, son visage s'adoucit un peu, peut-être qu'elle a senti ma colère.

Elle se penche vers moi et m'embrasse au coin des lèvres.

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Je connais les couloirs du Donjon Rouge par cœur, ça fait sept ans que je les parcours tous les jours, sept ans que je n'ai rien d'autre à faire. Un loup en cage, un dragon sans ailes, voilà ce que je suis, je ferme les yeux et je rêve de Winterfell, de la meute de loups que j'ai laissée derrière moi, je songe aux épées et aux combats en soupirant. Je n'envoie plus de lettres, ça fait bien longtemps que Sansa a arrêté de me répondre. Je ne sais pas où est Arya, elle disparaît des semaines entières sans donner le moindre signe de vie. Parfois j'aimerais faire comme elle, partir et ne jamais revenir, fuir les ombres dans les couloirs, fuir l'ombre de Dany, l'ombre de tous ces rêves.

« Père ? »

Je me retourne.

Fuir son ombre à lui.

« Que fais-tu ici ? » je demande.

Baelor ne cille pas, il cherche à croiser mon regard. Comme toujours, je fixe ses cheveux, sa bouche, ses petites mains, mais pas ses yeux. Jamais ses yeux.

Il hausse les épaules, désinvolte, fronce les sourcils avec arrogance, c'est terrible, il a exactement la même expression que sa mère, j'en suis retourné, j'ai envie de partir en courant.

« Je m'ennuie. »

Il m'en veut, je le sens, j'en frissonne, il n'a pas six ans et la flamme de la colère brûle déjà en lui, j'ai peur de ce qu'il pourrait devenir.

Silence. Je regarde le jouet qu'il tient entre ses mains. Un ours en bois.

« Vous savez où est Ser Jorah ? » demande Baelor après quelques minutes.

Quelques minutes d'attente, d'espoir, lui non plus ne demande pas grand chose, le petit Baelor, il veut simplement passer un peu de temps avec son père, je me rappelle la façon dont je suivais Ned Stark partout, autrefois.

Viendra un jour où il cessera d'attendre, je le sais. Il cessera de me chercher, il cessera de chercher à plonger ses yeux dans les miens. Et ce sera entièrement de ma faute.

« Il doit être dans l'armurerie. »

Baelor hoche sèchement la tête, s'en va sans un autre mot. Tous les petits garçons ont besoin d'un héros, quelqu'un à admirer, à vénérer. Il s'est trouvé un père de substitution. J'ai envie de le rappeler, de le prendre dans mes bras et de m'excuser, de promettre d'être là pour lui. Ma bouche reste fermée, c'est au-dessus de mes forces. Jorah a gagné, cette fois, et je l'ai volontiers laissé faire. Pour une fois, c'est moi qui ait le malheur d'être second.

Je me rappelle de ce matin triste d'hiver où Dany l'a déposé dans mes bras, cette petite chose rose et coléreuse, il hurlait, je l'ai pris et je l'ai serré contre moi, il s'est calmé.

« C'est notre fils, » a t-elle dit.

Il a ouvert les yeux et j'ai été frappé d'horreur, je me suis mis à trembler, le regard de Dany était déterminé, et moi je l'aimais, je l'aimais tellement, alors je n'ai rien dit et j'ai hoché la tête.

Aegon le Cordial. Cordial. Sincère, spontané.

Une autre blague.

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Quand est-ce que tout a dérapé à ce point ? Le jour de notre mariage, à l'instant où Jorah a déposé la couronne sur ma tête ? Quand son dernier dragon est mort ? Au début de la guerre ? Le jour où je l'ai rencontrée pour la première fois ?

Étions-nous condamnés depuis notre naissance ? Un Targaryen seul dans le monde est une chose terrible. Eh bien, je suis seul, maintenant, j'ai laissé derrière moi les loups mais je n'ai jamais vraiment été un dragon. Je suis ne suis pas vraiment un roi mais je suis plus qu'un simple seigneur. Je n'ai plus de guerre à mener mais je suis en guerre contre moi-même. Je suis dans un entre-deux, un creux, un fossé, je suis transparent sans être un fantôme, je suis un objet décoratif à qui on s'adresse de temps en temps, je ne suis ni Jon Snow ni Aegon Targaryen, je ne suis personne d'important, quelqu'un à oublier.

Peut-être que c'est pour le mieux.

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Je t'aime, Dany, je t'aime tellement. Tu me tournes le dos, brosses tes longs cheveux devant le miroir. Tu sais que je suis là mais tu ne te retourneras pas, combien de fois vas-tu me crever le cœur ? Peut-être que ça t'amuse. Moi, ça me ronge, ça me bouffe de l'intérieur.

« Je n'en peux plus, Daenerys. »

Je cherche à te faire réagir, je suis désespéré, je ne t'appelle jamais Daenerys, toujours Dany, tu ne réagis même pas, tu n'as rien remarqué, combien de fois ? Combien de fois ?

« Je sais ce que tu fais avec Jorah, » je poursuis, ma voix manque de se briser.

Tu lèves les yeux. Nos regards se croisent dans le miroir. C'est fait, je l'ai dit, je ne peux plus fermer les yeux et prétendre que tout va bien, que rien n'a changé entre nous. Je regarde la morsure sur ton épaule.

« Je sais ce que tu fais avec... »

« Jon. »

Les améthystes flamboient, c'est un avertissement.

« S'il te plaît. »

Et tu recommences à brosser tes cheveux comme si de rien n'était, j'attrape ton bras et te force à te tourner vers moi, tout en toi n'est qu'indifférence, je vais fondre en larmes et tout casser.

« Jon, cette journée a été longue, je... »

« C'est tout ce que tu trouves à me dire ? »

Je suis ton mari, ton roi, je suis le dernier dragon, il n'y en aura plus jamais d'autre, je t'en prie, parle-moi, pourquoi as-tu l'air si désolée ?

« Tu n'as pas envie d'entendre ce que j'ai à dire, Jon. »

« Vas-y, » je poursuis. « Dis-le. »

Bien sûr que je n'ai pas envie de l'entendre mais je n'en peux plus, tu me brises le cœur depuis tellement d'années, je veux sortir de cet entre-deux, sortir de l'ombre ou m'y terrer pour toujours, je n'en sais rien.

« Je ne t'aime plus. »

Je te lâche, ça fait tellement mal, c'est toi, l'Imbrûlée, tout mon être prend feu. Je hoche la tête, je suis désespéré.

« M'as-tu aimé un jour ? »

Tu bats des paupières, tu parais surprise que je te pose la question, comme si tout ça n'avait plus aucune importance. Je t'en prie, Dany, dis-moi que tout ça n'a pas été pour rien, que ça a un jour voulu dire quelque chose.

« Je ne sais pas. Je ne pense pas. »

Cherches-tu à me tuer ?

« Alors, j'étais quoi pour toi ? » je demande un peu trop sèchement.

Tes yeux s'éteignent, tu te perds dans tes souvenirs. Dehors, les étoiles brillent dans le ciel couleur d'encre. Peut-être qu'elles le savent, elles qui ont été témoins de nos étreintes.

« Tu étais un rêve, Jon, » tu réponds doucement, lentement, ta voix est une bise froide et lointaine. « Mon rêve. Les Sept Couronnes, le Trône de Fer, les conquêtes... c'était mon rêve, tout ça. Quand je t'ai vu, j'ai cru avoir trouvé mon égal, mon roi. Le feu et la glace, enfin réunis, enfin réconciliés. C'est ce que disait Sansa pour plaisanter... ou peut-être Arya, je ne sais plus. »

Je me rappelle du jour de notre mariage. Je me fichais de cette couronne qu'on a placée sur ma tête, je ne voyais que toi, tu étais resplendissante, et j'étais heureux, si heureux. Pourquoi me prends-tu ça ? Bientôt, il ne restera rien.

« Et puis, j'ai appris que tu étais un Targaryen. J'ai cru mourir d'amour pour toi, Jon. Un autre dragon pour m'accompagner, moi qui avais toujours été si seule. »

Arrête-toi là, je t'en prie. Laisse-moi quelque chose.

« Et puis, la guerre, les Marcheurs blancs... Euron Greyjoy... je n'avais plus de dragons. J'avais la couronne, mais plus rien à conquérir. Et j'ai compris... j'ai compris que ce n'était pas vraiment toi que j'aimais. J'aimais mon rêve, j'aimais ce que tu représentais. J'aimais une illusion. »

Tu te détournes de nouveau, désenchantée, je veux hurler, j'aimerais penser que tu viens de m'échapper pour toujours mais tu n'as tout simplement jamais été à moi. C'est ce que je suis, alors. Un rêve brisé, une illusion perdue. Le rappel constant de ta plus grande déception.

« Tu pourrais me répudier, » je lâche. « Me renvoyer dans le Nord. Comme ça, tu n'aurais plus jamais à poser les yeux sur moi. »

Tu parais sincèrement étonnée.

« C'est ce que tu veux ? »

C'est toi que je veux, c'est tes lèvres, ton cœur, ne faire qu'un avec toi, t'entendre gémir, t'entendre crier mon nom, te posséder, toi, rien que toi. Je m'imagine repartir dans le Nord, près de Sansa, Sansa qui ne me répond plus, Sansa qui a oublié mon existence, je m'imagine ne plus jamais te voir.

Tu ne m'aimes plus, tu ne m'as probablement jamais aimé, je le sais, mais le reste du monde n'a pas besoin de le savoir. On ne t'associera jamais à Jorah dans les livres d'histoire, ni à cette personne qui t'a laissé cette morsure sur l'épaule. Pour toujours on se souviendra de Daenerys la Conquérante et Aegon le Cordial, les derniers dragons. On racontera qu'ils se sont aimés, le feu et la glace enfin réunis. L'illusion finira par devenir la vérité, la preuve que notre amour a existé, que j'ai existé pour toi, que j'étais réel.

« Non, » je réponds.

Je me déteste pour être aussi lâche.

« Je veux rester. »

Tu acquiesces en silence et tu regardes par la fenêtre, tu attends que je m'en aille. C'était un duel, on s'est affrontés, et j'ai perdu, encore une fois. Je ne gagnerai jamais face à toi. Je tourne les talons et je quitte la pièce.

Je regarde en arrière avant de fermer la porte.

.

Je vais mentir, je vais faire semblant pour le reste de ma vie, je vais garder ce secret avec moi, la mort de notre amour, personne ne saura jamais.

Peut-être que je suis bien le fils de Ned Stark après tout.

oOo

Dans le ravin hanté des chats-pards et des onces

Nos héros, s'étreignant méchamment, ont roulé,

Et leur peau fleurira l'aridité des ronces.

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Ce gouffre, c'est l'enfer, de nos amis peuplé !

Roulons-y sans remords, amazone inhumaine,

Afin d'éterniser l'ardeur de notre haine !


Le prochain personnage sera Jorah.