LA NOBLESSE DES SENTIMENTS

XV. UNE CONFIANCE AVEUGLE

"Hey ! Ce ne serait pas le Caporal Levi ? Qu'est-ce qu'il fait ici ? Ne devrait il pas être encore alité à l'hôpital ?"

Le-dit Caporal traverse la cour du QG du Bataillon d'Exploration d'un pas nonchalant comme si ses blessures de la dernière expédition n'étaient que superficielles.

"Il a eut l'autorisation de sortir. Faut dire qu'il n'était pas très aimable avec les infirmières..." Répond Hanji à Moblit qui l'aide à transporter des caisses d'équipements du bâtiment du stockage vers son laboratoire.

"Il a vraiment perdu la vue ?" S'enquiert Moblit.

"Les médecins ont dit qu'il fallait attendre. Qu'il lui fallait du repos pour aider son corps à guérir. Ils lui ont interdit toute activité mais impossible de le faire tenir en place cet entêté."

"Mais il va finir par se blesser, s'il percute quelque chose ou quelqu'un !"

"Ne t'inquiète pas trop va, il risque rien, il connait les chemins par cœur, même les yeux fermés. Le tout c'est de ne rien laisser traîner ! Tout doit être rangé à sa place. Et se tenir hors de son chemin..."

"C'est vrai qu'il a été très clair là-dessus... Il est encore plus intransigeant sur le ménage depuis sa blessure... Comme s'il pouvait SENTIR la poussière faute de pouvoir la voir... C'est flippant !"

Si Hanji sourit à ses dernières paroles, elle coule néanmoins un regard inquiet vers le Caporal. Elle est toutefois rassurée en voyant qu'il n'est plus tout seul.

"Oh ça va barder !" S'exclame-t-elle tout bas avant de s'éclipser à l'angle du bâtiment avec Moblit.

Levi ralentit l'allure avant de finalement s'arrêter en plein milieu de la cour.

"Je sais qu'c'est toi, Erwin."

Il peut sentir la présence du Major, juste dans son dos.

"Tu vas faire concurrence au flair légendaire de Mike, à ce train là." S'exclame Erwin, impressionné.

"J'ai pas besoin de t'sentir, tu es plus bruyant qu'un titan. Qu'est ce que tu veux ? J'espère que t'es pas venu pour me faire la morale parce que sinon je vais t'envoyer gentiment te faire voir ailleurs. Je vais bien. J'ai pas besoin que tu me serves de canne. Alors ravale tes arguments et fous moi la paix."

Le brun entend Erwin soupirer. Son souffle vient chatouiller sa nuque et sa mâchoire se contracte tandis qu'il réprime un frisson.

"Levi, tu as failli te blesser un nombre incalculable de fois, rien que ces deux derniers jours.'' Lui rappelle Erwin à son bon souvenir.

Le grand blond ne veut pas lui avouer qu'il lui donne des sueurs froides à chaque fois qu'il le voit prendre des risques inutiles pour... eh bien, se rendre utile justement.

Levi grogne en croisant les bras, déterminé à tenir tête à son supérieur. Erwin n'a pas besoin de lui rappeler. C'est déjà assez humiliant pour lui de devoir demander de l'aide pour des choses toutes simples.

''Allons...''

"Tu me forceras pas à rentrer me pieuter." L'interrompt il immédiatement.

"N'en sois pas si sûr." Réplique sombrement le blond.

Levi plisse les yeux et se tient prêt, les poings crispés, si Smith décide d'utiliser la force avec lui.

"Essaie pour voir, je te botterai le cul aussi bien que si j'y voyais." Le prévient il.

"Je croyais qu'on avait dépassé le stade des menaces..." Marmonne Erwin.

"Je n'ai plus envie de te planter un couteau dans le dos, ça t'suffit pas ?"

Un nouveau soupir, plus irrité, franchit les lèvres du blond tandis qu'il se pince l'arrête du nez. Le brun va finir par le vexer, s'il continue.

"Dois-je te rappeler que je suis ton supérieur direct et, de ce fait, tu me dois le respect et obéir aux ordres ?"

"Ah, parce que c'est un ordre maintenant ?"

"Si tu préfères, je peux te ramener à l'hôpital."

L'avertissement est clair.

"Très bien" Répond le brun sèchement, "T'as gagné... Mais ne crois pas que je vais rester bien sagement dans ma piaule toute la journée."

Les baraquements ne sont pas un lieu très reposant, à son goût. Et rester allongé à rien faire toute la journée alors qu'il y a tant à faire lu est insupportable.

"Laisse moi t'accompagner, d'accord ?"

"Vos désirs sont des ordres, Major." Grince le blessé d'un ton venimeux.

Levi sent la main irradiante de chaleur d'Erwin presser doucement mais fermement son épaule. Il serre les dents avant de se laisser guider à contrecœur par un Major plus que soulagé d'avoir réussi à le persuader en évitant ainsi une lutte à mains nues. Les explorateurs observent du coin de l'œil le duo hétéroclite disparaitre à l'intérieur du bâtiment des officiers. Si Levi se rend compte que son commandant ne le mène pas à sa chambre, il ne dit mot. Les deux hommes traversent les couloirs vides dans un silence tendu.

Lorsqu'ils atteignent la pièce attenante à son bureau, Erwin le pousse gentiment à l'intérieur. Levi entend le clic caractéristique d'une porte qu'on ferme à clef dans son dos et se retourne vivement dans le but d'attraper la clenche, certain que son supérieur l'a enfermé à l'intérieur.

''Erwin, espèce de-''

Il bute cependant contre ce qu'il devine être le torse ferme d'Erwin qui pose à nouveau une main sur son épaule pour ne pas qu'il perde l'équilibre et ne tombe.

''Ne sois pas aussi en colère...''

Levi s'écarte en prenant un air courroucé. Par Sainte Maria, il est tellement solide et haut que s'il y aurait eut un quatrième mur on l'aurait appelé Smith !

''Si tu arrêtais de me materner-''

''Tu as peur.'' L'interrompt abruptement le blond.

C'est un constat et non une question. Il connait ses mécanismes de défenses. Il sait ce que cache l'ancien voyou derrière ce ton cassant et froid.

Levi ouvre la bouche pour répliquer mais la referme sans avoir sorti le moindre mot, apparemment pris par surprise. Il fronce les sourcils, croise les bras sur son torse et se redresse pour se montrer plus grand qu'il ne l'est.

''Tch. Je n'ai pas p-''

''Des ténèbres.'' Développe Erwin avant qu'il n'ait le temps de finir.

Levi humidifie distraitement ses lèvres asséchées avant de répondre précautionneusement.

"J'ai vécu toute ma vie dans les bas-fonds, Erwin, je ne suis pas effrayé par le noir."

"Je ne parlais pas de ces ténèbres là." Le corrige-t-il.

Levi n'a pas le cœur à se défendre.

Etre complétement dans le noir a pris une toute nouvelle signification pour lui. Ce n'est pas juste sombre; c'est noir d'encre, sans relief, ni gris, ni pointe de lumière sous la porte, sans étoile scintillant dans le ciel. C'est le noir absolu. Et c'est oppressant. Mais ce n'est pas ce qui terrifie Levi au plus haut point, non, et Erwin le sait. C'est de rester indéfiniment dans cet état qui le terrorise et le met sur les nerfs.

''Tu te sens inutile. Mais tu ne l'es pas. Tu ne vois peut-être pas... mais regarde.''

Erwin approche la main de son visage mais est stoppé net par Levi, deux fois plus alerte et sur ses gardes depuis sa cécité, qui lui attrape le poignet au moment où ses doigt vont le frôler.

''Tu agis avec ton instinct. Et tes autres sens en sont décuplés.'' Ajoute le blond pour prouver ses dires.

''Ce n'est pas suffisant.'' Répond avec amertume le brun.

''Pour le moment, ça l'est amplement.''

''Arrête d'essayer de me rassurer.'' Soupire le plus petit en libérant le bras d'Erwin. ''Ça ne mènera nulle part. Je ne peux rien voir et rien ne pourra y changer quoi que ce soit.''

Aveugle, il n'est qu'un poids mort pour le bataillon. Il ne peut plus se battre auprès de ses camarades. Lui, le soldat le plus fort, cloué au sol à cause d'un stupide coup à la tête.

''Si tu te reposais tu aurais plus de chance de guérir. Je ne partirais pas tant que je n'aurais pas ta parole. Plus d'escapade hors de ces murs, c'est compris ? Je n'utilise pas cette chambre et il n'y a aucun bruit ici, alors profite s'en pour te poser sur ce lit et dormir un peu."

Levi ferme les yeux et déglutit.

"Très bien, tu as ma parole."

Lutter contre quelqu'un de plus borné que lui est fatigant. Erwin l'aide à trouver le lit. Une légère grimace déforme les traits de son visage lorsqu'il s'y assoit et cela n'échappe pas à Erwin, qui pose alors un genou à terre devant lui.

''Laisse moi jeter un coup d'œil...''

"Je vais bien." Réplique son Caporal en essayant de se dérober à ses mains inquisitrices, en reculant la tête.

''Si tu n'es pas capable de prendre soin de toi, laisse moi au moins le faire pour toi. Tu n'as confiance pas en moi ?''

Si.

Levi serre sa prise sur les draps mais finit par lui céder, ses mots remuant quelque chose en lui qu'il refuse de nommer.

Il a une confiance aveugle en lui.

Les doigts du commandant viennent délicatement retirer le bandage autour de son crâne afin d'inspecter la plaie. Un morceau de lame a entaillé la chair en plein vol lors de l'expédition et la chute vertigineuse qui a suivi a causé une commotion cérébrale entraînant la formation de petits caillots sanguins proches des nerfs optiques, raison pour laquelle il ne peut pas voir. Erwin espère que les médicaments que les médecins lui ont prescrits permettront de dissoudre les caillots rapidement, afin qu'il recouvre la vue.

Ce n'est que temporaire. Rien n'est perdu, se répète inlassablement le Major en son fort intérieur, comme pour se rassurer.

Levi reste immobile le temps que ses bandages soient changés. Erwin est si proche qu'il peut sentir son souffle caresser la peau de son visage. Ses muscles se détendent subrepticement, jusqu'à se relâcher totalement.

Le blond en profite pour changer le pansement à son avant bras, éraflé par les branches qu'il a percutés dans sa chute. Il retrousse doucement la manche, examine les bleus qui colorent la peau pâle. Ses gestes son adroits et précis, panser les blessures étant devenu une habitude chez les explorateurs.

''J'ai peur aussi.'' Laisse échapper Erwin après un long silence et alors qu'il a presque fini de bander son bras.

L'aveux fait relever la tête du soldat dans sa direction. l'atmosphère dans la pièce change. C'est un murmure presque inaudible, si bien que Levi n'est pas sûr d'avoir entendu correctement. Mais ce dont il est certain, c'est qu'il a senti le corps d'Erwin se relâcher entièrement, comme si le poids des responsabilités et des pertes qu'ils ont essuyé durant leur dernière sortie viennent tout à coup de s'abattre en même temps sur lui avec force. Il peut se le représenter, à genoux à ses pieds, tête baissée, yeux fermés, les épaules affaissées et le dos voûté. Cela ne lui ressemble pas. Et cela l'inquiète. Car Erwin n'abandonne jamais. Le savoir aussi abattu remue cette fois quelque chose de douloureux en lui.

Personne ne l'a jamais vu dans cet état. Personne sauf Levi. Il ne montre jamais ses points faibles, et pourtant il lui en dévoile maintenant, consciemment ou inconsciemment, ou parce qu'il a confiance lui, Levi ne saurait dire. Mais ce qu'il sait c'est qu'il n'a pas besoin d'Erwin. Aujourd'hui c'est Erwin qui a besoin de lui.

Erwin est son ancre, sa boussole. Il lui a permis de devenir quelqu'un de meilleur et de se surpasser, il lui a donné un but alors qu'il n'avait plus rien. Mais Erwin, lui, qui a-t-il pour l'aider à se relever lorsqu'il trébuche ? Qui a-t-il pour le sortir des ténèbres quand elles essayent de l'engloutir... ?

Levi l'a toujours mis sur un piédestal. En tant que Commandant du Bataillon, espoir de l'humanité, il se doit d'être irréprochable, solide, inflexible, parfois cruel, mais ce n'est pas pour autant que ça fait de lui un monstre sans cœur. Bien au contraire. Parce qu'il est aussi et avant tout comme tous les autres hommes. Humain.

Et cela le bouleverse.

Le souffle court, Levi tend lentement les bras à l'aveugle, jusqu'à ce qu'il tombe sur des mèches de cheveux. Ayant trouvé un repère, il repositionne ses mains afin de prendre son visage en coupe, ses doigts venant capturer doucement ses joues.

Le souffle d'Erwin s'altère, devenant irrégulier. Il est dans l'expectative.

Lorsque Levi prend la parole, ses mots ne sont que des murmures.

''Tu ne dois pas avoir peur.''

Sans prévenir, le Caporal glisse ses mains dans sa nuque et l'attire vers lui pour presser son visage contre son torse. Ses bras viennent s'enrouler autour de ses épaules, les doigts logés dans sa chevelure blonde et sa joue reposant au sommet de son crâne.

L'accolade inattendue couple le souffle à Erwin.

''Je suis là.''

Smith en perd les mots. Il lui faut un moment avant de retrouver la parole. Levi sent son hésitation. Même sa voix n'est pas aussi assurée qu'elle ne l'est habituellement. Elle est teintée d'émotions qu'il ne parvient pas à contenir.

''Merci, Levi.''

Cette démonstration de soutien affectueux est rare chez le brun. Erwin vient refermer avec précaution ses bras autour de sa taille pour le serrer un peu plus contre lui tout en enfouissant son visage au creux de son cou. Il prend une grande inspiration, emplissant ses poumons de son odeur. Levi insuffle en lui cette énergie brute et pure, qui lui est nécessaire pour se relever et avancer. Le Caporal le laisse faire, alors il prend tout, tout ce qu'il peut. Il se nourrit de sa force, de son courage, de son empathie.

''Merci d'être revenu en vie.'' Souffle-t-il dans son cou.

''Tu me connais, je suis aussi tenace que de la mauvaise herbe. Tu ne te débarrasseras pas aussi facilement de moi.''

''Je t'interdis de mourir avant moi.''

Levi se fige.

Les lèvres pressées en une fine ligne, il essaie de contrôler le flot d'émotions qui le submerge en entendant ses mots.

''Je ne mourrai pas...'' Lui promet il dans un souffle.

Au bout d'un moment, qui semble durer une éternité comme un simple instant, et alors qu'ils profitent tout deux de la chaleur de l'autre et la sérénité des lieux, Erwin se redresse, s'écartant suffisamment de lui pour pouvoir le regarder.

Levi fronce les sourcils, interrogatif quand ses grandes mains quittent son dos pour reposer sur les draps, près de ses cuisses et qu'il se sent observé.

''...Quoi ?'' Demande-t-il, impatient.

Il peut entendre le sourire dans sa voix lorsqu'il reprend la parole.

''Comment as-tu réellement su que j'étais derrière toi ?''

Levi renifle, un fin rictus amusé étirant le coin de ses lèvres.

Il ferme alors les yeux, se concentrant sur ses autres sens.

Le toucher.

Ses doigts courent sur son torse par-dessus sa chemise, remontent le long de sa clavicule, et son épaule, puis la base de sa nuque pour mémoriser ses formes, la texture de sa peau, sa sensibilité.

L'ouïe.

Il peut entendre le bruit de sa respiration profonde et régulière, tout comme les battements de son cœur, fort et combattif.

L'odorat.

Il y a comme une odeur boisée qui flotte dans l'air. Accompagnée d'une note sucrée. Levi incline la tête sur le côté avant de se pencher en avant, pour inhaler cette odeur entêtante. Son nez frôle son oreille.

''Ton parfum.'' Avoue Levi dans un souffle.

Erwin tourne la tête. Leurs lèvres sont à deux doigts de se rencontrer.

~*o* Mélèze *o*~

Mélèze commun, seul conifère en Europe qui perd ses aiguilles en hiver.

langage des arbres :

protection, confiance.

A suivre...?