Thème du jour : Talent

Contexte : AU post S1


Sansa, un sourire de façade sur les lèvres, luttait désespérément contre l'envie de hurler.

Cela faisait trois jours que le tournoi avait commencé, trois jours qui lui avaient semblé trop courts et interminables à la fois – trois jours au cours desquels des dizaines de seigneurs s'étaient affrontés dans des joutes sans merci avec pour but de prouver leur valeur, de remporter le tournoi et d'obtenir la récompense qui allait avec, à savoir la main de Sansa.

C'était son père qui en avait eu l'idée. Ned ne comprenait pas pourquoi elle s'obstinait à refuser toutes les demandes en mariage qui lui étaient faites. Depuis son arrivée à la cour dix ans plus tôt, où Ned officiait en tant que Main du roi, elle avait éconduit une centaine de prétendants.

A vingt-trois ans, quasiment toutes les jeunes femmes nobles avaient déjà trouvé un époux. Elle n'en voulait donc pas vraiment à son père d'avoir fini par perdre patience – elle ne lui avait pas facilité la tâche. En revanche, elle n'appréciait pas le moins du monde la solution qui avait été retenue pour lui trouver un mari.

« Tu as toujours fait remarquer que tes prétendants n'étaient pas assez braves. Eh bien, à l'issu du tournoi, tu sauras quel est l'homme le plus brave des Sept Couronnes, » lui avait dit Ned.

Sa stratégie s'étant retournée contre elle, elle n'avait eu d'autre choix que de baisser la tête et d'acquiescer.

Son père l'ignorait mais il y avait une raison pour laquelle Sansa ne voulait pas se marier, ou du moins, pas avec les personnes qui avaient demandé sa main jusqu'à présent.

De une, elle était déjà amoureuse de quelqu'un et de deux, ce quelqu'un n'était pas un homme.

Cersei Lannister était la première femme chevalier de l'histoire de Westeros. Son frère jumeau, Jaime, était décédé lorsqu'ils étaient enfants. Quant à son petit frère, son nanisme l'avait empêché de prétendre à devenir un fier combattant. Ne pouvant supporter l'idée de ne pas avoir d'héritier digne de ce nom, Tywin Lannister avait rabattu tous ses espoirs sur sa fille, qui s'était révélée à la hauteur de ses espérances, et bien plus encore.

Parce qu'elle était une femme, elle n'était pas autorisée à faire partie de la Garde Royale – son père s'y était de toute façon opposé – mais dans les faits, elle participait à la protection du roi Robert. Celui-ci avait d'ailleurs un jour envisagé de l'épouser. Les rumeurs disaient que Cersei l'avait éconduit avec mépris, faisant remarquer que s'il cherchait une poulinière, il avait frappé à la mauvaise porte.

Sansa avait eu le béguin pour elle dès son arrivée au Donjon Rouge. Bien sûr, elle savait à l'époque qu'à treize ans à peine, elle n'avait aucune chance de voir ses sentiments être réciproques, alors elle avait attendu.

Pendant sept longues années, elle s'était contentée d'être l'amie de Cersei. Elle qui avait tout d'une dame avait fini par prendre goût au maniement de l'épée et à l'équitation, au grand étonnement de son père.

Tout avait changé il y a trois ans. Lasse de garder l'amour qu'elle ressentait pour la lionne tout au fond de son cœur, elle l'avait embrassée subitement au beau milieu d'une promenade dans les jardins.

Quand Cersei lui avait rendu son baiser, elle avait cru mourir de joie.

A présent, Sansa voyait les trois années de bonheur secret qu'elles avaient passées ensemble s'effriter devant ses yeux. Son mari l'emmènerait assurément loin de Port-Réal et c'était une pensée qu'elle ne pouvait guère supporter.

Désespérée comme elle l'était, elle ne faisait pas vraiment attention au tournoi, mais ce fut suffisant pour remarquer qu'un chevalier se démarquait des autres, tout d'abord parce qu'il portait une armure d'un rouge flamboyant, mais aussi parce qu'il ne laissait aucune chance à ses adversaires. L'un après l'autre, ils roulaient dans la poussière et, bientôt, il fut évident qu'il était le grand favori du tournoi tant son talent surpassait celui des autres.

« As-tu une idée de qui cela peut bien être ? » lui demanda son père au crépuscule du quatrième jour, alors qu'il ne restait plus que quelques participants.

« Non, » répondit Sansa.

Ce n'était cependant pas tout à fait exact : la façon qu'avait le chevalier de se tenir lui disait quelque chose, tout comme la manière dont il tenait son épée.

Elle comprit finalement pourquoi quand le chevalier rouge désarçonna le dernier concurrent en lice.

Il mit pied à terre, s'inclina brièvement devant Ned et Robert, assis côte à côte, puis retira son heaume.

Des murmures s'élevèrent dans la foule à la vue de la cascade de cheveux dorés qui lui tomba dans le dos tandis que le cœur de Sansa virevolta dans sa poitrine.

Par tous les dieux, comment n'avait-elle pas pu la reconnaître ?

(Ou peut-être qu'une part d'elle l'avait reconnue mais que Sansa l'avait étouffée tellement cela lui paraissait improbable.)

Oubliant qu'elles n'étaient pas seules, oubliant toutes les convenances, oubliant même que personne n'était au courant de leur liaison, elle se leva et courut rejoindre sa bien-aimée, les larmes aux yeux.

« Je t'aime, » murmura t-elle en se jetant dans ses bras.

Cersei captura ses lèvres d'un baiser passionné.

« Je me battrai toujours pour toi. Toujours. »

Toutes deux se tournèrent vers Ned et Robert, lequel s'étranglait littéralement d'indignation.

« Père, » lança Sansa d'une voix déterminée. « Il était convenu que le vainqueur du tournoi remporterait ma main... »

« En effet. »

« Eh bien, Cersei Lannister a remporté ce tournoi. Je vous demande donc votre bénédiction pour notre mariage. »

Ned ne semblait pas aussi surpris qu'il aurait dû l'être, ce qui fit penser à Sansa qu'elles n'avaient peut-être pas été aussi discrètes qu'elles le pensaient...

« Toi et moi aurons une discussion au sujet de cette relation, qui ne date de toute évidence pas d'hier... » avança t-il. « Mais je t'avais annoncé que tu épouserais le vainqueur du tournoi, et une parole est une parole. Vous avez ma bénédiction. »

« Ned, » rétorqua Robert. « Tu ne vas quand même pas... »

« Une parole est une parole, » le coupa t-il avec sagesse mais fermeté.

Et, alors que ses lèvres se posaient une nouvelle fois sur celles de Cersei, Sansa songea qu'après l'avoir aimée dans l'ombre, elle allait rapidement prendre goût à l'embrasser en pleine lumière.