21. Parler


Le Docteur parlait tout le temps, c'était un fait.

Quelle que soit la régénération que Jack rencontrait, cela ne semblait jamais changer.

Le premier Docteur de Jack avait été de caractère taciturne, et plutôt parcimonieux en terme de paroles. Mais donnez-lui quelqu'un à sauver, ou un sujet à expliquer, et il se lancerait dans une tirade surexcitée, et bien heureux serait celui qui saurait l'arrêter.

(Rose, généralement, pour lui poser une question, accélérant ainsi la cadence du débit. Jack secouerait la tête, blasé et amusé, et peut-être, un tout petit peu amoureux)

Ce Docteur parlait parfois peu, mais il parlait toujours bien.

Ses mots visaient toujours justes, ses discours touchaient toujours leur cible.

Sa parole était parfois (souvent) brutale, et il avait d'ailleurs dû apprendre à l'adoucir, mais elle était toujours honnête.

Oh, combien elle avait manqué à Jack, lorsqu'il avait rencontré le Docteur suivant.

Ce Docteur parlait tout le temps, sans jamais s'arrêter, pour tout et rien dire.

Cela pouvait être fascinant, amusant, excitant, irritant, voire (souvent) tout cela en même temps.

Jack alternerait entre l'écouter, fasciné, ou rouler des yeux, irrité.

La parole de ce Docteur était elle aussi passionnée, mais sa sincérité demeurait à désirer.

Pour ce Docteur, la parole constituait aussi une arme, qui lui permettait de manipuler, ou attaquer.

Jack en avait été la cible.

Jack était lui aussi familier avec la rhétorique.

Jack s'était retrouvé forcé à commander, sans vraiment le désirer.

La parole était parfois (souvent) la seule chose qui lui avait permis de contenir ses hommes, et conserver leur obéissance.

Le capitaine Jack Harkness était connu pour son aisance orale, et sa facilité à séduire les foules. Une part de son charme était issue de son physique, en particulier son sourire, mais sa maitrise de la parole avait depuis toujours aussi été un élément déterminant.

Un joli visage ne vous servait à rien, si vous ne saviez pas parler.

Jack savait parler.

Lui et ce Docteur étaient plus similaires que les deux hommes ne l'appréciaient.

Tous deux savaient séduire les foules avec un sourire, et une voix, selon les circonstances, chaleureuse, déterminée, dominante, ou douce et apaisante.

Mais toujours, toujours envoutante.

La parole était une arme, et tous deux avaient appris à la façonner, et la maitriser, jusqu'à en devenir des experts.

Mais de même qu'ils savaient parler pour séduire, et conquérir, tous deux étaient bien mauvais, pour s'exprimer.

La nuance entre les deux était capitale, et malheureusement pour les deux hommes, leurs compétences en le sujet étaient bien faibles.

Ils avaient leurs raisons, bien sûr. On ne vivait pas si longtemps sans se créer des barrières pour se protéger. Mais comme le chacun des mortels, tous deux avaient aussi besoin de parler, normalement, de choses et d'autres, sans que la fin du monde n'y soit liée.

Le Seigneur du temps et le capitaine.

Le Docteur, et Jack.

Pour le Docteur, c'était bien souvent ses compagnons, qui le poussaient à parler, et s'exprimer. Pour Jack, ce serait son équipe, parfois. Mais surtout Ianto, et son café, et son écoute silencieuse, mais toujours attentive.

(Gwen, aussi, parfois, mais c'était plus compliqué. Ils étaient trop semblables, de feu et de flamme, et Jack avait de toute manière rapidement compris que certains sujets ne pourraient jamais être abordés)

Sur la longueur, cependant, tous leurs confidents disparaissaient, les laissant seuls, et esseulés.

Sur la longueur, ils ne restaient qu'eux, et leur immortalité.

Sur la longueur, ils étaient devenus la seule stabilité, que chacun possédait.

Sur la longueur, il n'y avait réellement qu'à l'un et l'autre, qu'ils pouvaient parler.

Cela n'avait pas toujours aisé. Cela avait même été franchement compliqué. Il avait fallu attendre le Docteur au visage d'enfant, et au costume débraillé, pour qu'un semblant de parole réel et d'échanges cordiaux réapparaissent. La cordialité avait laissé place à l'amitié, lorsque Jack avait réalisé, combien ce Docteur et le précédent étaient opposés.

Peu à peu, il avait parlé.

Peu à peu, le nouveau Docteur s'était confié.

Peu à peu, ils s'étaient retrouvés.

Peu à peu, ils s'étaient pardonnés.

Peu à peu, ils avaient réappris à s'aimer.