Chères lectrices et lecteurs éventuels, faites attention aux warnings habituels: sexe, violence, abus en tout genre...et du "angst", pour utiliser le vocabulaire de la fanfiction...comment traduire ça? Du tourment? De l'angoisse? Bref...vous voyez l'idée...
Encore une fois, je remercie les quelques fidèles qui me laissent des reviews. Continuez, de grâce !
Chère Guest, j'espère que je ne t'ai pas vexée en t'appelant « la guest » la dernière fois… Je me rends compte maintenant que c'est très impersonnel. Je peux être maladroite mais c'est vraiment sans le vouloir !
- Fais-moi tout ce que tu veux !
Emma est assise sur le grand lit conjugal, en tailleur. Ses grands yeux verts, effarés, sont démesurément ouverts et affreusement cernés. Elle est vêtue d'une robe de chambre, blanche et soyeuse, comme elle-même.
La reine, en négligé de satin anthracite, s'affaire dans la pièce cossue, occupée à ranger les vêtements dans la penderie, à préparer les tenues de travail pour le lendemain. La robe verte tourne déjà dans la machine-à-laver mais la maison est si bien insonorisée qu'aucun bruit ne monte de la buanderie. L'elfe blonde n'a plus prononcé un mot, depuis plus de deux heures. Regina l'a rattrapée, dans la forêt, après seulement quelques minutes de course-poursuite, malgré ses talons et le fait que la jeune femme soit évidemment une athlète. La princesse bafouée était hors d'haleine, le dos contre le tronc d'un pin. Elle s'est laissé guider vers la voiture, ramener au manoir, déshabiller et doucher, comme si elle avait subi une lobotomie.
Regina s'arrête net, un débardeur à la main, se retourne vers l'être aimé. En croisant son regard, le shérif fait glisser son peignoir sur ses épaules, dévoile ses jolis seins pâles, coiffés en leur centre d'un minuscule dôme, parfaitement sphérique, rebondi, rose comme un diamant rose.
Les belles joues diaphanes sont humides, les traits tirés.
- Tu as eu peur…comment on dit ? A posteriori, c'est ça ? C'est vrai, j'aurais pu m'empoisonner, à la ferme…et encore aujourd'hui ! Je comprends. Tu peux me punir, pour ça. Très fort. Une vraie punition. Pas comme le vendredi. Tu peux me frapper où tu veux.
La magicienne reste absolument bouche-bée, interdite, au milieu de la chambre. Elle n'ose pas bouger, pas avancer vers cette esclave, parfaitement soumise.
En voyant sa réaction, Emma fronce les sourcils, comme si quelque chose lui échappait. Elle baisse la tête pour regarder sa poitrine. Elle a vraiment l'air de vouloir vérifier si ses seins sont toujours là. Comme dans le doute, elle les empoigne, les offre à sa concubine en les redressant, ce qui est parfaitement inutile étant donné leur fermeté, leur stature orgueilleuse. Elle prend bien garde de laisser les tétons à découvert, a une grimace chagrinée en constatant la taille modeste de ses excroissances mammaires.
Le ravissant visage se redresse, les yeux d'émeraude plongent dans les prunelles charbonneuses, le menton mutin recommence à trembloter. D'une voix chevrotante, la détenue suppliciée d'autrefois articule, très vite, comme si, pour séduire à nouveau sa maîtresse, elle ne disposait que d'un laps de temps limité.
- Tu as eu peur que je me sois tuée…a posteriori. Je comprends. Mais ça n'est pas arrivé, Regina ! Je suis là ! Mon corps est toujours là !
Au prix d'un grand effort, la souveraine fait un pas en direction du lit et dit :
- Ma chérie ! Tu n'es pas qu'un corps. C'est toi que j'aime, corps et âme.
Mais l'orpheline ne semble pas avoir entendu. Elle se met gauchement à genoux, sur la couette, fait glisser sa robe de chambre jusqu'en bas de ses cuisses. Se redressant, en appui sur ses rotules, elle écarte les jambes. Elle cherche de toute évidence à montrer à sa reine la totalité de sa chair, sa poitrine, son ventre, son pubis, les muscles robustes et découplés de ses membres inférieurs. Lâchant son déshabillé, qui descend et s'entasse joliment autour d'elle, elle tend ses paumes rougeaudes, offre ses doigts.
- Tu peux me frapper sur les mains, aussi. Ça fait très mal. Ou…
Soudain, le visage angélique prend cette teinte crayeuse, qui exprime la frayeur et l'angoisse.
- …ou les pieds. Les coups de lanière sur la plante des pieds, c'est… C'est très efficace. Ça single horriblement. Seulement, après, je…je ne peux plus marcher normalement. Si tu fais ça, il faudra que tu utilises ta magie, c'est la seule solution. Sinon, je ne pourrai pas travailler demain.
Regina enfonce ses mains dans ses cheveux, tire. Oh ! C'est atroce ! C'est si effroyablement atroce que c'en est drôle, et elle se met à rire, comme doivent rire les damnés, dans leurs chaudrons.
En entendant ce gloussement de démente, Emma avance lourdement, pesamment, sur les genoux, dans sa direction. Jugeant sans doute que son offrande ne fait pas preuve de suffisamment d'esprit de sacrifice, elle renchérit.
- Tu peux me frapper sur la tête. J'ai la tête dure. Ou sur le dos, quand tu auras fini les fesses. Sur les seins, même. C'est tr…C'est très…
Toute couleur quitte le faciès angélique. La jolie gorge fuselée se contracte visiblement. La reine voit, à travers la peau fine du cou, la forme du larynx, qui monte et descend. Mais Emma prend visiblement son courage à deux mains et achève sa pensée, en balbutiant lamentablement.
- C'est très d…très dis…très dissuasif. Cassie m'a frappée sur la poitrine, une fois. Un garde lui avait prêté sa ceinture. Quand ça tombe sur un téton, on croit qu'on va mourir. Et puis, quand ça retombe au même endroit, on comprend que la douleur ne tue pas. Et on le regrette.
Il faut qu'elle arrête ! Il est impératif qu'elle se taise ! Mais, pour la réduire au silence, il faudrait accepter son invitation et lui faire mal à nouveau, pauvre chérie ! Regina se met à tourner en rond, sur le tapis plain de la chambre, tout en s'adressant d'inaudibles paroles, incohérentes, tirant sur ses cheveux, ce qui la décoiffe. Et la sauveuse continue, hélas, à parler.
- Et je…je suis désolée, pour ce que j'ai dit sur Zelena…Tu devrais vraiment, vraiment me punir, pour ça ! Et pour ma jalousie. La jeune femme rousse. Tu n'as fait que la regarder. Je n'aurais pas dû. Et aussi pour ce que j'ai dit, sur ton fantasme…sur…sur les nombres pairs. C'est indigne ! Je n'ai pas le droit.
La belle brune met un terme à sa course saugrenue, fait face à l'être aimé, se prend la tête dans les mains et articule à grand peine.
- Mon ange…c'est moi, qui n'ai pas le droit de te gifler.
Emma a un geste dépréciateur, qui signifie qu'il ne faut pas se soucier de telles vétilles. Elle avance encore sur le matelas, nue, agenouillée.
- Ça ne fait rien… Je l'ai mérité. Et puis, tu sais, on dit qu'il faut souffrir pour être belle. Moi, je veux être belle pour te plaire. Et je veux souffrir pour te plaire, aussi !
La magicienne secoue la tête avec véhémence.
- Tu ne dois pas souffrir, mon bébé. Tu ne mérites pas, oh vraiment pas, de souffrir.
La princesse dévêtue, arrivée au bout du lit, se lève maladroitement, et s'avance, toute impudique, les mains tendues. Sans qu'elle ait pu l'anticiper, le regard de Regina tombe sur le miroir, qui étale généreusement le reflet des belles fesses galbées. Les délicieuses rotondités ont retrouvé leur couleur d'albâtre, constate-t-elle.
De son côté, la nymphe tentatrice n'a pas besoin de suivre le regard de son amante pour comprendre sa direction. Et un pauvre sourire, pas encore triomphant, se dessine sur son visage accablé.
- Je veux souffrir pour toi. Pour te faire plaisir. Je sais que tu en as besoin. C'est ce que tu aimes, par-dessus tout. Tu peux utiliser ta magie ! Pas besoin d'attendre vendredi. Je peux me pencher en travers du pied de lit. On peut rajouter des oreillers, pour que mon cul soit bien en l'air. Tu peux me fesser, aussi longtemps et aussi fort que tu veux. Jusqu'au sang ! Jusqu'à ce que je perde connaissance ! Peu importe, puisque tu as la magie. Tu peux utiliser tout ce qu'il y a dans le placard. Et puis, quand tu m'auras bien punie, tu peux me prendre, comme un homme, dans la même position. Brutalement. Avec autorité. Tu peux me faire bien mal.
Madame le Maire doit se forcer, s'arracher à la contemplation de l'attrayant spectacle renvoyé par la psyché, pour regarder sa compagne dans les yeux. La voix gutturale prononce alors ces paroles, inacceptables pour la princesse :
- Non, ma chérie. Je devrais seulement partir. Te laisser la maison. Retourner dans la Forêt Enchantée peut-être. Il y a certainement un portail…
La bouche d'Emma s'ouvre comme pour hurler. Mais elle reste muette. Les mains abîmées se saisissent du joli visage, qui porte toujours les stigmates de la taloche assénée dans la roseraie, et, au grand effroi de Sa Majesté, se mettent à griffer les joues blêmes.
« Mon trésor, arrête ! » crie la sorcière, en se précipitant vers sa dulcinée. Elle tend les bras, pour se saisir de sa pauvre enfant, malheureux rejeton d'une famille royale, pour l'empêcher de détériorer plus encore son faciès d'angelot.
Lui saisissant les poignets, elle les ramène de force devant elle. Mais la fée crucifiée, cette fois, pousse une extraordinaire clameur, qui semble larder Regina de milliers de petits dards glacés, transpercer chacune de ses cellules.
S'arrachant à la poigne royale, la sauveuse tombe au sol. Toute dévêtue, à genoux, elle se prosterne. Elle braille, elle hennit, elle s'égosille.
- Nooooooooooooooon ! Ne me quitte pas ! Je te l'interdis ! Je t'en prie, je t'en supplie, je t'implore !
Elle relève la tête un instant plus tard, pour considérer, de ses prunelles hagardes, celle qui est devenue la totalité de son univers.
La souveraine est désemparée, debout devant sa princesse, nue comme un ver, en position de suppliante. Sa Majesté reste coite de panique et d'indécision.
Croyant lire, sans doute, dans le regard sombre, que son asservissement n'est pas assez complet, pas assez absolu, Emma se jette à plat ventre sur la moquette rude, ce qui, a le temps de penser l'enchanteresse, va lui irriter cruellement la peau. Elle attrape les mollets compacts, entreprend de baiser les pieds royaux.
« Regarde! » crie la voix princière, plus enrouée que jamais, entre deux bécots, appliqués avec vénération sur les chevilles racées, sur le cou-de-pied, sur les orteils même, « Regarde comme je t'aime ! Comme je t'obéirai ! »
Regina ne peut discerner, dans ses émotions en bataille, qu'une stupéfaction consternée, un engourdissement. Et lorsqu'elle sent, sur son pied droit, le contact bien connu de la petite langue fouineuse, la pensée qui traverse les méandres complexes de ce cerveau trop sophistiqué n'est autre que : « Heureusement que j'ai enlevé mes chaussures. Elle les aurait léchées. »
Prenant en catastrophe une décision, Madame le Maire se penche, se saisit tendrement de sa fonctionnaire, l'agrippant par les coudes, murmure de son timbre guttural :
- Relève-toi, mon pauvre ange. Je ne partirai pas.
Emma lève la tête, regarde sa reine, une poignante adoration au fond de ses yeux verts, noyés. Gauchement, avec une pathétique maladresse qui n'a vraiment rien de gracieux, elle se remet debout et enlace sa maîtresse en sanglotant. La différence de taille rend toute la scène encore plus déchirante, lui conférant un aspect ubuesque, car le shérif doit ramasser son grand corps et fléchir les genoux, pour appuyer sa carcasse encombrante, glabre comme une pièce de viande dans l'étal d'un boucher, sur la silhouette impeccable et élégante, vêtue d'une coquette robe de chambre.
Regina se retient de pleurer. Cela ne servirait à rien, ne ferait qu'envenimer une situation devenue inextricable. Elle caresse, avec une sorte de complaisance attristée, le dos musculeux, les épaules robustes. Elle s'empare du visage aimé, le relève, lui sourit maternellement. Les joues délicates, détrempées, sont striées de griffures rouges, ce qui fait grimacer la puissante sorcière. Heureusement, les ongles rongés du shérif n'ont pas entamé l'épiderme. Sans songer qu'il est imprudent d'avoir recours à ses pouvoirs de façon aussi irréfléchie, alors que sa moitié et elle-même se trouvent dans un état de profond bouleversement, la magicienne a un mouvement immatériel, de la main droite, balayant l'air, à quelques millimètres de la peau endommagée. Les affreuses éraflures, comme la vilaine tuméfaction et la fente sanguinolente qui dépare la lippe inférieure, s'estompent, puis disparaissent. Un mauvais souvenir.
Réalisant ce que signifie l'intervention de sa dominatrice, Emma se mord les lèvres. Cela suscite encore un geste protecteur et un étrange chuintement apaisant. « Shhhh » dit la reine, en touchant, avec une douceur inconnue des mortels, la bouche rose et gercée. Un sourire apaisé, reconnaissant, se forme sur la face princière. « Pardon », murmure-t-elle. « Tu vois, je suis dangereuse pour moi-même. Heureusement que tu es là ! »
Le cœur au bord des lèvres, Regina embrasse la petite lesbienne, le plus doucement qu'elle peut. Le shérif répond avec enthousiasme, pointant immédiatement la langue, entrouvrant la bouche, pour offrir l'accès.
Et le désir surgit, si puissamment, dans un déferlement si dévastateur, que la magicienne comprend que jamais, à aucun moment, il ne s'était éclipsé. Elle s'empare de la tête blonde, s'enfonce avec rage dans cette caverne chaude et accueillante.
La sauveuse répond en se donnant davantage. Elle colle son corps à celui de sa maîtresse, se laisse gamahucher avec une parfaite soumission, écarte même légèrement les jambes. Au bout de quelques instants de turbulentes privautés, elle se saisit, dans un étrange mélange de prudence et d'intrépidité, des mains cuivrées, les ramène derrière elle, les pose carrément sur son arrière-train, une paume sur chaque fesse.
En sentant sous ses doigts la fermeté de la chair, le velouté soyeux de la peau, la reine s'éloigne un peu, regarde les seins gaillards, aux tétons dressés, généreuse offrande, le ravissant pubis ambré, laineux, duveteux comme un oisillon, le ventre uniforme, aux six coteaux frémissants, plantés en ordre de bataille. Et au-dessus de tout, ce visage fervent, adorateur, ce faciès innocent et parfait. Oh ! L'univers ne sait pas ce qu'il fait ! Il n'y a pas de justice !
Voyant le désir fou, dans les yeux de sa reine, Emma la prend par la main, l'entraîne irrésistiblement vers le lit. « Viens ! » souffle-t-elle…et sa voix est comme le chant d'une sirène.
Progressant à reculons, elle guide sa compagne, lentement mais sûrement, contourne en aveugle le pied de lit. Et lorsque l'arrière de ses genoux heurte le matelas, elle tombe assise.
Devant les yeux éberlués de la divine monarque, l'enfant trouvée se retourne lentement, la fixant tout au fond des pupilles, le plus longtemps possible. Elle se place à quatre pattes, sur la couette, se tordant le cou pour ne pas perdre de vue les prunelles de houille.
Durant la totalité de cette manœuvre, dont elle ne saurait dire si elle est abjecte ou exquise, séduisante ou ordurière, Regina regarde, les yeux écarquillés, debout à côté de ce lit, plus que conjugal. Lorsque sa compagne se retrouve sur les coudes et les genoux, elle se penche complètement, tourne la tête pour prendre appui sur sa joue droite, ce qui l'oblige à cesser de contempler le noble visage. Elle redresse autant qu'elle le peut son beau postérieur en direction du plafond et…posant ses deux mains sur ses fesses, elle les écarte, lentement mais amplement.
« Mon bébé… » commence la sorcière, d'une voix étranglée. Mais que dire ? Que faire, face au généreux cadeau de la princesse, soumise et muette ? S'écartelant pour elle, l'héritière du royaume de la Forêt Enchantée s'ouvre les reins. Se cambrant autant qu'il est humainement possible de le faire, elle desserre également les jambes, exhibant pour sa reine ses belles fesses, la fente juteuse de son sexe, son petit anus frémissant.
Il n'y a rien à faire, à part l'amour. Regina se précipite, saisit l'être aimé par la taille, la redresse, l'embrasse dans le cou, l'oblige à se retourner et à lui faire face. Ses doigts fins et agiles se dirigent immédiatement dans l'apex des cuisses, glissant entre les lèvres sensibles, toutes suintantes de moiteur, cajolant le petit bouton des sensations, dilaté, distendu, implorant. Et lorsqu'elle sent que les mains calleuses la débarrassent de sa robe de chambre, pour se diriger tout de go vers son propre mont de Vénus, elle dépose un baiser sur la joue mouillée, et murmure au creux de l'oreille : « Ensemble ! » Emma acquiesce, d'un bref mouvement de tête. Les deux femmes se feront jouir mutuellement, agenouillées l'une en face de l'autre.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la vie reprend son cours. Le shérif a bien les traits un peu tirés, son merveilleux sourire n'apparaît que lorsqu'elle en décide, mais elle parvient à donner le change. Les disputes de voisinages, les accidents de voiture, font son quotidien. Un vol à la tire, de temps à autre, vient l'arracher à sa routine, l'obligeant, et c'est une distraction bienvenue, à se servir de ses talents de joggeuse. Ces petits délits sont commis généralement par des vagabonds de passage, car Storybrooke n'est plus aussi isolé, plus cloisonné par la magie. De son côté, Madame le Maire renoue avec sa vie professionnelle, faite de beaucoup de responsabilités théoriques mais, au fond, de peu d'activités réellement utiles. Réunions, serrages de mains, lectures de dossiers ennuyeux. Sa présence à la mairie est en réalité tout ce qui compte.
Dès le lundi soir, en entrant dans la chambre pour prendre une douche bien méritée après une journée torride, Emma trouve, étalées sur le grand lit, vingt culottes. En proie à une stupéfaction admirative, elle les compte. Il y en a vingt, ni plus ni moins. C'est très exactement le nombre que lui a promis sa maîtresse, vendredi, après la terrible séance qui s'est déroulée dans le bureau, pour compenser le débitage du sous-vêtement de coton, offert l'après-midi même.
L'elfe blonde prend, les uns après les autres, les triangles d'étoffes, dans ses doigts rudes, les apprécie, en tâte la texture. Le blanc et le noir sont omniprésents. Mais parmi ces pièces de lingerie, certaines très simples, d'autres affriolantes, toutes charmantes et délicieusement féminines, on trouve également du bleu clair, du rouge, du jaune, du vert pâle et du rose. Sa Majesté a privilégié la dentelle, par goût personnel certainement, mais le coton, le satin, la soie, ont leur place. Quelques soutien-gorge neufs sont déployés sur les oreillers, afin de faire en sorte que la princesse puisse porter des ensembles assortis.
De retour dans la cuisine, où sa compagne est en train de préparer le repas, le shérif enroule, tout en prenant garde à ne pas la faire sursauter, ses longs bras autour de la taille souple, serre son amante contre son corps, lui baise tendrement le cou, pour la remercier. Regina réagit en émettant une sorte de ronronnement appréciateur et en tournant la tête, pour embrasser, avec une certaine retenue pleine de circonspection, à la frontière de la peur, la bouche fine et douce.
Les deux femmes, après l'éprouvant week-end qui vient de s'écouler, font preuve l'une envers l'autre d'une prudence insolite, gauche, se tournant autour, dans un étrange ballet qui tient à la fois de la parade nuptiale et d'une danse guerrière.
La tendance de Regina à marcher sur des œufs tourne pratiquement à la psychose. Elle surveille sa voix, ses gestes, ses paroles, vraiment comme si elle s'attendait à tout moment à voir déguerpir l'élue de son cœur. Les yeux d'ébène, terriblement assombris, n'osent parfois plus contempler les iris émeraude. Ce qu'ils expriment, c'est une incommensurable culpabilité.
La souveraine fait l'amour à son amie, ce soir-là, comme si celle-ci risquait de se fendiller, de se fragmenter, puis d'éclater en mille morceaux à son contact. Elle lui demande la permission, en tremblant d'adoration, de désir, de peur et d'un sentiment diffus qui tient à la fois de l'opprobre et de la reconnaissance, avant de l'effleurer, de la caresser, de lui ôter le moindre vêtement. Elle se consacre exclusivement au plaisir de la petite, qui doit la supplier pour qu'elle accepte de jouir elle-même.
De son côté, Emma comprend, avec une clairvoyance remarquable, ce qui se trame dans cet esprit tourmenté, bourrelé de remords. Ses affres, à elle, sont diverses et composites. Elle souffre, elle aussi, d'une culpabilité dévorante, en repensant à ses paroles. Elle ne se trouve pas la moindre excuse, parvenue qu'elle est à un stade où elle justifie la gifle fracassante. Car cette mandale était bien entendu assénée par amour, se dit-elle… Dès lors, elle ne conçoit aucune défense à sa jalousie, à ses paroles provocatrices et venimeuses.
La jeune fille rousse a bien attiré, brièvement, l'attention de Regina. Mais lorsqu'elle-même n'était qu'une petite fugueuse, à la rue, indigente et sans ressources, le comportement de Neal la terrifiait, lorsqu'il se montrait possessif et méfiant, du simple fait qu'elle avait regardé un homme dans la rue, un peu trop longtemps au goût du vagabond. Dans tous les cas, rien n'explique, hormis un détail…la rousseur… le rapport qu'elle a établi, sous l'effet du doute et de l'insécurité, entre cette créature et la sorcière de l'Ouest. Accuser son amante d'entretenir des désirs d'inceste était démesuré, odieux, et bien entendu diffamatoire. Emma est accablée de repentir.
Plus grave encore, sans doute, la façon dont elle a utilisé les confidences de son amie, au sujet de ses fantasmes. Des confessions qu'elle a elle-même réclamées, qu'elle lui a arrachées avec une insistance obstinée, pratiquement contre son gré. Et l'insulte…le mot « mégère » est si puissamment haineux, si redoutablement éloquent… Emma veut être punie. Par ailleurs, les déclarations d'intention de Regina…lui laisser la maison…franchir un portail…vouloir la quitter de façon si irrémédiable que partir loin ne suffit pas…il faut changer de monde…l'idée est ingérable. La princesse se retrouve terrorisée, épouvantée par l'idée de l'abandon. Pire ! Elle croit mériter d'être délaissée, elle se sent pécheresse, méprisable !
Alors, elle tourne, elle aussi, telle une pénitente asservie et féale, autour de l'ancienne despote. Comme elle le lui a déjà dit, elle n'a que son corps à lui donner. Et elle sait que sa chair est au fond le seul bien terrestre auquel est véritablement attachée l'enchanteresse. Dès lors, à la moindre occasion, le shérif se colle à Madame le Maire, se frotte à son anatomie voluptueuse…et les mains bistrées, malgré elles, touchent et palpent et malaxent.
Heureusement, le vendredi est un horizon tout proche. Emma, auréolée d'une sorte d'assiduité lancinante, s'assure que Sa Majesté ait sans cesse en tête ce point de mire, cette destination vers laquelle l'entraîne, avec une lenteur vertigineuse, le languissant écoulement de la semaine.
Après avoir reçu le baiser prudemment passionné de sa reine, la sauveuse, plutôt que d'inviter sa compagne à se retourner, se glisse comme un chaton entre le corps compact et la cuisinière, se colle à elle, remue légèrement les hanches. Le visage enfoui dans le cou parfumé, elle sourit de triomphe en sentant que les mains tremblantes quittent les fourneaux, s'essuient en toute hâte, à l'aide d'un torchon, puis se posent, avec une fébrile hésitation, sur ses fesses rondes, serrées dans la toile du jean. Un baiser, un simulacre de morsure, dans la chair chaude et douce, là, juste dans le pli de la clavicule, puis l'enfant abandonnée murmure à l'orée de l'oreille : « Je te remercierai comme il faut vendredi, ma noble dame ! Tu n'as pas oublié, hein ? Tu choisiras ma tenue. Tu m'enlèveras une de ces culottes. Et tu sauras enfin ce que c'est que de jouir en moi. »
Regina en perd le souffle et la parole. Bien entendu, c'est elle qui se sent redevable. Mais comment résister, quand la petite fée blonde désire se donner si intégralement, sans aucune réserve ? Le sexe, entre elles, est si omniprésent que cela en devient réellement pathétique.
Elles parlent, pourtant. Sans cesse. Le lundi soir, le dialogue, lorsqu'elles se sont retrouvées nues, dans les bras l'une de l'autre, prend une allure si sentimentale qu'il manque de virer au burlesque.
- Ma puce...
Un baiser sur la joue.
- Mon petit ange, mon Emma…je suis un monstre…tu mérites tellement mieux que moi.
Une avalanche de bécots affolés, de coups de langue rose, sur la bouche pulpeuse.
- Non…Regina…J'ai besoin de toi. Je t'en supplie. Ne me laisse pas ! Tu ne comprends pas ? Si tu m'abandonnes, toi aussi, je mourrai. Je sais que ça ressemble à du chantage mais je ne le dis pas pour te manipuler, pour t'obliger à rester…Ce n'est pas une menace. C'est la vérité ! Et je sais que tu désires continuer, que tu me veux.
Les longues jambes d'albâtre s'ouvrent généreusement, pour s'enrouler, comme le lierre ceinture et orne le chêne, autour des hanches cuivrées. Un lopin de chair humide, terre sacrée entre toutes, s'appuie contre le pubis broussailleux de la souveraine. Et pousse. Et se frotte. Emma roule à plat-ventre, entraînant son amante à sa suite, la couchant d'autorité sur le dos, se masturbe contre son triangle d'or, dans un mouvement forcené de va-et-vient, tout en évitant soigneusement de se faire jouir. L'ensorceleuse en pousse un cri d'extase.
L'archange de la tentation, l'innocente Aphrodite, lui saisit les poignets, les guide à l'arrière et vers le bas. Ses paumes, ses doigts, chacune des incurables cellules de ses phalanges, se retrouvent en contact avec une paire de fesses, devenue pour elle une sorte d'Eldorado. Et elle comprime, empoigne désespérément les muscles charnus, qui bondissent, palpitent et brûlent sous ses ongles.
« Fesse-moi ! » lui chuchote cette candide aguicheuse. « Oh ! Ma chérie ! Non ! » répond la malheureuse Circé, ravalée au rang de tortionnaire apprivoisée. « S'il te plaît ! J'en ai envie ! » ment Emma. Animée d'une vie propre, la dextre de Sa Majesté quitte la fesse gauche. Et ce fragment de seconde sans contact, à lui seul, est comme un deuil. Mais aussitôt, son bras lui enjoint un mouvement séculaire, destiné à faire mal et à châtier. La claque résonne, retentit, fait écho dans toute la chambre, la maison, le quartier. Un instant, Regina est persuadée que tout Storybrooke a entendu. Pire, la sauveuse, au lieu de crier de douleur, lui ordonne : « Encore ! » Les deux paumes, cette fois, se lèvent et tombent. La double gifle éclate, dans un écho vibrant, et Regina feule de plaisir. Une troisième calotte, puis une quatrième, de plus en plus cruelles, assénées des deux mains. Emma grogne, enfonce ses dents dans sa lèvre inférieure, pour ne pas hurler, poursuit sa gigue obscène, sur le pubis royal.
La perverse souveraine s'arrête de fesser. Les doigts délicats, les paumes douces, se mettent à caresser et à bichonner la chair échauffée. Le manège de sa princesse, sur son corps, la met dans un état de transe extasiée. La petite vulve trempée semble absorber son mont de Vénus, l'aspirer et le sucer. Et l'étourdissante cadence, ce flux mouillé, embrassent son clitoris, qui pointe hors de sa gangue, entre les lèvres intimes, duveteuses, le faisant danser, le sollicitant sans merci, la conduisant manu militari vers l'orgasme. La magicienne comprend qu'elle va jouir, sans même devoir écarter les jambes.
Tout en choyant, en bichonnant le cher arrière-train, elle articule péniblement :
- Non…ma chérie…arrête…arrête de me donner autant de plaisir. Je ne le mérite pas. Personne ne mérite ça.
L'orpheline relève la tête, place son précieux visage presque contre celui de sa maîtresse. Leurs nez se frôlent. Le soleil se couche tôt, dans le Maine, même en été. Mais il n'est pas tard et toutes les lumières de la rue sont allumées. Regina distingue donc, dans un halo flottant, les yeux de jade, qui la vrillent, un sourire de folle, halluciné, au fond des pupilles. Au lieu de ralentir, la manœuvre s'accélère. Elle sent que les cuisses musclées se referment autour de son bassin, pour s'assurer une meilleure prise, sans doute. La face chérie quitte son faible champ de vision, se terre dans son cou. Elle peut percevoir, elle en est sûre, la forme bombée du front, l'arête parfaite du nez, les fascinantes pommettes, le fin menton, la bouche si alléchante, dont les lèvres humides se pressent sur sa peau, comme pour faire écho à cette autre moiteur, très loin, en bas de son ventre. De plus, la voix aimée se fait entendre, prononce des paroles extravagantes.
- Prends, Regina ! Bien sûr que tu le mérites. Tu es la seule à le mériter. C'est pour toi, tout pour toi. Je t'aime !
Deux mains, ce n'est pas assez. La reine touche, attrape, ramasse, saisit tout ce qu'elle peut atteindre. Cette carnation, cette peau ! Oh ! Toute cette peau à sa portée. Elle ne peut que répondre :
- Ma poupée ! Mon ange ! Je t'aime, je t'aime tellement. Tu ne peux pas savoir. Personne ne peut.
Les cuisses d'athlète se referment comme un étau. Les bords duveteux du sexe étroit semblent l'avaler toute entière, comme les babines d'un carnivore.
- Jouis, ma reine !
Regina obéit. Et c'est un véritable hurlement, à la fois repu et insatiable, heureux et désespéré, qui s'élève. Lorsque le fracas inouï de sa propre voix se tarit enfin, puis s'éteint, la souveraine perçoit graduellement, de plus en plus distinct, le timbre aux inflexions dorées de l'être aimé.
- Aime-moi, Majesté ! Aime-moi, s'il te plaît ! Aime-moi plus fort.
La divine monarque craint, durant quelques instants, que la mort ne l'attende au tournant de la jouissance. Son cœur a l'air de vouloir bondir hors de sa poitrine, transperçant sa cage thoracique. Sa respiration oscille entre une bordée continue, qui afflue malgré elle dans ses poumons, et l'arrêt simple et brutal. Non…Respirer…Faire reprendre à son pauvre organe palpitant un rythme acceptable, à son souffle une relative harmonie. Qui s'occuperait de la petite ? Certainement pas cette mijaurée, qui regrette de n'avoir pas eu l'occasion de maltraiter son enfant.
Elle parvient, et c'est comme un arrachement, à redescendre de ce septième ciel, dont elle n'aurait jamais pensé qu'il puisse se situer si haut. La nymphe martyrisée parle. Elle ne s'est pas arrêtée. C'est une véritable logorrhée.
- Je te donnerai tout. Tous mon corps, toute ma peau, tout mon cœur. Mon ventre, mes reins, même mes entrailles et mon diaphragme. Mais ne me quitte pas. N'en parle plus jamais.
Elle pleure à présent. Alors, Regina se met aussi à sangloter.
- Je ne te quitterai pas, ma poupée. Ma petite puce.
Emma a un rire incroyablement bref, condensé.
- Merci !
Elle se hisse à quatre pattes, les mains de part et d'autre des épaules rondes, les genoux encadrant les hanches voluptueuses, loge son regard dans les yeux de sa reine.
- Qu'est-ce que tu veux ?
« Que tu jouisses. » répond Madame le Maire.
Sans la moindre hésitation, l'elfe blonde réplique d'une question :
- Comment ?
La souveraine recule, prend appui sur la tête de lit.
- Retourne-toi ! À cheval sur ma cuisse droite. Offre-moi tes fesses. Tu vas te donner toi-même un orgasme, en te frottant sur moi. Je ne t'aiderai pas.
Emma effectue aussitôt un demi-tour. Mais elle dit, très vite, comme une évidence.
- Tu vas me fesser pendant que je me masturbe sur toi. Ce n'est pas négociable.
Regina ne peut répondre que par une complainte déchirante.
Et elle s'exécute, bien sûr, tandis que la sauveuse se déhanche frénétiquement, en selle sur un quadriceps tremblant, appuyée sur ses coudes. Le visage angélique, rougeoyant et en sueur, se reflète dans le miroir, qu'éclaire opportunément la lumière crue d'un réverbère. Emma peine à trouver la bonne position, le bon angle. Plusieurs fois, après quelques va-et-vient saccadés et haletants, elle s'immobilise, avance ou recule légèrement, se penche ou se redresse, dans le but évident de prodiguer à son clitoris, qui bat comme un cœur, le frottement qui la poussera vers la délivrance.
Et durant tout ce temps, sa cruelle maîtresse lui claque les fesses et l'arrière des cuisses, des deux mains. Lorsqu'elle interrompt sa danse paillarde, les claques se font plus brutales et plus rapides. Et on la réprimande, d'une voix rude, inquiétante.
- Pas de ça, princesse ! Ne t'arrête pas ou tu le regretteras.
Ce n'est que lorsque son vagin humide trouve le genou acuminé de sa reine que la gigue obscène prend son envol. La cadence s'affole, les geignements se transforment en cris. Espiègle, la magicienne arque sa jambe nerveuse, offre plus de friction.
Lorsqu'arrive enfin l'orgasme, que la jeune femme se met à pousser d'incoercibles « ah » et de gémissants « oh », sans plus sembler souffrir des cuisantes mandales que reçoit son postérieur, Regina s'arrête de frapper, se met à frotter, à caresser, dans un mouvement qu'elle sait apaisant, le fessier rebondi et brûlant.
- Oh, ma chérie ! Ma jolie petite fée ! Pardonne-moi. Je t'aime tant.
Juste avant d'expulser, sur la chair tremblante, une giclée de fluide tiède, Emma crie « Majesté ! », se couche tout à fait sur la jambe droite, saisit la cheville et baise le cou-de-pied avec vénération.
Éperdue, épouvantée en quelque sorte, de recevoir tant d'amour, ce déferlement insensé de délices dont elle se sent si peu digne, la magicienne se redresse, va chercher fébrilement, en tendant les bras, les longs membres de marbre. Ses mains partent en reconnaissance, farfouillent et récupèrent son précieux trésor, la relèvent, la retournent, la couchent auprès d'elle. Elle couvre de baisers le visage adulé. Le front, puis une joue, puis l'autre, l'enivrante bouche, le nez, le menton. Elle laisse passer une seconde entre chaque bécot, pour se permettre de regarder le faciès ravissant, d'esprit de la forêt, de sylphe, de néréide.
Les yeux fermés, les lèvres entrouvertes sur un sourire niais de nourrisson baisoté par sa mère, Emma émet une sorte de ronronnement de chaton, entrecoupé de brefs éclats de rire benêts, comme une simple d'esprit.
« Je ne devrais pas aimer cela autant ! » se dit la reine. Mais cela ne l'empêche pas d'aimer, d'apprécier chaque instant, comme s'il était sa dernière part de bonheur.
Comme la sauveuse geint, lorsqu'une main douce lui tapote la croupe, Regina sursaute, prend conscience de ce qui vient de se passer. Pas vendredi. Pas vraiment une punition. Une simple pratique sexuelle. Mais la petite blonde n'aime pas, n'a jamais aimé la douleur. Malgré un larmoyant gémissement de protestation princière, elle se lève, allume en toute hâte, enfile une robe de chambre, se précipite, dévale les escaliers, en direction de la cuisine, du réfrigérateur et des pommades salvatrices.
Après avoir longuement massé, frictionné, pétri le cher fessier, tout en murmurant une litanie de « pardon », de « je t'aime », de « je t'ai fait mal, ma puce », Sa Majesté éteint la lumière, allonge et arrange comme un poupon le seul être dont la présence quotidienne est indispensable.
Puis, comme une évidence : « Tu veux téter, ma puce ? »
Bébé hoche la tête sans ouvrir les yeux. Aussitôt, le contact d'une grande paume grêlée qui se referme sur son sein droit, la fait sursauter. La belle brune sent une sorte de spasme, de tiraillement, au plus profond de ses tissus, se demande un instant si son corps ne commence pas à produire naturellement le nectar destiné à sa protégée, indépendamment de la magie.
Comme elle semble loin, l'époque où elle ne donnait le sein à cette divine créature que le week-end, pour éviter de trop la fatiguer. Le shérif boit son lait, à présent, cinq à six fois par semaine.
Mardi matin, en arrivant au commissariat, Emma trouve son père, sa compagne, et une jeune fille, qu'elle a déjà aperçue, comme bien sûr tous les habitants de Storybrooke. Le trio est en train de boire du café, assis autour du bureau de David, en échangeant de maladroites plaisanteries, comme des gens qui ne se connaissent pas encore mais cherchent à s'apprivoiser.
Le shérif-adjoint se tourne vers sa fille, dès qu'il perçoit le bruit de la porte d'entrée, la gratifie de ce sourire franc, si affectueux que l'enfant trouvée se surprend parfois à retenir des larmes, en constatant que vraiment, indubitablement, ledit sourire lui est adressé. Mais l'expression chaleureuse se voile bien vite d'une inquiétude sourde, mal dissimulée.
Le prince charmant est loin d'avoir un esprit vif, comme se plaît sans doute un peu trop à le rappeler Madame le Maire. Pourtant, il est doté d'une certaine clairvoyance instinctive, notamment en ce qui concerne sa fille adorée. Il ne s'est jamais pardonné son abandon. Il ne se le pardonnera jamais. Contrairement à Snow, qui balaie ses angoisses paternelles d'un revers de la main et de paroles telles que : « Tu la connais ! », « Elle n'a pas encore compris…elle finira par s'en remettre… », il reste douloureusement persuadé que leur héritière leur cache des choses, des choses peut-être très graves, sur son passé.
La simple idée qu'elle a fait de la prison, qu'elle a vécu une enfance et une adolescence absolument solitaires, qu'elle a accouché derrière les barreaux et a dû se résoudre à abandonner Henri, suffirait largement à alimenter sa culpabilité. Pourtant, David est convaincu qu'il y a plus, bien plus. Et que sa blondinette chérie en a parlé à Regina.
Au fond, se persuade-t-il, tant mieux si elle a enfin trouvé quelqu'un à qui se confier. Il est bien un peu perturbant que l'âme sœur de la fille des Charmants soit la Méchante reine en personne mais qu'importe…c'est le bonheur d'Emma, qui compte.
Cependant, depuis quelque temps, depuis hier surtout, l'adjoint croit déceler un changement, sur la face d'ange. Son beau visage est tiré, fatigué. Son merveilleux sourire est toujours présent, mais sur commande uniquement. Lorsqu'il l'observe, du coin de l'œil, ce qui est son habitude depuis qu'il l'a retrouvée, il lit dans les traits purs un chagrin mortel, une profonde anxiété. Tout se passe-t-il bien au manoir ? Le manque de communication évident, avec Snow, est-il finalement devenu insupportable à son aînée ?
« Bonjour, Emma. » murmure-t-il, en déposant une main paternelle, gauche et pleine de réserve, sur l'épaule de sa supérieure de fille. Sa prudence, à chaque fois qu'il la touche, s'avère déstabilisante, et la princesse se demande parfois ce qui motive cette circonspection presque équivoque. « Euh…bonjour… » répond le shérif, les yeux fixés sur la nouvelle venue. Après quoi elle tourne un regard, empli de points d'interrogation, sur sa concubine. La mairesse est, pour une fois, partie la première, ce matin, en annonçant une réunion importante. Elle n'a aucunement précisé que le rendez-vous aurait lieu au bureau du Shérif.
Regina se lève lentement, avance d'un pas, en direction de sa conjointe. Avec une gêne visible, elle désigne la jeune fille, qui, après un instant d'hésitation, se lève également, un sourire embarrassé aux lèvres.
« Shérif, » commence la reine. Le regard vif de la sauveuse enregistre sur le champ, à la périphérie de sa vision, la réaction de son adjoint, ainsi que celle de l'inconnue. Les yeux se détournent. De légers piétinements. Sans avoir jamais formellement étudié la question, Emma sait d'instinct…c'est la base de son soi-disant super pouvoir…que ces manifestations expriment le malaise. En effet, tout le monde à Storybrooke, à partir de l'âge de six ans, sait que le chef de la police et le maire forment un couple. Pourquoi Sa Majesté s'obstine-t-elle encore à l'affubler de son titre en public ? À chaque interaction un tant soit peu formelle, en tout cas… ?
« Shérif…, je vous présente Jane. Elle a deux années d'étude de secrétariat derrière elle. Elle est actuellement à la recherche d'un emploi. Si cela vous convient, elle pourra vous assister dans toutes les tâches administratives. »
Regina, constate aussitôt le Prince Charmant, a presque l'air de s'excuser. Elle scrute l'expression de sa compagne avec une évidente appréhension. Sa voix, d'ordinaire si autoritaire, si assertive, semble…c'est à peine croyable…craintive. Le regard gris du chevalier passe du visage interloqué de sa fille à celui de sa…belle-fille ?...belle-mère ? Pourquoi les relations familiales, dans son monde, sont-elles toujours aussi compliquées ? Cette fois, il en est sûr. Il y a de l'orage au paradis.
Emma ne réagit, tout d'abord, qu'en se balançant légèrement d'un pied sur l'autre et en fourrant ses mains dans les poches arrières de son jean. Et lorsque la brune ajoute, sans nécessité aucune, s'adressant toujours à sa fonctionnaire coite: « Jane a vingt ans… Elle va bientôt se marier…avec Joshua… Tu…vous savez, le jeune homme qui est commis, chez Granny ? C'est pourquoi elle a besoin d'un emploi stable… » David croit comprendre que, d'une façon très détournée, la souveraine vient d'informer sa conjointe que Jane, fiancée et hétérosexuelle, ne cherchera pas à la courtiser… Celui qui a joué, dans la Forêt Enchantée, un rôle proche de celui de prince consort, est éberlué. Heureusement, se dit-il, il n'aura qu'à en parler à son épouse. Elle saura, elle, démêler cet imbroglio.
Finalement, le shérif se décide à réagir. Elle se fend d'un sourire éblouissant, sort ses poings de ses poches, et tend une main pour accueillir comme il se doit cette nouvelle venue, qui devrait effectivement, se fait-elle la réflexion, la soulager considérablement dans ses tâches quotidiennes.
- Bonjour, Jane. Soyez la bienvenue. Mon adjoint et moi vous sommes très reconnaissants, de bien vouloir nous faciliter la vie… Vous allez écoper de l'aspect le plus ingrat de la fonction policière…
La toute jeune femme a un visage assez joli, un peu trop pointu, sans doute. Un air timide et sincère, qui a immédiatement plu à Regina. Elle était en concurrence avec un jeune homme, un peu plus âgé. La reine, après avoir appris les fiançailles avec le petit commis, a à peine hésité. Le plus important…ou pour être plus exact, l'unique but de la manœuvre…est le bien-être d'Emma. Et elle ne veut pas avoir à proférer d'effroyables menaces pour protéger sa bien-aimée de sollicitations indésirables.
Jane répond à la gardienne de l'ordre avec un sourire un peu confus mais franc. Tout le monde connaît la sauveuse, dans la ville…et tout le monde, ou presque (de malencontreuses exceptions demeurent, telles que Gold ou Gloria), l'aime et la respecte, lui témoignant une inaltérable reconnaissance.
- Merci, Shérif. Je suis vraiment heureuse que Madame le Maire m'ait proposé cet emploi. Il n'y a aucun problème, j'aime la paperasse. J'ai la bosse des maths et du côté de l'orthographe, vous pouvez être tranquille… J'ai gagné tous les concours, à l'école primaire.
Les coins de la bouche princière s'affaissent imperceptiblement. Ses prunelles d'émeraude glissent sur le côté, durant une fraction de seconde, et plongent dans les pupilles noires de la sorcière. Celle-ci cligne des yeux, à l'intention de sa dulcinée, puis a un mouvement de la tête, quasiment indiscernable, qui signifie : « Non, ma chérie ! Je ne lui ai pas parlé de tes difficultés, je te le jure ! » Rassurée, Emma tend à sa dominatrice un léger sourire, redevable, puis se tourne à nouveau vers sa secrétaire toute neuve.
Ni le shérif ni le maire ne s'aperçoivent que rien, de leur muette interaction, n'a échappé au prince charmant.
Le mardi soir, après avoir généreusement remercié sa maîtresse, Emma lui murmure sans la regarder, couchée sur le côté sous l'épaisse couette, le dos calé contre la somptueuse poitrine : « Tu m'as promis de me parler de Graham… »
Regina soupire. Le moment est venu. Il est inutile de reculer pour mieux sauter. Rien, de toute façon, ne modifiera la réaction de la petite. Alors, de sa voix grave, elle se met à raconter. Le meurtre programmé de Snow. La façon dont la beauté convenue et douceâtre du chasseur lui a plu…l'a convaincue qu'avec lui, le plaisir, dont elle n'avait eu un aperçu que dans les bras de Daniel, deviendrait possible. Ses espoirs de vengeance déçus. L'exercice infâme de ses pouvoirs, destiné à la fois à reporter son ire sur le trop sensible mercenaire et à récupérer sa puissance, en tant que femme. La revanche, par procuration, dirigée en réalité sur le défunt Léopold, à laquelle elle s'est livrée, jour après jour, dans la Forêt Enchantée d'abord, puis à Storybrooke, en exploitant vicieusement ce corps masculin, dont elle tenait le cœur prisonnier. L'opportunité que cela représentait pour elle. Dominer et non plus servir. Et enfin, la jalousie…ce sentiment était-il déjà, à l'époque, double ? La souveraine reconnaît volontiers que dès sa rencontre avec la mère biologique de son fils, elle s'est mise aussitôt à la désirer, avec une inexplicable rage.
Et le meurtre… Le cœur écrasé, réduit en poussière.
Emma se souvient de la sensation, inhabituellement douce, des lèvres masculines qui cherchaient, sans violence, à entrouvrir les siennes. Et puis de la convulsion si soudaine, si inattendue. Et du corps jeune, virile, qui s'est effondré au sol, qu'elle a vainement tenté de retenir.
Regina se tait. Attend le verdict. Au bout d'une interminable minute, la précieuse voix rocailleuse consent à s'exprimer.
- Je le savais déjà, je crois. Enfin…avec les cœurs…j'avais fait le lien. Mais j'ai choisi de ne pas en parler. Et pour la…la servitude…je l'ignorais mais…je pense que je peux comprendre tes motivations. De toute façon, il s'agit en fait de ton dernier crime. Ce…ce n'est pas nouveau. Je te pardonne.
La magicienne émet un sanglot, dépose un baiser dans le cou de cygne. Les cheveux d'or lui chatouillent le nez et les joues, au passage. La miséricorde de la poupée de porcelaine a le goût d'une absolution.
Mercredi, vers quinze heures, Madame le Maire a le déplaisir de recevoir la visite, à la mairie, de sa jeune belle-mère. Impossible de ne pas faire bonne figure. Regina la fait entrer, l'invite à s'asseoir, la gratifie d'un sourire poli. Il n'est pas si inhabituel que l'institutrice lui adresse des demandes, notamment d'ordre pécuniaire, concernant l'école, et si la rentrée scolaire officielle n'a pas encore eu lieu, le petit établissement américain, comme c'est l'usage, ne dort jamais. Mary-Margaret s'occupe des cours d'été et des diverses garderies, à qui elle confie d'ailleurs régulièrement son cadet. Mais après les froides amabilités d'usage, lorsqu'elle s'enquiert de la finalité de sa démarche, Regina finit par comprendre que son ancienne ennemie a en tête des préoccupations d'un autre ordre. Le visage pâle est assez fermé, presque sévère, et la voix haut-perchée, qui a toujours résonné aux oreilles de la reine d'une façon très désagréable, dissimule mal une inquiétude réelle.
- Ma fille ne va pas très bien, Regina.
Un silence lourd et incommode s'installe dans le bureau maïoral.
- Pourrais-tu être plus explicite, Mary-Margaret ?
L'élue singe, à dessein mais d'une façon assez subtile, le ton de son ex-belle-fille. Bien entendu, elle ne lui a jamais entièrement pardonné sa trahison, vieille de plus de cinquante ans. Pas plus qu'elle n'excuse son inadmissible maladresse et ses fréquentes cruautés, aussi irréfléchies que déplorables, à l'égard d'Emma.
La maîtresse d'école se racle la gorge, semble chercher un instant ses mots.
- Elle est venue me voir, aujourd'hui, pendant sa pause. Je la trouve anormalement calme. Elle a l'air fatiguée. À ce sujet, je tiens à te remercier d'avoir embauché cette jeune secrétaire. Emma t'en est aussi très reconnaissante. Mais cela n'empêche qu'elle semble… triste, pour tout dire. Et puis surtout…
Une interruption.
Regina a beau n'accorder aucun crédit à la génitrice de sa bien-aimée, elle est consciente que ces observations sont fondées, que les inquiétudes maternelle se justifie. Elle aussi, se fait du souci. Et puis…elle est bien placée pour comprendre ce qui explique l'état de la princesse.
« Et puis, quoi, Snow ? », s'impatiente-t-elle. Les sourcils noirs, d'une forme remarquablement similaire à ceux du shérif, se froncent, sur le front pâle.
- Et puis…David m'a dit qu'il avait plusieurs fois senti des tensions, entre vous.
Sa Majesté, sans qu'il y paraisse, serre les poings, sous son bureau. Ce besoin de tout raconter à cette étourdie ! Comme si deux cervelles d'abrutis valaient mieux qu'une ! Pourtant, la divine monarque se force à garder son calme. Il ne faut pas se fâcher irrémédiablement avec ladite attardée. Emma en souffrirait.
- Mary-Margaret… Notre vie de couple ne te regarde en rien. Si nous avons des soucis, c'est à nous de les régler. Et si Emma veut t'en parler, elle viendra vers toi, tu peux en être sûre.
La moue offensée de « La plus belle de toutes » montre bien, à la satisfaction coupable de Madame le Maire, que l'adroite méchanceté ne lui pas échappé. En effet, elle est la dernière personne, dans la ville, à qui son aînée irait se confier.
- David m'a dit aussi que ces derniers temps, elle ne mangeait pas pendant la journée…
En constatant à quel point le visage de la reine blêmit et se décompose à cette nouvelle, Snow est prise de scrupules, et relativise aussitôt.
- Enfin…qu'elle mangeait beaucoup moins que d'habitude.
Regina reprend en catastrophe une contenance. Son anxiété est mêlée d'irritation, car il est évident que les besoins nutritionnels hors norme d'Emma échappent totalement à l'enseignante. Son beau regard sombre fuit, fait le tour de la pièce, se pose sur ses mains, inertes sur le bureau cossu.
Cette réaction, si peu caractéristique de cette femme, qu'elle a toujours considérée comme froide et manipulatrice, achève d'inquiéter l'institutrice.
Mary-Margaret, malgré les innombrables griefs que conserve la reine à son égard, n'a jamais manqué de bravoure. Affronter celle qu'elle est bien forcée de considérer comme le véritable amour de sa fille ne lui fait pas peur.
« Regina… » souffle-t-elle de sa voix aigüe, « j'espère que tout va bien entre vous. Je sais que les couples ont parfois certains problèmes et j'espère sincèrement que les vôtres se régleront, mais… »
Les grands yeux d'ébène, bien que toujours pétris d'inquiétude, s'enfoncent jusqu'à la garde dans les prunelles vertes. « Il n'est pas juste qu'elle ressemble autant à Emma… » pense fugitivement la mairesse.
- Mais quoi, Mary-Margaret ? Exprime-toi, s'il te plaît.
Le rejeton de feu son tortionnaire de mari se lève lentement de sa chaise, pour toiser l'enchanteresse, qui se lève aussi. Cette impossible parente ne la surplombe que de quelques centimètres. La sauveuse a évidemment hérité sa haute taille de son père. Snow non plus ne veut pas d'une brouille irréparable, pour les mêmes raisons. Les deux femmes le savent, le comprennent. Cela n'empêche pas la tension, entre elles, d'être effroyablement palpable.
Après s'être mutuellement confrontées du regard, durant quelques secondes, elles se détendent légèrement, chacune à sa manière. Les épaules de l'institutrice se relâchent, ses sourcils se décontractent, pour reprendre cette courbure naïve et molle, qui exaspère tant Regina. Cette dernière réagit de son côté, entreprend, de ses pas énergiques et nerveux, de faire le tour du bureau et de venir se planter, sans doute un peu trop près, devant celle qui n'a jamais élevé la malheureuse enfant dont la belle brune est si éperdument, si extraordinairement amoureuse. Elle croise les bras, dans une attitude défensive.
- Quoi qu'il en soit, je te remercie d'être venue me parler du manque d'appétit de notre shérif, Snow… Je lui en toucherai un mot, sois-en certaine.
Ce n'est pas un avis de non-recevoir… Mais c'est bien entendu une façon polie, froide et sèche, de signifier son congé à son interlocutrice.
Celle-ci se crispe à nouveau. Ses petits poings déterminés se resserrent, sous ses manches trop longues pour la saison, et elle se rapproche encore. En parlant à voix très basse, elle se résout à aller au bout de sa pensée.
- Regina… Je sais que ma fille t'aime. Et je me rends bien compte que, malgré tout ce que je peux penser, tout ce qui nous sépare, tu l'aimes autant que tu peux aimer. Mais crois-moi lorsque je te dis que…
Les beaux yeux, aux contours bien trop familiers au goût de l'ensorceleuse, se plissent, dans une expression inhabituelle mais non sans exemple, sur ce visage poupin. En fait, les traits purs de la princesse Blanche-Neige deviennent menaçants.
- …qu'il est dans ton intérêt de toujours…toujours…la traiter comme la princesse qu'elle est…quoi qu'il arrive.
La souveraine accuse le coup. Le désir de reprocher à cette écervelée sans délicatesse d'avoir confié, à celle qu'elle a jetée, involontairement sans doute, mais avec un optimisme ridiculement irréfléchi, dans les gueules d'un millier de loups féroces…de lui avoir confié, comme par nostalgie, ses regrets de ne pas avoir pu exercer les perverses méthodes éducatives des dirigeants du royaume…ce désir de l'accabler des remords qu'elle mérite tant de connaître…ce désir égoïste surgit, aussi fort qu'un raz-de-marée. Mais ce serait trahir la confiance d'Emma. Aussi se contente-t-elle de siffler, d'une voix altérée par l'effort nécessaire à contenir sa rage :
- Je suis bien d'accord avec toi, Mary-Margaret ! C'est en effet dans mon intérêt. À présent, si tu veux bien m'excuser, j'ai du travail.
Snow reprend péniblement contenance, rajuste sa tenue à peine estivale, balbutie qu'elle doit aller chercher Neal, de toute façon, puis s'éclipse gauchement.
La discussion, au sujet de l'alimentation d'Emma, ressemble à un chemin de croix. La sauveuse commence par nier, puis par minimiser, et enfin s'excuse en reniflant. Sa concubine ne veut à aucun prix lui faire peur. Elle ne souhaite pas non plus la culpabiliser. Elle fait valoir, à grand renfort de baisers et de câlineries, les bizarreries très particulières du métabolisme princier, le fait qu'en effet, le fin visage a déjà commencé à se creuser, le corps athlétique à mincir.
Extrêmement sensible aux inquiétudes de son amante, consciente que, dans ce domaine, il lui a toujours été profitable de lui faire confiance, l'elfe blonde promet de recommencer à manger les quantités qu'il lui faut…qui dépassent probablement ce qui serait nécessaire à un adolescent en extrême surpoids, pour conserver son état d'obésité morbide. Le contrat implique au moins une visite maïorale, quotidienne, au commissariat. Après l'entrevue avec Snow, durant tout le reste de la journée, Regina n'a fait qu'énumérer en boucle, dans son esprit tourmenté, les innombrables mets favoris de l'être aimé. Elle cuisinera, tout au moins, deux fois plus, et viendra alimenter le shérif, sur son lieu de travail.
David, très certainement au courant de l'intervention de son épouse, ne s'étonnera en rien. Quant à Jane…Emma ne peut s'empêcher de redouter, sinon sa réaction, sa façon de la considérer, en tant que supérieure. La souveraine rassure tant qu'elle peut cette âme agitée. Venant d'arriver, la jeune secrétaire n'est, après tout, pas au courant des habitudes du couple. Il suffira que Madame le Maire glisse quelques mots, habilement disséminés dans la conversation, expliquant que l'été, l'administration de la petite ville ne nécessite pas beaucoup de travail, ce qui lui laisse du temps libre. Elle pourra, par la suite, une fois que le shérif aura retrouvé son appétit habituel, continuer à lui apporter des provisions, une ou deux fois par semaine, pour éviter une rupture trop abrupte de la routine. Après tout, elle n'a jamais cessé de le faire. Il ne s'agit que d'augmenter la fréquence de ses visites. Et nourrir son âme sœur est un si grand bonheur !
Interrogée au sujet de son assistante toute neuve, l'ancienne enfant martyr a un beau sourire, sincère et enthousiaste. Jane est adorable, bien qu'encore un peu timide, et le nouvel arrangement est d'un grand secours au shérif. David, qui, malgré sa bonne volonté, n'est pas non plus un foudre de guerre en ces matières, en est également ravi. Regina, satisfaite et presque tranquillisée, la serre dans ses bras, lui embrasse longuement la bouche, les joues, les paupières, parsemant les lèvres roses et le visage aimé de dizaines de tendres baisers, puis lui propose de se reposer un peu des fatigues de la journée, sur le canapé, tandis qu'elle s'affaire à cuisiner un véritable festin, qu'elle a prévu d'agrémenter fidèlement, respectant l'accord à la lettre, de deux verres d'un excellent vin français. Depuis la crise et le relatif écart du dimanche, la princesse s'est tenue à son programme…mais cela ne fait que deux jours… Sur la demande de l'élue de son cœur, la reine promet, avec toute la bonne grâce du monde, de continuer, dès après le dîner, la lecture de Belle du seigneur, un peu chahutée par les événements pénibles et divers qui ont émaillé le week-end.
En entrant au salon, Emma pousse un cri joyeux, d'enfant le matin de Noël. Un petit meuble, d'un goût exquis, a fait son apparition dans un coin de la grande pièce, à l'endroit précis où chaque année, en décembre, le grand sapin lumineux est érigé. Plusieurs tiroirs ajourés permettent d'apercevoir une impressionnante collection de pinceaux, de tubes de couleurs, de crayons, de vernis…toutes les techniques existantes, pour autant que puisse en juger cette dilettante. Divers supports, des toiles, encadrées ou non, du papier de luxe, des pièces de bois, sont artistiquement arrangés dans des casiers, posés contre le mur. Un immense chevalet, évoquant le Paris de Cézanne et de Toulouse-Lautrec, trône juste à côté.
La sauveuse en a immédiatement les larmes aux yeux. Elle reconnaît la tendance à la démesure, ce goût passionné du détail, de sa reine adorée. Avant de toucher à son merveilleux cadeau, elle se précipite vers la cuisine, enlace sa maîtresse et la couvre de baisers, la forçant à se retourner et à faire partiellement brûler le dîner.
« Demain, on va au manège, d'accord, Majesté ? » lui souffle-t-elle à l'oreille. « Mon père me trouve fatiguée. Il m'a proposé de rentrer tôt aujourd'hui. Comme j'ai refusé, il me fera sûrement la même proposition demain. Et puis, avec Jane, je peux avoir du temps libre. On a fini d'éponger le retard administratif aujourd'hui. Ça aussi, c'est grâce à toi, ma noble dame ! » Dans son enthousiasme, Emma saisit et presse dans ses grandes mains les fesses généreuses de sa compagne, provoquant immédiatement, dans la poitrine royale, une dangereuse accélération cardiaque. Regina, éperdue, folle du bonheur retrouvé, acquiesce, consent à tout.
Au lieu de se reposer, comme le lui avait prescrit sa bienfaitrice, Emma se lance immédiatement dans la reproduction de l'une de ses photos préférées. Madame le Maire et son fils, âgé de sept ans. Le petit garçon y exhibe un sourire épanoui, auquel manquent des dents de lait. Tout en tâchant d'apprivoiser, à l'aide d'une vidéo Youtube qu'elle regarde en boucle sur son téléphone, l'usage du fusain, le shérif continue son travail durant près de deux heures après le dîner. Elle écoute simultanément la lecture de l'un des plus beaux textes qu'elle ait jamais entendus, prononcé avec talent par la voix musicale de sa bien-aimée, frémit, rit parfois, commente avec la modeste perspicacité qui enchante tant la souveraine.
La sorcière sera remerciée de ses soins si attentifs par pas moins de trois orgasmes, sinon successifs, inhabituellement rapprochés, ce soir-là, avant le sommeil. Le premier est prodigué par de longs doigts agiles et empressés, tandis que deux lèvres et une langue fouisseuse, à la douceur inhumaine, lui embrassent, lèchent, sucent les seins, tout en chuchotant d'affolantes déclarations d'amour éternel. Le second, offert avec une frénésie enfiévrée, est presque imposé, par le mouvement de va-et-vient saccadé, d'un genou complaisant, au contact de la tubérosité du tibia. Le troisième arrache à Madame le Maire une litanie de sanglots désespérés, égarés, car durant d'interminables minutes, la bouche aimée la travaille sans trêve, baisotant, baignant, suçotant et fouillant. Emma se caresse de son côté, sans solliciter la contribution de son amante, qui, trop délirante de plaisir pour s'ériger en décisionnaire, laisse faire.
Jeudi, Sa Majesté reçoit, à peine installée à son bureau, une annonce qui semble un instant la foudroyer sur place. Sydney Glass demande une audience. Soudain alarmée, elle improvise une mission fantoche, mais qui devrait l'occuper un bon moment, afin d'éloigner sa secrétaire, puis fait entrer le journaliste. Lorsque celui-ci pénètre dans son bureau, muni d'un épais dossier, son air à la fois mielleux et craintif, sa manière mal dissimulée de la lorgner avec lubricité, l'écœurent. Mais quoi ? Pour Emma, il faut l'écouter, lui soutirer toute information, tout indice susceptible de mener aux nombreux bourreaux.
S'asseyant avec raideur en face d'elle, tout en déposant le document sur son bureau, Sydney balbutie, visiblement mal à l'aise.
- Bonjour, Madame Mills. Vous êtes très en beauté, aujourd'hui.
Regina fronce les sourcils, ferme délibérément l'expression de son visage. Il est hors de question de lui faire l'aumône de ce qui pourrait être interprété, d'une façon ou d'une autre, comme un « merci ».
- Bonjour Sydney. Je suppose que vous avez du nouveau, sans quoi vous ne seriez jamais venu me déranger, n'est-ce pas ?
L'homme se racle la gorge, se tortille inélégamment. Dans ces cas-là, il a toujours évoqué à la magicienne un ver de vase, se balançant au bout d'un hameçon. En balbutiant et en cherchant ses mots, il se lance :
- Euh…eh bien oui, mes recherches ont commencé à porter leurs fruits, Madame le Maire. J'ai pu hacker les dossiers confidentiels des services sociaux…il faut dire qu'ils ont des décennies de retard en matière de cybersécurité…
Sa Majesté, bien que son cœur bondisse d'espoir à cette annonce, prend sur elle-même pour ne gratifier son informateur que d'un sourire poli et contraint.
- Excellente nouvelle ! Et qu'avez-vous pu en retirer ?
Un toussotement. Les mains moites se frottent pathétiquement l'une contre l'autre, sous le bureau.
- T…tout d'abord, je dois dire que Mademoiselle Sw…je veux dire…notre shérif…
Glass semble de plus en plus mal à l'aise, devant le regard glacé de sa si belle interlocutrice. À peine s'est-il mis à évoquer Emma que les yeux sombres se sont mis à étinceler d'une lueur menaçante.
- Finissez votre phrase, je vous prie !
En déglutissant bruyamment, le pigiste s'exécute.
- Le…le shérif…a été prise en charge par…par un nombre réellement invraisemblable de familles d'accueils, Madame Mills… Je n'ai jamais rien vu de tel, pour être honnête. Or, aucun élément ne vient réellement justifier cet état de fait, dans son dossier. Certes, on y parle de toutes sortes de troubles du comportement mais c'est loin d'être rare, parmi les pupilles de la nation. En général, ces enfants incontrôlables ont tendance à demeurer dans les foyers publics, sans être placés. Dans le cas d'Emm…pardon…dans le cas de Mademoiselle Swan, tout se passe comme si les services sociaux eux-mêmes avaient cherché à s'en débarrasser.
Après cette tirade, Sydney pousse un profond soupir, puis fixe ses mains, en évitant de croiser le regard de la reine.
Regina, de son côté, a légèrement pâli. Il lui est difficilement supportable, non seulement d'entendre que véritablement personne, jusqu'à l'organisme chargé précisément de ces fonctions sacrées, n'a jamais voulu de la fillette abandonnée par sa faute, mais aussi, d'être amenée à partager avec ce cancrelat des informations aussi sensibles. Elle n'a pourtant pas le choix.
- Comment ? Que voulez-vous dire exactement par « un nombre réellement invraisemblable » ?
L'informateur hésite, se mord les lèvres, mais sur un coup d'œil fulminant, il se décide :
- Euh…le shérif a connu…entre l'âge de…
L'homme s'empêtre dans son discours, ouvre malhabilement le dossier, tourne une page imprimée, agrémentée de quelques annotations, trouve rapidement ce qu'il cherche.
- …Entre l'âge d'une semaine et…et celui de dix-sept ans et…et deux jours, elle a été confiée à pas moins de…euh…quatre-vingt-deux familles…Elle a quitté le lycée…pour être exacte, elle n'y est plus retournée (malgré tous les efforts des services sociaux, d'après le dossier) à partir de l'âge de seize ans et presque deux mois. Elle a fini sa dernière année dans un orphelinat, avant de…de s'enfuir définitivement et de disparaître des registres.
Un silence pénible suit cette mise au point.
Sa Majesté prend quelques instants pour digérer l'information. C'est encore pire qu'elle ne le craignait. Combien d'horreurs doivent encore être révélées ?
« Sa première famille l'a gardée trois ans… Donc, treize ans à être ballotée. Ça fait une moyenne de plus de six foyers par an… » murmure-t-elle, comme pour elle-même.
« Vous comptez très juste. » la complimente aussitôt l'informateur. « Vous avez un remarquable esprit mathématique, Madame le Maire, si je puis me permettre. »
Il est récompensé sur-le-champ par un regard absolument noir, presque dégoûté. Les flatteries concernant son intelligence n'atteignent pas plus la reine que les plates flagorneries au sujet de sa beauté. L'homme rougit, bafouille, mais se reprend.
- Cela dit, il ne faut pas trop se fier aux apparences. La durée de ces séjours en familles d'accueil a été extrêmement variable. Une semaine chez certains, plus de quatre mois chez d'autres…En fait, à part le couple dont vous parliez à l'instant, ceux qui ont tenu le plus longtemps…juste à titre informatif, bien entendu…sont un ménage floridien, lorsqu'elle avait quatre ans… Monsieur et Madame Carter.
Le maire gratifie la nouvelle d'une moue méprisante et d'une œillade meurtrière. Sydney s'éclaircit la gorge, puis continue.
- J'ai également pu mettre la main sur le dossier judiciaire du shérif…enfin, de façon plus approfondie qu'il y a sept ans…
« Glass, avez-vous pu trouver les renseignements que je vous ai demandés ? » le coupe la belle brune d'un ton acide.
- Euh…certaines, oui…
Le journaliste fouille dans sa poche, en sort un calepin, qu'il dépose sur le dossier ouvert et commence à feuilleter. Au bout de quelques secondes, il entreprend d'exposer le fruit de son enquête.
- Dans l'ordre chronologique… Tout d'abord, le père d'accueil alcoolique dont vous situez l'intervention lorsqu'Emm…lorsque le shérif avait huit ans… Je suis désolé mais il semble impossible de le retrouver…
Regina appuie ses mains élégantes sur son bureau, se penche en avant, dans une attitude rien moins qu'hostile, qui provoque chez l'homme un instinctif mouvement de recul.
- Je…je suis vraiment navré, Madame Mills, mais à part son alcoolisme et l'âge de l'enfant, vous n'avez rien pu me révéler. Or, cette année-là, Mademoiselle Swan a été confiée à un total de onze familles ! Toutes comportaient au moins un élément masculin. Certaines ont abandonné à cause du comportement de…de notre shérif…pour d'autres, c'est beaucoup plus flou…
Les majestueux sourcils se froncent.
- Flou ?
- Euh…oui. C'est un très long dossier, déjà. Mais si les détails manquants y figuraient, il serait trois fois plus épais. Dans la plupart des cas, il est simplement indiqué que l'on a mis fin au séjour en famille d'accueil. Parfois même, il n'est pas précisé si c'est à la demande de l'enfant, de la famille, ou des services. Il y a cependant un document intéressant : une lettre de l'une des mères d'accueil, se plaignant de la petite…
Regina réfléchit quelques secondes.
- Est-il indiqué, une seule fois, qu'elle ait elle-même demandé à être déplacée ?
Sydney toussote, feuillette le dossier.
- N…non… Il ne me semble pas. Je n'en ai pas le souvenir, en tout cas.
Comme le beau visage exprime une colère rentrée, de plus en plus inquiétante, que le journaliste entend distinctement la voix étrange, à la fois rauque et sensuelle, murmurer comme pour elle-même : « Ces couards…ils n'ont pensé qu'à se protéger. C'est le système, qu'il faudrait pouvoir punir. », il risque :
- Je…je vous laisserai le dossier, bien entendu, Madame le Maire. J'en ai plusieurs copies.
Stratégiquement, la reine affiche un petit sourire reconnaissant, de pure commande, et acquiesce.
- Continuez, Glass.
- Mmmm…il en est malheureusement de même pour tous les « hébergeurs » dont vous m'avez parlé sans pouvoir me donner de détails… Autant chercher, si vous me passez l'expression, Madame le Maire, une aiguille dans une botte de foin…des éléments comme…euh…le « goût » dont vous m'avez parlé, pour…certaines pratiques sexuelles…ne me sont bien sûr d'aucun secours. Je pourrais tenter de mettre la main sur les casiers de chacun des hommes cités mais cela prendrait un temps fou ! De plus, vous m'avez dit qu'il s'agissait seulement d'un ami de la famille…
Un long silence, au cours duquel la sorcière vrille l'enquêteur du regard, s'ensuit. Mais Sydney cherche à reprendre la main, se racle la gorge, puis reprend :
- En revanche, certains sont faciles à identifier. Les fermiers, dans le Minnesota, sont clairement mentionnés par l'administration. Un père et quatre fils… Il s'agit de la famille Bell…
Regina prend une grande inspiration, ferme un instant les yeux, se recule dans son fauteuil, respire lentement, profondément, dans l'espoir de retrouver son calme.
Troublé par sa réaction, son interlocuteur se tait, attend un feu vert, qui finit par arriver.
- Allez-y, Sydney. Dites-moi ce que vous avez pu apprendre.
L'homme parcourt son calepin, pose le doigt sur une page griffonnée d'une petite écriture rachitique.
- Il est difficile de comprendre comment ces gens…une ferme misérable…aucun élément féminin… ont pu se faire inscrire au nombre des familles d'accueil, à vrai dire. Ils n'ont eu que Mademoiselle Swan à leur charge. Ensuite, ils disparaissent des registres.
La reine plisse les yeux, se mord les lèvres.
- Y a-t-il une quelconque indication visant à expliquer pourquoi l'enfant leur a été retirée ?
- Euh…eh bien, si on veut. Rien de très concret mais le dossier fait tout de même état de « négligence éducative ». Il y a une ligne relatant un appel, de la part d'une secrétaire de l'école où était inscrite le shérif. L'administration a apparemment été avertie d'un problème d'absentéisme scolaire. Il semble être sous-entendu que c'est la raison pour laquelle aucun enfant n'a été, par la suite, confié aux Bell.
« Ces hypocrites ! » pense Regina…mais au moins, aucun autre innocent n'a eu à souffrir dans cette maudite ferme.
- Des indications, quant à l'état de la petite, quand elle est revenue en foyer ?
- Euh…non, rien de bien significatif. Des difficultés d'adaptation sont évoquées, juste après, notamment en milieu scolaire. Je…si vous le souhaitez, Madame Mills, je peux essayer de mettre la main sur les dossiers des très nombreux établissements qu'a fréquentés Mademoiselle Swan. Ce n'est pas compliqué. Ce n'est qu'une question de temps.
Un sourire forcé, sur les lèvres pourpres.
- Je vous remercie, Sydney. Nous verrons. Je vous prendrai peut-être au mot. Poursuivez, s'il vous plaît.
- Quoi qu'il en soit, j'ai pu assez aisément retrouver la trace du fermier et de ses fils.
Sa Majesté se penche sur le bureau, croise ses belles mains devant elle, aux aguets.
- Monsieur Bell : déjà soixante-douze ans lorsque la famille a accueilli Mademoiselle Swan. Il s'était marié sur le tard, avec une femme du village voisin. Celle-ci est morte à peine un an après la naissance de leur cadet…dans des circonstances assez équivoques, je dois dire.
Comme le journaleux s'interrompt, la voix grave, glacée, le relance d'un : « Que voulez-vous dire ? »
- Euh…eh bien…le médecin du village a été appelé sur place. Il a noté dans son constat qu'elle avait succombé des suites de blessures à la tête…mais sans préciser l'origine de ces blessures. Normalement, dans ces cas-là, on peut lire « chute dans les escaliers » ou autre…
La souveraine pousse une sorte de soupir résigné, que son informateur interprète comme une autorisation à poursuivre.
- Quoi qu'il en soit, Monsieur Bell est mort trois ans après le séjour de…du shérif. Un accident de tracteur…Les fils ont hérité de la ferme et ils y ont toujours vécu depuis…enfin, jusqu'à…il y a neuf ans.
Regina cligne des yeux, le temps d'enregistrer l'information.
- Où sont-ils ?
- Euh…l'aîné est mort aussi…d'une cirrhose. Cinq ans après son père.
Un nouveau temps de battement. Trop tard, donc.
- Quel âge avait-il ?
- Euh…Vingt-neuf ans. C'est très tôt, bien sûr, mais il semble qu'il ait été alcoolique au dernier degré. C'est en tout cas ce que suggère le certificat de décès.
L'esprit naturellement mathématique de la magicienne fait le calcul en moins d'une seconde. Emma a donc bien estimé l'âge du fils aîné. Il avait la vingtaine lorsqu'il s'est amusé, avec ses frères, à lui faire manger des biscuits pour chien.
- Très bien, Sydney. Je vous remercie d'avoir été aussi minutieux et complet dans vos recherches. Maintenant, qu'en est-il des autres fils ?
- C'est…plus compliqué pour les autres…
- Vraiment ?
- Oui…ils sont en prison. Enfin, le plus jeune était en prison… jusqu'à son suicide en cellule, l'an dernier.
Une nouvelle commotion. Cinq vengeances déjà, impossibles à assouvir.
- Pourquoi ont-ils été condamnés ? Où sont-ils ?
Glass a un sourire triomphant, content de lui.
- J'ai cru comprendre, lors de notre conversation téléphonique, que retrouver ces traces en particulier était extrêmement important pour vous, Madame le Maire… Aussi ai-je compulsé les journaux locaux. J'ai même pu mettre la main sur une grande partie des documents judiciaires. Warren et Wyatt Bell…âgés actuellement de quarante et quarante et un ans. Détenus tous les deux dans une prison du Minnesota, dont je peux bien sûr vous fournir l'adresse. Ils ont été condamnés, il y a neuf ans, à une peine de douze années d'emprisonnement.
Les beaux traits de la sorcière se contractent quelque peu. Elle plisse les yeux, dans l'expectative. Le journaliste se trouble, feuillette son calepin.
- Euh…ils ont été condamnés pour…
Sydney tourne une page, rapproche son carnet de ses yeux torves, s'éclaircit la gorge, puis déchiffre à haute voix ses propres pattes de mouche.
- …pour détention, diffusion et trafic d'images à caractère pédopornographique… et… euh…abus sexuels, intimidation et violences sur quatre filles des villages avoisinants, une de quatorze ans, deux de treize, une de dix.
Regina doit faire un effort surhumain pour ne pas hurler d'horreur et de colère. La façon dont Emma a été traitée dans cette ferme présente forcément un lien avec les chefs d'accusation.
Mais, avec tout le flegme dont elle est capable, elle se redresse sur sa chaise, et demande :
- Rien d'autre, dans leurs casiers judiciaires ?
Quelque chose, cependant, a dû transparaître dans son expression, car Sydney la dévisage avec une évidente perplexité avant de répondre :
- Euh…des mains courantes, pour violences, presque toujours dans des bars. Ils semblent inséparables. Ils ont toujours commis tous leurs délits en duo. D'ailleurs, j'ai aussi pu mettre la main sur les registres de la prison. Ils sont dans la même cellule.
La divine monarque fronce les sourcils. Décidément, les imbéciles seront toujours légions. Les mettre ensemble afin qu'ils puissent mieux terroriser leurs codétenus, sans doute…À moins que ce ne soit justement pour qu'ils puissent se protéger l'un l'autre. Il paraît que les prisonniers maltraitent les pédophiles…
Entretemps, Sydney poursuit son exposé :
- Et…et ils ont déjà été accusés d'abus sexuels, par une fillette de neuf ans, lorsqu'ils avaient…euh…Vingt et un et vingt-deux ans…soit quatre ans seulement après le séjour de Mademoiselle Swan. Mais la petite s'est rétractée et l'affaire a été classée sans suite.
Les belles mains royales se crispent. Elle enfonce ses ongles dans ses paumes. Vingt ans entre cet embryon avorté de justice et aujourd'hui… Cela signifie que ces monstres ont eu onze ans au moins…si seulement l'on part du principe qu'il s'agissait de leur premier crime. Et rien n'est moins sûr…Onze ans pour commettre leurs méfaits, sans être inquiétés. Une ferme isolée, au milieu de villages misérables et éloignés de tout. Rien de plus facile que d'entraîner les petites filles hors du sentier de l'école…et dans ce milieu, si elle se fie à la description fournie par Emma, la violence règne. La communication entre parents et enfants doit être difficile. Il est connu qu'il faut aux petites victimes un immense courage pour oser parler.
- Et le fils cadet ? Quels étaient les chefs d'accusation ?
- Les mêmes que ses aînés, en légèrement moins grave, Madame le Maire. En fait, il semble que…
L'éternel soupirant déçu tourne une page de son calepin, à la recherche d'une information, la trouve.
- …Edward Bell…se joignait à ses frères, à l'occasion. Mais il était moins proche d'eux qu'ils ne l'étaient l'un de l'autre. Il avait été condamné à seulement…si je puis dire…huit ans. En fait, et c'est assez étrange, il s'est suicidé juste avant sa relaxe. Il…il a toujours clamé, d'après un encart dans la presse, avoir été sous la coupe de son père, puis de ses frères. Apparemment, cette ligne de défense a en tout cas été prise en compte.
Le beau regard sombre se perd dans le vide, quelque part derrière le journaliste. Regina hoche doucement la tête, les dents serrées, les poings fermés. Dans trois ans, les deux monstres survivants seront libres. Cela lui laisse le temps d'agir.
Sans même regarder son interlocuteur, la souveraine demande, d'une voix mécanique : « Y a-t-il, dans le dossier d'Emma, la moindre mention de mauvais traitements ? »
Quelques secondes de battement. Sydney cligne des yeux, lâche son calepin et se saisit du document. Il cherche fébrilement, tout en répondant de sa voix mielleuse :
- Non…pas que je me souvienne, en tout cas. Et je pense que cela m'aurait marqué. Mais comme je vous l'ai dit, je vous laisserai cet exemplaire. Dans mon métier, j'ai déjà eu à fouiller dans les registres des services de protection de l'enfance, Madame Mills. Si vous voulez mon avis, ils étouffent tout élément gênant, dont ils pourraient être tenus pour responsables, sauf, bien sûr, si la presse s'en mêle. Tout au plus est-il fait référence à de la « négligence », comme chez les Bell…ou comme pour cette femme seule, à…Lansing…Daisy Hamilton. Le shérif avait trois ans. Il est indiqué que la police l'a trouvée dans la rue, livrée à elle-même, qu'elle a résisté violemment. Ce sont les premières références à des problèmes comportementaux vraiment préoccupants.
« Pas Détroit, donc…mais presque. » songe Regina, en esquissant un sourire triste, plein d'une ineffable tendresse.
Soudain, le visage de madone se crispe, reprend une expression dure et implacable.
- Et l'épicier ?
- Oh…oui…l'épicier. Le problème est que…la ferme était retirée. On peut compter trois villages voisins, accessibles à pied. Vous avez évoqué un commerçant seul, une épicerie isolée…Deux hommes correspondent à cette description. L'un d'entre eux est mort. Il était déjà âgé au moment où M…Mademoiselle Swan a été hébergée par la famille Bell. Il reste donc Alfred Hill, âgé actuellement de quatre-vingt-deux ans. Mais rien ne prouve qu'il s'agisse de lui.
Les beaux yeux sombres se plissent. La sorcière réfléchit, près d'une minute.
- Avez-vous une photo ?
Le journaliste hoche la tête.
- Bien entendu, Madame le Maire. Je me procure toujours, quand c'est possible, un cliché des personnes sur qui j'enquête. C'est la base du métier.
- Vous l'avez apportée ?
- Euh…n…non, je suis désolé. Mais si vous le souhaitez, je vous l'enverrai par mail, dès mon retour chez moi.
- Oui, je vous remercie. Il me faudra aussi les photos des frères Bell, ainsi que tous les portraits que vous avez pu trouver, dans cette affaire. En fait, je souhaiterais que vous m'envoyiez absolument tout ce que vous avez.
Comme Glass acquiesce d'un signe de tête, Sa Majesté le gratifie d'un sourire auquel elle le sait incapable de résister. S'arranger pour qu'Emma tombe sur le cliché, peut-être…observer sa réaction… De toute façon ces photos lui seront nécessaires, tôt ou tard.
Mais l'homme ramène ses mains dans son giron, se remet à feuilleter son calepin.
- Concernant les événements plus récents…
Regina serre les poings, se redresse, dans une attitude attentive, à l'affut.
- J'ai mis la main sur le dossier carcéral de notre shérif… En fait, je le possédais déjà, suite à l'enquête que vous m'aviez demandée, il y a plus de sept ans…
La belle tête brune esquisse un geste d'approbation, bien que la reine n'ait aucune envie de se remémorer la façon dont elle a tout mis en œuvre, alors, pour faire du tort à Emma.
- Partant de là, il n'a fallu que quelques tours de passe-passe pour avoir accès aux registres de la prison elle-même. Vous pourriez penser que le système judiciaire serait plus difficile à hacker que les services sociaux…Il n'en est rien !
- Vous m'en direz tant…
Le journaliste toussote, toujours aussi visiblement mal à l'aise.
- Euh…oui… Donc, il suffit de recouper les dates et…
Il s'arrête sur une page du carnet, lit à voix haute.
- Cassie Blank…Détenue dans cette prison de Phénix, entre 1999 et 2004, pour des faits tels que vols avec violence, trafics de drogue, vandalisme, violence simple. En fait, elle était une habituée. Elle a été incarcérée pour la première fois à l'âge de quinze ans, dans une prison pour mineures, bien entendu.
« Quelque chose d'inhabituel, dans son dossier ? » demande Regina en grinçant des dents. Elle n'y croit plus. L'administration a trop à perdre pour risquer d'attirer l'attention sur ses propres manquements.
- Eh bien…il est fait mention de comportements violents et asociaux, à surveiller. À part ça, rien…
Un soupir las.
- Où est-elle, à présent ?
Sydney tourne une page.
- Elle purge actuellement une peine de deux ans, dans un pénitencier de l'Oregon…toujours pour le même type de faits. Elle a pas mal voyagé. Son côté violent n'a fait qu'empirer, apparemment. Son nouveau dossier mentionne de nombreuses bagarres ainsi que des séjours réguliers en cellule d'isolement. Je…je vous enverrai une photo récente, bien sûr.
L'enquêteur prononce cette dernière phrase en clignant des yeux. Il est visiblement intrigué mais n'ose pas demander à la reine la raison réelle de cette enquête…Et surtout, l'utilité des portraits qu'elle réclame.
- Est-il fait mention d'accointances particulières ? Des associations, qui auraient eu cours au moment des onze mois de détention du shérif ?
L'homme se mord les lèvres. Il sait que la réponse déplaira à la magicienne.
- Euh…non…rien de tel, je suis désolé. Mais je peux vous fournir l'ensemble des registres de la prison…
Regina soupire. Combien de femmes cela peut-il représenter ? Puis elle se souvient d'un détail.
- Ces documents indiquent-ils les cellules occupées par les détenues ?
Emma a en effet précisé que ses tortionnaires étaient situées dans le même couloir qu'elle.
Visiblement perplexe, Glass hoche la tête. Un espoir.
- Je vous remercie. Je vous fournirai, dès que possible, une liste de noms. Et je souhaiterais que vous trouviez les photos d'identité correspondantes.
« Je suis à votre disposition, Madame. Mais cela ne sera pas nécessaire. Si vous savez qui vous recherchez, chaque dossier carcéral est accompagné d'une photo. » répond le larbin, très heureux, en fait, d'être indispensable à celle qu'il désire, et d'avoir une bonne raison de rester en contact avec elle.
« Et les gardiens ? » demande l'ensorceleuse, après avoir remercié d'un sourire froid.
L'enquêteur se racle la gorge, puis réplique :
- Le problème est le même…il y avait un turn over important. Mais…si j'ai bien compris, vous vous focalisez sur l'aile de Mademoiselle Swan. Les affectations sont faciles à trouver. Je peux en tout cas réduire considérablement la liste, en partant de là.
Un sourire artificiel.
- Merci, Sydney. Je vous en serai reconnaissante. Il est inutile de revenir me voir. Vous pouvez m'envoyer ces informations par mail. N'oubliez pas les adresses !
- Vous…vous n'avez aucune crainte concernant la…confidentialité ?
Les étincelantes pupilles se lèvent, s'enfoncent dans les petits yeux du journaliste.
- Aucune !
Le scribouillard avale sa salive, acquiesce faiblement.
- Et en ce qui concerne le fugitif et ses deux acolytes ?
Une autre page du calepin, tournée nerveusement. La magicienne se crispe, écoute.
- Eh bien…c'est difficile. Tout d'abord, les agences de garants de caution préfèrent bien sûr ne pas s'étendre sur leurs échecs. Cela dit, Mademoiselle Swan était une employée extrêmement zélée, très efficace. Il était fort rare qu'elle ne remette pas les fuyards à la justice. Et comme le cabinet pour lequel elle travaillait était embauché tout à fait officiellement, toujours par le même tribunal…
Les belles lèvres pourpres font entendre un claquement agacé.
- Sydney, vous avez vraiment bien travaillé ! En seulement quelques jours, vous avez avancé considérablement dans l'enquête que je vous ai confiée. Je vous en suis réellement reconnaissante. Mais, s'il vous plaît, venez-en au fait !
- Euh…pardon, Madame le Maire. Eh bien, il pourrait s'agir de…d'Andrew Lambert.
- Vous avez de bonnes raisons de le penser, j'imagine ?
- Eh bien oui…d'abord le fait que l'agence n'a pas pu le remettre à la justice. Et puis…bien que je ne sois pas sûr de la raison pour laquelle vous recherchez ces personnes, Madame Mills, pour être tout à fait honnête, je commence à détecter une…configuration… Un détail a attiré mon attention. Notre shérif, après avoir averti son patron, par téléphone, que l'homme lui avait échappé…c'est en tout cas ce qui figure dans les dossiers de l'agence… a demandé trois semaines de congé. Or, elle n'a jamais pris un seul jour, durant les années où elle a travaillé pour lui. Elle n'avait en fait aucune sécurité de l'emploi. Les absences pour maladie n'étaient pas rémunérées…
Un silence pesant, de près d'une minute, s'ensuit.
Regina médite. Peut-être faudrait-il punir aussi l'employeur ?
- A-t-elle été admise dans un hôpital à cette époque ? Vous avez retrouvé son dossier médical ?
- Euh…oui… En fait, j'avais déjà mis la main dessus il y a sept ans. Mais on n'y découvre rien d'utile, et pour cause…Mademoiselle Swan n'avait aucune assurance, à cette époque.
Une fois de plus, les nobles mains bistrées se contractent sous le bureau, telles les serres d'un rapace.
- Et pouvez-vous me dire pour quels motifs ce…Lambert devait être jugé ?
- Oui…pour…violences conjugales. Sa femme l'a également accusé de l'avoir violée, à plusieurs reprises. Suite à sa disparition, elle a obtenu le divorce.
« C'est lui. » pense la reine en enfonçant ses dents dans sa lèvre inférieure. Emma a donc fait face aux conséquences d'un triple viol, seule…
- L'avez-vous retrouvé ? De quand date l'affaire ?
- Eh bien, oui, je l'ai retrouvé…Il a dû se cacher, probablement sous un faux nom, jusqu'à une date assez récente. Le shérif a été envoyée à sa poursuite un an après les faits. Or, ces faits datent de…
Deux pages, tournées fébrilement.
- …treize ans. Il y a prescription. D'où, probablement, sa réapparition.
« Emma avait donc vingt-deux ou vingt-trois ans quand ils l'ont violée… » songe la reine. Malheureusement, seule la Californie a rendu les viols imprescriptibles…Il est complètement vain de livrer ce Lambert à la police. Quant à ses complices…il faut essayer de soutirer plus d'informations à la petite.
- Vous avez son adresse ? Sa photo ?
- Oui…sans cela, je n'aurais jamais pu m'assurer qu'il s'agissait bien de lui…il demeure non loin d'ici, à Boston. D'ailleurs, c'est là que se sont déroulés les faits, originellement. C'est ce qui explique que Mademoiselle Swan ait été mise sur l'affaire. Elle a quitté Phoenix en 2004…
Au bout de quelques secondes de battement, Glass conclut :
- Ce sont toutes les informations que j'ai pu récolter, Madame le Maire. Mais je vais bien sûr poursuivre mes recherches.
Regina récompense son informateur d'un sourire presque sincère, car il faut bien reconnaître qu'il a effectué son enquête avec un zèle remarquable.
L'idée de lui demander d'investiguer les Carter traverse son esprit mais la reine se ravise. Lire d'abord tout ce qui est disponible. Ils seront peut-être faciles à retrouver. Si elle cible les renseignements qu'elle recherche, cela ira plus vite. Et tant mieux si elle peut éviter de livrer à son soupirant transi certains mystères sordides de l'enfance de sa bien-aimée.
Après avoir, sans équivoque encore qu'à demi-mot, rappelé au journaliste que, s'il s'avise de trahir la confidentialité du passé d'Emma à âme qui vive, elle le lui fera regretter, elle le congédie. Il est grand temps d'aller donner la becquée à l'orpheline abandonnée.
Le soir, la visite au manège ressemble à un rêve. Les chevaux, peu nombreux dans le petit haras de Storybrooke, sont beaux, traités comme des rois. Leurs robes luisantes, de teintes variées, chatoient comme d'antiques brocards, dans la lumière du crépuscule. Emma se tient en retrait. Elle éprouve un malaise, une méfiance instinctive à l'égard de ces créatures dégingandées, aux mouvements brusques et imprévisibles. Regina, au contraire, retrouve aussitôt la joie étrange et vive qu'elle a toujours éprouvée en compagnie de la gent équine.
La princesse ne peut être persuadée, ne serait-ce que de trotter. Elle promet d'y réfléchir, de se libérer chaque jeudi, si cela est possible, se contente de contempler, les yeux pleins d'émerveillement, son amante, qui chevauche longuement un bel étalon bai cerise, d'un bout à l'autre de la prairie, en riant de bonheur.
Lorsque la souveraine dirige enfin sa monture vers les stalles, flattant d'une main toujours fraîche l'encolure constellée de sueur, la sauveuse la réceptionne à la barrière, tout en reculant prudemment de quelques pas, lui demande : « Tu aimerais avoir un cheval à toi ? »
Regina fronce les sourcils, dans une expression pensive, secoue doucement la tête en mettant pied à terre. Tout en ôtant d'une main experte le lourd harnachement, elle s'explique, de sa voix gutturale.
- Si je possédais l'un de ces chevaux, il devrait rester ici, de toute façon. Et je peux monter n'importe lequel d'entre eux, quand je le décide. Par ailleurs, je…
La puissante magicienne s'interrompt sans brusquerie, médite quelques secondes en silence, tout en bouchonnant le flanc lustré, si vivant.
- …je ne veux pas avoir à faire face, quand il prendra de l'âge, s'il tombe malade, ou…
Surmontant son appréhension, le shérif s'approche doucement, pose une main attentive sur l'épaule de sa compagne, dont la noble tête se penche, appuyant sa joue sur les jointures saillantes. Emma sait parfaitement que sa maîtresse a sacrifié Rocinante à l'ire qui bouillait dans son cœur meurtri. Elle se rend compte que cette blessure-là ne cicatrisera jamais, pas plus que l'insurmontable repentance d'avoir assassiné son père, le seul être qui prenait soin d'elle, lorsqu'elle était petite.
La courte durée du reste de la semaine s'écoule avec une lenteur insupportable. Après l'étreinte, ce soir-là, Son Altesse Blonde interroge prudemment son amie, quant au déroulement des délices annoncés pour le lendemain.
Regina n'a certes pas oublié. Mais les événements des derniers jours l'ont bouleversée au point que son esprit a partiellement occulté l'incroyable accomplissement qui doit avoir lieu dans moins de vingt-quatre heures.
Dans l'après-midi, elle a commencé par lire la lettre de doléance dont lui a parlé son informateur, envoyée à l'administration par une mère d'accueil. Une feuille déchirée, griffonnée d'une main malhabile, pleine de fautes d'orthographe. Cette femme, Madame Jones, se plaint d'Emma, de sa désobéissance, des vols répétés, de sa tendance à mentir, de sa saleté. « La gamine fais tous le tant des fugue et alor elle revien avec ses abis plein de bou » explique-t-elle…et elle évoque une agression, commise sur un des garçons placés chez elle, à la suite d'une dispute concernant un seau… Il s'agit bien sûr de la famille qui a succédé aux Carter…celle des premiers coups de ceinture, celle de la famine, celle où la pauvre orpheline a vu Terry, son seul ami, brûler et fondre dans une chaudière.
L'ancienne despote a également compulsé tous les renseignements relatifs à la femme de Détroit…non, de Lansing…en est arrivée à la conclusion provisoire qu'elle était irresponsable, et que, si cela était nécessaire, elle s'était certainement punie elle-même. Il sera toujours temps, après avoir paré au plus pressé, de demander à Sydney un complément d'enquête… Les Carter sont un autre problème…elle ne peut accepter certains détails, qui pour elle retentissent d'un écho particulièrement sordide. Le dossier ne comporte qu'une ligne sortant de l'ordinaire : « …acceptent les cas difficiles… ». Un coup de fil à celui qui lui a servi de miroir, durant des années, s'en est suivi, lui demandant, par acquis de conscience, de vérifier si Madame Hamilton avait accueilli d'autres petits malheureux…on ne sait jamais, avec l'incompétence proverbiale des services gouvernementaux. Elle réclame également une nouvelle enquête, sur une autre famille : les Jones. Quant aux Carter…il faut découvrir où ils habitent ? Sévissent-ils toujours ? Font-ils encore bénéficier les orphelins de leurs infaillibles méthodes ? Le journaliste s'est vu rappeler, par la même occasion, de poursuivre les recherches qui n'ont pu, pour l'heure, aboutir.
La liste des détenues de la prison de Phoenix attendra la semaine suivante, car le temps manque à la mairesse. Heureusement, comme l'a dit Sydney, les photos sont incluses dans le dossier. Peut-être ne sera-t-il nécessaire de faire appel au galant éternellement éconduit que pour localiser les complices de Cassie. Cela dit, les renseignements sont sans doute déjà assez nombreux pour agir…
Le silence interloqué de la nymphe nue, lascivement lovée dans son étreinte, ramène la sorcière au présent.
Dieux tout puissants… C'est demain… Regina a comme un sanglot.
- Je…je ne sais pas quoi dire, ma poupée…
Après une minute entière, la voix enrouée résonne, si belle, si exquise.
- Où tu veux…faire ça ?
Regina doit réfléchir longuement.
- Dans notre chambre…
Un baiser d'enfant sage, sur son front.
- Très bien, ma reine. Qu'est-ce que tu veux que je porte ?
Un autre silence, interminable.
- Le…le déshabillé noir…celui que…
- Celui que je portais pour ma première fessée ?
Un petit rire, absolument surréaliste.
- Enfin…je veux dire, la première fessée que tu m'as donnée.
Le cœur au bord des lèvres, la reine ne peut qu'acquiescer, puis laisse entendre une sorte de hoquet, accompagné d'un spasme qui inquiète la sauveuse.
- Regina…si…si tu ne te sens pas prête…tu n'es pas obligée. On dirait vraiment que tu as peur. Il y a des risques, c'est ça ?
La belle monarque secoue fébrilement la tête, et ses cheveux épais viennent chatouiller le visage de sylphe. La voix rauque ressemble à la mélodie d'une désuète boîte à musique, dont l'un des ressorts serait sur le point de se rompre.
- Non…pas de risques. Pas plus qu'avec un sort de guérison. J'ai fait les recherches il y a très…très longtemps. Avant de te connaître. Sans penser à personne en particulier.
Un profond soupir.
- J'ai peur, c'est vrai…mais de moi.
Les bras musculeux l'enserrent, la ceinturent et l'englobent, dans leur cercle protecteur.
- Si je ne crains rien, tu ne dois pas avoir peur, Majesté.
Les larmes finissent par jaillir, sur les joues royales.
- Oh ! Ma chérie…comment peux-tu dire ça ? Tu sais de quoi je suis capable.
- On a le code…
- Tu ne l'utiliseras pas…
- Pourquoi ? Je l'ai déjà utilisé.
- Oui…tu as raison…
Regina doit respirer, ensuite, longuement, convulsivement, des inspirations tantôt courtes, tantôt artificiellement prolongées, entrecoupées de sanglots, si bien que la princesse finit par demander.
- Qu'est-ce que tu ressens, ma reine ?
Après quelques bouffées haletantes, la noble dame répond :
- Je suis bouillonnante, surexcitée. J'ai l'impression que, même si je le voulais, je ne pourrais plus revenir en arrière. Que je suis condamnée à me laisser engloutir par mon désir. Mais c'est aussi…je ne sais pas pourquoi, mais c'est humiliant.
Emma rajuste sa compagne dans l'étau de ses bras, se recueille quelques instants.
- Mon amour, rien ne t'oblige…
- Oh ! Si ! Si, mon trésor ! Tout m'y oblige. Je ne peux pas reculer. Seulement, j'ai deux faveurs à te demander.
- Je t'écoute, Majesté.
- Tout d'abord…je ne veux surtout pas que tu le prennes mal, mon ange, mais…demain soir, pourrais-tu te préparer dans la salle de bain de la chambre d'ami ? Je t'enverrai un message, par téléphone, quand…quand je serai prête.
- Bien sûr, ma reine !
- Et ensuite…quand tu entreras dans notre chambre…
- Quoi, mon amour ?
- N'allume pas la lumière !
