Partie VII : À l'aube de leur vie


Vingt-deuxième jour

Ren s'était réveillé bien avant tout le monde, avant même Vaï.

Comme chaque matin, il y avait une cascade de cheveux noirs sur sa joue et dans le creux de son cou, de même qu'un encombrant poids bloquait tout son corps, à quelque chose près.

Ren sembla se rappeler de quelque chose et tourna vivement la tête à gauche. Un sourire bienheureux et niais au possible étira ses lèvres alors que, éclairé par le mince filet de lumière en provenance des battants mal joints de l'entrée du dortoir, le visage endormi de Vaï était tourné vers lui.

Ren ne se souvenait pas vraiment d'avoir déjà observé le Lakota endormi auparavant. Le sommeil adoucissait ses traits d'ordinaire tirés ; ses sourcils fins se détendaient, les légères rides au creux de ses yeux étaient moins visibles. Il semblait si calme, paisible. Serein.

Ren finit par s'arracher à cette douce vision.

C'était vrai, ils sortaient ensemble. Ils étaient "un couple". Comment étaient-ils censés se comporter l'un vis-à-vis de l'autre, désormais ? Comment se comporter face aux autres ? Devaient-ils leur dire ? Devaient-ils plutôt garder cet amour défendu ?

Ren soupira. Cela ne servait à rien de se poser toutes ces questions maintenant, sinon à lui donner mal au crâne.

Il entreprit plutôt de se dégager de sous Kasa (comme tous les matins, en somme), et une fois ça fait, il se saisit de sa béquille et clopina jusqu'à la sortie. Il quitta la pièce, silencieusement, espérant qu'il n'avait réveillé personne.

Le jeune homme gagna le balcon, son havre de paix. Il n'y avait personne ; à part Vaï et lui, il n'y avait jamais personne. Le soleil était encore haut. Quelle heure pouvait-il être ? Dix-sept heures, approximativement, estima Ren.

Il fit ensuite quelque chose de bête : il se posa à terre et s'allongea sur le flanc gauche, à même le bois du balcon, en plein soleil. Il faisait bon, chaud même, et Ren se mit à ronronner. Il ferma les yeux et bougea un peu. Une fois dans une position qu'il jugea confortable, il cessa ses mouvements et se laissa aller.

Dans son esprit hébété de chaleur, le Creek se fit la réflexion qu'il devait ressembler à une sorte de gros chat, allongé là à ronronner comme un bienheureux.

Mais il était heureux.

L'homme qu'il aimait – par les Déesses, un homme ! – l'aimait en retour et ça le rendait complètement abruti de bonheur. Ils s'étaient embrassés une fois, peut-être deux, la veille, puis ils avaient convenu de ne pas le faire devant les autres. Ils n'avaient pas vraiment eu de moment pour eux ensuite.

Ren entendit par-dessus ses ronronnements des bruits de pas, et ses oreilles se relevèrent, se tendirent, mais il ne bougea pas. Ces rayons de lumière semblaient posséder le pouvoir de le rendre tout mou.

Ren sentit une présence dans son dos, mais il n'y fit pas attention. Et ça le surprit lorsque des lèvres douces se posèrent sur sa tempe.

Il ouvrit les yeux et se tourna un peu, suffisamment pour observer la personne qui le surplombait. Son ronron se coinça dans sa gorge alors qu'il s'exclama, joyeux et candide :

« Vaï ! »

Le Lakota esquissa un bref sourire, léger, vite disparu, et il s'assit non loin de lui.

« Hey, Ren », dit-il.

Il tendit un onigiri à l'autre, qui s'en saisit. Ils commencèrent à manger dans la même ambiance calme, détendue et délicieuse qui avait toujours baigné ces moments. Ren s'était entre-temps assis, à la gauche de Vaï, face à l'océan, et il savait. Il voyait que quelque chose avait changé entre eux.

Ils sortaient ensemble.

L'amour n'avait jamais été la préoccupation de Ren, encore plus dans son primaire village creek. Les progrès de Mahr, la technologie, la science ; tout ça n'atteignait pas les peuplades cachées et traquées du sud d'Atolatonan, et Ren avait grandi dans un monde excessivement moyenâgeux.

Alors, l'amour… Il avait eu d'autres préoccupations dans sa vie.

Mais maintenant… Il hésitait. Il était timide, nerveux. Comment devait-il s'y prendre avec Vaï ? Que devait-il faire pour prouver son amour ?

Ren tourna la tête vers Vaï. Et lui, qu'en pensait-il ? La tête du Creek lui semblait lourde, et il la laissa tomber sur l'épaule du Lakota.

Ce dernier ne dit rien, Ren se sentait étrangement bien, alors ils finirent de manger dans un silence apaisant.

Puis Ren repensa une énième fois :

Ils étaient un couple.

Et il ne tint plus. Il avait besoin de réponses, il était complètement perdu.

« Dis, Vaï, comment… qu'est-ce qu'on est censés faire, maintenant ? Vu qu'on est… qu'on sort ensemble ? » demanda-t-il, gêné, bafouillant.

Vaï ne le regardait pas, mais il prit sa main dans la sienne et joua avec ses doigts. Ren se laissa faire, enfouit son visage dans ce cou pâle, sur cette épaule tiède.

« … J'en sais rien. C'est la première fois que je sors avec quelqu'un. Peut-être qu'on pourrait… » commença-t-il.

Il ne savait pas comment poursuivre.

Ren attendit, patient, une suite qui ne vint pas. Il souffla :

« S'embrasser… ?

– … Oui…

– Tu pourrais jouer avec ma main comme maintenant ?

– Sûrement…

– Me caresser les cheveux ?

– Bien sûr.

– Me serrer dans tes bras…

– Si tu veux…

– Je t'aime. »

Leurs voix n'étaient plus que murmures et Ren avait chuchoté ça comme un secret, une confidence. C'en était peut-être.

Vaï s'était tourné vers lui, Ren avait fait de même, et ils se serrèrent dans leurs bras. Ren, le visage dans le creux du cou de Vaï, songeait que ses bras étaient parfaits. Forts, prêts à le protéger. Si tendres. Et son odeur… Les Creeks avaient le nez sensible ; il n'y faisait pas exception et inspirait, haletant, la délicieuse fragrance qui semblait émaner de Vaï entier.

Ce dernier sentait les bras, longs et fins, de Ren dans son dos, ses cheveux près de sa mâchoire, son torse contre le sien, ses jambes qui se mêlaient aux siennes. C'était si agréable. Ren n'était pas maigre, mais il restait plus frêle que Vaï, et le Lakota le serrait avec douceur dans ses bras, comme s'il avait peur de lui faire mal. Ren semblait si minuscule à se pelotonner contre lui.

Il était si jeune.

Ce constat frappa Vaï. Jamais auparavant il n'y avait songé, mais ça lui était revenu avec la puissance d'une bonne gifle ; un préjugé classique d'Atolatonan. Si Vaï ne s'y trompait pas, il avait bientôt vingt-six ans. Mais Ren… Il en avait à peine quinze.

Vaï savait que les autres employés du Jinotsu, les esprits originaires d'Afshak, Erwin ou Pixis, ne diraient rien, n'auraient aucun avis là-dessus. Mais l'escouade Han ? Mais Ren ? Y avait-il songé ? Vaï et lui avaient plus de dix ans de différence, même si le Lakota savait pertinemment qu'il ne faisait pas son âge.

Il soupira. Il soupirait toujours dès qu'un problème dont il n'avait pas la réponse se posait.

« Ren… » souffla-t-il.

L'adolescent nicha un peu plus sa tête contre son épaule, son torse contre le sien.

« Humm ?… » marmonna-t-il distraitement, alors qu'il ne pouvait plus réprimer le ronflement qui naissait dans sa gorge.

Vaï sentit son torse vibrer. C'était extrêmement plaisant comme sensation, celle de sentir Ren ronronner contre lui.

« Qu'est-ce que tu penses de notre différence d'âge ? »

Vaï avait chuchoté, il n'avait pas la force de parler à voix haute, il voulait juste être entendu de Ren, et Ren seul. Ce dernier ne répondit pas tout de suite – il resserra ses bras autour des épaules du Lakota.

« Je m'en fiche, dit-il, comme un enfant capricieux.

– J'ai vingt-six ans, lui murmura Vaï.

– Tu pourrais en avoir quarante, ça ne changerait rien.

– Ça ne te gêne pas ?

– Si tu veux savoir, la seule chose qui me gêne actuellement, c'est ma cheville. Ou plutôt mon attelle. »

Vaï serra Ren dans ses bras. Fort. Comme s'il voulait se fondre en lui. Comme s'il ne voulait plus jamais le lâcher. Ren sentait son cœur battre à une allure folle, ses joues brûler ; il s'appuyait sur son attelle et ça lui faisait mal mais pour tout dire il s'en foutait. Il se consumait d'amour pour Vaï et c'était la plus belle chose du monde.

« Ren… »

Son nom, même si ce n'était pas son vrai nom, ne lui avait jamais semblé aussi beau que lorsqu'il était murmuré de cette façon par Vaï, comme s'il était un trésor à chérir.

Quelque chose parut changer entre eux alors qu'ils s'écartaient l'un de l'autre. Juste un peu. Leurs torses, leurs jambes, leurs bras étaient mêlés, collés, leurs visages à quelques centimètres l'un de l'autre.

Leurs fronts se touchaient.

« Ren… »

Ils se fixaient. Ils étaient si proches que Ren voyait flou et ça lui faisait presque mal aux yeux. La seule chose qu'il voyait nette, c'étaient les yeux acier de Vaï. Il battit des cils, ferma les paupières.

Leurs lèvres se cherchèrent, quelques instants, alors qu'ils se rapprochaient encore plus l'un de l'autre. Elles se rencontrèrent, fougueuses mais empreintes de tendresse, et Ren soupira. C'était si bon, ça n'avait pas de prix.

Parfois ils s'écartaient, légèrement, parfois ils mouvaient leurs lèvres, parfois Ren passait ses mains dans les cheveux de Vaï et Vaï agrippait les joues de Ren, tirait ses cheveux et tâtait son crâne, là où il y aurait dû y avoir des oreilles.

Le Lakota écarta sa tête de celle du Creek et son souffle fut saccadé quelques instants – il riait – alors il chuchota tandis que Ren tentait de recoller ses lèvres sur les siennes, impatient :

« Tu embrasses vraiment mal… »

Le jeune homme se recula, vexé. Il fronça les sourcils, scruta le visage de Vaï. Celui-ci profita du fait que le gamin fût toujours dans ses bras pour lui saisir les épaules et le ramener contre lui.

Ils avaient de nouveau un espace de quelques centimètres entre leurs têtes et Ren combla vite cette distance.

« Alors apprends-moi… » soupira-t-il avec insolence, les lèvres à quelques millimètres de celles de Vaï.

Ce dernier ne se fit pas prier.

Ils recommencèrent à s'embrasser avec passion. Ren soupira en sentant la langue de Vaï appuyer avec délice contre ses lèvres. Avant lui, il n'avait jamais embrassé personne sur la bouche, mais il songeait néanmoins que c'était très agréable. Il affirmait, sans honte, qu'il aimait embrasser Vaï.

Ils passèrent encore de longues minutes – peut-être même des heures ? – à s'embrasser passionnément, tendrement, avec leurs langues, dans un ballet qui donnait le tournis à Ren.

Lorsqu'ils s'écartèrent enfin de plus de quelques millimètres, sans doute à cause du manque d'air, Ren revint se coller à Vaï, et il n'hésita pas à nicher sa tête dans le cou du Lakota. Il se sentait bien. Aussitôt qu'il fut dans une posture confortable, il se remit à ronronner.

Vaï soupira brièvement et le serra dans ses bras, le plaqua contre lui. Il se rendit compte, dans l'état plus ou moins brumeux dans lequel il était plongé, que Ren était assis à califourchon sur ses cuisses. Quand s'étaient-ils retrouvés dans cette position ? Pour tout dire, Vaï n'en savait rien ; il se dit juste qu'elle était pratique ; Ren était encore plus près de lui.

Il berça tendrement le Creek, qui ronronnait de plus belle, et le Lakota se détendit un peu.

Il n'avait pas remarqué qu'il était crispé ; il fallait dire qu'il était tout le temps crispé, tendu. C'était naturel, c'était triste à dire, mais il avait pris cette habitude d'avoir constamment les sens aux aguets.

Cela dit, ce n'était pas déplaisant de lâcher prise.

C'était même agréable, presque autant que le chat humanoïde qui avait élu domicile sur lui et qui ronronnait avec bonheur dans son cou.

Vaï s'appuya sur ses avants-bras et se pencha en arrière. Ce n'était pas tout, mais Ren pesait plutôt lourd et lui en avait marre d'être assis avec ce poids qui le poussait à la renverse. Alors il s'allongea sur le bois chaud du balcon, en plein soleil. Ren ne protesta pas ; mieux, il passa ses mains aux doigts fins dans ses cheveux de jais.

Vaï ferma les yeux.

Et tout était parfait.


La journée s'écoula de la même manière qu'une rivière progresse, avec calme et tranquillité.

Ren et Vaï ne se quittaient plus – en avaient-ils seulement l'envie ? Ils avaient emporté quelques provisions avec eux puis ils s'étaient sauvés hors du Jinotsu. Ils avaient un moment traîné dans la Ville Fantôme, main dans la main, et Vaï avait emmené Ren sur une des plages qui bordaient le Jinotsu, en contrebas des falaises.

À vrai dire, ces plages étaient dissimulées par les hautes roches, et Ren n'aurait probablement jamais trouvé ces endroits seul.

Ils avaient descendu les marches en pierre, bombées, creusées ou inexistantes, abruptes, qui menaient au littoral, en trébuchant, en souriant, main dans la main. Ren rit à gorge déployée, secoué de tremblements, lorsque Vaï trébucha et faillit tomber. Pour se venger, le Lakota pinça la joue du Creek, ce qui n'eut pour seule conséquence qu'augmenter sa crise de rire.

Heureusement pour eux, ils arrivèrent en bas sains et saufs.

Ils s'étaient ensuite baignés dans l'eau tiède – bien que Vaï refusât au début car il doutait de la propreté de l'eau de mer – et, n'ayant rien emporté pour se sécher, s'étaient étendus dans le sable, l'un à côté de l'autre.

Ils avaient contemplé le ciel, main dans la main à nouveau. Et ils s'étaient embrassés, encore et encore, sans cesse, sur cette plage qui n'appartenait qu'à eux. Cela dura longtemps, quelques minutes, quelques heures peut-être, et Vaï serra Ren dans ses bras, alors qu'ils étaient mouillés, couverts de sable et épuisés.

Heureux.

Il devait être près de trois heures lorsqu'ils se relevèrent, renfilèrent leurs vêtements par-dessus leurs peaux humides, et qu'ils coururent jusqu'au Jinotsu dans le but de prendre un bain grandement sollicité.

Douchés et débarrassés du moindre grain de sable, ils mangèrent des takoyaki sur le balcon de leur étage.

Le soir (matin) venu, ils regagnèrent le dortoir. Han les prit à part et Min rejoignit le Huron.

« Alors, qu'est-ce que vous avez fait aujourd'hui, mes canards en sucre ? Et pas de mensonge ! Je veux une liste-détail de vos moindres activités de la journée ! » ordonna le brun sans préambule.

Un sourire étrange se dessina sur sa face sitôt les termes "moindres activités" prononcés. Ren rougit en comprenant ce qu'il sous-entendait, Min hocha vivement la tête et Vaï roula des yeux.

« On a rien fait, soupira le Lakota d'une voix ennuyée.

– Vous ne pouvez pas avoir "rien fait" ! lui fit remarquer Han. On fait forcément quelque chose de sa journée. Ou alors vous avez passé votre temps immobiles quelque part, mais pour ça il a bien fallu vous lever, donc je n'appelle pas ça "rien faire" ! »

Vaï haussa les sourcils et marqua un instant de silence avant de répondre :

« On a rien fait d'intéressant. »

Han souffla d'un air malheureux (purement feint).

« Hé bien, tu ne veux pas collaborer !… Ah ! Je comprends bien ! Permets-moi de demander à Ren, dans ce cas !

– Non.

– Non quoi ?

– Je ne te permets pas. »

Vaï résista à l'envie de passer son bras autour des épaules de Ren – à cause du reste de l'escouade non loin – malgré son désir de protéger son Creek de cette espèce de psychopathe yaoiste à lunettes. Celui-là même qui n'attendait de toute manière pas son approbation pour noyer Ren sous une avalanche de questions plus ridicules les unes que les autres. Cette fois-ci, c'était visiblement Min qui était en charge de la retranscription sur le carnet.

Vaï écoutait d'une oreille distraite Han et Ren, s'amusant intérieurement du bégaiement de son copain et de ses réponses qui se voulaient vagues – mais finalement Han parvenait toujours à lui faire cracher ce qu'il voulait savoir.

Ann arriva en quelques battements d'ailes et se posta devant Vaï à hauteur de son visage.

« Hum… ? demanda-t-il.

– Han n'est pas discret et d'ici trente secondes, un des trois autres va rappliquer pour savoir ce qui se passe. Tu vas leur dire ? fit Ann de but en blanc (Vaï et elle se montraient toujours directs l'un envers l'autre).

– Sans doute. Je vois pas pourquoi Ren et moi, on se cacherait, au fond », répondit Vaï en haussant les épaules.

Ann ne renchérit pas, et elle alla élire domicile sur l'épaule gauche du Lakota. Ils ne dirent mot et, presque comme l'avait prédit la Cocopa, ce ne fut non pas l'un des trois, mais les trois au complet qui s'approchèrent.

« Il se passe quoi ici ? demanda Fal.

– Hum hum. Ren se fait emmerder par Han et Min, répondit Vaï tout en poésie.

– Min aussi ? » gronda Kasa en penchant la tête.

Han, elle voulait bien comprendre, il était obsédé par les peuples magiques, normal qu'il ne cessât d'interroger Ren (ce n'était pas pour autant qu'elle approuvait), mais Min ? Ça ne lui ressemblait pas d'agir ainsi.

Kasa fronça les sourcils et se tourna vers Han.

« Qu'est-ce que vous faites ? demanda-t-elle, aussi bien à lui qu'à Min.

– Je pose des questions très importantes à Ren ! » répondit joyeusement le Huron.

Min cessa d'écrire et se rapprocha de lui pour discuter avec Kasa. Cette dernière, au vu de son regard rivé sur Ren – Ren et ses yeux suppliants de le sortir de cette situation –, était bel et bien remontée envers les deux autres.

Vaï observa un peu ce que faisaient les derniers membres de l'escouade. Ils étaient tous amassés dans le coin du lit de Ren ; Miru appuyée contre un mur, zieutant ses ongles d'un air indifférent et Fal, assis à côté d'elle, lui parlait d'on-ne-savait-quoi. Ann était toujours juchée sur l'épaule du Lakota, Kasa enguirlandait Han et Min au sujet de leur indiscrétion quant à Ren. Et ce dernier regardait Vaï, à l'écart des trois autres.

Le Lakota souffla à Ann :

« J'vais faire un truc con. Évite de te foutre de moi. »

La Cocopa quitta son épaule et s'éloigna en haussant les sourcils, l'air de dire "ça dépendra de ta connerie". Vaï fit donc signe à Ren de s'approcher.

Ce dernier, qui n'avait rien entendu de son intention – aussi brièvement exposée qu'elle fut –, se déplaça prestement, avec ses mains et son pied gauche, et vint se poser à côté de lui.

« Qu'est-ce qu'il y a ? » interrogea-t-il.

Vaï ne répondit pas immédiatement et lui ordonna juste de se lever alors que lui-même le faisait. Il tendit sa main au Creek qui s'en saisit, et une fois qu'ils furent tous deux sur pieds, il passa son bras autour des épaules de Ren (action un peu ridicule au vu de leurs dix centimètres de différence) et l'attira contre lui.

« Eh les gens, commença-t-il d'une voix forte qui suffit à porter tous les regards sur eux – Kasa s'apprêtait à parler mais il la coupa : on a un truc à vous dire. Ren et moi on sort ensemble. »

Voilà. Aussi simple que ça.

Ren était rouge comme une tomate – il avait compris où le Lakota voulait en venir lorsqu'il avait commencé à parler et depuis lors dardait sur lui un regard à mi-chemin entre l'effroi et la gêne.

Kasa avait la bouche béante, comme si sa mâchoire allait se décrocher, Min et Han avaient eu un moment de surprise mais souriaient à présent d'un air malsain, Fal aussi était purement estomaqué et Miru et Ann s'en fichaient un peu – tout du moins ne laissaient rien paraître.

Puis Kasa se releva, furieuse, stupéfaite, et demanda d'une voix glaciale :

« C'est quoi cette blague ? Et enlève ta main de l'épaule de Ren. »

Vaï raffermit au contraire sa prise et répondit mornement à sa cousine, comme s'il ne venait pas d'annoncer quelque chose d'intime et de gênant :

« C'est pas une blague et je mets ma main où je veux. »

Han s'étouffa de rire et Min paraissait au bord de l'hémorragie nasale – juste pour quelques mots plein de sous-entendus ; qu'est-ce que ces yaoistes avaient l'esprit mal placé. Kasa bouillonnait de fureur et semblait sur le point de commettre un meurtre. Puis Fal se leva à son tour et vint se poster près de la jeune femme.

« En tout cas, vous avez toutes mes félicitations ! dit-il avec un sourire candide à l'adresse de Ren et Vaï. Ça me fait plaisir de te voir épanoui, Vaï ! »

Ren rougit encore et détourna le regard. Il fit signe à Vaï qu'il voulait s'asseoir et ce dernier consentit à ce qu'ils retournassent à leurs places initiales. Fal soupira et fit de même, mais Kasa, elle, resta un moment immobile. Puis elle avança vers Ren et se laissa tomber devant lui.

La main de Vaï avait migré sur le ventre de son Creek et la Lakota put saisir les épaules du garçon pour lui demander :

« Il ne t'a pas forcé ? »

Vaï roula des yeux et vit que Fal discutait avec Min, que Han ne cessait d'écrire dans son fameux carnet et que Miru et Ann observaient la scène dans leur coin.

« Mais… quoi ? Pourquoi m'aurait-il forcé ? s'étonna Ren.

– On ne sait jamais, avec lui… » marmonna Kasa en zieutant son cousin d'un œil mauvais.

Vaï arqua un sourcil. Mais quelle image de lui pouvait-elle bien avoir, décidément ?! Il secoua la tête, désespéré, et se retint de lever les yeux au ciel lorsque Kasa revint à la charge, d'une voix moins contenue, mesurée :

« Mais… Alors… Pourquoi ? Comment ? Quand est-ce que vous vous êtes mis ensemble ? »

Son trouble était presque risible. Elle lâcha brusquement les épaules de Ren et l'observa, attendant avec une impatience difficilement dissimulable. Ren sourit en rougissant de plus belle. Il répondit car il savait que Vaï ne daignerait pas le faire :

« On sort ensemble depuis hier, parce que… il m'aime… et je l'aime. »

Ren n'eut pas cru possible qu'il pût sortir quelque chose d'aussi niais et dégoulinant de romantisme, et, pour apaiser sa honte, il enfouit son visage dans le creux du cou de Vaï. Min, comme par magie, s'était téléporté à côté d'eux, et les contempla d'un air attendri, ses lèvres esquissant néanmoins un début de sourire purement et typiquement yaoiste.

Kasa soupira, baissa les yeux, l'air de dire qu'elle voyait, que puisqu'il en était ainsi, elle comprenait et ne s'opposerait pas au choix de Ren…

Il y eut un moment de flottement dans le dortoir, sans aucun bruit, calme, détendu, comme il y en avait peu avec Han et Ren ordinairement (ils s'énervaient généralement pour un rien et le ton montait vite – ce n'était certes pas le même genre d'énervement pour l'un et pour l'autre…). À vrai dire, le seul moment où une telle quiétude régnait, c'était lorsque tous dormaient.

Après tout, ils étaient éreintés, alors peut-être était-ce le cas…

« MÉGA-BATAILLE D'OREILLERS ! » hurla la voix de Han.

Ah, non.

Vaï poussa Ren à temps, se prit un Huron déchaîné en pleine face tandis que Min se jetait sur le pauvre Creek. S'ensuivit une scène confuse, un enchevêtrement de corps – une mêlée générale où volaient oreillers et draps, ponctuée de répliques salées.

« Min, vire ton cul du ventre de mon mec, putain ! gronda Vaï.

– Avoue qu'il est super confortable, je resterais bien là un moment !

– Ah non, merde, j'ai l'os du pied en vrac, moi ! Faites gaffe !

– Sache, mon Renichou, que tu as très exactement vingt-six os dans ton pied, si tu n'en avais qu'un, tu ne pourrais pas le bouj… »

La réplique de Han mourut dans sa gorge lorsque Vaï se mit en tête de l'assommer avec un oreiller en provenance d'on-ne-savait-plus quel lit.

« Mais vous êtes complètement cons, ma parole ! s'égosilla Kasa quand elle se prit un coup de talon dans le menton.

– Belle perspicacité ! » railla Min en éclatant de rire.

Il rit un peu moins dès lors que Fal lui décocha un coup d'oreiller dans le dos.

Miru soupira en ouvrant le battant d'un placard et en y traînant son corps fatigué. Elle referma la porte et constata qu'elle n'était pas la seule à avoir eu cette idée.

« Yo, dit-elle à Ann.

– Yo. »

Miru haussa les sourcils et lança :

« Alors, du coup, Ren sort avec Vaï. Ça te fait quoi ? »

Ann résista de justesse à répliquer avec colère, et elle dit juste, glaçante :

« Et toi, avec Historia, ça avance ? »

Miru se renfrogna, vexée, et, dans l'obscurité de ce placard vide, Ann s'autorisa un micro-sourire, purement moqueuse.


To Be Continued…


À dans une semaine pour l'épilogue ! N'hésitez pas à laisser des commentaires !