Chapitre 15
Katsuki, Izuku et Shoto avaient pris leur fonction au sein de l'armée grecque une semaine après leur entrevue avec l'ambassadeur Yaoyorozu. Les trois en avaient référé à leur ancien supérieur hiérarchique, et la plupart les félicitèrent d'avoir ainsi monté les échelons. À vrai dire, eux-mêmes n'avaient toujours pas réalisé ce qu'ils leur arrivaient. En à peine cinq ans, les amis étaient devenus des gladiateurs aguerris. Ils avaient ensuite été nommés centurions, et aujourd'hui ils allaient servir l'une des plus prestigieuses armées du monde. Leur parcours si singulier était devenu un sujet très controversé chez les soldats qui s'imaginaient entre eux tout un tas d'exploits qu'ils n'avaient jamais accomplis. Et celui qui intéressait tant les commérages n'était autre que Shoto, devenu le plus jeune commandant depuis plusieurs décennies. Le bicolore n'était pas un homme sujet à l'anxiété, pourtant, une appréhension désagréable le hantait depuis sa nomination. Shoto se trouvait trop inexpérimenté pour le poste qu'il tenait aujourd'hui. Plus encore, alors qu'il était romain de naissance, il devrait commander mille soldats, tous ayant juré fidélité à la Grèce. Il se sentait aussi un peu gêné de devoir commander ses amis qu'il connaissait depuis si longtemps. Mais ils avaient bien vite fait de se moquer de ses préoccupations qui n'avaient pas lieu d'être. Izuku lui avait dit que sa priorité absolue était sa femme. Et Katsuki, lui, n'était en aucun cas intéressé par ce poste qui demandait beaucoup trop d'implication, et qui ne lui permettrait pas de concourir dans l'arène autant qu'il le voudrait. Le bicolore savait parfaitement que ses camarades le rassuraient comme ils le pouvaient. Mais en comprenant que les deux ne voyaient aucun inconvénient à l'appeler « commandant », Shoto annihila le doute en lui et se plia à son devoir avec habilité.
Dès le début, Shoto lut tous les rapports de son prédécesseur et analysa minutieusement les différentes formations de l'armée, ainsi que le profil des dix centurions agissants directement sous ses ordres. Il eut la possibilité de s'entretenir avec eux très rapidement, et il mémorisa leur manière de travailler, ce qui lui permit d'ajuster ses propres changements au programme déjà instauré. L'ambassadeur, après avoir entendu parler de l'implication de ses nouveaux soldats, vint les saluer en personne tous les matins. Cette attention si particulière avait atteint les oreilles des soldats grecs qui prirent cette action positivement, et furent plus dociles à laisser sa chance au nouveau commandant. Shoto et Katsuki s'étaient aussi installés dans le castrum, alors qu'Izuku dormait dans la maison qu'il avait acheté il y a quelques années. Tous les matins, le jeune marié faisait le chemin de chez lui jusqu'au camp. Il traversait la ville, puis empruntait la même allée qui conduisait à la demeure Yaoyorozu. En effet, le camp de l'armée auxiliaire grecque se trouvait en contrebas de l'immense demeure. Du camp, le lieu d'habitation était largement visible, particulièrement depuis la tente militaire où se trouvait le bureau de Shoto.
Ce matin-là, les anciens compagnons de voyage durant les trois ans, décidèrent de se rejoindre. Ils avaient rendez-vous devant le camp du bicolore, et ils arrivèrent tous ponctuellement. Le groupe de six portait différents uniformes, distinguables par la divergence de couleurs. Tenya avait rejoint une armée auxiliaire à Milan, sa ville natale. Il ne prenait pas le grade de centurion, mais agirait directement sous les ordres de son frère aîné. Son départ, prévu dans deux jours, était la principale raison de leur retrouvaille. De leur côté, Mezo et Fumikage avaient décidé de se joindre à l'armée romaine. Cette décision avait étonné leurs amis, qui les voyaient retourner en Grèce, mais ils se justifièrent en disant que l'alliance se ferait un jour et que servir l'une ou l'autre armée ne changeait rien. Les deux athéniens avaient été mobilisés aux frontières Est, mais eux ne partaient que dans un mois.
Les six étaient restés devant le camp, et s'étaient laissés prendre dans diverses discussions. Mais ils se firent régulièrement interrompre car plusieurs soldats entraient et sortaient du camp. Chacun d'eux saluait Shoto avec un garde-à-vous parfait. Les camarades du bicolores s'étaient gentiment moqués de lui, mais l'avaient surtout félicité d'avoir atteint un si haut grade, le plus haut de toute leur promotion. Son uniforme de soldat ne laissait aucune place au doute quant à la place qu'il tenait aujourd'hui. Des caligae (sandales de cuir) remontées jusqu'en haut de la cheville. Des protections en métal sur les tibias ainsi que des anneaux sur les avants bras et biceps. Il portait une tunica blanche (chemise en laine à manche courte) sous un plastron bleu marine. Et alors que Katsuki et Izuku, qui étaient vêtus d'à peu près le même ensemble, portaient une cape verte, Shoto, lui, avait une cape d'un rouge écarlate attachée à son épaule droite. Après l'inspection de la tenue du bicolore, Fumikaga informa les nouveaux soldats grecs de la place qu'avait obtenue Monoma. Celui-ci faisait partie d'une centurie de l'armée impériale. Loin d'être un poste négligeable, les six ne purent nier qu'il méritait amplement sa place, même si ses supérieurs risquaient de vite regretter de l'avoir choisi lui et son parlé incisif.
Mais alors qu'ils évoquaient leurs souvenirs de leurs nombreux voyages, Shoto vit ses interlocuteurs se tendre, et délaisser subitement leur conversation en cours. Le bicolore remarqua qu'ils avaient tourné leur attention vers une chose derrière lui et il suivit machinalement leur regard en se tournant complètement.
-Eh bien, enfin nous nous rencontrons.
Shoto s'était attendu à la voir. À vrai dire, il avait espéré la croiser depuis un moment déjà. Mais ce qui était certain, c'est que jamais il ne se serait attendu à sa propre réaction. Momo Yaoyorozu était devenue une femme. Distinguée, raffinée, et absolument magnifique. Ses cheveux de jais, déjà longs par le passé, avaient encore poussé. Sa bouche d'un rose rouge léger bien tracée contrastait avec son teint légèrement bronzé. Son cou découvert laissant place, ensuite, à son buste plus aussi sage qu'il y a cinq ans. Et enfin, ses yeux gris rieurs, qui étaient impossibles à quitter du regard. Elle souriait. Mais même avec cet air amusé, Shoto n'arrivait pas à déchiffrer la femme en face de lui.
Les deux restèrent un long moment à se regarder en silence. Les camarades de Shoto en avaient profité pour se séparer et retourner à leurs besognes. Et ce fut en remarquant leur absence que le bicolore dit d'une voix assurée :
-Dame Yaoyorozu.
Le commandant s'inclina, alors qu'elle lui répondit :
.
Une douce chaleur se répandit en lui en entendant sa voix. Shoto en avait la certitude en cet instant. Il sourit et rétorqua :
-Je suppose que je devrais vous remercier.
-Comme beaucoup. Mais je demande tout de même, pour quelles raisons ?
Son mordant, lui, n'avait pas changé :
-N'êtes-vous pas l'instigatrice de ma promotion ?
-C'est vous donner beaucoup trop d'honneur, et me donner beaucoup trop de pouvoir.
Il fronça les sourcils :
-Votre père m'a pourtant assuré que vous nous aviez recommandé.
-En effet, ce fut bien le cas, le soir même où nous avions visité le toit de ma demeure pour la première fois. Mais vous ne devez pas vous méprendre sur mes intentions. Je voulais à tout prix éviter que vos amis et vous soyez sous le commandement de l'Empereur. Des recrues telles que vous sont indispensables dans une armée qui se veut puissante. Ma requête auprès de mon père ne mentionnait cependant que ma volonté de vous voir tous les trois évoluer sous notre bannière. Votre grade d'aujourd'hui, ainsi que celui de vos camarades, n'est dû qu'à la volonté de mon père.
-Tout de même, il n'aurait jamais agi si vous n'étiez pas intervenue.
-Qui sait ? Elle sourit d'autant plus et marqua un silence avant de continuer : Ces trois années ont été longues. Je me demande, qu'est-ce qui a bien pu changer chez vous ?
-Changer ? Je ne ressens aucun changement. Excepté mon uniforme bien sûr. Ou alors mon obsession à toujours vouloir être honnête, peut-être.
Elle leva un sourcil, puis se moqua :
-Cela est-il seulement possible ?
-Douteriez-vous de moi ?
-Surprenez moi Libra.
-Nos conversations m'ont manquées. C'était vrai. Durant mon voyage, j'ai fait beaucoup de rencontres. Mais je crois que c'est avec vous que j'ai préféré converser.
Shoto eut comme l'impression d'avoir gagné quelque chose, car la femme avait tout simplement arrêté de sourire. Fier de lui, il prit un air taquin qu'il n'avait plus arboré depuis longtemps.
-Faites-moi une promesse Libra, ne cessez jamais d'être honnête avec moi.
-Est-ce un ordre ?
Elle ricana :
-J'en ai tous les droits, maintenant que vous travaillez pour mon père.
-Il est vrai. Quel sort me réservez-vous Dame Yaoyorozu ?
Momo quitta enfin leur échange de regard, et en se dirigeant vers son habitation, elle termina :
-Vous le découvrirez en temps et en heure, Libra.
Il la suivit du regard, admirant, les yeux plissés, sa démarche féline et son charisme indéniable. Shoto se sentait bien.
*…*
Le Tribunus Cohortis de l'armée grecque camoufla un bâillement tout en lisant le plan de formation de l'un de ses centurions. Il se maudissait d'avoir cédé à Katsuki qui avait insisté pour passer chez Les frères le soir dernier. Eijiro et Denki, en l'honneur de leur nouvelle promotion, avaient organisé une réception qui dura trois jours et trois nuits. Étant les invités d'honneurs de la fête, Katsuki força ses deux amis à s'y rendre au moins une fois. Ils avaient donc passé toute la nuit dernière à festoyer. Peu sérieux pour le commandant qu'il était, il se jura de ne pas ralentir dans son travail. Ce qu'il fit avec beaucoup d'adresse.
Ce fut dans l'après-midi qu'il consentit à s'étirer sur son siège. Il but un verre d'eau, puis se frotta longuement les yeux. Et en les rouvrant, il fut étonné de voir Izuku.
-Déjà lassé de ses nouvelles fonctions ?
-Je ne vois absolument pas pourquoi tu me poses une telle question.
Izuku rit, puis lui tendit un parchemin :
-Voici mon plan de formation. Je viens de le finir.
Shoto récupéra le papier. Et après l'avoir survolé, il demanda :
-Tu sais où en est celui de Katsuki ?
-Je ne réponds de rien avec lui. Il soupira : Cet imbécile s'est lancé un défi avec les soldats de sa centurie. Si Katsuki arrivait à tenir les trois jours de fête chez les frères, ses soldats le reconnaîtraient comme légitime dans ses fonctions. Et étant un spécialiste, il a vite pu démontrer son savoir-faire en vin. Morale de l'histoire, tu vas devoir attendre quelques jours de plus pour ce plan de formation. Une semaine suffira pour qu'il récupère.
-C'était donc cela la raison de son agitation d'hier soir. Je pensais que Ashido avait encore apporté son merveilleux nectar, et qu'il s'en était servi allégrement.
-Le vin d'Ashido ou sa fatigue, cela fait peu de différence.
Shoto se mit à rire avec son ami.
-Je n'arrive pas à savoir si je dois le sanctionner ou le féliciter. Je veux dire, il a réussi à apprivoiser sa centurie avec un pari des plus ridicules.
-Tu n'as qu'à faire les deux. J'ai entendu dire que les écuries avaient besoin d'un petit coup de ménage. Tu sais ce qu'il te reste à faire.
Izuku lui fit un clin d'œil, et il se remirent à rire en imaginant le blond se plaindre de son sort. Mais les deux furent interrompus par un soldat qui entra dans la tente :
-Commandant. Il se mit en garde-à-vous, puis continua : Dame Yaoyorozu vous fait demander.
Izuku et Shoto avaient donné toute leur attention au porte-étendard [sous-officier devant porter l'étendard de la légion (Unité d'environ 6000-7000 soldats romains, ici l'armée grecque)].
-Demander ? Pour quelle raison ?
-Elle ne me l'a pas spécifié, monsieur.
-Je vois. Il commença à se lever de son siège tout en demandant : Où dois-je la retrouver ?
-Dans sa chambre monsieur.
Shoto avait glissé, et s'était brusquement rassis. Il se racla la gorge, et ordonna :
-Merci Awase, vous pouvez disposer. Le sous-officier se mit en garde-à-vous avant de partir. Le bicolore le suivit du regard tout en évitant celui d'Izuku : Je ne veux pas t'entendre.
Izuku se permit enfin de rire, puis quitta la tente à son tour.
Shoto se trouvait devant l'escalier menant à l'étage de la demeure Yaoyorozu. Il avait hésité une seconde avant d'emprunter les marches, mais s'était décidé en voyant le regard interrogateur de la servante qui le guidait. Le son de ses sandales raisonnait alors qu'il s'approchait de la chambre qu'on lui avait indiqué. La servante l'annonça, puis l'autorisa à entrer dans la chambre.
Comme il s'en doutait, la pièce était très luxueuse. Il eut à peine le temps de remarquer le balcon, que son regard fut attiré par la suivante de la Dame.
, c'est un plaisir de vous voir.
-Le plaisir est partagé Mademoiselle Jiro. Il inclina la tête : Comment vous portez-vous ?
-À merveille. Et vous ?
-Occupé. Excusez-moi d'écourter nos retrouvailles, mais où se trouve votre maîtresse ?
-Oh oui, bien sûr. La Dame peaufine les détails de sa préparation.
-Jiro, j'espère pour toi que tu ne te moques pas de moi devant le commandant de mon père.
Momo arriva d'un autre côté de la chambre sans jeter un regard au bicolore.
-Jamais je ne me permettrais un tel manquement à mon devoir Dame Momo. Le sourire de Kyoka disait pourtant tout le contraire, et Shoto baissa la tête pour camoufler son amusement.
Le regard incrédule, la fille de l'ambassadeur demanda rhétoriquement :
-Et si tu nous laissais ?
Kyoka se mordit l'intérieur de la joue, lança un regard vers Shoto puis vers sa maîtresse et obtempéra enfin.
Le seul homme de la pièce laissa passer la suivante et attendit que celle qui l'avait fait demander parle. Mais elle n'en fit rien, alors il se décida :
-Que puis-je faire pour vous ?
Momo donna l'impression qu'elle venait à peine de le remarquer. Elle répondit cependant instantanément :
-M'escorter.
Il fronça les sourcils :
-Vous escorter ? Où ?
-J'ai eu l'envie soudaine de me dégourdir les jambes et de traverser les rues de Rome. De ce fait, je veux que vous m'escortiez.
-J'ai déjà nommé des soldats pour votre garde rapprochée.
-Je ne veux pas de ma garde rapprochée. Je veux que le commandant de mon armée m'escorte.
Décidemment, Shoto ne comprendrait jamais cette femme.
-Dame Yaoyorozu. Son ton se voulait autoritaire, mais ni elle, ni lui le prit au sérieux.
-Quel est le problème avec ma requête ?
-Le seul fait que vous posiez la question me sidère. Dame Yaoyorozu, j'ai maintenant de grandes responsabilités et je ne peux pas me permettre de vous escorter comme cela. De plus, les gardes chargés de votre pro…
-Je n'arrive pas à croire que vous ayez l'audace de me parler comme à une enfant. Shoto serra la mâchoire. En plus de le couper, elle lui remontait les bretelles. Je suis parfaitement consciente du travail qui vous est réservé dans votre bureau. Cependant, j'ai appris par l'intermédiaire de sources, qu'hier soir vous aviez festoyé votre promotion. Je me suis dit que m'escorter vous permettrez de vous reposer un peu tout en assurant votre devoir. Mais au vu de votre réaction, je suis tentée de le demander au centurion Midorya.
Perplexe, le commandant riposta :
-J'ai du mal à croire que votre requête est simplement due à votre admirable gentillesse.
Elle sourit :
-Est-ce si dur de m'imaginer comme douce et bienveillante ?
-Disons simplement que ce ne sont pas les premiers qualificatifs qui me viennent à l'esprit lorsque je pense à vous.
-Parce qu'il vous arrive de penser à moi ?
-Je ne vous ferai pas le plaisir de répondre à cette question.
Ils se regardèrent un long moment, échangeant un combat endiablé. La femme finit par demander :
-M'escorterez-vous oui ou non ?
Shoto réfléchit sans détacher son regard, puis soupira et se décala pour la laisser passer. Ce qu'elle fit avec un sourire victorieux. Sourire qui dans l'avenir apparaîtra à chacune de leur joute verbale.
*…*
Shoto marchait derrière elle alors qu'ils traversaient les rues de Rome. Le bicolore ne le reconnaîtrait jamais, mais escorter la Dame lui permettait réellement de souffler un peu. Il n'avait plus senti la chaleur du soleil sur sa peau depuis il ne savait combien de jours, mais ce qui était certain c'est que cela lui faisait beaucoup de bien. Depuis son retour, aucune occasion ne s'était présentée à lui, de ce fait, en un mois il n'avait pu redécouvrir la ville.
De jour, Rome était tout aussi belle que de nuit. Le brouhaha des commerçants, ainsi que les rires et discussions des passants animaient les rues, et Shoto ressentit un sentiment étrange d'appartenance. Lui qui haïssait cette ville i peine cinq ans, se sentait comme un membre privilégié de cette puissance aujourd'hui. Son inspection des alentours s'étendit jusqu'aux bâtiments à l'architecture propre des romains. Sans s'adresser un mot, les deux passèrent par les commerces des épices. Une odeur de cannelle, de vanille et de muscade emplit leurs narines un bon moment avant d'être totalement effacée par celles des nombreux commerces de parfums. Shoto fut particulièrement étonné de voir la diversité des produits présents dans les rues. Particulièrement dans l'allée des bijouteries, où des commerçants venus des quatre coins du monde présentaient sur leurs stands des joyaux de toutes les couleurs. Rubis, saphir, et pierre de jade, le bicolore admira sans honte les diverses couleurs brillantes de mille éclats. Et alors que le commandant était sûr que celle qu'il escortait allait s'arrêter devant l'un de ces stands, elle continua son chemin et s'arrêta enfin devant l'allée des primeurs. Il l'a suivi avec étonnement et fut témoin de la passion qu'elle portait devant les fruits et les légumes en tout genre. Un peu en retrait, Shoto la regardait sentir les produits saisonniers et échanger des paroles avec les nombreux vendeurs. Mais pour une raison qu'il ignorait, Shoto se sentit submergé par une tristesse qu'il avait déjà ressenti par le passé. En observant attentivement celle qu'il devait protéger, il eut la possibilité d'entrevoir ce qu'était réellement Momo Yaoyorozu. De ses sourires, à la grâce de sa démarche, le bicolore trouva ce spectacle si mystérieux qu'il en oublia son inspection de Rome.
La Dame et le commandant, après avoir passé un moment dans l'allée des primeurs, reprirent le chemin de la demeure Yaoyorozu. Shoto tenait dans ses bras les quelques achats de Momo. Soupirant pour la dixième fois, elle lui répliqua :
-Arrêtez de vous lamenter sur votre sort. Ce n'est qu'une petite compensation par rapport à ce que j'ai fait pour vous.
L'homme leva les sourcils :
-Ce que vous avez fait pour moi ? Son air incrédule la fit rire.
-Ne me dites pas que vous n'avez pas apprécié cette petite promenade. Avec le répit que je vous ai laissé, vous pouvez maintenant reprendre votre travail convenablement.
-Mon travail était déjà convenable avant que vous me fassiez demander. Si jamais je trouve celui qui vous a informé de ma sortie d'hier soir, je lui ferai regretter amèrement sa manie de divulguer des choses à autrui.
-Je vous en prie Libra, admettez simplement que cette pause vous a été bénéfique. De plus, je devais vous parler de quelque chose et je voulais en profiter avec cette promenade.
-Que se passe-t-il ?
-Détendez-vous, ce n'est rien. Mon père a décidé d'organiser un dîner, dans cinq jours. Il veut présenter à la société romaine ses nouveaux centurions, ainsi que son nouveau commandant. L'Empereur, ainsi que sa famille, y sont conviés. J'ai jugé bon de vous prévenir au vu de ce que nous savons tous les deux. Il serait fâcheux que vous vous trahissiez devant mon père, doué d'une perspicacité terrifiante.
Et Momo avait eu une excellente intuition alors que l'homme derrière elle s'était soudainement arrêtée. Elle le vit plonger dans une réflexion inidentifiable et détourna les yeux pour lui laisser comme une intimité qu'il méritait. Mais alors que Shoto allait parler, il fut bousculé par quelqu'un qui arrivait derrière lui. Il ne bougea cependant pas, et fut étonné de sentir une pression au niveau de ses jambes. Son regard se posa alors sur une petite fille qui s'accrochait de toutes ses forces à lui. La scène fut remarquée par plusieurs témoins qui s'étaient arrêtés dans leur besogne. La petite fille releva la tête et Momo vit son regard terrifié. Elle se recula et fit d'une petite voix :
-Je… Pardon messieurs, je ne voulais pas vous bousculer.
La petite fille portait de vieux vêtements, elle avait des éraflures sur ses pieds nus et ses petites mains étaient recouvertes de terre. Aucun doute, elle était esclave.
Shoto se tourna complètement vers elle et ne la lâcha pas du regard. Il finit par tendre la main, et alors que la petite fille mit ses bras devant elle pour se protéger, Shoto lui posa simplement la main sur la tête. Ce simple geste détendit l'enfant qui le regarda s'accroupir pour être à son niveau.
-Tu ne t'es pas fait mal ? La voix du commandant était d'une douceur infinie. L'enfant secoua la tête négativement ce qui le fit sourire. Comment t'appelles-tu ?
-Eri. La dénommée Eri s'était totalement détendue, et des larmes apparurent dans ses yeux.
Mais le sourire de Shoto s'effaça instantanément en voyant des soldats courir en leur direction. Il se releva et se plaça devant la petite fille dans un geste de protection. Les quatre soldats s'arrêtèrent devant le commandant et l'un d'eux commença :
-Veuillez nous remettre l'esclave, commandant.
La cape de Shoto, signe de son grade, avait au moins intimidé les soldats devant lui. Il profita alors de l'autorité qu'il avait déjà sur eux :
-Premièrement, l'esclave dont vous faites mention est avant tout une enfant. Je vous serais donc gré de l'appeler ainsi. Deuxièmement, je voudrais savoir pourquoi quatre homme soldats poursuivent une simple petite fille.
-L'enfant, le soldat jeta un regard mauvais à Eri, travail dans les champs de coton de Rome, elle doit retourner travailler.
-Qui peut laisser une enfant de son âge travailler dans des conditions si exécrables !? Shoto avait haussé le ton, sa colère était proportionnelle à sa volonté d'avoir une réponse instantanée.
-L'Héritier. Les soldats affichèrent un sourire sardonique. Ils semblaient fiers de pouvoir donner toute autorité à quelqu'un ayant plus de pouvoir que celui en face d'eux.
Shoto ne se démonta pas, et déclara :
-Bien. Si l'Héritier est le maître légitime de cette petite fille, qu'il vienne lui-même me voir. Eri reste avec moi.
La colère montait aussi chez les quatre soldats, et l'un d'eux cria presque :
-Vous n'en avez pas le droit !
-Mais moi si.
Momo Yaoyorozu se mit entre les soldats et Shoto et défia les quatre du regard.
-Dame Yaoyorozu.
Cependant, la Dame ignora le bicolore et continua :
-Je suis la fiancée de l'Héritier Todoroki. De ce fait, j'ai l'autorité de décider si cette enfant doit retourner dans les champs ou non. Je décide de la garder. Vous n'avez qu'à prévenir l'aîné Todoroki, j'en assumerai les conséquences.
L'aura de la Dame ne laissait aucune possibilité à la riposte, c'est pourquoi les quatre soldats s'en allèrent, après avoir lancé un dernier regard de provocation à Shoto et Eri.
Débarrassée d'eux, Momo se retourna vers son commandant et celui-ci fronça les sourcils :
-Pourquoi ?
Et avec un sérieux qu'il n'avait jamais vu chez elle, elle répondit :
-Ce n'est qu'une enfant.
Shoto l'observa un long moment, puis hocha de la tête. Il reporta son attention sur la petite fille en s'accroupissant, et avec la même douceur dans la voix il lui dit :
-Tout ira bien maintenant Eri. Tu vas venir avec moi et Dame Yaoyorozu, et plus jamais tu n'auras à travailler dans un champ.
Eri versa plusieurs larmes avant de s'écrouler de fatigue. Shoto la rattrapa à temps et la porta avec une facilité déconcertante. La petite fille dormait paisiblement, certainement pour la première fois de sa vie. Et d'un commun accord, la Dame et le commandant reprirent le chemin vers la demeure Yaoyorozu.
Momo se muta dans un silence total durant toute la durée de leur retour. Shoto l'avait ramené devant l'immense maison, puis s'était dirigé vers le castrum, avec toujours la petite fille dans les bras. Il lui avait assuré qu'il en prendrait soin, et qu'il avait déjà une idée d'où elle pourrait vivre. La Dame l'avait suivi du regard jusqu'à ce que la petite dune le fasse disparaître complètement. Shoto Libra était un homme étrange. Son nouveau statut aurait pu le changer, et pourtant, il n'avait pas hésité une seconde à secourir une âme ayant besoin d'aide. Son geste, si hétérodoxe, ne faisait que confirmer ce qu'elle avait toujours soupçonné chez lui. Et en cet instant, elle en était certaine, la manie du commandant de l'armée grecque risquait de bouleverser tout ce que le monde connaissait.
