Mission de merde.

Éreinté, les muscles tirés et le souffle court, Livaï s'arrêta quelques minutes, dans un arbre.

Perché à plusieurs mètres du sol, il observa les alentours, silencieux. Tout semblait calme, figé par la clarté de la pleine lune. Pourtant, Livaï savait qu'ils approchaient, ils ne tarderaient pas à le retrouver et à le chasser.

Ses sourcils se froncèrent. Ce devait être une incursion rapide, fiable, à petite échelle, pas un putain de fiasco. Son instinct l'avait prévenu de la mauvaise idée, l'occasion paraissait trop belle. Il les avait avertis. Ils l'avaient congédié.

Et maintenant, il se trouvait en territoire ennemi, entouré par ces foutus clébards, sans camarades — probablement morts —, avec un équipement au bord de la rupture, quelques côtes cassées, mais surtout, sans aucun moyen de cacher son odeur.

Il descendit de son arbre, sans bruit.

Quelques feuilles bruissèrent, il se tourna, chaque main sur une épée, prêt à dégainer.

Un lièvre passa devant lui et le calme revint.

Tant qu'ils pouvaient le suivre grâce à leur odorat, il ne s'en sortirait pas. Dans sa fuite, en omettant son but premier d'en tuer un maximum sous le coup de la colère, il avait tenté de regagner le nord-est pour trouver l'une des grandes rivières.

Livaï ne connaissait pas la distance à parcourir, mais il se savait sur la bonne voie.

Il observa une nouvelle fois le ciel clairsemé puis sa charge de gaz et soupira. Il préféra économiser le peu qu'il pouvait et s'élança en direction de là où devait se trouver la rivière. Une fois dedans, il pourrait brouiller les pistes, et augmenterait ses chances de survie.

Bien qu'il était plus lent qu'un ces quadrupèdes, sa course restait exceptionnelle, tout comme ses capacités physiques.

Il s'appelait Livaï Ackermann, ces chiens le retiendraient.

Des nuages cachèrent la lune, et il insulta Ymir de le détester autant. Courir dans une forêt en pleine nuit était assez compliqué comme ça, la lune n'était pas obligée de se planquer !

Il atteignit la rivière plus rapidement qu'il ne l'espérait et s'y jeta. L'eau lui glaça les membres, tout en les réveillant étrangement. Il s'aspergea le visage et s'engagea à remonter son cours quand un bruit attira son attention.

Ses mains prirent ses armes sans qu'il n'y songe et il se jura que si c'était encore un foutu lapin, il le tuerait pour la forme.

À quelques mètres de lui, un jeune garçon émergea sur le bloc de pierre. Debout, près de la lisière de la forêt et surplombant la rivière, à deux pas de lui.

Ils s'examinèrent, immobiles.

Les nuages furent soudainement balayés. Le mouvement des arbres se transforma en une source de mélodie, l'eau se changea en second ciel, l'herbe tourna en un douillet confortable et les rochers devinrent un escalier à monter pour atteindre ce regard… Ses iris.

Leur temps se figea.

Aucun joyau n'égalait cette splendeur, cette couleur, cette lueur, cette vie. Bordel que c'était beau.

Le garçon s'avança, des oreilles lupines apparurent, le cœur focalisait sur ses yeux, Livaï les ignora.

Le louveteau murmura :

— Bashert ?

Sans attendre de réponse, le garçon se retourna vivement et le temps reprit son cours, les bruits revinrent violemment et Livaï eut le tournis. Il comprit avant même de voir quoi que ce soit que ses poursuivants venaient d'arriver.

Il plongea dans l'eau et s'accrocha aux pierres proches du garçon, cachées par la hauteur des rochers et par l'odeur de la rivière, il retint sa respiration.

L'agitation conquit ses emmerdeurs de chiens quand l'un grogna plus qu'il ne parla :

— Que faîtes-vous ici, jeune Gödi ?

— J'ai entendu l'appel de Mani.

Il y eut un silence troublant, que l'une des gardes rompit :

— Vous devriez rentrer, des Homidés ont passé la frontière, vous pourriez être en danger.

— Vous voulez parler de la personne qui s'est fait emporter ? lança le garçon.

Le cœur de Livaï rata un battement.

Nouveau silence.

— Emporter ?

Il entendit les pieds du garçon bouger.

— Il n'avait pas l'air de nager.

Des murmures et des grognements retentirent de nouveau. Livaï n'entendit pas tout, quelques mots, brides, jusqu'à ce que l'enfant reprenne :

— Vous lui avez fait du mal ?

Les adultes présents ne répondirent pas immédiatement :

— C'est un ennemi, jeune Gödi, il est de notre devoir de l'attraper, ou de le tuer s'il résiste. Il a passé la frontière et il est entré sur nos terres, la loi nous y oblige.

Bien qu'il s'y attendait, Livaï comprit que ses camarades étaient morts, ou n'allaient pas tarder à l'être.

— Donc vous allez l'attraper et le tuer, affirma plus que questionna le plus jeune.

— Nous lui avons infligé des blessures au thorax. S'il s'est fait emporter par le courant, il s'est peut-être évanoui et va se noyer. Nous allons de ce pas suivre la rivière et tenter de le retrouver, répondit l'un des gardes.

Des bruits de pas retentirent, entraînant avec eux les chuchotements du groupe.

Une voix féminine retentit :

— Puis-je vous raccompagner au campement ?

— Non, je veux rester ici encore un peu.

— Jeune-.

— Non, je bougerai pas.

— Vos oreilles…

— C'est Mani, laissez-moi ! lança-t-il d'un ton farouche.

À la place de la louve, Livaï n'aurait pas supporté une seule seconde qu'un gamin lui réponde de cette manière-là.

Il laissa de côté ses émotions et se concentra à nouveau sur le bruit. Plus rien à l'horizon.

Ces enfoirés savaient qu'ils l'avaient blessé. Le point positif, ils étaient convaincus que c'était plus sérieux que la réalité, il allait pouvoir en tirer parti.

Les pas de l'enfant revinrent vers lui.

Hors de question qu'il voit encore une fois ce môme, pensa-t-il vertement. Tant pis pour son gaz, il devait s'éloigner au plus vite et rejoindre la frontière.

Il s'élança à la hâte.

Malgré son intention précédente, il ne put retenir un coup d'œil en arrière. L'étrange regard qu'il aperçut lui retourna l'estomac.

Ce jour-là, Livaï se promit d'écouter bien plus son instinct, quitte à passer pour un idiot ou à fracasser la tête de ses supérieurs.