Warning : mention d'homophobie


24. Démon


- Aimeriez-vous voir un vrai démon, Docteur ?

Le roi avait reposé sa coupe, le fixant avec intérêt. La main du Seigneur du temps se crispa autour de la sienne, ses yeux verts étincelant un instant avant qu'il ne recompose son expression.

Au prix de siècles d'expérience, il se retint d'étrangler le souverain assis en face de lui, préférant se pencher lentement en avant, les mains croisées. Ce fut avec satisfaction qu'il le vit reculer légèrement, se renfonçant dans sa chaise pour mieux s'y tortiller, gêné.

Haussant un sourcil, le Docteur aborda une expression mi-intéressée, mi-amusée.

-Un démon ? répéta-t-il lentement.

Le roi hocha la tête, avant de piocher de nouveau dans son assiette. Autour d'eux, les plats étaient légions, recouvrant la large table de bois.

-Absolument ! Un vrai démon ! Oh, je suis comme vous, Docteur, un homme de sciences. Je ne l'aurai jamais cru si je ne l'avais pas vu de mes propres yeux. Il secoua la main tenant sa fourchette. Voyez-vous, il y a quelques temps, nous avons accueilli un étranger. Il renifla. Enfin, accueilli. Mon fils ainé – il fronça les sourcils – a décidé d'accorder l'hospitalité à un étranger. Ce qui n'est en soi pas un problème, c'est même la tradition, sourit-il en levant son verre dans sa direction.

Le Docteur se força à le lui rendre, levant son verre à son tour.

-La tradition, en effet, sourit-il contre son gré.

-Pourriez-vous imaginer que je les ai retrouvés ensemble, dans le lit de mon fils ? s'indigna le roi, et le Docteur roula des yeux.

-Je n'ose contempler une telle image, murmura-t-il en tentant de dissimuler l'ironie dans sa voix.

Face à lui, le roi secoua la tête, ne prêtant clairement pas garde à la nuance.

-Comme je vous comprends ! Et mon fils osait affirmer qu'il l'aimait ! Un jeune homme toujours si intelligent, j'ai su tout de suite qu'il ne pouvait pas être lui-même. Il avait été ensorcelé. Oh, le démon a bien essayé de se défendre, évidemment, mais qu'aurait-il pu faire contre tous mes hommes ? Mais ce n'est pas la seule preuve de sa nature démoniaque, oh, non, Docteur.

Il frissonna, une lueur de peur traversant son regard, et le Seigneur du temps dut une nouvelle fois lutter pour ne pas l'étrangler.

-Non ? répéta-t-il lentement.

Le roi secoua la tête, un nouveau frisson le traversant.

-Non ! Il était bel et bien mort, je peux l'affirmer, j'ai vérifié. Mais quelques instants plus tard, il.. s'est réveillé.

Le regard exorbité, l'homme le fixa, sa main crispée sur sa coupe.

Le Docteur se pencha davantage en avant, ses longs cheveux bruns tombant autour de son visage.

-Fascinant. Me serait-il possible de le rencontrer ?


Sans surprise, les cachots étaient sales, froids et humides.

Une torche à la main, le Docteur roula des yeux, tout en se dirigeant à grands pas vers la cellule contenant Jack. Il n'avait pas besoin d'être guidé, l'énergie du vortex émanant de l'immortel le transformant en un point lumineux pour le Seigneur du temps qui dut lutter pour ne pas courir.

Diable, mais Jack se fourrait toujours dans des situations impossibles.

Ses lèvres se plissèrent, en même temps qu'une nouvelle vague de hargne l'envahissait.

Pauvre Jack. Combien de fois encore devrait-il subir de telles situations ? Combien en avait-il vécu seul, sans jamais personne pour l'aider ?

Combien de fois avait-il eu besoin de lui, et n'avait-il pas été là ?

Sans un mot, il s'arrêta en face de la porte de bois, avant de tirer une clé du trousseau fourni par le garde. L'homme avait refusé de l'accompagner, clairement terrifié, non pas que ce soit un problème, bien au contraire.

Le moins de monde sur leur route pendant leur fuite, le mieux.

Le Docteur n'était pas certain d'être capable de contenir sa rage si jamais ils croisaient un garde.

La porte s'ouvrit en un long crissement, révélant une cellule sombre et humide. Le Seigneur du temps plissa les yeux, avant de sourire lorsqu'ils se posèrent sur une silhouette de grande taille, assise sur un banc de pierres. Presque immédiatement, la voix de l'immortel résonna, moqueuse et froide.

-Envie de voir le monstre, gamin ? Jack leva les bras, révélant ses poignets enchainés. J'espère que tu as amené à manger, je n'ai rien à t'offrir.

Le Docteur plissa ses lèvres, son sourire retombant immédiatement. D'un geste sec, il sortit son tournevis sonique de sa veste, avant de le diriger vers les chaines. Un zip, et celles-ci tombèrent au sol dans un bruit sourd. Les yeux de Jack s'écarquillèrent, et il sauta sur ses pieds, frottant ses poignets.

-Toujours aussi orgueilleux, à ce que je vois. Et incapable de veiller sur lui-même. Je ne pourrai pas toujours être là pour vous, capitaine.

-Docteur ? Doc, souffla celui-ci, en le fixant, ébahi. Vous..

-Evidemment que je suis venu, pesta l'intéressé en remontant la distance les séparant, avant de le saisir par les bras, le fixant avec intensité. Comment allez-vous ? Non, ne dites rien, le coupa-t-il en levant le doigt. Je sais. Epuisé. Affamé, murmura-t-il en notant son visage pâle et la maigreur de ses joues sales. Vous pensez que vous pouvez courir ? Le Tardis est derrière le château, mais on peut y accéder depuis le bout de ce couloir. La porte ne s'ouvre que dans ce sens, cependant, c'est pour cela que j'ai dû m'infiltrer dans les rangs du roi, plus jamais, vous m'entendez ? Un individu écœurant, vraiment, je m'en serai passé, si ce n'était pour vous,ne vous inquiétez pas, une fois que vous êtes à l'abri, je m'occuperai de lui, il.. Quoi ?

Jack le fixait, un léger sourire aux lèvres.

-Quoi ? répéta-t-il en fronçant les sourcils.

-Vous êtes venu, murmura doucement l'immortel.

Le Docteur fronça davantage les sourcils, avant de se passer la main dans les cheveux, irrité.

-Evidemment que je suis venu, répéta-t-il dans un murmure, avant de céder à une impulsion et le prendre dans ses bras. Quand j'ai entendu parler de la légende..

Les lèvres de Jack s'étirèrent en un sourire amer, en même temps qu'il lui rendait son étreinte.

-Le démon immortel ? Plutôt pas mal comme surnom, j'ai eu pire.

-Jack ! Le Docteur le fixa, choqué. Ce n'est pas un concours ! Vous n'êtes pas un démon !

Un rire amer échappa à l'intéressé.

-J'ai bien peur que les petites gens de ce pays ne sont pas d'accord avec vous, Doc.

-Ce sont des incultes ! Des pleutres ! Des.. Des.. mal-pensants ! Des gens indignes ! Vous n'êtes pas un monstre, Jack !

-Je reviens à la vie, Doc, soupira-t-il. Je ne peux pas leur en vouloir. Ce ne serait pas la première fois, vous savez.

Il regretta ses mots aussitôt lorsqu'une lueur sombre traversa le regard vert du Seigneur du temps.

Derrière le visage de l'enfant éternel, la Tempête bouillonnait.

-Jack. Lorsqu'il parla, c'était avec la colère de l'être âgé et expérimenté qui se dissimulait derrière son masque. Vous n'êtes pas un monstre, ou un démon, ou peu importe les mots que vous avez entendus. Il pressa plus fort ses bras, sa rage évidente. Ce qui vous est arrivé est.. terrible. Horrible. Une vague de chagrin traversa son regard. Et je suis si, si désolé, murmura-t-il, avant de caresser son visage, ses doigts s'attardant sur ses joues sales et la barbe qui y avait poussé. Mais ce n'est pas votre faute. Cela ne l'a jamais été, et cela ne le sera jamais. C'est bien clair ?

Malgré lui, Jack sentit un reniflement lui échapper. Il baissa la tête, tentant de dissimuler ses larmes. Que ces mots viennent du Docteur, du nouveau Docteur, celui qui avait immédiatement suivi la version précédente, si froide et si distante, si méprisante.. Une nouvelle vague d'émotion le saisit, et il ne put contenir ses larmes.

-Doc…

-Vous êtes mon compagnon, Jack, et mon ami. Rien ni personne ne changera cela, et je ne laisserai personne – il pressa plus fort son bras, son expression féroce et si dangereuse – absolument personne vous insulter.

-Vous ne serez pas toujours là, Doc, murmura-t-il doucement.

-Mais toutes les fois où je le serai, je vous protégerai, répliqua le Seigneur du temps, sa voix ferme ne laissant la place à aucun débat. Son expression se fit chagrinée. Je suis désolé que cela m'ait pris tant de temps. Combien..

Jack haussa les épaules, mais une lueur hantée traversa son regard lorsqu'il murmura :

-Pas longtemps ? Un mois ?

-Un mois, répéta-t-il, les mots tremblant dans sa bouche. Un mois. Oh, Jack.

Un mois seul. Un mois enfermé, humilié, insulté.

Un mois sans personne pour l'aider, le sauver.

-Jack.. Mon Jack.. Je suis désolé, murmura-t-il en embrassant son front, avant de le serrer contre lui. Est-ce que vous pouvez marcher ? Nous pouvons attendre, mais les gardes risquent de s'interroger..

-Vous plaisantez ? Tout plutôt que de rester dans ce trou humide, grimaça l'immortel.

Le Seigneur du temps lui sourit, avant de saisir sa main.

-Dans ce cas.. géronimo !