Salut tout le monde !
Bienvenue à l'orée de cette nouvelle histoire. J'espère qu'elle vous plaira, n'hésitez pas à me laisser votre avis, un encouragement ou des critiques, tout est toujours bon à prendre (mais les critiques ne sont pas obligatoires hein !). Pour le moment, j'ai quelques chapitres d'écrit d'avance que je suis en train de retravailler car certains éléments ne me convenaient pas pour la suite mais dans l'ensemble, cette histoire risque d'être loooongue... Je préfère vous prévenir d'avance !
Sur ce, je vous souhaite une bonne découverte de ce premier chapitre et j'espère vous retrouver nombreux pour la suite. Je pense que j'essaierai de poster un chapitre toutes les une ou deux semaines, en fonction de mes disponibilités (qui ne sont pas forcément très nombreuses malheureusement) et de mon avancée dans l'écriture. Chaque review me pousse à écrire plus vite donc lâchez-vous si vous voulez la suite ;)
Bonne lecture !
1. De la vie à la mort
« Dans un décès, il y a un moment de transition. De la vie à la mort. Du plein au vide. Là, et puis plus là. »
Karen Marie Moning, Dreamfever
La guerre faisait rage, ardente, impétueuse, cruelle. Elle s'était faufilée à l'aube et semblait prête à durer jusqu'au crépuscule, voire même à s'étendre au milieu des ombres de la nuit. Celle qu'on surnommerait la Dernière Bataille, la Bataille Finale ou encore la Bataille de Poudlard, se déroulait dans les cris et les larmes, dans le sang et les flammes, dans l'effort et la peur, dans la folie et la mort.
Sur le champ de bataille, il n'y avait plus que désolation, fumée et cendres. Le château, qui avait jadis été un refuge pour de nombreuses générations d'étudiants, n'était plus que ruines et poussière. Les sorts volaient, les corps se fracassaient contre les pierres qui s'éclataient elles-mêmes contre le sol dur du terrain. Les murs cédaient, terrassés par les flammes et les explosions.
La peur, la douleur et la rage semblaient s'être personnifiées, accompagnant les combattants qui lançaient des sorts à toute allure, esquivaient et se jetaient dans la foule, parfois sans même être certain de l'identité de la personne qui leur faisait face. Il n'y avait plus de héros, plus d'alliances, plus de stratagèmes, plus de bravoure, plus de lâcheté. Il n'y avait plus que la crainte de lendemains pétrifiés, l'agonie des destins atrophiés, l'éclat foudroyant de la mort.
Il n'y avait plus que la survie, ou la mort.
Et dans une pièce étroite d'une vieille baraque abandonnée et prétendument hantée, il y avait deux hommes aux destinées ténébreuses. Ils ne le savaient pas à ce moment-là mais les deux tomberaient avant le crépuscule. Il restait encore toutefois la possibilité que l'un des deux s'en relève…
– Il ne peut en être autrement, répliqua Lord Voldemort de sa voix sifflante. Je dois maîtriser cette baguette, Severus. Maîtriser la baguette pour maîtriser enfin Potter.
Le mage noir responsable de la guerre qui faisait rage avait finalement compris que la baguette de sureau ne lui obéirait pas tant qu'il n'en serait pas le réel propriétaire. Il avait compris qu'il devait tuer son propriétaire actuel pour gagner.
Severus Snape avait fini par penser, espérer peut-être, que ce moment n'arriverait jamais. Il se rendait compte à présent d'à quel point il s'était voilé la face. Pourtant, s'il était tout à fait honnête avec lui-même, il ne pouvait nier qu'il en avait toujours eu conscience. Il n'avait jamais été le héros de cette histoire, seule la mort pouvait l'attendre au bout du chemin.
Heureusement, Severus pouvait toujours se féliciter en se disant que la stratégie qu'il avait mise en place depuis plusieurs années avait payé. Voldemort n'avait pas tout compris. Il avait manqué l'essentiel et ne le comprendrait que trop tard. Severus Snape n'était pas et n'avait jamais été le maître de la baguette de sureau. Et malgré l'ombre de la mort qui planait au-dessus de lui, Severus se retenait difficilement de sourire face à cette idée.
La pensée qu'il pourrait éventuellement sauver sa vie en révélant toute la vérité à Voldemort le traversa un instant. Mais après tous ses efforts, tout ce qu'il avait sacrifié pour en arriver là, serait-il capable de tout envoyer valser au dernier moment, simplement pour espérer vivre un peu plus longtemps ? Il savait bien que non. C'était de toute façon sans garantie. Et il s'était préparé à ce moment, son dernier. Il l'avait presque désiré. La mort semblait au final plus simple que tout ce qu'il avait enduré au cours de sa vie.
La cage du serpent Nagini, l'animal de compagnie de Voldemort, son horcruxe vivant, abritant un morceau de son âme, tournoya dans les airs à quelques centimètres du mage noir. Avant que Severus n'ait pu faire autre chose que pousser un cri qu'il fut bien incapable de retenir, elle s'étira brusquement et lui entoura la tête et les épaules.
– Tue.
Le mot avait été prononcé en fourchelang mais Severus l'avait suffisamment entendu, lors de réunions organisées par Voldemort, pour connaître sa signification mortelle. Il revoyait encore tous ceux qui avaient succombé sous ses propres yeux suite à cette injonction. Qui aurait cru qu'il finirait comme eux ?
Severus avait toujours pensé que la mort s'accompagnait automatiquement de la peur. Telles deux grandes amies, il les imaginait s'approchant de leurs victimes inconscientes pour mettre un terme à leurs existences fugaces, broyant tout espoir sur leur passage. Personne ne pouvait leur échapper, inséparables compagnes, elles emportaient tout, rêves, exploits, défaites, joies, déceptions, chagrins, ne laissant qu'une enveloppe vide et terne derrières elles.
Mais alors qu'il voyait se profiler ses derniers instants, Severus ne put s'empêcher de se demander pourquoi il n'avait pas peur. Peut-être était-ce parce qu'il s'était douté qu'il ne réchapperait pas de cette journée. Peut-être que la peur était tout simplement trop occupée à hanter le champ de bataille à proximité.
Il n'avait de toute manière pas souvent eu peur au cours de sa vie. Plus depuis qu'il n'était qu'un petit garçon ignoré par sa mère et frappé par son père. Il avait appris à enfermer la peur et à passer outre, pour pouvoir survivre. Depuis ce jour où, lorsqu'il avait six ans, il avait décidé qu'il n'aurait plus jamais peur, ça avait bel et bien été le cas.
Il n'avait pas eu une enfance facile. Il avait rapidement appris à vivre dans l'ombre, pour se cacher, s'effacer, se faire oublier. Pour survivre. Il avait passé de nombreuses heures à apprendre, fouillant dans les anciens livres d'école de sa mère, qu'il avait débusqués au fin fond de la cave, sous une épaisse couche de poussière. Il avait mémorisé tous les sortilèges et toutes les potions qui pourraient l'aider à se défendre.
Et puis il avait rencontré Lily Evans et sa vie avait basculé sans qu'il ne puisse rien faire pour empêcher ce grand chamboulement. Ce jour-là, Severus avait huit ans. Il avait fui dans un parc car son père avait trop bu et qu'il devenait d'autant plus violent lorsqu'il se retrouvait dans cet état-là. Il se souvenait encore de la première impression que Lily lui avait faite.
Severus, d'humeur maussade, s'était assis sur une branche d'arbre, dissimulé des autres par les feuillages. Il avait toujours apprécié prendre de la hauteur sur le monde, comme si ça pouvait l'éloigner des bassesses dont les gens étaient capables.
Il lisait un épais livre de potions. C'étaient ses préférés, malgré la complexité qu'ils représentaient pour un enfant de son âge. Il adorait se plonger dedans et découvrir toutes les possibilités qui s'offriraient à lui dans quelques années. Il y avait des potions pour tout, ou presque. Quel que soit l'effet recherché, il semblait possible de créer une potion pour l'obtenir. Il suffisait de mélanger les bons ingrédients, ça paraissait être un jeu d'enfant. Et Severus avait hâte d'allumer son premier feu sous un chaudron.
Plongé dans sa lecture, l'attention du garçon avait cependant été attirée par un mouvement un peu plus bas. Severus avait levé les yeux de son bouquin et les avait laissé glisser sur les environs. La première chose qu'il avait remarqué, c'était la fleur qui était en train d'éclore bien plus vite qu'elle n'aurait dû. Un frisson l'avait parcouru quand la vague de magie brute responsable l'avait atteint. Il l'avait identifié sans mal, ce picotement qui envahissait tout son être. Et ça avait attisé sa curiosité.
Il avait posé son livre et changé de branche, doucement, pour ne pas être repéré. Il avait écarté légèrement les feuillages et il l'avait vue. Elle était assise dans l'herbe, entourée de fleurs qui s'épanouissaient tout autour d'elle, dévoilant des dizaines de couleurs qui rendaient la scène encore plus magique. Le soleil éclairait le spectacle, faisant ressortir toutes les teintes et notamment le roux flamboyant de la longue chevelure de la fillette. Lily resplendissait. Elle semblait être toutes les couleurs en une. Un grand sourire illuminait son visage, ses yeux émeraudes étincelaient de vie et de joie. Il l'avait trouvée magnifique.
Severus avait senti son cœur fondre pour elle ce jour-là. Puis, il était revenu très souvent, dans cet arbre, en espérant la croiser de nouveau. Ce qui avait été le cas, pour son plus grand bonheur. Pour la première fois de sa vie, Severus avait été heureux. Il avait commencé à croire qu'il n'avait juste pas eu de chance jusqu'à ce jour et que le monde n'était peut-être pas aussi noir que ce qu'il avait pu penser.
La suite lui donna tort. Mais il ne le savait pas encore à cette époque, ce qui lui avait permis de profiter de Lily, d'abord en l'espionnant du haut de son arbre, la découvrant peu à peu, jusqu'à ce qu'il ose finalement l'approcher. Severus avait trouvé en elle une personne en or. Il lui avait appris sa condition de sorcière et ils étaient devenus inséparables jusqu'à leurs onze ans.
Juste avant leur départ pour Poudlard, Lily et Severus s'étaient promis de toujours être là l'un pour l'autre, toujours unis. Depuis, il avait toujours tenu cette promesse, même s'il avait fini par repousser la rousse lorsqu'il avait compris que sa vie ne serait toujours que ténèbres. Il ne voulait pas prendre le risque de ternir Lily. Elle méritait de briller. Le monde, aussi obscur et funeste lui paraissait-il, méritait qu'elle brille.
Severus avait fini par tenir la rousse à l'écart mais il n'avait jamais failli à sa promesse. Le fait que la rousse ne lui retourne pas des sentiments d'une force équivalente aux siens, alors qu'elle l'avait laissée l'éloigner de lui sans se battre, trop confuse dans ses sentiments, et qu'elle avait choisi James Potter à sa place, ne l'avait pas empêché d'être prêt à tout pour elle, son amie d'enfance. La seule personne qu'il avait réellement laissée entrer dans sa vie.
Il avait été prêt à tout, jusqu'à essayer de marchander avec le Seigneur des Ténèbres pour qu'il lui laisse la vie sauve. Il avait toujours été prêt à tout pour elle, mais depuis ce fameux jour de sixième année où il avait pris la décision de l'éloigner de lui, il l'avait été discrètement, dans l'ombre, sans qu'elle ne le remarque.
Même après sa mort, quand il avait appris que le fils de Lily avait survécu, il n'avait pu que reporter sa promesse sur lui. Comme un exutoire pour ne pas avoir réussi à la sauver, elle. Alors il avait repris son rôle de protecteur de l'ombre, prétextant ne pas avoir le choix à cause de son rôle d'espion. Et ce, malgré l'identité du père de l'enfant.
Il avait toujours haï James Potter, du premier jour où il avait fait sa connaissance sur le quai 9 ¾ le jour de sa première rentrée à Poudlard, alors qu'il s'était moqué de lui, jusqu'à son dernier jour, lorsqu'il n'avait pas été capable de sauver sa femme. Dès le début, ils s'étaient lancés dans une guerre sans merci, James et les maraudeurs d'un côté, Severus de l'autre. Il avait pu user de toutes les connaissances qu'il avait assimilées avant son entrée à Poudlard pour apprendre toujours plus et les tenir en respect au bout de sa baguette malgré leur supériorité numérique.
Intérieurement, Severus avait excusé son apprentissage toujours plus sombre en prétextant qu'ils ne lui laissaient pas le choix. Il n'avait jamais été apte à reconnaître, même au plus profond de lui-même, que tout était simplement dû à une espèce d'addiction. Il était devenu addict aux connaissances, au pouvoir. Pour ne plus jamais se sentir aussi impuissant et effrayé que lorsqu'il avait eu six ans. Au final, le seul obstacle qu'il avait rencontré sur sa route avait été Lily, qui l'avait souvent supplié d'arrêter de se plonger à corps perdu dans la magie noire.
Il se souvenait encore de ce qu'il lui avait répondu un jour : « La magie n'est pas blanche ou noire, Lil'. Ce sont les sorciers qui lui ont donné ces couleurs. La magie est comme toi, elle est toutes les couleurs en une. Certaines nuances sont plus sombres certes, mais tant que tu en as pleinement conscience et que tu les traites comme il se doit, alors tu ne risques pas plus qu'avec les plus claires d'entre elles ».
Aujourd'hui, il savait qu'il avait eu tort. La magie sombre venait toujours avec un prix. Les nombreuses runes de protection qu'il avait tatoué sur son corps au fil des ans en étaient bien la preuve. Mais à l'époque, il l'ignorait encore et s'il voulait être tout à fait honnête, alors qu'il s'apprêtait à rencontrer la faucheuse, il devait avouer que tout ça, c'était au final la raison pour laquelle il avait repoussé Lily.
Pas à cause des maraudeurs, pas à cause de la mort de sa mère sous les coups de son père, pas à cause de la planification du meurtre de son père, pour venger sa mère et sa propre enfance, pas non plus à cause de ses fréquentations de plus en plus limites et préjudiciables au sein des Serpentard, et encore moins à cause du statut sanguin de la rousse. Non. C'était l'attrait de la magie, sous toutes ses couleurs, qui l'avait entraîné à l'éloigner, pour qu'elle ne l'empêche pas de continuer sa route, aussi sinueuse soit-elle.
Alors oui, sa vie aurait pu être différente. Mais non, il ne le regrettait pas. Parce qu'il était toujours autant addict et que la mort n'était au final qu'une étape supplémentaire nécessaire pour découvrir les ultimes secrets de l'existence. Si c'était le prix à payer, cette fois, il était prêt. Et puis, à présent que Lily était morte et que son fils était sur le point de mener son camp à la victoire et mettre un terme à la guerre, il n'avait plus de promesse à tenir. Il n'avait plus de rôle à jouer. Il n'avait de toute façon aucune envie de voir le résultat de tout ça.
Le serpent ondula dans sa cage de lumière qui s'étendait à présent jusqu'aux épaules de Severus, incluant sa tête. Blêmissant quelque peu, appréhendant la douleur qui ne manquerait pas de survenir, Severus l'observa approcher rapidement, à une vitesse impressionnante étant donné sa taille.
Les écailles sombres de Nagini reflétaient les scintillements de la cage de lumière, lui donnant une couleur presque irréelle. Ses prunelles jaunes exprimaient toute l'excitation que le serpent ressentait actuellement. Ses pupilles étaient presque restreintes à un unique léger trait noir. Nagini ne cilla pas une seule fois avant d'ouvrir sa gueule, laissant ses crocs apparaître, luisants d'un blanc éclatant qui tranchait profondément avec la couleur sombre de ses écailles.
Moins d'une seconde plus tard, un cri de douleur âpre passa la barrière des lèvres de Severus tandis que les crocs de Nagini se refermaient sur son cou. Il sentit ses chairs se percer puis se déchirer. Il sentit le venin pénétrer son corps, courant dans ses veines tel un feu ardent et incontrôlable. Il sentit le sang commencer à dégouliner sur sa robe de sorcier, qui heureusement était noire.
Il faillit sourire face à sa pensée mais tout ce dont il fut capable fut de s'écrouler au sol lorsque la bulle de protection le libéra tandis que Nagini rejoignait son maître.
– Je regrette.
La voix froide de Voldemort atteignit à peine les oreilles de Severus. Il mit plusieurs secondes à réellement en comprendre le sens. Il voulut hurler au mage noir toutes les vérités qu'il avait gardées pour lui pendant tant d'années : son rôle d'espion, son dégoût pour la cause que l'homme prônait, ses actions pour protéger Lily et son enfant, ses plans pour mener le mage noir à sa perte.
Pas un mot ne sortit toutefois. Il était encore trop tôt, tout n'était pas fini et il ne voulait pas envoyer paître tout ce pour quoi il s'était battu depuis tout ce temps. Il n'en aurait de toute façon sans doute pas été capable, en réalité. Il était déjà trop tard. Le sang ne cessait de couler de sa blessure, s'échappant de son corps comme la vie elle-même. Ses organes brûlaient littéralement du venin déversé par Nagini. Ce n'était pas une belle mort. C'était une mort douloureuse et sanglante.
Voldemort s'était peut-être douté de quelque chose au final. Peut-être était-ce pour cela qu'il ne l'avait pas simplement tué de sa baguette. Il avait préféré ne pas prendre de risques, envoyer son serpent, son horcruxe vivant dont il ne doutait pas une seconde de la réussite. Qu'importe que son prétendu disciple mette quelques minutes à périr dans d'atroces souffrances ! Tout ce qui comptait vraiment, c'était le résultat, pas le chemin emprunté.
Les yeux de Lily apparurent dans le champ de vision de Severus. Ce vert émeraude qui l'avait tant fasciné, qu'il avait tant aimé. Il ne lui fallut qu'une seconde, ou du moins ce qu'il supposait être une seconde alors qu'il perdait peu à peu toute notion du temps, pour comprendre que ce n'était pas Lily qui se tenait près de lui mais son fils. Harry Potter. L'Élu, le Sauveur du monde sorcier, l'enfant qu'il s'était fait un devoir de protéger mais à qui il n'avait jamais voulu s'attacher.
Il n'avait fait que le repousser. Il avait mis ça sur sa filiation paternelle et sa ressemblance avec son ennemi James Potter, pour se justifier. En réalité, il avait eu peur que le garçon ne ressemble un peu trop à sa mère. Il avait repoussé Lily. Il avait repoussé Harry pour les mêmes raisons, restant simplement dans l'ombre tel qu'il l'avait été pour sa mère, pour tenir sa promesse.
A présent que le garçon était là, devant lui, il restait un dernier rôle à jouer à Severus, le plus amer de tous. Quand Dumbledore lui avait révélé la vérité, il avait failli s'effondrer, renoncer, tout laisser tomber. Quelle était donc cette ironie malsaine qui l'empêchait jusqu'au bout de tenir la promesse qu'il avait faite, vingt-sept ans plus tôt ? Serait-ce au final son seul regret ? N'avoir pu protéger Lily, pas plus que son fils ?
Severus l'avait sincèrement pensé pendant un temps, avant de se raisonner. Il les avait protégés autant qu'il l'avait pu, leur permettant tout de même de vivre un minimum. Et même si ce n'était pas parfait, leur destiné sinistre aurait de toute façon empêché qu'il en fasse plus.
A présent, la seule chose qu'il lui restait à faire, c'était de remettre ses souvenirs à Harry Potter, pour que le jeune homme comprenne quel était véritablement son rôle dans la guerre qui faisait rage. Il n'était pas là pour se battre. Il était là pour mourir.
Severus attrapa donc comme il put le jeune homme par sa chemise et le tira contre lui.
– Prenez-... les... Prenez-... les...
Un gargouillement abominable sortit de la gorge de Severus au lieu de sa voix. Il sut qu'il avait tout de même été compris lorsqu'il sentit la fraîcheur d'une fiole contre sa joue. Le soulagement l'étreignit et il relâcha l'adolescent, laissant retomber mollement sa main qui frappa le sol dans un bruit sourd, finalement prêt à accueillir la faucheuse.
Un clignement d'yeux plus tard, les prunelles vertes avaient été remplacées par un regard ambré dont les nuances lui rappelèrent instantanément la teinte particulière du firewhisky, cette boisson qu'il s'efforçait toujours de boire avec parcimonie, même dans les pires moments, pour ne pas ressembler à son père. Cette boisson tentatrice qu'il évitait particulièrement lorsqu'il risquait d'avoir affaire à Voldemort, pour ne pas fragiliser ses barrières mentales.
Severus resta un instant perplexe avant de reconnaître ses prunelles. Il ne put s'empêcher de se dire qu'il aurait préféré qu'elle ne le voit pas ainsi. Pas parce qu'il ne voulait pas qu'elle le voit dans un moment de faiblesse – à l'orée de la mort, il se rendit compte que tout ça ne présentait plus aucun intérêt – mais pour la protéger, pour la soustraire à la vision de sa mort.
Ça ne devait pas être beau à voir. Il le savait. Parce que ses prunelles, habituellement si brillantes et si vivantes, étaient éteintes, ternes, vides.
Il ne comptait plus le nombre de fois où il s'était discrètement perdu dans la contemplation de ces yeux, attiré malgré lui par leur couleur ambrée et leur profondeur insoupçonnée.
La première fois qu'il avait posé ses yeux sur elle, il l'avait immédiatement classée dans la case des personnes insignifiantes qu'il était sommé de côtoyer quotidiennement de par son statut de professeur. Il s'était laissé tromper par son air enfantin, le regard émerveillé qu'elle posait sur tout ce qui l'entourait et sa timidité réservée. Elle lui avait paru n'être qu'une enfant parmi tant d'autres, aux dents trop longues et à la crinière indomptable.
Rien dans son apparence ne lui avait laissé présager l'esprit aiguisé qu'elle possédait. Mais même lorsqu'il s'était étonné de la justesse et de la précision des premiers devoirs qu'elle lui avait rendu, même lorsqu'il avait apprécié l'adresse avec laquelle elle confectionnait ses potions, il n'avait vu en elle qu'une élève brillante et réservée. Une miss Je-sais-tout, un rat de bibliothèque qui ne sortait jamais sa tête de ses livres.
Il n'avait pas fait le parallèle avec la façon dont lui-même s'était comporté à son âge. Il s'était refusé de voir en elle une ébauche de celui qu'il avait été. Parce que son enfance tordue l'avait forcé à se comporter tel qu'il l'avait fait et, rien dans l'attitude de la jeune fille ne laissait supposer qu'elle ait pu avoir une enfance difficile. Elle semblait juste inapte à se mêler aux autres.
Il lui avait fallu plusieurs années pour reconnaître son erreur, malgré tous les indices dont il avait disposé. Il avait été plus que surpris lorsqu'en première année, elle avait combattu un troll avec ses acolytes puis résolut son énigme comme s'il s'était agi de la devinette la plus simple de l'univers. Il avait préféré mettre ça sur le coup de la chance.
Lors de sa seconde année, il avait mis plusieurs mois à comprendre que c'était elle qui avait volé des ingrédients dans sa réserve et encore plus à saisir comment elle s'était débrouillée pour le faire. Le fait qu'elle soit parvenue à réaliser une potion de polynectar parfaite du haut de ses douze ans avait commencé à éveiller son intérêt pour elle.
En troisième année, il l'avait suffisamment observée pour comprendre qu'elle avait trouvé un moyen de se procurer un retourneur de temps pour assister à davantage de cours. Il se souvenait encore de la dispute qui l'avait opposé à Minerva McGonagall à ce propos. Qu'est-ce qui avait bien pu passer par la tête de cette sorcière pour autoriser une telle pratique chez une enfant de treize ans, aussi studieuse soit-elle ?
Pendant sa quatrième année, il l'avait vu évoluer pour se rapprocher de la femme qu'elle allait devenir. Véritable lionne jusque dans son apparence, il l'avait vue s'affirmer et braver les interdits, tout en assurant sa loyauté à ses amis. Il l'avait vue se chercher et il s'était persuadée que personne ne la connaissait réellement, tant elle semblait montrer des facettes différentes de sa personnalité à chaque personne avec qui elle interagissait, s'adaptant constamment aux autres.
Lors de sa cinquième année, il l'avait surveillée dans l'ombre, ayant finalement compris qu'elle était celle de son trio d'amis à surveiller de plus près. Si les deux autres s'embourbaient dans les ennuis, elle serait là. Et il avait réalisé qu'elle n'était pas en reste lorsqu'il s'agissait de faire preuve de bravoure. Il l'avait vu monter une organisation de défense, réussissant l'exploit de regrouper des étudiants de presque toutes les maisons dans un même but. La seule chose qu'il aurait pu lui reprocher, au final, restait cette aversion qu'elle semblait avoir pour les Serpentard, comme tout bon Gryffondor qui se respecte.
Et en sixième année, il avait pu observer sa puissance augmenter. Elle apprenait à une vitesse hallucinante, maîtrisant avec une facilité déconcertante des sortilèges qui dépassaient le niveau qu'elle aurait dû avoir. Il l'avait vue se préparer à la guerre, soutenant ses amis et apprenant visiblement tout ce qu'elle jugeait d'utile pour la suite, comme si elle sentait déjà que l'accès illimité qu'elle possédait au savoir que contenait la bibliothèque de Poudlard ne lui serait pas acquis pour très longtemps.
Il avait remarqué cette façon qu'elle avait conservé depuis ses onze ans d'analyser tout ce qu'il y avait autour d'elle en permanence, avec une précision qui frôlait la perfection. Plus d'une fois, il avait eu l'impression qu'elle n'était qu'à un doigt de mettre à jour sa condition d'espion double et de percer le moindre des secrets de son existence.
Pourtant, elle, elle ne s'était jamais départie d'un certain voile de mystère. Il avait vu en elle la jeune fille studieuse, l'intello, la timide, la téméraire, la gentille, la passionnée, la puissante, la juste, la loyale. Mais il avait également perçu, parfois, la solitaire, la cachotière, l'incertaine, la rancunière. Des facettes de sa personnalité qu'il ne savait pas à quoi attribuer et dont il ne savait que faire.
Il se doutait ne connaître lui-même que ce qu'elle lui laissait percevoir et il n'était pas habitué à ça. Il n'était pas habitué à ne pas tout connaître des autres et à se retrouver presque devant un mur lorsqu'il essayait de creuser plus loin. Habituellement, il lui suffisait d'un regard pour cerner les ambitions, les fantasmes et les craintes des autres, même sans user de Legilimancie. Mais ça n'avait jamais fonctionné avec elle. Et il ne s'était jamais résolu à user de la magie pour sonder en profondeur son esprit, peut-être par crainte de n'y trouver qu'un reflet de ce qu'il était lui-même.
Lorsqu'elle était partie, en septième année, avec ses deux acolytes, à la chasse aux horcruxes de Voldemort, il avait été intrigué et rassuré. Il était persuadé que ni Harry Potter, ni Ron Weasley n'auraient pu s'en sortir sans elle dans toute cette aventure. C'était la seule qui s'était donné la peine de préparer un minimum les choses. Et il avait été curieux de voir ce qu'elle parviendrait à faire, jusqu'où elle serait capable d'aller. Mais aussi s'il existait quelque chose en ce monde qui pourrait l'arrêter.
Bien sûr, il avait conscience qu'elle n'était pas la sorcière la plus puissante qui existait, même s'il ne doutait pas qu'elle pourrait le devenir avec les années. Mais son ingéniosité et son esprit vif étaient une force qu'il avait appris à ne pas négliger.
Il l'avait cru simple au départ, insignifiante. Il s'était lourdement trompé. Alors elle l'avait intrigué comme personne ne l'avait fait depuis Lily, même si c'était d'une façon foncièrement différente. Lily avait piqué son intérêt par son côté lumineux, sa bienveillance infinie et la pureté de son âme. Hermione Granger, elle, l'avait intrigué à cause de toutes ses contradictions et toute sa complexité. Elle semblait n'être ni blanche, ni noire, évoluant dans toutes les teintes de gris qui pouvaient exister.
Et il n'avait pas mis longtemps à réaliser qu'il semblait l'intriguer tout autant tandis qu'elle semblait avide d'obtenir sa reconnaissance et qu'elle ne paraissait pas prête à se satisfaire de son masque d'indifférence et de mépris. C'était devenu presque un jeu entre eux. Ils se défiaient régulièrement du regard, essayant de percer les mystères de l'autre le premier. Il n'était pas bien sûr que la jeune femme en ait été totalement consciente. Il n'était pas bien sûr d'en avoir lui-même été totalement conscient.
Il avait eu l'impression que des forces invisibles jouaient entre eux, les attirant et les repoussant sans cesse. Et alors que ses yeux se fermaient pour la dernière fois, il comprit finalement que ce serait son seul véritable regret. N'avoir pu la découvrir totalement. N'avoir pu percer ses secrets. Et peut-être aussi, ne pas l'avoir laissée percer les siens…
