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Chapitre 1 : Vivre une aventure


Kyouya lut le message qu'il venait de recevoir, un léger sourire – teinté d'exaspération – aux lèvres.

"Je passe une super journée ! Je te raconterai tout à mon retour. À plus ! :-)"

Il ne comprendrait jamais son petit frère. Il ne voyait pas pourquoi il avait pris la peine de lui envoyer un tel message. S'il n'avait rien de particulier à lui dire, il n'avait qu'à attendre son retour des États-Unis pour lui donner des nouvelles. D'un autre côté, il mentirait s'il disait ne pas être soulagé de recevoir aussi souvent des messages de sa part. Kakeru était en voyage scolaire avec sa classe, à des milliers de kilomètres de là. Kyouya n'avait aucun autre moyen de s'assurer qu'il allait bien. Au moins, Ryuuto était avec lui. Kyouya ne l'appréciait pas spécialement, mais il n'avait rien contre lui non plus et Ryuuto connaissait Kakeru depuis longtemps – il saurait à quoi s'attendre avec lui.

Tant mieux pour toi, se contenta-t-il de répondre.

Il posa son téléphone sur la table basse. À peine se réinstalla-t-il dans le canapé qu'il sonna de nouveau. Levant les yeux au ciel, Kyouya le récupéra.

"N'est-ce pas ? :-D"

Kakeru était d'humeur bavarde, apparemment.

Kyouya reposa son téléphone sur la table. Il n'avait rien à répondre à ça.

Le silence dans lequel la maison était plongée était seulement perturbé par la pluie torrentielle qui se déversait depuis la nuit dernière.

Satisfait, Kyouya s'étira avant de se replacer confortablement sur le canapé. Il n'avait rien d'autre à faire aujourd'hui. Il ne comptait pas sortir par ce temps et tous les cours avaient été annulés. Il avait plu si fort que les routes étaient inondées. Impossible de se rendre au lycée pour les professeurs comme pour les élèves.

Quelle journée prometteuse.

Des coups frappèrent à la porte d'entrée. Kyouya se redressa. Il ne voyait pas qui pouvait venir chez lui alors que Kakeru était absent – la plupart des visites lui étaient destinées vu que tout le monde savait que Kyouya détestait la compagnie, et que leurs parents n'avaient de visites professionnelles ou amicales uniquement en extérieur – ni qui était assez stupide pour sortir par ce temps.

Kyouya se leva souplement et rejoignit l'entrée, agacé. N'avait-il pas droit à un seul moment de tranquillité ? Il ouvrit la porte et s'adossa au cadran, les bras croisés, prêt à rembarrer l'imbécile qui osait le déranger. Les paroles mordantes moururent sur ses lèvres tandis qu'un air surpris se peignait sur son visage. Un Ginga trempé, en uniforme scolaire, se tenait sur le perron. Ses cheveux étaient légèrement affaissés par le poids de l'eau. Ses vêtements collaient à son corps. Derrière lui, la pluie tombait avec tant de force que Kyouya ne distinguait même pas la rue.

Ginga lui adressa un grand sourire.

- Salut Kyouya.

Avant qu'il ne puisse répondre, Ginga se faufila dans sa maison, laissant une traînée d'eau dans son sillage. Kyouya le suivit du regard, quelque peu hébété. Il claqua la porte et retourna dans le salon, où Ginga se rapprochait d'un radiateur. Il l'alluma et y suspendit son sac. Il sortit ses affaires et les plaça sous le radiateur. Les trois cahiers, le livre et le manuel ressemblaient à des éponges. Ils seraient difficilement récupérables.

Ginga abandonna ses affaires et se dirigea vers l'escalier. Il disparut à l'étage. Kyouya attendit. Ginga descendit moins de cinq minutes plus tard, des vêtements de ville sur le dos. Des vêtements qui lui appartenaient : ils étaient à sa taille et arboraient les couleurs qu'il avait l'habitude de porter. Son t-shirt d'un bleu profond arborait le motif blanc bordé de rouge d'un pégase stylisé. Son pantalon était gris. Il essuyait vigoureusement ses cheveux avec une serviette. Il accrocha la serviette autour de son cou puis indiqua le sol.

- Je vais ranger tout ça. Ne t'inquiète pas.

- Tu crois vraiment que c'est ça le problème ?

Gigna lui lança un regard empli d'interrogations. Évidemment, il ne comprenait pas.

- Il y a un problème ?

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- Le lycée est fermé.

- Et ?

Kyouya ne voyait pas le rapport entre ça et le fait que Ginga soit dans sa maison à agir comme s'il était chez lui.

- Et je ne le savais pas. J'y suis allé pour rien.

Kyouya leva les yeux au ciel. Il fallait être inconscient pour sortir sous une averse pareille.

- Ta maison est plus près du lycée que chez moi. Ça ne te dérange pas si je reste, pas vrai ?

- Si, dégage.

- C'est pas très sympa, rit Ginga.

Le rouquin ouvrit un placard et en sortit une serpillière. Il la passa à chaque endroit qu'il avait mouillé. Il balaya une dernière fois la salle du regard pour s'assurer qu'il avait terminé son travail avant de ranger la serpillière. Il essuya ses mains sur son pantalon et revint auprès de Kyouya.

- Il fait super froid dehors. Ça te dit de boire un chocolat ?

- Tu es trop à l'aise.

Ginga marchait déjà vers la cuisine.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Kyouya le suivit. Ginga fouilla dans les placards. Il en sortit deux tasses avant de se diriger vers le réfrigérateur.

- Tu te conduits comme si tu étais chez toi. Tu as même laissé certaines de tes affaires.

- Et... ? Cool ! Tu as de quoi faire des hamburgers.

- C'est ma maison, pas un hôtel, déclara Kyouya. Je dois déjà supporter que Ryuuto squatte ici la moitié de l'année... à croire qu'il n'a pas de chez lui.

- À ce point ?

- La chambre d'appoint est devenue sa chambre. Il l'a décorée et y a laissé la moitié de ses affaires.

Ginga rit. Kyouya plissa le nez.

- Ce n'est pas drôle. Tout ça pour dire que tu n'as pas intérêt à t'y mettre aussi.

Ginga posa la bouteille de lait près des tasses et se tourna vers lui. Il lui offrit un de ces sourires lumineux dont il avait le secret. L'agacement de Kyouya s'amoindrit.

- Ça n'a rien à voir.

- Ah ouais ? Et pourquoi ?

Ginga l'approcha et son sourire s'accentua. Son visage ne se trouvait plus qu'à quelques centimètres du sien.

- Tu supportes Ryuuto juste parce que c'est l'ami de Kakeru. Moi, c'est parce que tu m'aimes bien.

- Qu'est-ce qui te fait croire ça ? marmonna Kyouya avec toute la mauvaise foi dont il était capable.

- On sort ensemble. J'imagine que ça veut dire quelque chose.

Le sourire de Ginga brilla un peu plus.

- D'ailleurs, ça veut dire que tu m'aimes plus que bien.

- T'es un idiot.

Ginga chassa sa remarque d'un haussement d'épaules et se remit à préparer les chocolats. Kyouya l'observa, songeur. Ginga avait raison. Il ne comprenait pas pourquoi ni comment c'était arrivé, mais il l'aimait. Leurs sentiments étaient réciproques et ils sortaient ensemble depuis plus d'un an, alors que rien ne laissait présager une telle évolution à leur rencontre. Ginga, qui pensait aux autres avant de penser à lui. Ginga, qui passait le plus clair de son temps à sourire et à dire des paroles positives – peu importait ce qu'il pensait en réalité. Ils n'avaient rien en commun. Kyouya ne partageait pas les valeurs de Ginga. Il était dur et égoïste, et il l'assumait. Pourquoi aider les autres ? Ils n'avaient qu'à se débrouiller seuls et, s'ils n'en étaient pas capables, ça signifiait qu'ils étaient trop faibles pour ce monde. Et Ginga acceptait qu'il pense ainsi. Il n'essayait pas de le changer, de le pousser à devenir comme lui. Malgré toutes leurs différences, ils étaient heureux ensemble et ils se comprenaient. C'était incompréhensible.

Ginga souleva les deux tasses et lui sourit.

- On va boire ça dans le salon ?

Kyouya hocha la tête. Ginga le dépassa en trottinant. Kyouya le suivit dans la pièce de vie. Ils s'assirent sur le canapé, épaule contre épaule. Ginga lui donna sa tasse et ils sirotèrent leur boisson. Kyouya trouvait qu'il avait laissé Ginga le convaincre bien trop facilement. Ce n'était pas digne de lui de céder aussi vite. D'un autre côté, il n'avait jamais pu s'empêcher d'écouter Ginga et de croire en ses paroles. Même aux balbutiements de leur entente, quand Ginga tenait absolument à devenir son ami et que Kyouya le repoussait avec toute la froideur dont il était capable. Il n'avait jamais voulu être son ami.

Y repenser le rendait perplexe sur l'évolution de leur relation. Comment en étaient-ils arrivés là ? Il avait du mal à se souvenir du moment exact où ils avaient fini par être du même côté. Peut-être qu'il n'y en avait pas eu un seul, mais que cela s'était fait progressivement.

Ginga posa la tasse sur le sol et se pelotonna joyeusement contre Kyouya.

- On est bien là, tu ne trouves pas ?

- Je devrais te jeter dehors.

- Il pleut et il fait froid.

- C'est pas mon problème.

Ginga s'écarta de lui et lui donna un coup de coude, trop léger pour être réellement réprobateur.

- On en a déjà parlé et on s'est mis d'accord.

- Tu t'es mis d'accord tout seul.

La situation devait être plus amusante que Kyouya l'imaginait car Ginga souriait de tout son cœur. Le rouquin s'adossa plus confortablement sur le canapé et appuya sa tête contre le dossier. Ses yeux étaient tournés vers le plafond.

- J'imagine que tu ne comptes pas participer au voyage scolaire.

- Celui de Kakeru ? C'est un peu tard, tu ne crois pas ?

- Pas celui-là. Celui des niveaux supérieurs. Pour ta classe et la mienne.

- Me retrouver coincé avec eux H24 pendant plusieurs jours ? Exprès ? T'oublies à qui tu parles. Déjà que j'ai du mal à les supporter pendant les cours.

- Je m'en doutais, répondit Ginga. Je pense que je vais y aller.

Kyouya eut un sourire mi-amusé mi-exaspéré. Ça ressemblait bien à Ginga de vouloir participer à ce type d'événement. Être sans cesse entouré...

- Ça devrait être sympa, murmura le rouquin, songeur.

Kyouya se tourna vers lui. Il ne semblait pas convaincu. Étrange. Il s'enthousiasmait rapidement d'ordinaire. Même son regard semblait s'être terni. Quelque chose n'allait pas. Kyouya devrait sûrement lui demander quoi mais la simple idée d'une grand discussion – sur des sentiments, qui plus est – le soûlait déjà. Il s'agissait de Ginga. Si quelque chose n'allait pas, il le dirait.

Son cœur se serra. Un sentiment de déjà-vu lui fit remarquer que pas forcément. Ginga était capable de cacher ce qui n'allait pas pour protéger les autres. Kyouya le savait... même s'il serait incapable de dire d'où venait cette certitude.

Avec un soupir, Kyouya donna un coup dans la jambe de Ginga pour attirer son attention. Quand Ginga le regarda enfin, il lui adressa un regard interrogateur. Il ne comptait pas lancer la discussion. Même pour lui, il ne ferait pas un tel effort.

- Quelque chose ne va pas ?

- Ce serait plutôt à moi de dire ça.

Les yeux miel s'écarquillèrent puis Ginga se mit à triturer les manches de son t-shirt – il n'avait pas l'écharpe qu'il s'obstinait à porter quelle que soit la saison pour s'occuper les mains.

- C'est juste que... tu n'as pas l'impression que quelque chose manque toi ?

Kyouya haussa un sourcil, l'incitant à continuer. Les sourcils de Ginga se froncèrent et il pinça ses lèvres, comme s'il essayait de préciser sa pensée. Il soupira.

- J'aimerais vivre une aventure.

- Comme dans les films ?

Ginga le regarda avec agacement.

- Ne te moque pas.

- Je ne me moque pas encore.

Ginga fit la moue mais son air boudeur ne dura que quelques instants. Il reprit une expression nostalgique.

Le souffle de Kyouya se coupa. Une telle attitude lui ressemblait si peu.

- Je pensais que toi tu comprendrais.

Le reproche blessa Kyouya qui s'écarta de lui. Ginga lui fit un grand sourire et cela blessa Kyouya plus profondément car il se forçait : ce sourire n'atteignait pas ses yeux. Il ne se souvenait pas d'une seule fois où Ginga avait joué la comédie avec lui.

- C'est rien, oublie. Je suis content d'être là. Ce voyage scolaire sera sympa.

L'expression de Ginga se rembrunit un instant. Il semblait se dire que c'était mieux que rien, en tout cas.

Sans lui laisser le temps de commenter, Ginga se leva d'un bond.

- Je vais préparer des hamburgers. Tu en veux un ? Je meurs de faim.

Et Ginga quitta le salon. Kyouya n'essaya pas de le suivre. Ses paroles résonnaient en lui, sans qu'il n'en comprenne la raison.


XXX


Une semaine passa et Kyouya était toujours aussi perturbé par les mots de Ginga. Le rouquin avait décidé de faire comme si leur discussion n'avait jamais eu lieu. Il souriait, parlait avec ses amis, participait à des sorties. Kyouya en était incapable. Les paroles de Ginga continuaient de résonner en lui. Tout ce qu'il voyait, à présent, c'était à quel point ses possibilités étaient réduites, à quel point le monde manquait de saveur. Il se sentait un peu plus oppressé chaque jour. Kyouya voulait se débattre, échapper à cette sensation. Il voulait partir. Mais Kakeru allait bientôt rentrer. Mais il ne pouvait pas faire faux-bond à ses parents. Mais où il pouvait partir ? Mais...

Il se détestait pour trouver toutes ces excuses. Il comprenait ce que Ginga avait voulu dire et il était trop tard pour le lui confier. Il avait laissé passer sa chance.

Kyouya était assis dans la salle des premières c, le regard perdu sur le ciel, à l'extérieur.

- Salut.

Il tourna la tête. En face de lui, se tenait la seule personne qui avait toujours osé lui tenir tête et qui n'avait jamais eu peur de lui. La personne qui le plongeait dans un tel trouble aujourd'hui.

- Ginga.

Le rouquin lui sourit, puis lui montra les formulaires qu'il tenait dans les mains.

- C'est pour le voyage scolaire. J'imagine que tu n'as pas changé d'avis mais...

- C'est d'accord.

Ginga cessa de bouger. Littéralement. Comme s'il était un personnage de film et qu'on avait fait pause.

Lentement, ses yeux s'écarquillèrent.

- Hein ?

- J'ai dit que je viendrai. Ça pose problème ?

- Non, bien sûr que non. C'est... Tu es sûr ?

- Tu veux me laisser le temps de changer d'avis ?

Cette fois, Ginga mit bien moins de temps à réagir. Il posa un formulaire sur son bureau, lui offrit un sourire lumineux avant de s'éloigner à toute vitesse.

- On se voit plus tard !

Les épaules de Kyouya se détendirent. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas vu sourire avec une telle sincérité.

Peut-être que ce voyage ne serait pas une si mauvaise idée. Bien sûr, il devrait supporter des tas d'abrutis, mais il n'aurait qu'à faire en sorte de passer le moins de temps possible avec eux. Et il y aurait Ginga. De plus, ça le changerait de ses habitudes. C'était ce qu'il y avait de mieux à faire pour l'instant.

Il espérait qu'il ne le regretterait pas.


XXX


Kyouya finissait de faire son sac. Il se demandait comment il s'était laissé entraîné dans cette histoire. Avec un grommellement, il passa la lanière sur son épaule. Il n'avait plus aucune raison de traîner.

Il quitta sa chambre et descendit les escaliers. Un éclat de rire l'accueillit quand il entra dans le salon. Kyouya adressa un regard agacé à Kakeru, ce qui l'impressionna nullement. Comme toujours – en tout cas, Kyouya en avait l'impression – Ryuuto était assis à côté de son petit frère. Il fixait le livre ouvert sur ses genoux, les ignorant. C'était une des raisons pour lesquelles Kyouya le supportait : il savait quand il devait se mêler de ses affaires et ne pas intervenir dans les leurs.

- Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?

- Toi qui vas participer à un voyage scolaire.

Et Kakeru se remit à rire. Kyouya leva les yeux au ciel. Il ne pouvait même pas lui répondre : le fait qu'il aille à un voyage scolaire était parfaitement ridicule et méritait des moqueries – de la part de Kakeru seulement.

- C'est ça, marmonna-t-il.

Il arrangea la bretelle de son sac et se dirigea vers l'entrée.

- Amuse-toi bien ! lança Kakeru d'une voix rieuse.

Kyouya lui adressa un au-revoir de la main, sans prendre la peine de se retourner, et sortit de la maison. Les mains dans les poches, il prit à contrecœur la direction du lycée. Partir en voyage scolaire lui semblait être une mauvaise idée, maintenant qu'il avait pris le temps d'y réfléchir. Mais il avait dit qu'il irait et il ne reviendrait pas sur sa parole.

Deux cars étaient stationnés sur le parking du lycée et une foule d'élèves patientait bruyamment. Kyouya eut une nouvelle fois envie de faire demi-tour. Il se força à continuer sa route. Il n'était pas un lâche. Il ne fuirait pas. Il jeta un regard noir à tous ceux qui osaient poser les yeux sur lui et un chemin s'ouvrit pour lui. Il eut au moins cette satisfaction.

Quelque chose de familier attira son attention. Ginga, auprès de son groupe d'amis. Kyouya changea immédiatement de cap. Il ne les appréciait pas spécialement mais, au moins, il pourrait être avec Ginga.

Le rouquin l'aperçut et un doux sourire éclaira son visage.

- Salut.

Les autres se retournèrent. Kyouya ne leur prêta pas attention.

- Tiens, tu es venu toi, commenta Madoka.

- Pourquoi ? Ça te pose un problème ?

- Pourquoi tu prends mal tout ce qu'on te dit ?

Kyouya renifla. Il n'aimait pas qu'on lui adresse la parole pour rien. Ça lui faisait perdre son temps et il détestait ça.

En plus, il avait bien perçu le reproche dans la voix de Madoka. Fallait dire qu'ils ne s'étaient jamais entendu, et que la seule raison pour laquelle leurs chemins se croisaient était un certain rouquin aux yeux miel.

- Tu es arrivé juste à temps, déclara Ginga. J'ai cru qu'on partirait sans toi.

- Je t'avais dit que je viendrais, non ?

Ginga sourit un peu plus. Madoka se racla la gorge.

- Vous savez qu'on est encore là ?

Impossible de l'oublier, malheureusement. Pourtant, Kyouya faisait de son mieux pour y parvenir.

Avant qu'il ne puisse répliquer, le professeur sonna le rassemblement. Ils devaient s'installer par classe. Kyouya soupira. Ce stupide voyage commençait mal. Il en avait déjà marre.

Ginga lui effleura la main.

- Nous nous retrouverons plus tard.

- Oui.


XXX


Le trajet avait été interminable. Au moins, Kyouya n'avait pas eu à supporter un voisin envahissant. Toutes les places n'avaient pas été occupées et il avait pu s'arranger pour que sa rangée soit libre. Son regard noir parvenait à dissuader des tas de gens de rester le plus loin de lui possible. Ça n'avait jamais fonctionné sur Ginga mais, heureusement, lui et sa façon si particulière de voir le monde, son cœur si courageux, étaient exceptionnels.

Les professeurs qui les accompagnaient avaient passé leur temps à blablater sur l'emploi du temps du voyage et tout ce qu'ils allaient y découvrir de merveilleux. Ça promettait d'être barbant. Ginga n'aurait pas l'aventure qu'il espérait tant. Il serait déçu...

Kyouya soupira. Il n'avait pas supporté tout ça pour apercevoir de temps en temps un Ginga triste, celui qu'il avait côtoyé les semaines précédant ce stupide voyage. Non. C'était hors de question. Il ferait en sorte que ça n'arrive pas.

Il fut l'un des premiers à sortir du car. Il prit une grande goulée d'air frais. La liberté de mouvement retrouvée lui faisait du bien. Il balaya les alentours du regard. Les cars étaient garés devant un bâtiment qui leur servirait sans doute d'hôtel. Il n'était pas aussi luxueux que ceux dans lesquels il avait l'habitude de descendre avec sa famille. Le bâtiment était à la limite d'une ville de taille moyenne. À partir de là, les maisons s'espaçaient de plus en plus jusqu'à laisser toute la place aux espaces de verdure.

Kyouya arrangea la bretelle de son sac. Les autres élèves descendaient des cars, montrant leur impatience à participer à ce stupide voyage scolaire. Ils babillaient avec tant de joie et d'empressement qu'il ne comprenait aucun des mots qu'ils prononçaient. Non pas que ça avait la moindre importance. Ils parlaient certainement de leurs idioties habituelles.

Kyouya leva les yeux au ciel. Ce voyage promettait d'être très long, surtout avec toutes les visites de musées et de zones protégées que les professeurs avaient prévu. Il se demanda une énième fois pourquoi il avait accepté de venir, surtout que le lycée aurait un semblant de calme avec tous les abrutis qui étaient partis.

Ginga le rejoignit en trottinant. Il lui sourit.

- Alors ?

Kyouya soupira.

- Je vais sans doute mourir d'ennui.

Ginga rit. Pourtant, Kyouya avait été on ne peut plus sérieux. Soit il mourrait d'ennui, soit il chercherait un moyen de l'éviter – ce qui pouvait s'avérer bien plus dangereux pour son entourage.

- Allez. On doit s'installer dans nos chambres.

- Génial. Je vais devoir supporter ces crétins vingt-quatre heures par jour, marmonna-t-il.

- On passera un peu de temps ensemble au moins.

- Qui te dit que je ne te compte pas parmi eux ?

Ginga rit de nouveau. Kyouya esquissa un sourire. Il savait que sa réplique n'était pas crédible – sa réponse était bien trop évidente. Sortirait-il avec un crétin ? Jamais.

- Allons-y, dans ce cas.

Il ne lui restait plus qu'à s'installer dans sa chambre, en espérant que ses colocataires ne seraient pas trop agaçants. Ce serait forcément des gens de sa classe. Il n'en supportait pas beaucoup, mais il y en avait de plus tolérables que d'autres.

Il entra dans la chambre qui lui avait été assignée. Il la balaya du regard et choisit un lit qui se trouvait dans un coin, au plus près de la porte. Il laissa son sac tomber à côté.

La porte se rouvrit. Kyouya jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Tsubasa entrait dans la pièce. Kyouya haussa un sourcil.

- Je croyais qu'on était réparti par classe ?

- Non.

Ce serait plus supportable qu'il ne l'avait cru, finalement.


XXX


La première sortie était à destination d'un musée. Autant dire que Kyouya n'avait aucune envie d'y participer. Il regardait le groupe compact d'élèves suivre docilement les professeurs et repéra Ginga au milieu de ses amis. Il le rejoignit. Ginga le regard. Ses yeux brillèrent.

- Tu es toujours là ?

Kyouya indiqua l'extérieur du groupe d'un signe de tête.

- Tu viens ?

Le sourire de Ginga s'agrandit. Il opina avant de se tourner vers ses amis.

- Je reviens tout de suite.

- Mais oui, répondit Madoka, sans conviction. Ne faites rien de trop dangereux.

- Bien sûr que non !

Madoka fit la moue. Elle ne semblait pas le croire.

Kyouya et Ginga marchèrent de plus en plus lentement, se faisant dépasser par les autres élèves. Si quelques uns leur jetèrent des regards surpris ou intrigués, ils continuèrent d'avancer sans leur poser de questions. Le groupe se reforma devant eux. Kyouya ralentit encore. Ginga fut surpris, mais il maintint la même allure que lui. Ils laissèrent le groupe s'éloigner et les distancer. Première étape franchie.

Ginga lui adressa un regard interrogateur.

- Tu ne risques pas de vivre une grande aventure en allant au musée, se moqua Kyouya.

Les yeux miel étincelèrent.

- Tu as une idée ?

Kyouya tourna le dos au groupe et fit signe à son petit ami de le suivre. Ginga sourit et n'eut pas besoin de plus de précision pour lui emboîter le pas. Ils s'éloignèrent. Kyouya emmena Ginga jusqu'à un endroit qu'il avait repéré sur Internet : un canyon escarpé. Ce serait intéressant. C'était l'endroit le plus prometteur pour vivre une aventure dans les environs.

Il conduisit Ginga jusqu'au bord. Ne montrant pas un seul signe de peur, le rouquin se pencha en avant pour regarder en contrebas. Il sembla admiratif.

Ils longèrent le précipice. Ginga continuait de regarder en contrebas avec une expression intriguée. Son pied dérapa. Le cœur de Kyouya manqua un battement. Il n'eut pas le temps de réagir que Ginga s'était déjà rattrapé. Le rouquin s'écarta du bord.

Un craquement figea Kyouya. Il se retourna. Ginga s'écarta du bord du canyon. Ce ne fut pas suffisant. Le sol s'éroda sous leurs pieds. Ginga s'écarta d'un bond. Kyouya ne fut pas aussi rapide. Son pied se déroba, lui faisant perdre l'équilibre. Il n'avait plus le temps d'esquiver. Il ne put retenir un cri de surprise.

- Kyouya !

Ils dégringolèrent. Kyouya heurta le sol. Il fut sonné mais il s'efforça de se lever immédiatement. Son bras gauche, celui sur lequel il était tombé, pulsait douloureusement. Il le secoua sans ménagement. La douleur se répercuta jusque dans son épaule mais il fut rassuré de sentir qu'il n'avait rien de cassé. Ce n'était pas le moment d'avoir une telle blessure.

Sonné, la bouche pâteuse, il regarda autour de lui. Ginga s'asseyait, tanguant légèrement, comme si sa tête lui tournait. Il était recouvert de traces de terre et de poussière. Quand ses yeux se posèrent sur lui, ils s'éclairèrent. Il se leva précipitamment.

- Kyouya ? Tu vas bien ?

- Ce serait plutôt à moi de te le demander.

Ginga se tâtonna. Il secoua la tête.

- Je n'ai rien de cassé, je crois. Et toi ?

Kyouya secoua la tête. Il regarda d'un côté puis de l'autre du canyon. Il désigna le chemin de gauche d'un signe de tête. Il fallait bien commencer quelque part.

- Viens.

Ils marchèrent. Des nuages s'amoncelaient dans le ciel et leurs pas résonnaient entre les hautes parois de pierre. Kyouya eut plus d'une fois l'impression qu'ils n'étaient pas seuls. Il la chassa. Ce n'était pas le moment de se laisser influencer par des pensées parasites.

Quelque chose de froid lui toucha le nez. Il frissonna et se passa machinalement la main dessus. Il leva la tête. Une goutte d'eau lui tomba sur la joue. Ses sourcils se froncèrent. Évidemment. C'était bien le moment pour que la pluie commence à tomber.

- Dépêchons-nous.

Ginga opina. Ils accélérèrent mais ce fut inutile. La pluie se mit à se déverser sur eux avec force. Ils furent trempés en quelques secondes. Leur champ de vision s'était réduit à un mètre devant eux. Kyouya se passa une main sur le front, repoussant la terre qui voulait lui couler dans les yeux. Il plissa les paupières et tenta de scanner les alentours. Il aperçut un renflement dans la roche. Il donna un coup dans l'épaule de Ginga et s'y dirigea. Il fut soulagé de ne plus subir les assauts de la pluie. Il colla presque son dos à la paroi rocailleuse. Il soupira. Ginga le rejoignit. Il était dans un état pathétique : ses cheveux ployaient sous le poids de l'eau, des traces de boue sur son visage et ses vêtements. Kyouya eut un sourire moqueur.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Tu as l'air ridicule.

Ginga le détailla lentement. Kyouya se crispa. Il était sans doute mal placé pour critiquer. Ginga se contenta de tendre la main et de dépoussiérer sa joue du pouce.

- Tu crois qu'on va attendre longtemps ?

- C'est pas assez aventureux pour toi ?

Ginga eut un sourire.

- C'est vrai que ça change du quotidien mais...

Il fit claquer sa langue contre son palais.

- Ça manque un peu d'ennemis à combattre, non ?

- Si ce n'est que ça, je peux toujours te tendre une embuscade une fois qu'on sera de retour à la maison.

Les yeux de Ginga s'écarquillèrent. Il parut surpris un moment puis il éclata de rire. L'idée paraissait lui faire vraiment plaisir. Kyouya ne le comprendrait sans doute jamais. À vrai dire, il n'essayait pas.

- Ça ira, merci.

Ginga s'appuya contre la parois. Il grimaça puis se redressa. C'était trop dur et inconfortable pour pouvoir s'y adosser. Kyouya le regarda avec supériorité. Ginga fit une moue boudeuse.

- Tout le monde n'a pas l'habitude des terres sauvages.

- C'est une critique ?

- Non, une remarque.

Kyouya tiqua. Il n'allait pas se promener au milieu des espaces sauvages. Il avait toujours vécu en ville et n'avait quitté le milieu urbain que lors de quelques voyages.

Il effleura le mur de pierre, pensif. Ça lui semblait si familier, pourtant...

Il recula en secouant la tête. Qu'est-ce qu'il lui prenait ?

- Continue comme ça et je te laisse là.

- Tu ne partirais pas sous cette pluie. Même toi.

- Tu me défies ?

Le sourire de Ginga se figea puis s'effaça. Il semblait se rendre compte de ses paroles et de leur possible conséquence. Il tendit la main vers Kyouya et attrapa un pan de sa veste qu'il serra entre ses doigts.

- Non. Je sais que tu en es capable. Tout le monde le sait. Reste.

Kyouya fit mine de réfléchir.

- D'accord.

La tension relâcha les épaules de Ginga qui opina, sans le lâcher. Un éclair zébra le ciel. Sa clarté soudaine s'imprima sur les rétines de Kyouya. Il sentit Ginga sursauter. Il était tout aussi surpris mais il parvint à mieux le dissimuler. Il cligna plusieurs fois des paupières pour recouvrer la vue. Le grondement du tonnerre roula dans les nuages et se répercuta dans sa cage thoracique.

- Tu as bien choisi le moment pour nous conduire ici.

- Tu veux dire quoi au juste ?

- Tu aurais pu prévoir.

- Tu me prends pour quoi ? Miss météo ? Tu aurais préféré aller dans un musée peut-être ?

- Au moins je ne serais pas trempé et je n'aurais pas froid.

Kyouya croisa les bras et fronça le nez.

- Tu n'es pas le seul à avoir les pieds dans l'eau, je te signale. Et je ne passe pas mon temps à me plaindre.

- En même temps, vu que c'est toi qui nous as entraîné là, tu serais mal placé pour te plaindre, marmonna Ginga.

Kyouya plissa les yeux. Ainsi donc, c'était ce qu'il pensait...

Ginga leva la tête et croisa son regard. Il l'attira plus près de lui et resserra sa prise, sûrement pour l'empêcher de s'éloigner. Kyouya se demanda s'il pourrait se dégager facilement. Il s'agissait de Ginga après tout. Il était bien plus fort que son apparence ne le laissait penser. Kyouya était suffisamment agacé pour se demander s'il serait capable de le traîner hors de leur abri de fortune...

Ginga s'appuya contre lui. La peau de son bras était froide.

- Désolé. C'est sympa d'avoir voulu me remonter le moral.

- Sympa ? Tu veux vraiment me mettre en colère.

Un hurlement résonna dans le lointain. Il amplifia puis se réduisit jusqu'à disparaître. Kyouya se crispa. Un autre répondit, plus proche. Trop proche pour son confort. Ginga se décala légèrement. Il essayait de voir à travers le rideau de la pluie.

- C'était... un loup ? Il y a des loups dans le coin ?

- Pas de quoi avoir peur. Ce sont seulement des chiens galeux.

Malgré sa bravade, Kyouya sentait son cœur battre de plus en plus fort. À tel point qu'il se demanda si Ginga parvenait à l'entendre.

Ginga lui serra la main.

- J'espère que tu n'as pas peur de quelques bestioles, continua Kyouya. Tu voulais de l'aventure, je te rappelle.

Les coins de la bouche de Ginga se recourbèrent légèrement et des étincelles se mirent à danser dans ses yeux.

- Merci.

- Pour quoi ?

Ginga indiqua ce qui les entourait d'un geste de la main.

- Pour cette aventure.

Kyouya l'observa et ne put réprimer son sourire. Il avait atteint son but. Ginga allait mieux.

- Quand on rentrera, je nous préparerai quelque chose. On fera ça chez toi.

- Comme si j'avais le choix, marmonna Kyouya.

Ils se turent, laissant le pluie occuper le silence pendant plusieurs minutes.

- Dis.

- Quoi ?

- Tu crois qu'on aura le temps de rentrer avant que les autres reviennent du musée ?

Kyouya haussa les épaules. Il n'y avait pas pensé et, à vrai dire, il s'en fichait pas mal.

La pluie décrut puis cessa. Les adolescents quittèrent leur maigre abri. Leurs chaussures trempaient dans la couche d'eau qui recouvrait le sol. Il y avait un bruit de succion à chacun de leurs pas.

Ils avancèrent pendant quelques minutes. Kyouya n'apercevait pas le bout du canyon. Il s'arrêta et leva la tête. Ils avaient une meilleure option qu'errer à la recherche d'une sortie providentielle.

Un courant d'excitation le parcourut. Il avait la certitude qu'il y parviendrait, sans le moindre effort.

Il se tourna vers Ginga, un demi-sourire plein de défi aux lèvres.

- Tu te sens d'escalader ?

Ginga le regarda avec surprise avant de lever la tête. Il fronça les sourcils, évaluant les distances. Il baissa la tête vers lui. Son sourire était emprunt de défi.

- Bien sûr.

Kyouya se lança dans l'escalade. Ce n'était peut-être pas une bonne idée, si tôt après une averse, mais il trouvait facilement des prises pour les mains mais ses pieds manquèrent de déraper à plusieurs reprises. Il grimpa jusqu'à une corniche. Il l'utilisa pour faire une pause et regarder en contrebas. Ginga avait lui aussi commencé à escalader la paroi.

Kyouya reprit son ascension. Il ne laissait aucune place dans son esprit pour autre chose que l'effort. Il ne pouvait pas se le permettre.

Il atteignit enfin le sommet. Il étira ses muscles endoloris et baissa la tête pour observer Ginga. Il ne le quitta pas des yeux, titillé par une certaine appréhension, qui s'évanouit quand le rouquin fut debout, en face de lui. Ils se félicitèrent brièvement avant de se précipiter vers leur hôtel. Par chance, les autres n'étaient pas encore rentrés. Peut-être avaient-ils été bloqués par la pluie, en ville ?

Ils se lavèrent et se changèrent, effaçant les traces de leur expédition. Une fois qu'ils furent de nouveau face à face, ils échangèrent un regard complice.

- Je te revaudrai ça, promit Ginga.

- J'ai hâte.


Fin du chapitre 1