Le train souffletait doucement, laissant échapper un filet vaporeux de fumée blanche duveteuse dans le ciel clair de cette belle matinée de septembre. La gare de King's Cross était, comme chaque année à cette date précise, complétement prise d'assaut par les centaines de familles rassemblées pour la rentrée. De chaque côté, Hermione pouvait observer de jeunes étudiants, certains en pleines retrouvailles ou d'autres plongés dans des embrassades plus embarrassantes qu'émouvantes. L'odeur fraîche des cours se répandait déjà, mêlé au tumulte de cris joyeux et empressés qui s'échappait de la voie 9 à direction de la célèbre école britannique Poudlard. Hermione inspira un grand coup et souffla tout doucement pour se donner du courage. Elle s'empara de l'énorme valise étendue à droite d'elle, puis, après avoir grimacé sous l'effort nécessaire pour la soulever, la fillette se dirigea d'une démarche précipitée vers les larges wagons du train. En voyant l'immense marchepied devant elle, Hermione réprima un petit cri d'exaspération. Résignée à son triste sort, elle essaya tant bien que mal à monter sa valise bien trop lourde sur les premières marches.
-Roh stupide objet ! Tu veux bien, juste pour une fois, me faciliter la vie ? laissa-t-elle tomber dans un murmure rageur. Ses mains se mirent à trembler sous le coup de la colère et la frustration tandis que des larmes menaçaient son visage d'une rivière amère et salée. Aujourd'hui n'était décidément pas sa journée. Elle qui avait tant espérée passer le meilleur moment de sa courte vie, se retrouvait à présent, sans parents ni amis à qui s'adresser, devant le train, complétement désemparée. Hermione malgré son jeune âge, était malheureusement assez mature pour se trouver pitoyable. Après tout de quoi pouvait-elle se plaindre ? Elle allait rentrer dans une école de sorcier, apprendre des choses plus qu'extraordinaires, se faire surement, enfin elle l'espérait, de merveilleux amis ! Pourtant elle se tenait là, devant le marchepied, seule et au bord de la crise de nerfs. Contrairement aux autres enfants, la fillette n'avait personne à embrasser tendrement ni même à saluer de loin. Elle était totalement et inévitablement seule, incapable de monter une fichue valise dans un fichu train. Incapable, voilà un terme bien trop gentil pour désigner ce qu'elle était. Ça y est, les larmes débordaient, ravageant petit à petit le doux visage d'Hermione. Sa situation résumait sa vie : elle était une pauvre fille, une fausse sorcière qui ne méritait pas le moindre intérêt au vue de sa nullité.
-Eh, je peux t'aider ?
Hermione sursauta et essuya précipitamment son visage grâce à la manche de son chemisier fraichement repassé, comme pour effacer toute trace de faiblesse. Elle se retourna vivement et découvrit un jeune garçon, bien plus grand qu'elle, qui lui souriait de toute ses dents. Son visage était harmonieusement constellé de taches de rousseur, ce qui faisait ressortir la pâleur de son teint. Un contraste par ailleurs renforcé par une chevelure enflammée qui ressemblait diablement à une auréole ardente. Mais ce qui captiva Hermione par-dessus tout furent les grands yeux bleus qui animaient le visage fin du jeune sorcier : d'une couleur tellement pure, presque cristalline, ils semblaient rassembler l'intégralité de la joie jusqu'ici dissipée dans ce bas monde. Ce regard si pétillant, si troublant lui conférait une aura chaude et rassurante. Droit et fier, un sourire impudent plaqué sur les lèvres, il était impossible de ne pas le remarquer ni d'admirer sa prestance éclatante.
-C'est à...à moi que tu parles ? lui répondit d'une petite voix éraillée la jeune fille, entièrement surprise par son interlocuteur mais surtout surprise d'être la destinataire de ses propos.
Le garçon fronça les sourcils puis après avoir jeté une série de petits coups d'œil autour d'eux, comme pour s'assurer que personne ne puisse les écouter, il se pencha vers Hermione et lui souffla ces quelques mots au creux de l'oreille :
-En fait je parle à Magdeleine, le fantôme qui hante ce quai. Depuis que, jeune fille, elle est morte sur les rails, écrasée par ce même train, elle hante la voie et ses passagers. A chaque rentrée, il faut l'aider à monter dans le wagon numéro 7 si elle te le demande, afin qu'elle puisse accomplir ce qu'elle n'a jamais pu faire de son vivant. Car si tu lui refuses comme j'ai eu la bêtise de le faire, gare à toi ! Magdeleine ne te laissera plus jamais dormir sereinement et ce pour le restant de tes jours !
Hermione recula vivement, les yeux écarquillés : elle ne savait pas vraiment ce qui l'avait le plus effrayé. Était-ce cette histoire horriblement inquiétante ou bien le trouble provoqué par la proximité étrange, qui s'était installée entre le beau garçon et elle ? Ce dernier éclata d'un rire franc, s'attirant alors tous les regards des personnes aux alentours. D'un sourire aussi rayonnant que son apparence, il lui lança d'un ton amusé :
-Bien sûr que c'est à toi que je m'adresse ! Je ne vois personne d'autre à vrai dire, pas même un fantôme. Je t'ai aperçu en train d'essayer de soulever cette montagne, sûrement plus lourde que toi et moi réunis. Tu veux de l'aide ?
Hermione se mit à rougir de sa crédulité innocente et, étonnée que quelqu'un de son acabit s'intéresse à son cas, elle lui répondit par l'affirmative d'un rapide hochement de tête, accompagné d'un sourire hésitant.
-Super ! Je préfère largement ce sourire à la mine aussi triste que Rowena Serdaigle elle-même, que tu affichais tout à l'heure. Bon laisse faire le pro !
Le rouquin remonta prestement ses manches, fit semblant d'esquisser quelques mouvements en guise d'échauffement, puis, après avoir lancé un clin d'œil à Hermione, il se saisit de la poignée argentée de l'immense valise. Une fois embarquée, il gravit les marches facilement et la reposa à l'intérieur du train. Le garçon se tourna ensuite vers Hermione, toujours debout sur le quai 9 .
-Prend ma main ! lui lança-t-il, les yeux allumés d'une lueur attendrie devant l'hésitation dont elle faisait preuve.
Au même moment, Hermione entendit le sifflet perçant lancé par le conducteur. L'heure du départ avait enfin sonnée pour les futurs ou bien anciens élèves de Poudlard. Les dernières familles échangeaient leurs adieux, mouillés et affectueux. De dernières recommandations furent lancées, puis perdues par la brise, et bientôt le quai fut presque déserté par tous les enfants. Hermione laissa échapper un soupir découragé : elle aurait tellement aimé embrasser ces parents une dernière fois, les serrer dans ses bras comme elle avait vu tant de mères le faire. Ses sombres pensées furent coupées nettes par le bruit retentissant du deuxième coup de sifflet indiquant le départ imminent pour Poudlard. Sans attendre une seconde de plus, la jeune fille se saisit de la grande main tendue juste devant elle afin de se hisser à son tour dans ce train majestueux, qui l'emmenait dès maintenant au nouveau chapitre de sa vie.
-Merci ! Je veux dire, pour le coup de mai et..., laissa-t-elle tombée sans continuer sa phrase, largement intimidée par le grand rouquin qui se tenait à présent appuyée contre une des parois boisées du train.
-Pas de problème. Ça m'a fait plaisir de t'aider. Mais dis-moi : qu'est-ce que tu as bien pu mettre dans cette valise monstrueuse ? Parce qu'elle pesait son poids n'empêche ! s'exclama-t-il, le visage éclairé par une moue à la fois curieuse et interrogatrice.
-Oh désolée ! Eh bien, seulement quelques livres et mes affaires de cours. C'est ma première année en internat et je ne savais pas trop de quoi j'aurai besoin ; alors j'ai fourré tout ce que j'ai pu dedans. Pas de chose stupides ou bizarres, hein, seulement des choses qui me paraissaient essentielles comme une lampe de torche ou bien...ou bien il faut que tu taises parce que tu dis vraiment n'importe quoi Hermione, finit-elle par murmurer, les joues affreusement brûlantes. Cette rentrée commençait vraiment mal, très mal.
Son interlocuteur éclata à nouveau de ce même rire chaud et communicatif, et s'approcha ensuite d'elle. Il n'était à présent qu'à quelques centimètres d'Hermione et cette dernière sentait toute la chaleur qui émanait de lui, s'échappant de chaque pore de sa peau albâtre. Les yeux plongés dans les siens, happée dans un autre monde, la sorcière sentit son cerveau et son cœur basculés, irréversiblement. Il leva son bras et doucement, avec une tendresse inouïe pour un garçon aussi jeune, il déplia ses longs doigts pour déplacer une innocente mèche de cheveux bruns. Cette traitresse s'était logée devant ses yeux, mais Hermione, habituée à sa sauvage chevelure et surtout bien trop hypnotisée, frémit en sentant cette main n'effleurer que légèrement sa joue, dès lors en feu. Ce moment si intense lui sembla se suspendre dans le temps, figeant éternellement les alentours dans la pierre. Autour d'elle, plus rien n'existait, plus rien n'avait même de sens, excepté ces deux lacs couleur océan qui l'observaient, insondables, énigmatiques. Ni les cris survoltés des élèves, ni les secousses récurrentes du train ne purent gâcher cet interlude fantasmagorique.
-N'aie pas peur, petite Hermione, cette première année sonne le début de ta nouvelle vie et je te promets qu'elle sera ahurissante.
-Je ne...
-Fred ! Où est-ce que tu as filé ? Viens donc voir ce que Lee a trouvé pendant ces vacances en Australie !
Les deux jeunes gens reculèrent instantanément et Hermione se retourna pour pouvoir apercevoir le propriétaire de cette voix, qui avait détruit sa bulle de quiétude. Cependant elle ne distingua au loin qu'une silhouette surmontée d'une seconde tête rousse, qui agitait son bras droit comme un forcené, sans prêter attention aux autres élèves qui l'observaient avec curiosité. Lorsque la fillette revient en face du dénommé Fred, elle le vit réprimer un soupir, mêlé à la fois d'exaspération et d'amusement. Il se mordilla les lèvres, presque nerveusement, puis abaissant ses yeux sur Hermione, il lui souffla :
-Ce fut un réel plaisir de vous avoir servi, ma chère petite Hermione ! J'espère vous accueillir dans ma maison cette année.
Il esquissa une révérence extravagante et d'un rapide coup de main, tira son chapeau imaginaire d'une façon largement exagérée. Hermione, bouche-bée, éclata d'un rire claironnant devant le ridicule de la pose tandis que Fred, heureux de l'avoir amusé, lui lança un clin d'œil joueur avant de repartir, sourire en coin et démarche assurée, vers la personne qui l'attendait au bout du wagon, bouillonnante d'impatience. Quant à la jeune sorcière, ses joues prirent une teinte si pourpre qu'elle ressentit la brulure de sa gêne. Cette scène pour le moins curieuse avait attiré tous les regards. Pourtant, cachée derrière l'épaisse barrière que formaient ses cheveux bruns, Hermione laissa échapper un discret petit sourire.
-Fred, murmura-t-elle, savourant la sonorité de ce prénom. Il lui allait merveilleusement bien, doux et espiègle, comme lui. A présent rassurée de connaître au moins une personne avant d'entrer dans ce gigantesque château et bouleverser radicalement le cours de sa vie, elle sentit une vague d'assurance optimiste monter en son for intérieur. Hermione se saisit de sa lourde valise, grimaça, puis entra dans le premier compartiment vide qu'elle trouva. A peine refermées, les portes se rouvrirent brusquement, laissant passer un garçon joufflu. Ce dernier lui demanda d'une voix hachée par la nervosité, sûrement au bord de la crise d'angoisse :
-Excuse-moi ?! Je m'appelle Neville et j'ai perdu mon crapaud. Il se nomme Trevor. Tu ne l'aurais pas vu par ici ?
