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Eren se réveilla en sursaut, se dressant droit comme un I sur son lit, la respiration erratique et les sourcils froncés. Il vit les contours des meubles tanguer un petit moment avant que le tournis de s'être redressé trop vite ne s'estompe. La sueur maculait son front et il sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il secoua la tête et regarda le jour qui poignait à l'horizon à travers la fenêtre étroite qui jouxtait son lit.
Cela faisait presque un mois qu'il enchaînait ce genre de réveils brutaux, comme s'il émergeait d'atroces cauchemars, sans pourtant en avoir le moindre souvenir. Il trouvait cela étrange, car s'il se fiait aux battements de son coeur, ainsi qu'aux courbatures qu'il sentait chaque matin, les cauchemars devaient pourtant être gratinés. Il se massa le haut du torse, une désagréable sensation d'écrasement y ayant pris place, comme tous les autres matins.
Il se réveillait d'ailleurs toujours à l'aube, sans trop savoir pourquoi, lui qui aimait tant les grasses matinées, avant. Il passa une main dans ses cheveux longs, les laissant retomber en cascade devant ses yeux, inspira un grand coup, et sortit de son lit. Il n'avait parlé à personne de ses mystérieux cauchemars, même pas à Mikasa ou Armin. Ce n'était pas comme s'ils y pouvaient quelque chose de toute façon et, ces rêves ayant le bon goût de se faire immédiatement oublier dès lors qu'il se réveillait, il n'était pas nécessaire de les alarmer.
Il se rinça le visage à l'eau glacée, avant de se regarder dans le bout de miroir au dessus de sa bassine. Il avait de petites zones bleues qui ornaient son dessous d'oeil, mais rien de méchant. Il se demanda distraitement, en passant ses ongles sur sa barbe de trois jours, s'il devait se raser. Il aimait beaucoup ne plus ressembler à un adolescent, mais il trouvait que ça lui donnait l'air encore plus négligé, et maigre. Il avait presque le visage émacié maintenant, les joues encore plus creusées par la barbe naissante, ce qui accentuait d'autant plus ses cernes. Il secoua vivement la tête. Qu'est ce qu'il en avait à foutre après tout.
Habillé de l'uniforme noir, il descendit dans la pièce commune du bataillon d'exploration (ou plutôt ce qu'il en restait), se prépara une tasse de thé et s'attabla seul, ses camarades n'étant pas encore levés à cette heure-ci. Il essayait en vain, comme tous les matins, de se remémorer des moments de son rêve. Il ne comprenait pas pourquoi les souvenirs s'enfuyaient si vite dès son réveil, comme si son esprit ne voulait absolument pas qu'il se remémore ce que son inconscient malade contenait. Pourtant, des souvenirs traumatisants, j'en ai une cargaison. Se dit le jeune homme de 19 ans, en plongeant ses lèvres dans le liquide brûlant. Il ne voyait pas bien ce qui pourrait être pire que les souvenirs qu'il avait retrouvé il y avait bientôt de cela quatre ans. D'ailleurs, c'était ça qui l'angoissait. Qu'il existe pire que ça.
Ses sombres réflexions furent soudainement coupées par l'arrivée bruyante de quelqu'un dans le réfectoire, faisant sursauter Eren. Bien qu'il fut de dos, il se doutait déjà de qui il s'agissait. Personne d'autre ne pouvait être levé à cette heure ci, qui plus est d'une humeur massacrante telle qu'Eren se demandait s'il ne serait pas réquisitionné pour réparer les gonds de la pauvre porte qui s'était écrasée sur le mur dans un craquement sinistre.
« Caporal Rivaille. » Salua t-il poliment dès que son supérieur passa à coté de lui.
Il se ramassa un lourd silence glacial en guise de réponse, de ceux que seuls les Ackerman pouvaient mettre en place en toute circonstance. Le jeune titan haussa les épaules avant de replonger le nez dans sa délicieuse tasse de thé. Il est certainement agacé de me voir tous les matins dans son cher réfectoire depuis que je me réveille aux aurores. Ou bien il est sérieusement en manque d'action, il doit se faire sacrément chier depuis qu'on a nettoyé Maria. Eren eut un léger sourire, et releva son regard vers son supérieur.
Il était affairé à se faire un thé sur le buffet, étape immanquable après son jogging matinal. Une fois sa tasse remplie, il ne daigna même pas s'attabler avec le jeune titan, ne lui exposant que son illustre dos alors qu'il sirotait son breuvage en silence. Eren failli presque en renifler d'amusement, mais s'en empêcha, ne désirant pas forcément commencer sa journée par un récurage en règle de toutes les cuvettes du QG.
A la place, il parcouru du regard le dos de Rivaille. Il a dû faire au moins trois kilomètres en sprint, se dit-il en avisant le tissu trempé qui faisait office de tricot au caporal. Le gris terne du vêtement était presque rendu noir par la transpiration, collant par endroits à la peau de son dos, décrivant une trajectoire sombre qui allait du bas de sa nuque à ses reins. Ce n'était pas la première fois qu'Eren fixait ainsi le dos de l'autre homme, mais il s'étonnait encore de la fascination qui le saisissait à chaque fois. Il sentait de plus en plus un gigotement étrange en bas de son ventre quand il s'adonnait à ce genre d'observation du soldat. Il avait remarqué qu'il n'y avait que lui qui lui donnait cette sensation. Une image de Connie et Jean dégoulinants de sueur lui vint en tête, et il gloussa discrètement. Il vit soudain une paire d'yeux gris le transpercer. Ah, pas si discrètement que ça en fait.
« Quelque chose te fait marrer Jaeger? » Asséna la voix grave et trainante de Rivaille.
Eren eut un léger sourire en coin, et répondit :
« Non Caporal, j'ai avalé de travers. »
Se tournant complètement vers le plus jeune, Livai arbora son regard le plus menaçant qui, bien que très impressionnant, n'arrivait plus à effrayer le jeune titan, ce dernier gardant ses grands yeux verts rivés dans les siens. Rivaille pinça les lèvres, agacé. Depuis quelques mois, l'attitude d'Eren frisait l'insubordination, si bien qu'il était devenu presque systématique qu'une punition tombe dès qu'ils s'adressaient le moindre mot. Le caporal devait même redoubler d'ingéniosité dans les tâches qu'il ordonnait à Eren d'accomplir, afin de maintenir assez haut le niveau de menace. Même ses coups de pieds n'avaient pas l'air de déloger son sourire satisfait de sa tête d'imbécile, et puis de toute façon, Hanji lui interdisait de trop abîmer son précieux sujet de test.
Et pour couronner le tout, le gamin avait l'air d'aimer se réveiller aux aurores, lui pourrissant même les rares moments de calme qu'il pouvait espérer avoir dans cette maison de fous. Le caporal sentit une colère sourde monter en lui, alors que le jeune abruti n'avait manifestement pas l'envie (ou l'intelligence) de baisser les yeux. Il le fixait calmement, et Rivaille put voir une légère pointe d'amusement passer brièvement dans son regard avant qu'il ne saisisse sa tasse et la porte à ses lèvres, en continuant de le fixer.
« Si tu veux pas astiquer le sol de tout le premier étage avec ta brosse à dents, je te conseille de finir de bouffer et de dégager. » Prononça Livai.
Il put entendre un discret reniflement émaner de la tasse de son subordonné, et sa main le démangea. Eren reposa lentement sa tasse et répondit d'une voix douce :
« Ce serait avec joie Caporal, mais Hanji m'a ordonné de m'entraîner avec elle toute la journée. »
Rivaille grinça des dents si fort que le jeune titan put l'entendre. Ce dernier laissa un sourire fantomatique flotter sur ses lèvres, attendant patiemment la réaction de son supérieur. Il sentait la colère irradier de Rivaille, et la folle envie de lui sauter à la gorge pour lui casser trois côtes se lisait sur ses traits tirés. Il continua alors son petit manège, frisant l'irrespect sans donner au caporal de raison valable pour l'enfermer directement au cachot. Il se dit soudain qu'asticoter ainsi son supérieur était sans doute le meilleur moment de sa journée. Tant de choses avaient changé au sein du bataillon qu'il ne voyait plus tellement Hanji et Rivaille comme ses supérieurs, plutôt comme des camarades plus talentueux et avisés que lui, mais auxquels il n'était plus obligé de se plier. Il savait que cette évolution rendait le Caporal irritable, lui qui n'avait d'autre loi que la propreté, l'ordre et l'obéissance. C'est donc avec une certaine jubilation qu'il continuait de fixer Rivaille, le mettant au défi de le réprimander.
« Baisse les yeux Jaeger. » Grogna le plus âgé de son timbre menaçant.
Eren ne cilla pas. Aux contraire, il continua de dévisager son caporal, en passant même une main distraite sur sa joue pour gratter sa barbe naissante. Rivaille avança de trois pas vers la table du jeune homme, posa ses mains à plat sur la surface en bois et se pencha dangereusement en avant, ses deux orbes grises à seulement une dizaine de centimètres du visage d'Eren.
« Baisse. Les. Yeux. Maintenant. » répétât la voix grave dans un grondement qui fit se bloquer la grande inspiration qu'Eren avait prise en le voyant s'approcher. Le jeune homme la relâcha, expirant longuement alors qu'ils étaient toujours face à face, le regard flamboyant.
Finalement, le jeune titan se releva lentement, les yeux toujours accrochés à ceux de son supérieur. Il eut un léger rictus et cligna lentement des paupières avant de se retourner et de partir sans un mot.
Eren sortit de son titan, en nage, de longues marques rouges s'étalant sous ses yeux. Hanji lui sauta alors immédiatement au cou en hurlant.
« EREN! Quelle journée FORMIDABLE ! J'ai fait des croquis INCROYABLES tu voudras les voir? »
Le jeune titan secoua négativement la tête en souriant, les yeux à demi fermés.
« Non merci Hanji, je les regarderai plus tard, il faut vraiment que je mange quelque chose et que j'aille me coucher. » Répondit-il, amusé par la moue déçue qui prit place sur le visage de sa supérieure, avant qu'un sourire franc ne le remplace et qu'elle lui frappe l'épaule affectueusement.
« Oui bien sûr, on fera ça une autre fois, je pense qu'il serait sage que tu te reposes pendant les deux jours qui viennent, on a vraiment forcé aujourd'hui, et même si tu deviens de plus en plus fort, on ne sait pas vraiment ce qu'il pourrait se passer si tu faisais beaucoup de transformations prolongées… » Répondit Hanji sur un ton professionnel, bien qu'une lueur de curiosité malsaine soit apparue dans son regard à la fin de sa phrase. Eren se dit qu'il était grand temps de rentrer au QG.
Lorsqu'il s'installa dans le réfectoire aux côtés d'Armin et Mikasa, il sentit que sa tête lui tournait méchamment, mais n'en dit rien, préférant raconter à ses amis les nouvelles prouesses de son titan. Comme toujours, il eut un petit pincement au coeur quand ils lui racontèrent l'avancée de leur recherches, le temps où ils s'entraînaient ensemble au camp de Shadies lui paraissant si loin.
Il retourna à sa chambre en réfléchissant sombrement. Tout avait changé. Même si le bataillon commençait à reprendre de l'ampleur, leurs dernières découvertes pesaient encore lourd sur leurs esprits, et Eren sentait à chaque minute les regards braqués sur lui, attendant avec appréhension leur prochain mouvement dans ce monde auquel ils avaient encore du mal à croire. Eren sentait qu'il s'attendaient presque tous à ce qu'il craque, Mikasa la première. Il eut un sourire sinistre. Quoi qu'il se passe, il savait pertinemment que ce serait loin d'être facile, et que les décisions à prendre dépendraient certainement de lui seul.
Il s'allongea dans son lit sur le dos, les bras repliés derrière sa tête. Il savait qu'une partie de lui était épouvantée par ce qu'ils allaient bientôt entreprendre, mais il ne l'écoutait plus. De toute façon, il n'avait pas le choix. Et personne ne l'avait jamais eu. Il regarda l'océan noir qui planait au dessus d'eux par sa fenêtre, et s'endormit en pensant que tant qu'ils étaient encore tous là, tout allait bien, et que le mieux qu'il puisse faire pour l'instant était de profiter de ces instants de calme, avant que l'ouragan arrive. Il eut presque un sursaut hilare en se rendant compte que l'ouragan, c'était lui.