Hey !

Et voilà un second OS de la nuit du Fof - beaucoup trop long, ce truc fait 4k mots, tuez-moi - toujours sur les deux chatons. Cette fois, le thème était Chaleur ! (Et j'ai pensé à eux.)

Cet OS spoile une partie de la route d'Asra, et des révélations qui concernent le livre XIII ! (La mort) Du coup, c'est une version arrangée de la discussion d'Asra et Julian dans les cachots. Ça ne colle pas complètement au canon, mais voilà.

(Merci à Ya-la-merveilleuse pour sa relecture de cet OS !)

Bonne lecture !


Résumé : Asra, Julian, un cachot, et une nuit qui n'en finit pas.
Rating : K plus
Genre : Romance, Hurt/comfort
Univers : Canon - Route d'Asra

Pairing : Asra/Julian (vague sous-entendu Asra/Apprenti-e)


La nuit promet d'être longue

23h00 :

La pierre est froide, mais pas autant de la chaîne qui le retient au mur. Le métal lui mord la peau comme une rangée de dents au contour aiguisé. Une douleur fine traverse sa peau, faible, non moins irritante. Un bracelet de douleur. L'image le fait bien sourire, mais Asra n'a pas le cœur à s'amuser.

Pour l'instant, il essaie de gérer la rancœur acide qui imprègne ses pensées.

– Si j'avais su que les chaînes seraient aussi courtes, j'aurais demandé des cellules séparées.

La voix de Julian entre dans son oreille comme une aiguille, et le rire pauvre qui suit n'arrange en rien la mauvaise humeur du magicien.

Il tire d'un coup sec sur ses liens.

– Eh !

Le glapissement du médecin n'est pas aussi satisfaisant qu'il l'espérait.

– C'est un donjon, pas une auberge.

Silence. Sans le voir, il peut l'imaginer poser les yeux sur la pierre grise de la prison. Il la connaît par cœur, cette expression pleine de honte, ce malaise écarlate qui colore ses joues quand il oublie ses mots. Julian est plutôt doué pour se fourrer dans de mauvaises situations. Et encore, si ce n'était que ça. Asra s'en moquerait bien, s'il n'avait pas aussi tendance à entraîner les gens avec lui.

– Je sais.

Grand bien lui fasse.

– Je plaisantais.

– J'ai l'air de rire ?

– Pas vraiment.

Le message doit passer, vu le silence qui suit. Julian ne dit plus rien. Oublié, ce rictus tordu qu'il affichait grand en débarquant dans la cour de Nadia. Il fait moins le malin. Mais c'est tout ce qu'il sait faire, l'idiot, Julian n'est pas capable de réfléchir autrement qu'en fonçant dans le tas. Une catastrophe ambulante qui s'avance face au danger les bras grands ouverts.

Asra le soupçonne de chercher la mort plus que la victoire. Et là encore, ce serait son problème, s'il n'impliquait pas d'autres personnes dans ses machinations tordues. Mais non, monsieur n'a pas trouvé mieux que de le dénoncer comme étant son complice.

Sérieusement.

Si Asra ne se souvient pas de tout ce qu'il a fait, il sait encore ce qu'il n'a pas fait. La mort de Lucio le réjouit, mais il ne l'a pas provoquée.

Et maintenant, il se retrouve enfermé là, avec ce grand crétin roux aux penchants suicidaires trop marqués pour le bien être de son entourage.

– C'est dingue ce qu'il fait froid, Julian commente dans le vide.

Son partenaire de cellule soupire.

La nuit promet d'être longue.

xoxoxox

00h00 :

Le temps passe, et pas vite. Julian soupire. Ok, il comprend qu'Asra n'ait pas envie de lui parler. Il s'y est peut-être pris un peu trop… brusquement, pour se retrouver en tête à tête avec lui. Et maintenant, il ne sait pas quoi lui dire. C'est ballot. Pour une fois que l'autre sorcière de malheur ne peut plus esquiver ses questions, il ne sait pas comment les poser. C'est pas compliqué, pourtant.

Au-dessus de sa tête, son bras pend, cerclé par une menotte trop serrée. Un fer froid, pas confortable pour un sou.

– Eh ! il s'écrie en zieutant vers les barreaux de la geôle.

Asra glisse un regard suspicieux dans sa direction.

– Qu'est-ce que tu fais ?

– Je demande au garde de nous détacher ?

– Et tu penses vraiment que ça va suffir ?

– Y'a déjà des barreaux. C'est pas comme si on allait passer entre.

Julian sait qu'il est fin, mais quand même. Ces chaînes sont foutrement inconfortables, c'est de la cruauté gratuite. Il ne souhaiterait ça à personne, pas même à feu le comte de Vesuvia.

Quoi que.

– Je doute que le geôlier se soucie de savoir si tu trouves ta cellule confortable, Ilya.

– Oh, je peux me montrer très convainquant, quand je veux.

Par convainquant, il veut dire chiant. Mais vu comme l'autre le regarde, il n'a pas dû comprendre la chose comme- Oh non.

Il s'empourpre.

– Je veux dire-

– Je ne veux pas savoir.

– Non mais, c'est pas ce que-

– Je m'en moque.

– Mais-

– Ilya.

Il plante ses mirettes dans les siennes et bam. Ça le frappe. Pas littéralement, mais… Bon sang, ces yeux. Ce violet léger, son cœur qui cogne sec sous ses côtes. Les souvenirs brumeux qui remontent parfois à la surface. Il déglutit.

– Si tu ne voulais pas passer la nuit ici, il fallait y réfléchir avant de te dénoncer. Personne ne t'a forcé la main, je crois.

Sa colère lui passe dans le sang comme un morceau de feu. Julian sent qu'il doit lui répondre, mais il n'a plus de mot. Ses joues gardent leur couleur carmine et il inspire, expire. Se détourne. Sent toujours sur lui deux pupilles furieuses. Enfin, furieuses. Les colères d'Asra ne sont jamais bien dures. Non, elles sont plutôt froides. Pire que la pierre contre leurs dos, plus froides que la nuit qu'ils traversent.

Il s'en souvient.

– J'ai un plan.

– Et tu t'es senti obligé de m'impliquer dedans ?

– Oui.

Il l'entend soupirer d'ici. C'est tout léger, ce souffle, bref. Julian se souvient l'avoir entendu, comme il a entendu sa voix se briser, fragmentée alors qu'ils… Enfin. Il n'a jamais été trop sûr - ou plutôt, il ne voulait pas l'être. Mais la colère qu'il ressent à l'égard d'Asra n'est pas toujours de la colère, et maintenant qu'il se tient près de lui, il la trouve ridicule.
Il baisse les yeux.

Il sent l'épaule de la sorcière contre la sienne, et il chasse ses mensonges d'un geste de la main. Il sait pourquoi il est là, en partie. Il se souvient de la bouche chaude d'Asra, de ses mains et de son regard intransigeant mêlé de sourires suaves.

Et donc, il a cru que ce serait une bonne idée, de passer la nuit enfermé avec lui.

xoxoxox

01h00 :

La nuit passe, et le froid s'étend. Celui des murs passe dans l'air, volète autour d'eux, se colle contre leur peau. Asra ne frissonne pas, sa fierté l'interdit. Il inspire.

Les silences aussi sont froids. Désagréables. Il ne meurt pas d'envie de parler avec Julian, mais plus il se tait et plus il pense, et plus il pense et…

C'est horrible. Sous ses doigts, il peut encore sentir la terre friable du Lazaret.

– Et donc, ce plan ?

Pas que ça l'intéresse vraiment. Ça aurait peut-être le mérite d'être distrayant - comme Julian. Et puis, au point où il en est, il aimerait savoir dans quoi l'autre l'a embarqué. Mieux vaut qu'il sache dans quoi il a mis les pieds, maintenant qu'il ne peut plus les retirer.

– J'avais besoin de te parler.

Ah. Asra n'est pas sûr de vouloir entendre la suite.

– Et tu ne pouvais pas tout simplement venir me voir ? Tu sais où j'habite. Tu sais, la petite boutique dont tu n'arrêtes pas de crocheter la serrure.

– Je n'ai pas crocheté… Enfin, pas si souvent que ça.

Il se sent sourire, malgré lui. Heureusement qu'il lui tourne le dos.

– Une fois, c'est déjà trop.

– C'était fermé. Et j'avais besoin de te parler.

Le vent s'infiltre depuis le couloir.

– Je suppose.

Oh. Il ne se souvient pas de tout, alors. Evidemment. Ils ont tous oublié.

Asra se demande jusqu'où vont ses souvenirs. Si ses sentiments suivent toujours. Il n'imagine pas la gêne, si Julian commence à lui faire une longue déclaration ici. Il en serait capable. Quoi que, il n'a jamais été très démonstratif avec lui. Non, la dévotion lui correspondait bien. Julian l'aimait comme on s'installe au pied d'une statue pour l'idolatrer.

– Je suis passé chez toi, le médecin lâche finalement. Mais tu n'étais pas là.

– Tu aurais pu repasser un autre jour.

– Je suis recherché.

– Et je suppose que c'était moins dangereux, de venir te rendre auprès de Nadia ?

Le grand oiseau siffle.

– En un sens, ça règle le problème.

Il n'a pas tort. Plus besoin de se soucier des gardes qui arpentent la ville, quand on dort dans les cachots de la Comtesse.

Évidemment, il fallait que Julian choisisse la solution la plus dramatique. Pourquoi ça ne l'étonne pas ? Il n'a même pas dû songer à l'échafaud qui l'attendait, seulement au regard surpris de Nadia et la joie qu'il éprouverait en le coinçant enfin.

– Mon plan a réussi, il fait remarquer.

– Ce qui ne veut pas dire que c'était un bon plan.

– Arrête, Nadia ne te fera pas exécuter. Elle a besoin de tes services.

Ça, il n'en sait rien. Asra sait se rendre indispensable, et en effet, il doute que son amie ne lui passe la corde au cou. Mais Nadia a un peuple à gouverner. Et puis, elle n'appréciera pas les informations qu'il compte divulguer pendant le procès.

– On verra bien.

Pas de lumière ici, si ce n'est celle de la torche qui vacille. Asra songe qu'il pourrait allumer un feu du bout de ses doigts pour réchauffer la pièce. Mais son poignet lui fait mal, l'acier mord la chair fragile, et il veut garder ses forces pour le procès. Ils ne savent pas ce qui les attend. Si jamais le peuple réclame un procès par le combat… Eh bien, ça pourrait jouer en sa faveur.

Comme il y pense, il garde l'idée dans un coin de sa tête.

Il imagine, dehors, le ciel changer de couleur. Les rayons orangés s'étendent sur la cime des forêts, l'herbe qui retrouve son vert de jour. A cette heure il fait noir, mais bientôt…

Combien de temps vont-ils encore passer entre les murs de cette prison ?

xoxoxox

02h00 :

Des erreurs, Julian en a fait. Il y en a même certaines dont il est particulièrement fier. Mais celle-là… Bon, techniquement, ce n'est pas une erreur. Son plan a marché, il est ici avec Asra. Ses questions lui échappent, le courage lui manque, mais au moins…

Il tourne la tête vers son compagnon de cellule. Il a des cernes. Petits, mais présents. Asra a toujours eu un rythme de nuit chaotique, mais cette fois, il a l'air claqué. Evidemment. Il ne risque pas de dormir, dans cette position.

A voir son poignet nu contre le fer des chaînes, Julian éprouve une forme de regret. Il devrait peut-être lui proposer un de ses gants ? Non, mauvaise idée, il ne pourra pas l'enfiler. Mais s'il lève un peu plus sa main, Asra pourrait poser la sienne au sol. Oui.

Julian attrape l'anneau qui retient leur chaîne, suspendue au-dessus de leur tête. Et comme la pression se relâche de son côté, la main d'Asra touche délicatement le sol.

Ce dernier relève la tête, intrigué.

– Qu'est-ce que tu fais ?

– Ta main.

Il la désigne d'un geste de la tête. Cette peau plus sombre que la sienne, ces doigts plus courts, cette paume large et puissante qu'il a déjà sentie sur lui. Merde, est-ce qu'Asra se rappelle de ça ? D'eux ? Qu'est-ce qu'il pense de tout ça ?

Julian ne sait même plus comment ça s'est terminé. Mal, comme tout ce qu'il entreprend dans la vie, sans doute. Peut-être qu'elle vient de là, la colère qui pointe parfois dans le regard d'Asra.

– Ça va, ton poignet ?

– Ne t'en fais pas pour ça.

Son ton n'est plus aussi sec.

– Je suis médecin. C'est mon boulot, de m'inquiéter pour ce genre de trucs.

– Sauf erreur de ma part, tu n'as pas de quoi soigner sur toi.

– Mm, non. Effectivement.

Il n'empêche qu'Asra lui tend quand même la main. Julian l'attrape. Ses poignets sont moins fins que les siens, les fers serrent trop fort la pauvre articulation. La peau n'est pas entaillée, mais elle rougit. Pas bon signe.

Ça l'irrite, soudain, de ne rien pouvoir faire de plus. Pas que ce soit grave. Mais Julian est là, il sait qu'il pourrait être utile. Et il ne l'est pas.

Il se revoit, le nez plongé dans ses cahiers. Toutes ces nuits passées à écumer le moindre savoir, en vain.

– Alors ? Tu comptes me tenir la main longtemps ?

Le docteur se détourne. Il l'a vu, là. L'éclat dans ses yeux. Ce brin de moquerie. Son cœur s'enflamme.

– Tu risques d'avoir mal un moment.

– Je l'avais compris tout seul.

– Même une fois les fers enlevés.

– Ça passera.

Oui, sans doute. Et sûrement qu'Asra n'a pas besoin de son aide. Il doit avoir des remèdes de sorcières, des plantes et des potions, des sorts pour ce genre de problèmes. Un pauvre médecin en cavale, il s'en tape pas mal. Et si encore, il pouvait se le taper…

Oh, il est beaucoup trop tard. Et Julian n'a pas dormi depuis trop longtemps.

Mais il ne rêve pas, quand il sent encore la peau chaude d'Asra dans la sienne. Il ne l'a pas retirée.

C'est comme une étincelle entre eux. Leur seule source de chaleur dans cette pièce.

– Asra ?

C'est bizarre de prononcer son nom. Il n'a eu aucun mal à le faire face à la comtesse, et là, ça roule mal sur sa langue. Comme s'il avait du sable plein la bouche.

– Quoi ?

Cette voix qu'il l'entend. Il la cherche dans sa mémoire. Il se revoit, assis à son bureau, le magicien posé près de lui. C'est toujours le même sourire sur ses lèvres.

Et maintenant, quand il le regarde, il a l'impression qu'il lui en veut.

– J'ai fait quelque chose qui…

Comment est-ce qu'il pourrait formuler ça ? Dans sa bouche, ça ressemble à de l'égoïsme. Et c'en est, sans doute.

– T'as une dent contre moi, hein ?

– Oh, quel sens de l'observation Ilya. En effet, j'en veux assez facilement aux gens qui m'accusent à tort pour faire enfermer avec eux au milieu de la nuit.

Il sent qu'il va pour ajouter quelque chose, mais son timbre se coupe. La curiosité le pousse au silence. Rien ne vient, pourtant.

– C'est tout ?

Il peut entendre le crépitement de la torche. Le souffle des courants d'airs qui glissent dans les couloirs. Il frissonne, même, sans savoir qui du froid ou du regard d'Asra fait remonter ce doigt invisible le long de son dos.

Ce regard.

Ces yeux sont toujours aussi mauvais mais ce n'est plus de la colère qu'il y lit, non. On dirait… On dirait qu'Asra se pose la même question que lui. Et la réponse qu'il trouve le peine.

– Oui.

Il ment.

Mais Julian ne peut pas le prouver.

xoxoxox

03h00 :

La fatigue grimpe le long de son visage. Il la sent qui enfonce ses racines sous ses yeux. Asra voudrait les fermer et sombrer ; il n'a rien à faire de mieux. Mais l'inconfort qu'il éprouve, la douleur dans son poignet, la conscience aiguë de tous les dangers possibles, Lucio qui approche, Julian trop proche, et…

Oh, il tient mieux le manque de sommeil, d'habitude.

Il sait qu'il n'a pas le droit d'en vouloir à Julian. Pas pour ça. Mais c'est plus fort que lui.

Il le regarde, et il pense, Pourquoi c'est toi qui est encore là ?

Non. Julian aurait pu mourir, ça n'aurait rien changé.

Mais il est là. Il a survécu, lui.

Et Asra le déteste pour ça.

Et il s'en veut de le détester.

– Action ou vérité ?

Il redresse la tête.

– Tu penses que c'est le moment pour ça ?

– Franchement ? Oui. On arrivera pas à dormir ici et on a encore plusieurs heures à tirer.

Il n'a pas tort. Enfin, presque.

– Je doute que le jeu soit adapté à la situation.

D'un geste, Asra agite la chaîne qui les relie.

– Pas faux. Juste vérité, alors ?

Le magicien voudrait regarder par la fenêtre pour chercher le début du jour. A cette heure, le ciel n'est pas encore éclairci, mais… Oh, il ne verra rien de toute façon. Il n'y a pas de trous dans la pierre. Leur seule lumière crépite au mur.

Et puis, à cette heure… Il ne sait même pas quelle heure il est, dans le fond. Il suppose, mais le temps est fluide et trompeur. Il le sait bien.

– Pourquoi est-ce que tu es revenu ?

La question fait de grands yeux pleins de surprises sur le visage de Julian. Son nez n'en semble que plus long. Il lui faut un moment pour retrouver la parole.

– Oh, ça…

Il agite sa seule main libre.

– J'avais besoin d'éclaircir certaines choses.

– Du genre ?

– Une question à la fois !

Et son sourire s'étire comme une toile entre deux branches.

– A moi !

Il y a trop d'énergie dans sa voix.

– Qu'est-ce que tu comptes faire, une fois que tu seras sorti d'ici ?

– Plaider mon innocence auprès de la Comtesse.

– Non, je veux dire, sorti sorti. Après le procès.

– Tu n'avais qu'à poser une question plus précise.

Julian soupire, dépité. Et Asra sourit. Il s'en rend compte trop tard. Mais ça n'a plus vraiment d'importance maintenant, hein ? C'est plus agréable que de ruminer ses cauchemars.

Et il doit bien l'avouer, Ilya a toujours été doué pour ce qui était des choses agréables.

– Qu'est-ce que tu voulais éclaircir ?

Justement, le docteur arrête de sourire. La question n'a pas l'air de lui plaire. Pourtant, c'est lui qui a lancé le jeu. Il devait bien se douter qu'il utiliserait les questions à son avantage.

– Tu m'as jeté un sort.

Oh non. Il ne va pas lui faire ce coup-là. Asra n'a pas envie de parler de sentiments, et il n'a jamais, au grand jamais, usé de sa magie pour forcer les émotions des gens. Il y a des limites qu'il se refuse à franchir. Excepté certains cas particuliers.

Ou alors c'est un plan de drague ô combien gênant, et il a d'autant moins envie d'entendre ce qui va sortir de sa bouche.

– Quel sort ?

– Tu sais très bien de quoi je parle.

Il veut vraiment s'aventurer sur ce terrain ? Très bien. Pour le coup, Asra n'aura aucun mal à dire la vérité.

– Je n'ai jamais touché à tes sentiments, Julian. Les sortilèges de ce genre ne m'intéressent pas. Tu es tombé amoureux tout seul.

Il attend les protestations, mais quand il relève les yeux, tout ce qu'il trouve, c'est la peau de Julian colorée comme après un long jour au soleil. Le pauvre cligne des yeux, désorienté, ouvre la bouche pour mieux la fermer.

– Je parlais pas de ça.

Asra le comprend trop tard. Le malaise de Julian est d'autant plus palpable. Il le voit qui fait rouler ses yeux partout dans la pièce, partout sauf sur lui et quand enfin il ose, c'est pour se détourner aussitôt.

Un enfant pris en faute, voilà à quoi il ressemble.

– Et de quoi est-ce que tu parlais ?

Si Julian pouvait disparaître, il le ferait sans doute.

– De la malédiction qui…Enfin, ce truc et… tu vois ?

– Absolument pas.

– Mon dieu.

Il cache son visage sous son unique main libre. Son manteau trop lâche lui fait comme une aile brisée, un tas de plume qui pendouille lâchement. Ses doigts trop longs, des serres. Un oiseau empêtré dans sa propre bêtise.

Asra sourit.

– Si c'est pas toi… Oh, non.

Il secoue la tête.

– C'est pour ça que tu m'as fait enfermer ici ?

– Oui.

Evidemment. Typique de Julian, ce genre de magouille.

– Si tu t'étais contenté de me poser la question…

– Tu réponds jamais aux questions qu'on te pose.

Asra lui glisse un regard vexé.

– Je réponds quand c'est nécessaire, c'est tout.

– J'aimerais bien savoir ce que tu entends par nécessaire, alors.

Le terrain glisse. Le magicien n'a pas envie de prendre ce chemin. Il redresse sa main pour empoigner la chaîne et tire un coup bref dessus. Encore une fois, Julian glapit.

Un son qui n'est pas si désagréable à son oreille.

– Eh ! Ça fait mal !

– Vraiment ?

Et tout l'amusement d'Asra tient dans son simple sourire. Julian peut se plaindre, mais il sait que ça ne lui déplait pas. Il se souvient mieux que lui de leurs nuits, et de sa voix qui se brisait quand ses ongles traçaient des sentiers rouges contre sa peau pâle.

– Quel dommage.

Il n'en pense pas un mot.

– A quoi tu joues ?

– A quoi tu voudrais que je joue ?

– Tu ne peux pas répondre à une question par une question.

– De mémoire, il n'y a pas de règles qui l'interdisent.

– C'est implicitement compris dans le titre. Vérité.

Asra rit. C'est la seule réponse que Julian peut espérer de lui. Un son clair qui transperce le silence de la prison, et un regard épuisé qui s'entreferme alors qu'il s'appuie contre le mur.

Il ferme les yeux. Un instant, juste un instant, il lui semble entendre la vie dehors. Il se souvient du murmure des écailles de Faust contre les draps du lit. Du rire des oiseaux, du vent, du rythme de Vesuvia.

De l'odeur de la cendre noire, des plages infiniment grises et de la terre sous ses ongles.

– Tu te souviens de… De ce qui s'est passé entre nous ? Julian demande finalement, après de longues minutes.

Vérité, donc.

– Tu voudrais que je me souvienne ?

Asra n'a pas besoin de répondre à une question stupide. Il le sait, qu'il se souvient. Non, le problème n'est pas là.

Mais ce problème, c'est celui de Julian, pas le sien.

xoxoxox

04h00 :

Le froid s'avance, encore. Parfois, Julian frissonne. Mais il a l'habitude. Ses trois années de cavales ne lui ont pas permis beaucoup de nuits au coin du feu - même s'il pouvait toujours se réchauffer par de grandes enjambées.

Asra, en revanche, tremble près de lui. Il a beau le cacher, ça se voit. Sa mâchoire qui se contracte, ses doigts qui se resserrent. Ses yeux le trompent peut-être, mais il lui semble que sa peau s'est éclaircie - comme ses propres doigts bleuissent dans la neige.

– Asra ?

Ses lèvres n'ont plus l'air aussi chaudes. Il voudrait se pencher pour les réchauffer. Passer sa langue dessus.

Il a soif.

Est-ce qu'Asra a soif ? Faim ? Est-ce qu'il a peur ?

En tout cas, il a sommeil.

– Mm ?

– T'as l'air gelé ?

– Et toi, tu devrais dormir.

– Comme si on pouvait dormir ici.

Son rire n'a pas la même saveur.

– On va faire une sacrée tête, au procès.

Les chaînes tintent. Julian mordille nerveusement sa pauvre lèvre. La peau abîmée qui s'en détache. Il regarde le tissu bleu sur le corps de son camarade, ces milliers d'yeux qui admirent le vide. Les fentes, la peau en dessous. C'est beau. C'est beau, oui. Mais c'est tout.

Asra a froid, et ça lui noue les entrailles.

– Viens.

Il n'a peut-être pas parlé assez fort.

– Asra. Sérieusement, t'as l'air-

– Je sais.

Il pourrait réchauffer la pièce avec ses mains. Ça fait bien partie de ses compétences, non ? Alors pourquoi est-ce qu'il ne bouge pas ? Pourquoi est-ce qu'il reste là à trembler ? La pierre sous leurs jambes, c'est comme de la neige. Une neige dure et compacte qui rentre dans la chair.

– Viens, il répète.

Toujours aucune réponse. Il pense que c'est foutu. Qu'il le mérite bien. Il sait qu'il ne l'invite pas pour la beauté du geste, non. Il a envie de le sentir contre lui, d'être sa source de chaleur. Il ne veut pas qu'Asra se réchauffe. Il veut qu'il se réchauffe dans ses bras.

Encore un bruit de chaînes.

Du coin de l'œil, il voit les jambes du magicien bouger. Et soudain, son dos contre son torse. Son poids sur le sien.

– Merci.

Julian n'est pas sûr d'avoir bien entendu. Peut-être que c'est la fatigue, ou bien ses fantasmes qui lui jouent des tours. Mais tant pis.

Il passe son bras autour d'Asra.

Cinq doigts gelés agrippent les siens.

Sa peau sent bon les bains royaux, les huiles et le savon.


Et voilà. C'est pas trop trop une fin, et de base je voulais écrire jusqu'au matin, mais 4k mots. C'est trop long. Je ferai peut-être une suite un jour. Qui sait.

A la prochaine !