Hey !
OS, nuit du Fof, thème Vase. Je poste vite fait parce que je dois aller dodo et que j'ai beauuuucoup trop tardé à relire, aaaaaah. (Et merci à Ya pour sa relecture. Gros merci)
Ici, l'apprenti utilise les pronoms neutres et les accords masculins.
Il y a des TW en fin de page !
Bonne lecture !
Résumé : Il y a des choses que Julian aurait voulu ne jamais avoir à faire. Amener Asra au Lazaret pour un adieu manqué, par exemple.
Rating : T
Genre : Drama
Univers : Canon (Attention, spoil du livre XIII de la route d'Asra).
Pairing : Asra/Julian, Asra/Apprenti'e
Du Lazaret, on ne revient pas
.
Un dernier coup de rame, et la proue de la barque tape contre le pont.
Julian déglutit.
— On y est.
Ses mains ne tremblent pas au moment de saisir la corde. Mais son coeur est en désordre. Il amarre en silence, empoigne, serre le nœud. Fait passer son long corps sur le bois incertain d'un semblant de port. Ça ne cède pas sous ses pieds. Bien. Il aurait préféré. Un bain de minuit, même dans cette mélasse sombre qui entoure l'île, vaudra toujours mieux que ce qu'il s'apprête à faire.
Las, il se tourne et tend la main à Asra.
— Tu peux y aller. C'est du solide.
Il essaie de sourire. Ridicule. Personne ne sourit, en arrivant ici. Le Lazaret est une île de désolation. Le cadavre flottant des souvenirs sombres de Vesuvia. Asra l'a compris, lui. Son regard voilé ne réagit pas au son de sa voix.
Sa main est toute froide, au creux de la sienne.
Julian le tire vers lui sans brusquer. La barque s'agite, mais le magicien ne perd pas l'équilibre et il le presse contre lui une fois sur le pont. Puis il s'écarte.
Devant eux, la plage s'étend tout autour de l'île. Enfin, la plage… Quel mensonge. Fut un temps, il y avait ici un sable chaud et blanc qui enveloppait l'endroit. Une eau bleue sombre qui avalait les rochers. Ça ne remonte pas tant, Julian s'en souvient.
Maintenant, les cendres et la vase se partagent le rebord grisâtre qui devance la verdure. Une tourbe gris de vert qui flotte à la surface d'une eau aussi peu ragoutante. Le ciel se perd derrière une longue colonne de fumée, l'air apporte des effluves de cadavres carbonisés, comme pour les prévenir.
Ceux qui accostent ici ne repartent jamais.
Julian le sait. Asra le sait. Mais il devine que, malgré lui, le devin ne peut pas s'empêcher d'espérer. Il n'a plus que ça, l'espoir.
Oh, ce désastre qui s'annonce…
— C'est par là.
Il prend sa main. Puisqu'Asra ne l'éloigne pas, il la serre.
— Tu es déjà…
Sa voix. Son cœur se serre. C'est sa voix et, en même temps ça ne l'est pas. C'est trop bas. Où sont passés le sable, le soleil et l'eau qui ruisselle ? Les éclats mesquins, les rires au fond de sa gorge ? Asra ne parle pas bas, Asra ne détourne pas le regard.
Asra ne serre jamais sa main comme ça.
— Tu es déjà venu ici, il reprend ?
— Oui.
Evidemment. Julian inspire.
— Au début, quand on…
Quand on espérait encore pouvoir soigner les patients du sanatorium. Il ne peut pas lui dire ça. Ça reviendrait à avouer que… Et… Oh, Asra le sait bien de toute façon. Il se voile là face, mais il a compris, hein ? Il ne peut pas ne pas savoir.
— Quand la peste a commencé à s'étendre. Je suis venu pour m'occuper des patients.
En vain. Pour ceux qui arrivaient ici, il était déjà trop tard.
Non.
Pour tous ceux qui contractent la peste, il est trop tard. Pour Vesuvia toute entière, peut-être. S'il ne trouve pas de remède…
Après, il est revenu. Pour disséquer les morts.
Devant eux la fumée monte. Asra replie ses bras. Même Faust se fait toute petite sur ses épaules. Est-ce qu'elle sent ce qui est en train de se passer ? Peut-être qu'elle a compris. Si elle le peut. Julian n'a jamais saisi l'étendue de l'intelligence de cet animal.
— C'est par là.
Il jauge le bâtiment devant lui. Celui qui n'est désormais plus qu'un crématorium. Une machine à entasser les cadavres. Des cadavres qu'on brûle, puisqu'il n'y a plus la place pour les enterrer.
Puis il s'en détourne.
Asra attrape sa manche.
— Qu'est-ce que tu fais ? Le sanatorium est par là.
Oh, non. Ces yeux.
Faust se replie autour du torse de son âme soeur, et c'est toute la peur du magicien que Julian voit briller sur ses écailles.
— Asra…
Il est médecin. Médecin au temps de la peste. Annoncer la mort de quelqu'un, il sait faire. Enfin, il croyait.
Mais ces yeux. Ces yeux, il ne s'y fera jamais. Cet espoir brisé des gens qui savent déjà.
— Iel n'est pas…
Il ne veut pas être celui qui annoncera la nouvelle.
— Iel n'est plus là-bas.
Il faut qu'il comprenne tout seul.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
Il se souvient encore de l'odeur. De son corps dur, de la sensation de sa peau sous ses doigts, de la chair qu'il écartait. Le scalpel au bout de ses doigts, et… Et il aurait voulu n'avoir jamais à s'occuper de ce cas là.
— Suis-moi.
Il se détache et prend sa main, sa main si froide qu'il la sent à travers son gant. Ou alors c'est lui qui a froid. Pourtant ça brûle sous sa peau, une flamme qui monte, qui tremble. L'air pourri l'empoisonne.
Qu'est-ce qui s'est passé ?
Iel a été envoyé au Lazaret.
Pourquoi est-ce qu'il ne lui a pas simplement dit la vérité ? Ç'aurait été plus simple. Asra aurait hurlé, peut-être. Les yeux rouges, les traits déformés. Il serait tombé en miettes au sol. Des milliers de petits morceaux impossibles à recoller. Mais au moins…
Ce n'est pas comme s'il lui avait menti, hein ? Comme tous les malades, Iel a glissé sur l'eau noiratre de l'île maudite. Iel s'est aventuré dans cet entre-monde, seul. Conscient de ce qui l'attendait. Iel savait. Tout le monde sait, en arrivant.
Asra sait aussi. Il ne peut pas ne pas comprendre alors qu'il l'emmène au-delà de la terre noire, entre les arbres, sur ce sol mort où l'herbe ne pousse plus. Les cendres font un bon engrais, pourtant. La mort des uns, bien enterrés, n'en nourrit que mieux la vie qui suit. D'habitude.
Pas ici.
Ici, tout meurt.
— C'est là.
Julian n'oubliera jamais. Ce rocher escarpé, pointé entre deux arbres tordus. Ce sol retourné. Et en dessous… En dessous, des cendres et des os. Rien. Rien, mais c'est tout ce qu'il peut encore lui montrer.
— Non.
Tout ce qui reste après quelqu'un qui n'existe plus.
Évaporé. Emporté par la peste.
Et s'il a vu les morts défiler, les cadavres entassés comme des sacs de farines, s'il a rassemblé des piles de corps gris comme autant d'échecs alignés, rien ne l'avait préparé à ça.
— Je suis désolé.
— C'est impossible.
La peste peut toucher les gens qui l'aime. La peste peut briser, sans contaminer.
La peste n'est pas qu'un virus. Et si Julian trouve un jour un remède, il ne pourra jamais reprendre ce qu'elle leur a enlevé.
— Tu devais le protéger.
— J'ai fait tout ce que j'ai pu.
Sacrifier ses nuits sur ses livres de sciences, à repasser encore et encore les mêmes hypothèses. Fouiller les cadavres à la recherche du moindre indice, les veines pleines de café. Il a essayé, encore et encore, enchaîné les remèdes, les espoirs brisés. Mais il avait beau s'évertuer à la tâche, abruti de fatigue, les marques sur le corps de l'apprenti demeuraient. Les journées s'enchaînent, si longues. Si courtes.
Les bandages gagnaient du terrain.
Et un jour…
— Tout ce qui était possible.
Un jour, il lui a tenu la main pour l'aider à grimper sur la barque.
Comme Asra, il ne voulait pas y croire.
Comme Asra, il savait déjà.
Asra qui tombe à genoux, les mains sur le sol. Ce sol où poussent par millier des butes de terre retournée. Il caresse l'humus, les feuilles et les insectes qui filent.
Julian le sent trembler.
— Iel est mort.
Le magicien lui épargne au moins cette peine, d'avoir un formuler un mot qu'il regrettera toute sa vie.
— Je suis désolé Asra. J'ai essayé, je-
— Iel est mort seul.
Pas seul. Pas vraiment. Mais Asra était loin, et c'est tout comme. Parce qu'iel l'attendait.
Et Asra n'est pas rentré assez vite.
— Pourquoi tu ne m'as pas prévenu ?
— Je ne savais même pas où tu te trouvais. Tu étais injoignable.
Comme toujours. Il apparaît et disparaît comme bon lui semble, insaisissable. Mais cette fois, le tour a mal tourné.
— Pourquoi iel ne l'a pas fait ? Iel sait… Iel savait…
— Iel n'était pas au mieux de sa forme. La peste…
La peste faisait des ravages. Elle l'épuisait. Son corps tremblait, la douleur engourdissait ses membres. Et Julian regardait, jour après jour. Il pensait à Asra. Au moment où il faudrait lui annoncer, il… Il était là. Inutile. Impuissant.
Un grattement maigre rampe à ses pieds. D'abord, il croit au corps de Faust qui roule sur la terre sèche. Mais elle attend, immobile. Près d'Asra, qui plonge ses doigts dans les entrailles pourries de cette île.
Julian s'agenouille aussitôt près de lui.
— Arrête, c'est inutile.
Mais Asra l'ignore.
— Tu vas te blesser.
Il n'y a rien, ici. A peine des restes. Des cendres qui percent bientôt à la surface alors que les doigts d'Asra plongent dans cette masse plus sombre que sa peau. Que la nuit même.
Sa peau si fine qui s'écorche contre les blocs de terre.
— Arrête Asra, tu-
— Ne me touche pas !
La matière brune vole près de ses yeux alors qu'Asra le repousse. Julian bascule près de lui. Déglutit. Il sait, c'est légitime, c'est mérité. Mais le regard d'Asra, là. La douleur vive et sa lèvre fébrile, ses dents qui tremblent d'un froid qu'il ne pourra jamais calmer. Son regard vacille, un monde qui s'effondre. Un univers. Toute une vie.
Une vie que Julian n'a pas su sauver.
L'échec de trop.
— Pourquoi ?
Asra creuse et creuse encore, remonte des cendres, et le souvenir du corps crépitant sous le feu. Sur les feuilles mortes, les os sont comme de minuscules cailloux. De petits jouets qui lui rappellent ceux que les orphelins jetaient dans les rues, pour compter des points imaginaires. Mais ce sont les os de Yel, éparpillés. Ses os tachés du sang qui coule le long des ongles d'Asra.
De ses larmes. Ses doigts, ses yeux, rouges.
— Je suis désolé, il répète.
Il ne le sera jamais assez.
— Tu devais trouver le remède.
— Je suis désolé.
— Si tu avais…
Sa voix se brise et dans sa gorge, un grognement guttural crève sur une plainte minable. De voir ses mains, Julian a mal aux siennes. Il voudrait pouvoir les soigner. Arrêter la douleur d'Asra.
— Si tu l'avais trouvé, iel ne serait pas mort.
— Je suis désolé.
Il n'imagine pas à quel point.
— Tu l'as laissé mourir.
Asra se replie sur lui-même. Il fouille encore le sol mais il n'y a rien. De la terre, des cendres, des os.
Julian veut le prendre contre lui. C'est viscéral, un besoin, il doit le sentir contre lui et l'éloigner de ça, mais il ne pourra jamais. Il n'a pas pu soigner Yel. Il ne pourra jamais sauver Asra. Jamais.
C'était son rôle, et il a échoué.
Et la ville meurt dehors.
La fumée du sanatorium noircit le ciel.
Asra pleure sur les restes de quelqu'un qu'il n'a pas pu sauver. Même pas pu garder en vie jusqu'à ce qu'il rentre. Il n'a pas eu droit à un adieu.
— Pardon.
Il n'aura jamais les mots pour lui dire comme il s'en veut.
Ni ceux pour le consoler.
[TW : mort, maladie]
Voilà. Ça fait grave longtemps que je voulais écrire ce passage sur le Lazaret. En soit rien ne dit que Julian était avec Asra - pour les routes que j'ai faites - mais j'ai imaginé ça. C'était plus virulent dans ma tête. Je ferai peut-être une autre version un jour ?
