L'envol du phœnix
Merci à Alixe, Dina, LaPaumée et Fée Flea(u) qui relisent, rient, râlent, commentent... me tiennent la main à toutes étapes
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6. Quand l'innocence ne suffit pas
"Demain nous ferons quelques courses", annonça au dîner Aesthelia, "et nous partirons après demain vers l'Amazonie - quelques étapes en cours de route, mais je pense que nous y serons en moins d'une semaine..."
"Très bien", commenta inutilement Laelia.
En fait, elle accepte l'ordre en bonne petite Auror, se dit Sirius, inquiet des zones d'ombre qui marquaient encore ce plan. Qui savait réellement ce qui devait se passer ? Pas Nymphadora visiblement. Devait-il leur faire confiance ? En regardant les deux femmes assises à côté de lui, il espéra sincèrement que oui.
Aesthelia sortit alors de son sac un petit écrin rouge usé mais de bonne facture et le tendit à Laelia.
"Vous porterez ça dorénavant, Laelia, pas trop ostensiblement mais sans le cacher pour autant."
Cyrus se leva de sa chaise pour mieux voir et découvrit une médaille d'or blanc sertie de minuscules rubis qui dessinait la Croix du Sud. Aesthelia porte la même, se rappela Sirius avec une étrange acuité.
"Nous appellons cela une médaille constellation...c'est une tradition d'en offrir une à chaque enfant qui naît dans une famille... disons au sang suffisamment pur.. Plus les médailles sont anciennes et ont été portées plus elles ont de la valeur, comme un certificat de bonne naissance... Mais évidemment, une famille doit parfois se résoudre à en acheter de nouvelles, le nombre de décès ne couvrant pas les besoins de la nouvelle génération", raconta Aesthelia avec un mélange de dérision et révérence.
"C'est joli", commenta Laelia prudemment.
"Elles se portent au bracelet ou au cou... la chaîne est magique et s'adapte... La médaille, elle, n'a aucun charme particulier - une belle ironie, quand on y pense, non ?", continua l'ethnomage alors que Laelia se décidait à sortir la médaille et la chaîne de l'écrin.
"Elle est ancienne", nota la jeune femme.
"Elle vient de ma famille qui a subi plus de décès que de naissance depuis un certain nombre d'années..."
"Vous m'offrez un pedigree", comprit Laelia avec un signe obligeant de la tête mais en se battant avec le fermoir de la chaîne. Cyrus se leva pour l'aider. "Merci", lui sourit-elle.
"Exactement - mais j'apprécierais de la récupérer... après...", signala Aesthelia.
"Bien entendu", s'engagea Laelia.
Après... après, Laelia aura disparu, se rappela Sirius, étonné de la manière dont le temps semblait passer à toute vitesse depuis sa fuite d'Azkaban. Parfois il avait l'impression qu'il connaissait Laelia depuis des années, qu'elle était effectivement sa mère - et non celle de Cyrus, et que tout cela allait continuer... Puis il se rappelait : le plan, la mort annoncée, le retour en Angleterre et les batailles que ça serait sans doute... Il n'aurait jamais avoué combien ça lui faisait peur en un sens... Cyrus, lui, ne voulait pas que Laelia meure et il se rassit sur la chaise en ne faisant plus que jouer avec la nourriture dans son assiette.
"Tu n'es pas obligé de finir", indiqua Aesthelia.
Cyrus regarda ouvertement Laelia pour une confirmation que la jeune femme ne pensa même pas à donner. Avec une certaine rage, il reprit l'attaque de son assiette. Loin de ce drame minuscule, la conversation partit ensuite sur les autres préparatifs du départ. Au chagrin de Cyrus vint s'ajouter les questions de Sirius : pourquoi Cyrus n'avait-il pas de médaille ? Parce que son père officiel était un loup-garou ? C'était possible, sans que Sirius ne puisse le jurer. Intriguant, en fait, comme ce dessin de la constellation sur la porte violette dans le couloir. S'il s'agissait effectivement d'un rêve comme Aesthelia l'avait accepté, alors ce rêve avait-il un lien avec la pureté du sang ? Ça ne ressemblait pas à l'Aesthelia qu'il avait connue. Mais l'Aesthelia qu'il avait connue ne fermait pas les portes, surtout si elles donnaient sur des rêves...
oo
Le lendemain assez tôt, ils se rendirent au Marché des Traditions, où Aesthelia devait acquérir diverses denrées pour leur voyage et pour des amis dans les villages qu'ils allaient traverser. Elle leur indiqua une série de boutiques alignées contre un mur du gigantesque bâtiment.
"Ce sont des bijouteries. Vous allez y aller tous les deux pendant que je finis les courses. Il faut remplacer la médaille constellation que Cyrus a perdu. Visitez le maximum de boutiques, trouvez les trop clinquantes - regrettez ouvertement celle de votre grand-père qui était si distinguée - et faites votre choix dans la troisième en partant de la droite... Le clerc est un petit cousin..."
Laelia regarda plusieurs fois les boutiques désignées et Aesthelia comme pour se persuader de l'obligation de procéder à l'opération.
"Il faut qu'on se souvienne de nous éventuellement", comprit-elle.
Pour tout confirmation, Aesthelia sourit et leur tourna le dos. Voilà pourquoi elle ne m'a pas offert de médaille, fit remarquer Cyrus à son double adulte. Effectivement, il semble qu'ils aient des tas de plans qu'ils nous délivrent au compte-gouttes, râla Sirius. T'es jamais content, décida Cyrus en s'élançant avec curiosité vers les fameuses boutiques. Dans la première échoppe, Laelia resta indécise devant les médailles qui lui étaient montrées, les prenant chacune dans sa main pour les reposer avant de déclarer d'une voix un peu faible qu'elles ne convenaient pas et de s'excuser d'avoir dérangé le vendeur.
"Je ne suis pas sûr que c'était le comportement que Aesthelia avait en tête", se risqua Sirius, dehors. "Tu n'as même pas dit que je l'avais perdue !"
"Si tu crois que c'est facile !", s'agaça Laelia. "Et puis, parle portugais !"
"Mais je suis bilingue, je te rappelle, et ça, ça marquera les esprits", se justifia Sirius. "Et puis, je peux t'aider si tu veux..."
Laelia eut l'air de vouloir lui dire non puis elle risqua un acquiescement à peine visible alors qu'ils pénétraient dans la deuxième boutique.
"Nous cherchons une Médaille Constellation", commença-t-elle quand le vendeur s'enquit de ses désirs. "Mon fils a perdu la sienne..."
"Je vais la retrouver, Mae", gémit alors Cyrus suivant le plan de Sirius. "Promis, je vais la retrouver la médaille de Grand-père !"
"Nous la cherchons depuis trop longtemps pour que j'aie encore un espoir", commenta Laelia avec un soupir relativement convaincant en se tournant vers le vendeur.
"Elle doit être restée en Amazonie", essaya encore Cyrus pour développer le mensonge de façon satisfaisante. Avec un peu de chance, le gars se rappellerait de tels détails - jugea Sirius.
"Nous avons un large choix", commença le vendeur en sortant un premier plateau.
"Pas en argent", décréta Cyrus avant même que le type (ne) l'ait posé sur le comptoir. "La mienne était en or blanc !"
"C'est devenu très difficile d'en produire - les Moldus prennent l'or partout ou ils le trouvent et les Gobelins ont souvent le monopole du reste", expliqua le vendeur un peu gêné.
"Nous ne sommes pas intéressés par des médailles en argent", s'excusa Laelia sautant sur le prétexte pour les faire sortir.
Dans la troisième boutique, ils répétèrent leur manège avec succès sauf que, cette fois, ils se virent proposer trois médailles en or. Avant que Laelia ait pu ouvrir la bouche, Cyrus claironna qu'il les trouvait "laides et vulgaires - ils sont trop gros les rubis, non, Mae ?"
Laelia en avait les joues rouges en sortant.
"Tu ne crois pas que tu vas un peu loin ?", grinça-t-elle en anglais.
"Ils vont se souvenir de moi", lui opposa Cyrus avec un grand sourire satisfait.
"Je me demande si Remus serait content de voir ça", commenta étrangement Laelia. "Harry est un petit garçon très bien élevé !"
La sortie laissa Cyrus sans voix et même Sirius fut perdu par cette ligne de raisonnement.
"On peut être difficile sans être insultant", insista Laelia plutôt fermement. "Tu avais raison sur la taille des rubis mais il y avait d'autres façons de le dire !"
Cyrus faillit argumenter que c'était un jeu - mais le jeu était effectivement de lui construire une identité. Ce qui ramenait à Remus. Et Sirius paraissait relativement prêt à croire que son ami n'aurait jamais approuvé qu'on se moque des vendeurs... Remus n'avait jamais tellement aimé les moqueries et les airs condescendants...
"OK, essayons d'être plus... diplomate", admit-il du bout des lèvres.
"Essayons", acquiesça Laelia et, de fait, leur quatrième visite répéta l'histoire de la médaille du grand-père perdue en Amazonie, leur prétention de trouver une remplaçante en or ornée de rubis ni trop gros, ni trop petits. Ils n'eurent aucun mal à sortir sans rien, sauf la promesse du bijoutier de les contacter s'il trouvait une pièce aussi rare.
"On peut aller dans la bonne, tu crois ?", s'enquit Cyrus, en sortant.
Sur l'acquiescement de Laelia, ils se dirigèrent vers la plus grande des boutiques alignées. Dès l'entrée, un jeune clerc au cheveux noirs comme jais les salua :
"Dona Laelia, quel honneur de vous voir entrer dans notre boutique !"
"Merci", articula Laelia faiblement après une bouffée de surprise.
"Comment puis-je vous aider ?", continua le clerc.
"Mon fils a perdu sa médaille", commença Laelia d'un ton languissant que Sirius trouva très dans son rôle. Cyrus piqua légèrement du nez - pas trop. Le clerc prit un air entendu et les dirigea vers un grand comptoir. Des elfes apparurent et offrirent une chaise à Laelia pendant que le clerc sortait un tiroir de velours dans lequel cinq médailles en or étaient présentée. Au centre, une sortait clairement du lot tant on aurait dit la réplique de celle que portait Laelia.
"Celle-là est... intéressante", remarqua la jeune femme en portant la main à sa propre médaille.
"Je ne peux pas révéler sa provenance par respect pour les vendeurs mais elle est... digne de vous, Dona Laelia", souligna le clerc.
"J'espère que tu ne la perdras pas", soupira Laelia pour Cyrus, qui de nouveau prit un air contrit, alors que le clerc passait la médaille à son cou.
ooo
Le jour suivant, Laelia, Aesthelia et Cyrus quittèrent enfin Rio. Ils transplanèrent d'abord jusqu'à un village magique habité essentiellement par des Brésiliens d'origine européenne et abritant à ce titre une des seules écoles de magie officielles du pays.
"Une très petite école très chère et très chic", expliqua Aesthelia. "Je n'y mettrais pas un enfant pour tout l'or des Gobelins... "
"Non ?", questionna Nymphadora Laelia, par pure politesse d'après Cyrus. C'était le début de la soirée, la chaleur n'était pas encore tombée et chaque mouvement, chaque parole paraissait coûteuse.
"Non, pas vraiment", sourit Aesthelia, " mais, chère Laelia, je vous ai pris un rendez-vous demain matin avec le directeur - une prise de contact pour le moment où Cyrus aura l'âge..."
L'information plana un instant sur le porche de bois sur lequel ils buvaient de la citronnade glacée.
"Renforcement des preuves d'existence", approuva finalement Laelia d'une voix un peu faible.
"On peut dire ça comme ça", s'amusa encore Aesthelia. "C'est une des rares écoles non couvertes par un établissement religieux moldu, ça pourrait correspondre au côté moderne du personnage..."
"Mais je vais lui dire quoi ?", s'enquit la jeune femme avec une visible appréhension que sentait bien Sirius pour le plus grand agacement de Cyrus.
"Que vous visitez, que vous vous renseignez... Il n'est jamais trop tôt pour se renseigner !" estima Aesthelia avec un petit haussement d'épaules.
"Mais il va me poser des questions... sur moi, sur Cyrus... même si mon portugais a fait des progrès, je vais nous trahir !", craignit ouvertement la jeune Auror britannique.
"Dites-vous bien que chacune de ses questions le met en situation de faiblesse, souriez, montrez que ça vous dit combien ce pauvre homme en sait peu de vous", proposa Aesthelia en prenant un ton hautain. "Quand la question vous gêne, souriez."
"Tout ce que j'aime", murmura Laelia en détournant les yeux.
"Laelia pourra être différente dans les villages", glissa Aesthelia en lui prenant la main. "Je suis différente dans les villages ; mais avec des imbéciles comme ce directeur, je serais insupportable, c'est le seul langage qu'ils entendent."
"S'il le faut", murmura Laelia. "Et Cyrus ?"
"Il vous accompagne, veut savoir s'il y a un stade de Quidditch et des dragons.. passe continuellement de l'anglais au portugais... créé une impression durable à ce cher directeur..."
Cyrus sourit et Laelia grimaça, effaçant le sourire du garçon.
"Il pourrait aussi se montrer extrêmement avancé en théorie magique et en botanique", proposa Aesthelia plus sobrement.
"J'avoue que j'assumerais mieux", souffla Laelia presque rougissante.
Ils s'habillèrent de blanc pour cette visite. Les sorciers portaient du blanc au Brésil, Sirius s'en souvenait assez clairement. Laelia choisit une longue robe aérienne au travers de laquelle on distinguait sa médaille. On distinguait celle de Cyrus dans l'échancrure de sa chemisette. Le directeur vint à leur rencontre, la tête couverte d'un panama immaculé.
"Dona Laelia, on m'a tant parlé de vous... Coelho de Rio, n'est-ce pas ?"
Laelia se contenta de sourire et d'incliner la tête.
"Un honneur pour moi", commenta le directeur. "Vous venez nous rencontrer pour ce jeune homme", continua-t-il en regardant brièvement Cyrus. "Tu as quel âge ?"
"J'aurai neuf ans en juin", récita Cyrus assez froidement, laissant immédiatement son regard errer sur les titres dans la bibliothèque. Rien que du portugais.
"Vous prospectez déjà", conclut le directeur en se tournant, appréciateur et flatté, vers Laelia.
"Nous... j'ai des attentes assez élevées pour mon fils", commenta cette dernière avec raideur. "Cyrus est bilingue - son père est britannique - et déjà relativement ouvert à la théorie magique et à la botanique... C'est important qu'il trouve un lieu pour s'épanouir..."
"Je suis certain qu'il trouverait chez nous de quoi satisfaire sa soif de connaissances tout en se forgeant les amitiés qui lui seront nécessaires à l'âge adulte", commenta le directeur.
"Peut-être pourrions nous visiter vos instalations ?", s'enquit Laelia avec l'air d'avoir envie de s'enfuir, selon Cyrus, mais le directeur ne parût pas s'en formaliser.
"Bien évidemment. Ce sera un plaisir pour moi de vus guider."
Les élèves bénéficiaient de chambres individuelles dont le confort variait selon la générosité de leurs parents. Réunies en petits pavillons de six chambres, elles partageaient une salle de travail et de détente commune. Un grand bâtiment abritait une dizaine de salles de classe et un réfectoire aéré qui donnait sur un terrain de quidditch relativement neuf. Derrière, il y avait une grande serre que Laelia ne souhaita pas visiter. Ils revinrent donc au bâtiment administratif qui accueillait aussi la bibliothèque. C'est là que Cyrus explosa.
"Pas un seul livre en anglais, Mae ! Pas un seul ! Tu ne peux pas...Je n'irai jamais ici ! D'abord, c'est à Poudlard que j'irai !"
"Cyrus, tu sais bien que...", pâlit Laelia, dépassée par la vigueur de sa colère. Ça ne l'arrêta pas.
"Ça suffit cette comédie", conclut-il en s'enfuyant à toutes jambes.
Cyrus partit droit devant lui, se souvenant vaguement que la maison d'Aesthelia était de l'autre côté du village. Il partit au hasard -nourri pas l'idée de Sirius selon laquelle il serait sans doute ainsi plus difficile pour Laelia de le retrouver... Mais le village était petit et il fut assez vite devant la maison d'Aesthelia. Sans trop savoir si Laelia pouvait l'avoir même précédé. Les larmes le prirent au bas de l'escalier menant au porche de la maison qu'ils occupaient. Il s'effondra sur les marches, secoué de tremblements irrépressibles - tant par lui que par Sirius. Le bruit fit sortit Aesthelia.
"Cyrus ! Qu'est-ce qui se passe !" s'exclama-t-elle en courant jusqu'à lui en jetant des regards affolés autour d'elle.
"Je ne peux pas... je ne peux plus, Aesthélia ! Ça rime à rien tout cela !"
"Qu'est-ce qui ne rime à rien ?", souffla-t-elle en le tirant facilement debout et en le faisant rentrer dans la maison. Il y avait presque du soulagement dans sa voix.
"Tout ça ! Dans trois ans, je n'irai jamais dans cette école ! Jamais !", s'énerva Cyrus.
"C'est évident", répondit l'ethnomage avec un calme qui faillit déteindre sur l'enfant. "Où est Laelia ?"
"Elle doit me chercher", avoua le jeune garçon, brusquement désolé de sa réaction. "Je suis parti de cette sale école !"
"Magnifique", commenta Aesthelia apparemment partagée entre le rire et la désapprobation.
"C'est mal ?", questionna Cyrus avec un peu d'appréhension et beaucoup de naïveté.
"Si tu devais revenir un jour dans cette école, tu pourrais craindre la belle réputation que tu viens de te tailler", estima l'ethnomage en l'asseyant à côté d'elle sur un banc.
"Jamais !", répéta Cyrus avec une nouvelle flambée de colère. Un truc qui lui prenait les tripes, balayait toute intervention de Sirius, toute envie de faire bonne impression à Laelia ou à Aesthelia. "Ni dans aucune autre d'ailleurs ! Ils vont bien le retrouver d'ici là, ce Peter, non ? C'est de la comédie !"
"Je n'en ai aucune idée, Cyrus.. Je sais qu'ils cherchent... mais il n'y a aucune certitude... à part l'innocence de Sirius...", souffla Aesthelia beaucoup plus sérieuse que précédemment.
"Alors à quoi bon, à quoi bon que des gens m'aient vu moi, ou Laelia.. Je devrais être à Poudlard avec Harry et Remus, c'est la seule chose qui ait un sens !"
Malgré son chagrin, il sentit la respiration d'Aesthelia changer, et Sirius s'en inquiéter. L'avait-il blessée ? Il le regretta vaguement et puis sa colère reprit le dessus, se nourrissant même de sa réaction.
"Toi aussi, tu veux Sirius le plus vite possible", accusa-t-il. "Alors, à quoi bon toute cette comédie ?"
"Imagine qu'ils n'arrivent pas... Il faut du temps pour prouver l'innocence de Sirius, tu es ce temps, Cyrus... C'est sans doute un peu inquiétant et frustrant, mais c'est aussi une très noble tâche... Et tu as un coeur plus que noble, Cyrus...n'est-ce pas ?", répondit l'ethnomage avec une émotion évidente, mais sa voix le calma étrangement.
"Sirius n'en peut plus d'attendre qu'on lui rende sa vie", avoua Cyrus, caché entre ses bras.
"Sirius n'a jamais été très patient", commenta Aesthelia plus froidement. "Il devrait se rendre compte de la chance que tu représentes - la chance de sortir d'Azkaban, la chance de prouver son innocence, ou au pire d'avoir une autre vie..."
"Tu crois que.. que ça pourrait lui plaire... une... une autre vie ?", hoqueta Cyrus presque honteusement.
"Si je pouvais, Cyrus, si je pouvais prendre une potion qui me ramène dans le passé et me permette de changer certaines de mes décisions, sois sûr que je le ferais, sois certain que j'en profiterais !", affirma alors Aesthelia contre toute attente et de Cyrus et de Sirius.
"Fais-le Aesthelia ! Fais le - on serait... des frères et soeurs !", s'enthousiasma Cyrus - Sirius aimerait ça, il en était certain !
"J'aimerais pouvoir te dire oui", soupira Aesthelia avec un étrange sourire.
"Qu'est-ce qui t'en empêche ?"
"Certaines responsabilités que j'aie prises depuis - ce serait les fuir, ce serait faire beaucoup de mal à d'autres par pur égoïsme...",
"Mais... c'est différent pour Sirius ?", s'inquiéta de nouveau Cyrus.
L'ethnomage prit le temps de réfléchir avant de répondre.
"Oui, je crois. On lui a volé la possibilité de prendre des responsabilités en quelque sorte... il aurait tort de ne pas en profiter..."
"J'espère qu'il va t'entendre", murmura Cyrus en se blottissant contre l'ethnomage.
oooo
Sirius se réveilla d'un coup pour échapper au froid, à la solitude et aux remords. Le cauchemar était si vivace, impossible de penser que c'était autre chose que la réalité : il n'était rien qu'un traître et un inutile. Va voir Laelia, pensa si fort Cyrus que l'idée parut un instant plus solide que l'angoisse, la honte et le dégoût qui le faisaient trembler. Pourtant Sirius résista ; il n'allait pas se jeter dans les bras de sa cousine pour un cauchemar - pire, pour un souvenir. Il allait se calmer comme un adulte, il allait y arriver, maîtriser sa respiration, régler ce coeur. Il allait y arriver...
Les résultats restant en dessous de ses espérances, il se leva du lit blanc au centre de la pièce à peine éclairée par des lumières extérieures. Pas la cellule, tu vois, une maison, un lit ! Marcher le calmerait, marcher chasserait les fantômes et les cauchemars... le ramènerait au présent, au Brésil - chaud, humide - où il n'était même pas seul... Les fantômes des Détraqueurs allaient le lâcher ! Il était innocent.
En marchant, il s'approcha de la fenêtre grande ouverte sur la forêt - avec ces bruits inimitables : les cris des perroquets, des singes et des urutaus, le ronflement du fleuve, les murmures du village en contrebas... Ça, ça allait le sortir de sa transe ! Les yeux fermés, il essaya de s'emplir des odeurs sucrées de dehors, des bruits, de tout ce qui repousserait profondément le cauchemar dans les tréfonds de son âme. Dans cette position, il perçut des voix, deux femmes qui discutaient en anglais. Il les reconnut sans peine - Laelia et Aesthelia... Cyrus gémit qu'il voulait aller voir Laelia et se blottir contre elle... Mais rien que d'entendre la voix d'Aesthelia, rien que de penser à elle, le coeur de Sirius réaccéléra pour d'autres raisons que les cauchemars. Et les propos des deux femmes devinrent distincts.
"... je suis désarmée quand il est un enfant, finalement", disait Laelia. "Plus que quand il agit ou pense en adulte...Il a un côté si sincère et, en même temps, si imprévisible..."
"Vous vous en sortez très bien", intervint Aesthelia avec sa pointe d'accent brésilien que Sirius avait toujours adorée.
"J'improvise", expliqua Laelia, toute à son histoire. "Dumbledore m'a dit de suivre mon instinct, de l'aimer et que le reste suivrait... Mais je... je n'ai aucune expérience des enfants... je crois le traiter plus comme un petit frère que comme un fils... Ce n'est pas ce que voulait Dumbledore !"
"Est-ce important ?", questionna Aesthelia, et Sirius lui donna raison. A quoi bon vouloir tellement ancrer en lui l'idée qu'il avait une mère, un père, une histoire brésilienne ? Tout ça pour quelques mois ? C'était beaucoup d'énergie dépensée en pure perte. Ou alors ça en disait long sur les espoirs réels de retrouver Pettigrow - et ce n'était pas une pensée bien joyeuse même s'il comprenait que Cyrus ait envie du contraire.
"Je n'en sais rien", reconnut Laelia dans un soupir. "Mais je vois bien que vous réagissez mieux que moi face à Cyrus - vous savez faire la part des choses entre ce qu'il peut réellement faire, ce qu'il devrait faire et ce qu'il aimerait être capable de faire... ce qu'il a envie d'entendre."
Je ferai ce que tu voudras ! promit Cyrus, tellement prévisible dans son souci croissant d'obtenir des preuves de l'attachement de Laelia pour lui. Elle va mourir, lui rappela sombrement Sirius et tout ça n'est qu'une comédie...
"J'ai une certaine expérience avec les enfants de huit, neuf ans", admit alors Aesthelia avec un rire étrange et rauque.
"Vraiment ?", questionna Laelia avec une candeur que Sirius ressentit malgré la distance, malgré ce corps d'enfant qui ne voyait pas toujours le mal là où il était.
Était-ce parce que Sirius avait envie d'entendre la voix d'Aesthelia qu'il eut l'impression que le silence durait tant de temps - un temps insupportable ?
"Nous avons une fille de huit ans", finit par énoncer Aesthelia comme elle aurait annoncé le temps prévu le lendemain.
"Quoi ?", lâcha Laelia, et Sirius, un étage au dessus, ne put que se faire l'écho silencieux de sa question.
"Sirius et moi, nous avons une fille de huit ans", précisa Aesthelia sans émotion particulière apparente. "Presque neuf."
"Mais personne ne m'a dit...!", s'exclama Laelia une fois encore héraut des pensées de Sirius devant sa fenêtre.
"Personne ne sait", expliqua Aesthelia.
"Comment est-ce possible ?"
De nouveau, il y eu un silence meublé par les cris de singes au loin, de perroquets dérangés par les singes et d'urutaus en chasse.
"Sirius...", commença Aesthelia, l'air de se résoudre à lâcher le morceau avant de se taire de nouveau. "Je voulais un enfant ; j'ai demandé à Sirius un enfant quand il a décidé que la guerre contre Voldemort ne pouvait se faire sans lui", souffla-t-elle finalement avec une pointe de souffrance cette fois. "Il a dit que c'était trop tôt... qu'un enfant ce serait une arme contre lui, contre son engagement...Il a promis qu'il reviendrait et que nous nous marierions... Il a dit que ce n'était qu'une question de mois et je l'ai cru... j'ai tant voulu le croire !"
"J'imagine", ponctua Laelia dans un souffle plein d'effroi, comme si elle priait pour que jamais une telle chose ne lui arrive. Sirius lui se souvenait. L'envie. Le serment. Tout.
"Et il est parti et... et j'ai mis du temps à m'en rendre compte et à l'accepter mais j'ai découvert que j'étais enceinte - moi, après toutes les promesses que nous nous étions faites ! Je te promets, Laelia, que je n'avais rien fait pour que cela arrive, que j'ai pris les potions nécessaires pour l'éviter !", insista Aesthelia, l'air singulièrement plus jeune tout d'un coup.
"Je te crois", répondit, un peu trop facilement pour Sirius, Laelia.
"Mais j'étais enceinte et Sirius était Auror le jour et membre de l'Ordre la nuit... lui écrire que je portais son enfant ? ça aurait été un chantage, non ?", continua Aesthelia. "Je me suis dit qu'il allait revenir, si vite, n'est-ce pas, que ça ne changerait rien... une sorte de surprise."
"Une belle surprise", ponctua Laelia.
"Et puis... et puis, il a été arrêté... Il était le traître, l'assassin... même Dumbledore ou Remus ne voyaient pas comment le défendre !"
"Vous avez gardé l'enfant", souffla très bas Laelia.
"C'était bien tard pour faire autre chose", jugea Aesthelia. "Et puis cet enfant, je l'avais voulu... tant espéré... Sirius, je l'avais aimé... Comment...? Non, je n'en avais pas la force..."
"Je comprends", estima Laelia. "Elle sait ?"
"J'allais lui dire que je m'étais entiché d'un Anglais, traître et assassin ? J'allais lui faire porter le poids de tout ça ? Non, je lui ai dit que son père n'avait pas voulu fonder de famille avec moi, et c'est tout ce qu'il y avait à en dire..."
"Elle sait son nom ?"
"Pour découvrir un jour, dans un livre d'histoire, qu'elle est la fille d'un homme qui a livré ses meilleurs amis et son filleul à un fou sanguinaire ?"
"Mais maintenant... maintenant que Sirius est innocent ?"
"Il n'est pas innocent - il est en fuite et recherché", asséna assez sèchement Aesthelia. "Je crois bien sûr votre histoire - ça fait neuf ans que j'attends une explication qui respecte mes sentiments pour lui ; alors votre histoire, je veux la croire... Pour notre fille comme pour moi !"
"Mais ça change tout", insista Laelia - et Sirius souhaita que Cerridwen lui accorde l'amour, la paix et le prospérité.
"Vous voulez que Cruz rencontre un gosse qui pourrait être son jumeau et que je lui dise : 'regarde, c'est ce qu'il reste de ton père ?' "
Sirius un étage au dessus crut s'entendre gémir.
"Cruz ?", releva Laelia après avoir jeté un regard vers la maison comme si elle avait entendu un bruit. Sirius se bénit de ne pas avoir allumé.
"Cruz, la constellation de la Croix, est très proche de Sirius et presque aussi brillante... ", commenta Aesthelia. J'ai une fille qui porte un nom de constellation, essaya Sirius et il ne sut pas quoi faire de toutes les émotions qui l'assaillirent.
"Ah oui, bien sûr, la constellation ! Elle lui ressemble ?", s'intéressa Laelia.
"J'ai toujours trouvé qu'elle lui ressemblait - ses cheveux plus souples que les miens, ses yeux gris, son nez, son sourire... Mais quand je vois... Cyrus... C'est hallucinant... On dirait des jumeaux..."
oooo
Note : La scène où Aesthelia annonce l'existence de Cruz doit beaucoup au film israélien Jaffa, dans lequel un homme sort après neuf années de prison et apprend qu'il a une fille. "Nous avons une fille", est une citation... Que je tombe par hasard sur des films pareils me semble tenir de la prédestination, non ?
J'hésite beaucoup encore sur la suite - qui sort évidemment de mon propre canon... mais elle prend forme doucement. Si vous manquez de lecture, jetez vous sur la reprise de la traduction de Promesses par Chinader. Lien sur mon profil.
