L'envol du phoenix
Je répète qu'à partir de là, on sort de Lune et étoile.
Alixe, Fée Fléau, Dina et Lapaumée me tiennent la main.
10. Quelques vérités plus tard
Les cauchemars étaient venus plus tard, implacables, tout-puissants et nouveaux malgré tout. Ce n'était pas Peter, soulignant une énième fois, combien il était naïf et prévisible avant de faire exploser une rue pleine de Moldus tout à fait innocents. Ce n'étaient pas non plus les Détraqueurs, avec leur forme floue, leur étreinte glacée et leur capacité à extirper toute joie minuscule des dizaines de mètres à la ronde. Ce n'était pas Azkaban avec son caractère définitif, comme une expulsion du monde magique après avoir déjà été déshérité par sa famille... Ce n'étaient pas davantage l'odeur du pétrole et le bruit des armes à feu moldues. Non, c'était une femme, jeune, presque une enfant, mêlant la silhouette d'Aesthélia, le visage de Walburga et le sourire de Regulus.
Elle s'était immiscée dans les rêves de Cyrus comme une grande sœur, lui tendant la main pour lui demander en anglais et sans accent : « Je m'appelle Cruz Marin, et toi ? » Juste après, elle pointait une baguette sur son cœur et susurrait avec la voix de Bellatrix: « Tu vois que tu es un traître à ton sang, que tu ne sais rien faire d'autres... Ta fille ? Crois-moi, je n'ai aucune raison de vouloir être la fille d'un traître ! » Finalement, elle pleurait en l'accusant avec un accent brésilien marqué cette fois : « Tu me préfères ton filleul, c'est ça ? Parce que c'est un garçon ? Parce que tu n'as jamais aimé ma mère ? Tu me rejettes avant même de me connaître ! Tu te rends compte de ça ? »
« Non ! », hurla-t-il à toutes ces chimères, mais elles se mirent à l'encercler en riant de sa faiblesse ou se lamentant sur son manque de considération.
« Sirius, réveille-toi ! Cyrus n'a pas la force de supporter tes cauchemars!», commanda alors une voix masculine. Calme mais pressante. Habituée à être obéi. Mais familière. Remus, reconnut Sirius en ouvrant les yeux. Il lui fallut quelques secondes pour se rappeler qu'il était maintenant de retour à Londres, chez Dumbledore, avec Remus et Harry.
« Ça va aller », murmura son vieil ami avec l'air d'en douter quand même lui aussi.
Dans la semi-obscurité d'une pièce qu'il arrêta de chercher à reconnaître, Sirius vit d'abord ses yeux, comme de l'ambre, fichés en lui. Il distingua ensuite les traits, fermes mais fatigués. Les pleines lunes, se rappela-t-il sans trop savoir pourquoi il s'attachait à ce détail. Les mains qui le tenaient étaient des mains d'homme. Elles tenaient des épaules d'enfant. Un enfant qui tremblait de la tête aux pieds. Cyrus. Le moment était venu de mettre le plan à plat.
« Remus », murmura Sirius, partagé entre l'envie de le serrer dans ses bras pour le remercier de ne pas être une illusion et celle de lui mettre un pain dans la gueule pour une liste de raisons contradictoires mais nombreuses.
« Severus arrive », annonça alors Remus sans le lâcher ni des mains ni des yeux.
« Est-ce bien utile ? », cracha Sirius en regrettant de ne pas avoir la force de se dégager de l'étreinte des deux mains. Cyrus aurait plutôt voulu que Remus le serre contre lui - mais Sirius n'était pas prêt à le laisser prendre le dessus.
« Severus est le seul à pouvoir éventuellement comprendre pourquoi tu es dans cet état », expliqua Remus, de nouveau calme et raisonnable – au-delà de toute raison. « Albus a dû lui ordonner de venir ; donc, dis-toi qu'il est aussi nerveux que toi de... »
«Nerveux de quoi ? De voir qu'il n'a pas réussi à me faire disparaître ? », accusa Sirius.
« Disparaître ? Mais Sirius, il s'agissait juste de te donner une identité solide, inattaquable ! Te rends-tu compte de qui nous devons tromper ? »
« Au risque de me remplacer par des mensonges : une maman brésilienne, un papa garou ? », continua Sirius se fichant que sa voix soit trop aiguë pour affirmer ces vérités ou que Cyrus gémisse en l'entendant.
« Sirius », soupira Remus, relâchant imperceptiblement la pression de ses mains sur ses épaules. « Je comprends... J'imagine que tu ne peux que nous en vouloir, qu'imaginer le pire... mais ta situation est tellement précaire ici... Il fallait un plan suffisamment fou pour que personne ne l'envisage, un résultat suffisamment improbable... Tu ne peux nous accuser que de perfectionnisme !»
« J'avoue : brûler un village moldu entier, c'est pousser relativement loin le sens du détail ! »
« Brûler un vi.. Tu crois qu'on a brûlé un village ? », s'étrangla presque Remus, a priori vexé de son accusation.
« J'y étais », cracha Sirius.
« Tu as oublié la magie », soupira Remus, l'air infiniment las de devoir lui répondre.
« Le pétrole, les armes à feu, les cris des enfants... », contra Sirius presque inquiet de sa réaction. Pouvait-il avoir été trompé comme... comme un Moldu?
« Aesthélia avait des souvenirs suffisamment précis d'évènements similaires», indiqua sobrement Remus avec un coup d'oeil rapide derrière lui. « C'est ce que Nymphadora m'a dit. »
Sirius distingua alors un autre lit et un garçon qui les observait à genoux au milieu des couvertures repoussées. Harry. Mais la mention de sa cousine remit Sirius sur la question de leur fichu plan.
« Tu veux dire que ce souvenir-là est aussi faux que celui qui fait de toi mon cher Papa ? », attaqua-t-il donc.
Tant pis pour le môme aux yeux verts écarquillés sur l'autre lit. D'abord il n'était pas plus le fils de Remus que ce Cyrus qu'ils avaient créé de toutes pièces, si on y réfléchissait bien ! Il allait leur rappeler quelques vérités !
« Ou tout aussi vrai », répondit Remus avec une infime crispation mais une répartie et un calme que Sirius ne lui connaissait pas réellement.
Il avait été un temps où Sirius aurait donné beaucoup pour voir Remus gagner en prestance et en assurance. Là, tout de suite, il avait l'envie de le voir perdre sa superbe, de retrouver la timidité, le doute et l'indécision dont il se souvenait. Sauf qu'il ne savait pas trop comment s'y prendre. Et puis, qu'allait penser Harry de lui s'il démolissait celui qui lui servait de père depuis si longtemps dès le premier jour ?
« Fais le sortir », lâcha-t-il donc finalement.
« Pardon ? »
« Demande à Harry de sortir », indiqua Sirius avec un geste précis du menton. « Je ne crois pas que cette conversation soit pour ses jeunes oreilles si pleines de belles certitudes policées... »
« Harry connaît la vérité », indiqua Remus, une trace de douleur dans ses yeux devant ses insinuations.
« Est-ce qu'il m'obéira si je lui demande de sortir ? Obéir à son parrain, c'est dans son programme ? », s'enquit Sirius d'autant plus venimeux qu'il en venait à se demander s'il ne s'y prenait pas entièrement de travers.
Remus n'hésita qu'un court instant puis lâcha une main pour se retourner vers le garçon.
« Harry, va rejoindre Albus», demanda-t-il gentiment, presque avec l'air de s'excuser, jugea Sirius. «Préviens-nous quand Severus arrive. »
L'enfant parut mettre un temps infini pour se mettre en mouvement. Il les dévisageait, pâle, tendu, les yeux assez brillants – peut-être au bord des larmes, jugea froidement Sirius. Puis il hocha brusquement la tête et se laissa glisser hors du lit assez haut. Il enfila ensuite des chaussons sans y être invité – Sirius le remarqua sans savoir qu'en faire - et déglutit plusieurs fois avant de prononcer ses premières paroles :
« Le garçon... le garçon de l'aéroport... il est parti ? »
« Il n'a jamais réellement existé », aboya Sirius, trop vite, beaucoup trop vite. Cyrus gémit de nouveau tout au fond de lui - presque comme un écho de la crispation du visage de Harry.
« Harry, je sais que tout ça est effrayant », intervint Remus très doucement. « Rappelle-toi ce que je t'ai dit cet après-midi : nous n'arriverons à rien sans union, et pour être unis, nous devons bien nous comprendre. Je n'ai pas eu la chance de parler avec Sirius depuis... plus de neuf ans... Il y a des choses que nous devons discuter sans toi... pour l'instant. Tu comprends ? »
Harry opina encore, visiblement hésitant, puis ses yeux se fixèrent sur Remus avec une intensité qui fit mal à Sirius. Il n'était pas jaloux mais... c'était James que Harry aurait dû regarder avec ce mélange de confiance et de vénération... ou lui, son parrain... Non ?
« Tu sais que je te raconterai », énonça Remus avec l'air de reprendre une conversation antérieure. « Tu le sais ? », insista-t-il.
« Oui, Papa », souffla Harry avec une solennité étonnante. Puis il afficha un sourire brave pour regarder Sirius et ajouter : « Peut-être qu'il aurait dû... t'aider plus tôt, mais... peut-être que tu n'aurais pas dû le croire capable de trahir mes parents... Et maintenant, c'est pas entre vous... entre nous, qu'il faut se disputer... C'est Peter qu'il faut trouver ! »
« On le cherche, Harry », intervint assez fermement Remus en lâchant totalement Sirius pour se lever et accompagner le garçon à la porte en le serrant contre lui. « Ne t'inquiète pas pour nous. Ok ? »
Harry hocha une dernière fois la tête avant de sortir. Remus referma lentement la porte et attendit quelques secondes – peut-être pour être sûr que l'enfant se soit éloigné – avant de revenir s'asseoir sur le lit de Sirius.
« T'en as fait un raisonneur », remarqua lentement ce dernier, repensant aux paroles étonnamment sages de son filleul. Il savait visiblement beaucoup de la vérité et il ne semblait pas le détester - comme Cyrus l'avait tant espéré, souligna une petite voix dans sa tête. Ne pas penser à Cyrus, ne pas lui laisser cette porte ouverte...
Remus accepta d'un hochement de tête, comme Harry avant lui, et le parallèle sauta aux yeux de Sirius. Le père et le fils. Au-delà de toute biologie, Harry était le fils de Remus.
« Quand j'ai enfin eu le courage d'aller le récupérer, Harry était... avait peur de tout... Il pleurait dès que j'élevais la voix, quand il ne s'enfuyait pas de la pièce ou cherchait à éviter des coups que jamais je n'aurais envisagé de donner », se mit alors à raconter Lunard sans le regarder, presque honteusement. « Il a fallu des mois pour qu'il se convainque que notre vie commune allait durer ou que ses jouets n'allaient pas disparaître... Maintenant, je te rassure, il est tout à fait capable de me répondre ou de me désobéir, voire de planifier cette désobéissance », conclut Remus en le regardant cette fois avec une ébauche de sourire de connivence.
« Bravo », jugea assez froidement Sirius. « Tu as été là pour lui, et pas moi.»
« Si LUI n'avait pas été là pour moi, plutôt », soupira Remus, ravalant son sourire. « Si je n'avais pas dû me battre pour lui, Sirius, je serai toujours bibliothécaire dans la banlieue moldue de Londres... Son malheur a aussi été ma chance, quelque part... »
C'était tellement purement du Remus que Sirius sentit un pan entier de ses préventions fondre comme neige au soleil.
« Si tu n'avais pas couru derrière Peter, tu l'aurais élevé », continua Remus sur le même ton. « Sans doute différemment – j'y ai pensé bien des fois, crois-moi ! Sans doute très bien, j'en suis sûr... »
« Si je n'avais pas été le plus bel imbécile de tous les temps », cracha Sirius plus furieux contre lui-même que contre Remus maintenant. S'il avait réfléchi deux secondes, il aurait élevé Harry - bien ou mal. Et s'il avait élevé Harry, il n'aurait pas laissé Remus devenir bibliothécaire chez les Moldus, non plus ! Il allait dire cela quand Lunard reprit :
« Si j'avais été à ta place... si j'avais su qui était le gardien du secret et que j'étais arrivé le premier à Godric's Hollow... »
« Oui ? », s'intéressa sincèrement Sirius.
« J'aurais fait comme toi », affirma très étonnamment Remus, ses yeux calmes et déterminés.
« Tu aurais fini à Azkaban », remarqua Sirius le souffle un peu court.
« Oui. »
Le silence qui suivit fut moins tendu.
« Harry a raison, si on ne t'avait pas cru... », commença Sirius avec sincérité – après tout, c'était quelque chose qu'il s'était promis de le lui dire.
« Stop Patmol, arrêtons cette litanie de si, elle ne te rendra pas ta liberté», l'interrompit Remus très doucement. « Et c'est la seule chose qui ait du sens aujourd'hui. »
« Ma liberté, Lunard ? », remarqua Sirius amer. « Elle ne mesure pas 1m40, ma liberté ! »
La remarque fit sourire Remus mais il ne répondit rien. Il avait entendu quelque chose - Sirius le comprit avec une facilité déconcertante, née d'une habitude ancienne, oubliée mais présente. La seconde d'après, on frappa à la porte et Harry la rouvrit sans doute dans le même mouvement. Convaincu d'avoir été reconnu avant même d'avoir ouvert, se dit Sirius, mesurant une nouvelle fois leur grande proximité.
« Papa... Severus est là ; Grand-père Albus dit qu'ils vous attendent dans le salon, si vous êtes prêts... », expliqua le garçon un peu intimidé mais résolu à accomplir la mission dont il avait été chargé.
« Je ne prendrai aucune nouvelle potion, Remus », annonça Sirius avec toute la détermination que lui offrait sa voix d'enfant. Il ne savait pas ce que Rogue pourrait proposer, ce que Albus avait en tête mais cette fois, il ne se laisserait pas faire.
« Non ? »
« Non. »
Le regard qu'ils échangèrent cette fois là disait qu'ils pouvaient sans doute de nouveau se faire confiance pour se comprendre à demi-mots.
« Pourquoi ? », s'enquit Remus tranquillement.
Sirius désigna de nouveau Harry, planté dans l'encadrement de la porte, du menton.
« Merci, Harry », accepta immédiatement Lunard cette fois. « Dis à Albus que nous arrivons... et va te coucher : tu ne vas pas rester debout toute la nuit ! »
« Mais Papa ! », protesta Harry, montrant vaguement le lit défait
« Prends mon lit », proposa Remus.
« Mais... », répéta Harry en regardant Sirius cette fois.
« Quelle que soit la décision de Sirius, Harry, tu n'es ni maître des potions, ni médecin, ni... », contra tranquillement Lunard.
« Mais ! », s'agaça Harry, pas très loin de taper du pied comme Cyrus à l'aéroport, jugea Sirius avec un certain amusement. Peut-être était-ce juste une question d'âge, un truc qu'il avait oublié. La vie, en bref.
«Harry, je te demande d'aller te coucher – dans ma chambre, par exemple », insista Remus avec fermeté maintenant. « De nous faire confiance. »
« Mais je veux aider », tenta encore Harry - mais il avait déjà fait un pas en arrière.
« C'est exactement ce que tu fais quand tu m'obéis », affirma Remus souriant mais toujours aussi ferme. « Sirius ne va pas disparaître pendant ton sommeil, sois tranquille. »
« Ok », marmonna Harry tellement à contrecœur que Sirius eut envie de sourire.
« Je te fais confiance », conclut Remus, et Harry lui lança un regard outré qui fit comprendre à Sirius que c'était finalement autant une mise en garde qu'une affirmation.
Quand la porte se fut refermée, Remus se retourna vers Sirius pour commenter :
« J'espère qu'il va m'écouter – faudra sans doute que j'aille vérifier. Mais reprenons : pourquoi pas de potions ? »
« Parce que vos potions renforcent Cyrus et que je ne vois pas où c'est censé nous mener ! »
Remus ne répondit rien et Sirius se sentit obligé de continuer :
« Remus, vous cherchez Pettigrow ? »
« Bien sûr. On s'est mis à le chercher bien avant de te faire sortir d'Azkaban. »
« Et vous avez des pistes ? »
« Les seules pistes que nous avons sont... compliquées – elles nous mènent à l'étranger, vers des phénomènes... de pure magie noire... Merlin, Sirius, comment Peter peut se prêter à tout ça ? »
« On lui demandera », cracha Sirius, épuisé maintenant. Cyrus n'en pouvait plus. Il avait besoin de sommeil – comme Harry quelque part. Le parallèle était assez clair. Il allait devoir s'occuper plus rationnellement de ce corps s'il voulait qu'il tienne le coup et qu'on le laisse mener son propre plan.
« Tu as besoin d'une vraie couverture », reprit Remus, changeant de sujet. «Cyrus te l'offrait et... »
« Je vais garder cette forme – je vois bien qu'un corps d'adulte m'emmènerait à Azkaban, mais je ne veux pas perdre davantage de conscience ou de capacité de contrôle », répondit Sirius en espérant avoir l'air raisonnable. « Si tu pensais m'envoyer à l'école avec Harry, eh bien tu vas devoir trouver de nouveaux mensonges... ! »
« Pour des raisons de sécurité, Harry ne va pas à l'école », soupira Remus avec un regret palpable. « Il voit d'autres enfants – essentiellement les Weasley, mais je pense qu'il était content à l'idée d'avoir un enfant de son âge à demeure pour jouer... Mais un parrain sera sans doute aussi bien, même s'il mesure un mètre trente-cinq ! »
La connivence était revenue dans les yeux de Remus et, cette fois, Sirius n'eut pas envie de la refuser.
« Tu vas me soutenir contre Albus et... Rogue ? », vérifia-t-il – faisant un effort méritoire pour ne pas utiliser les vieilles insultes qui remontaient à ses lèvres.
« Comment peux-tu en douter ? »
oo
