L'envol du phoenix
Je répète qu'à partir de là, on est sorti de Lune et étoile.
Alixe, Fée Fléau, Dina et Lapaumée me tiennent la main, sinon j'aurais peur.
11. Ma part du contrat
Quand Sirius se réveilla, cette fois là, il faisait jour dehors. Pas un jour brillant brésilien promettant la chaleur, mais un jour gris britannique, prometteur de pluies voire de neige. Il se sentait moins épuisé qu'avant – les potions pour un sommeil sans rêve offertes par Rogue avaient visiblement fait leur effet. Il n'avait pas eu de cauchemars, et c'était la faim qui le réveillait et non l'angoisse. Il se redressa dans son lit. La pièce était trop claire pour qu'il manque son corps d'enfant. Inchangé.
« Un corps pour vingt-quatre mois au maximum », avait souligné Dumbledore au terme d'une médiation épuisante entre lui et Rogue.
« Si vous tenez votre part du contrat, ça suffira bien », avait il conclu.
Il ferait attention à ce corps, se promit-il. Il ferait attention à ce petit bout d'innocence coincé au fond de lui et qui s'appelait Cyrus. Il allait l'apprivoiser et ils allaient cohabiter sans nouvelles potions, sans nouvelle sorcellerie. Ils allaient faire équipe pour l'empêcher de devenir fou d'impatience ou de faire une connerie comme il avait toujours su les inventer. Il prendrait cette chance offerte de mieux connaître Harry – les allusions de Remus étaient claires à ce sujet, après tout – en attendant de pouvoir prétendre connaître sa fille.
Harry et Remus... le fils et le père adoptifs. Il allait devoir s'y faire. Il était le parrain, pas le tuteur, aussi étrange que ça puisse lui paraître. Remus n'avait pas rempli un intérim pendant qu'il était au fin fond des geôles d'Azkaban mais il avait adopté Harry. Adopté. C'était finalement une décision sur laquelle il n'avait aucun recours légitime. Il ne pouvait pas davantage s'élever contre le choix d'Aesthélia de garder leur bébé et d'élever Cruz sans lui parler de son père que contre la volonté de Remus d'adopter pleinement Harry. L'un comme l'autre avaient pris leurs responsabilités alors que lui s'était trouvé incapable de prouver sa propre innocence. C'était à lui de s'adapter, de trouver sa place. Sans doute un joli défi, soupira-t-il, un instant abattu, dans son lit, mais son estomac se mit à gronder et il décida de se lever.
Sirius erra un certain temps dans la résidence de Finchley jusqu'à ce qu'un elfe le conduise obligeamment dans la cuisine. Il fut content d'y trouver Harry seul, en train de manger lentement du porridge en lisant un journal de Quidditch. Ébouriffé et muni de lunettes de myope comme James, des yeux verts brillants, comme Lily. Mais Sirius mesurait que ces éléments de surface ne lui donnaient qu'une toute petite porte d'entrée à la personnalité de son filleul. Il avait vécu avec des Moldus qui l'avaient maltraité et sur lesquels il ne savait pas grand-chose - même s'il avait une expérience personnelle de ce qu'étaient le mépris et la maltraitance. Harry vivait maintenant avec Remus, que Sirius pouvait prétendre connaître mieux, mais il connaissait Remus comme un ami, pas comme un père adoptif... Finalement, c'était peut-être Cyrus qui lui offrait le meilleur guide de ce que pouvait bien penser un gamin de dix ans, réalisa-t-il. Et si Cyrus avait raison, Harry devait être plus que sur ses gardes le concernant. Il fallait changer la donne.
« Salut », annonça donc Sirius en entrant dans la cuisine en essayant d'assumer son pas élastique.
« Bonjour.. Sirius », répondit Harry abaissant très lentement son magazine pour le regarder en face. Il avait rajouté le « Sirius » sur le ton d'un enfant qui se rappelle qu'il doit dire « Monsieur » ou « professeur » à un adulte. Autant pour le pas élastique.
« Je meurs de faim », continua Sirius, le cœur un peu battant en allant s'asseoir à côté de lui. Un petit-déjeuner pouvait être un examen ou un tribunal.
« On peut demander ce que tu veux aux elfes », répondit lentement Harry en se retournant vers les fourneaux.
« Que désire Jeune Maître ? », s'enquit tout de suite une créature.
« Des oeufs, des toasts, de tout », résuma Sirius douloureusement conscient du vide de son estomac. Sa tirade fit naître un sourire timide sur le visage de Harry pendant que l'elfe promettait de « tout » pour « très bientôt ».
« Méfie-toi, il est capable de te préparer un banquet ! », commenta Harry avec un début de sourire.
« S'il y en a trop, tu m'aideras ? », proposa Sirius très directement.
« Je.. on verra », se rétracta Harry, presque inquiet, sans que Sirius puisse imaginer ce qui pouvait le faire réagir ainsi.
Cherchant une relance anodine, ses yeux tombèrent sur l'exemplaire de Balai Magazine.
« Tu as un balai ? », demanda-t-il donc, n'osant pas imaginer une réponse négative.
« Oui. Minerva – Minerva McGonagall me l'a offert », répondit Harry.
« Pas Remus ? », s'étonna impulsivement Sirius avant de regretter d'avoir répondu si vite au nouveau retrait qu'il observa chez son filleul.
« Remus m'a appris à m'en servir », finit par répondre Harry avec un peu de froideur.
Sirius retint sagement que, dans ses souvenirs, Remus n'avait jamais été un grand joueur de Quidditch – pas à la cheville de James par exemple - et opina. L'elfe apporta alors une assiette chargée en œufs, bacon, saucisses, toasts et haricots – ça lui offrit une bonne diversion et lui remplit la bouche avant d'avoir pensé à une réplique sans danger.
« Je joue aussi avec les élèves à Poudlard », rajouta Harry finalement.
C'était sans doute de meilleur augure, jugea Sirius en souriant. Il dut déglutir pour demander :
« A quel poste ? »
« Ça dépend... Papa.- Remus », explicita Harry sur un ton qui ressemblait toujours à une concession faite à l'adulte qu'on lui avait dit qu'il était, « ne souhaite pas que je m'entraîne trop souvent avec la même équipe. Mais, je joue surtout avec les Gryffondors et les Poufsouffles... selon leurs besoins... souvent, comme attrapeur... »
« C'est cool », commenta prudemment Sirius, retenant que James aurait été fier de le voir sur un balai. Poufsouffle ? Son filleul pouvait-il être un Poufsouffle ?
« Papa - Remus - dit que James jouait comme poursuiveur quand ils étaient à Poudlard », lança alors Harry avec un regard qui dit à Sirius qu'il le jugeait relativement transparent dans ses manœuvres d'approche.
Sirius prit le temps de finir son deuxième toast pour composer une réponse sérieuse.
« Je n'ai pas de problèmes avec le fait que tu appelles Remus, Papa », finit-il par affirmer, ayant débattu en lui-même entre différentes formulations, toutes à la fois vraies et fausses. « C'est ton Papa, tu n'es pas obligé de préciser en permanence. »
Harry opina, un peu comme hier soir quand il avait accepté les ordres de Remus, mais surtout se détendit un peu à cette affirmation.
« Toi aussi, tu jouais au Quidditch ? », demanda-t-il ensuite – sa première vraie question.
« Pas comme... James », répondit Sirius. « Mais mieux que Remus ! »
Harry sourit, visiblement à l'aise avec cette pique. Il allait poser une question assez enthousiaste puis se ravisa et se tut. C'était tellement ostensible que Sirius pensa qu'il savait quelle était la question.
« Je serai heureux de jouer avec toi dès que l'occasion se présentera – je n'ai pas joué depuis des années, mais tu seras gentil avec moi, hein ? »
« Ok », promit Harry avec un grand sourire. Puis il dut réfléchir à quand cette occasion allait venir parce qu'il grimaça. « Pas ici en tout cas, il n'y a pas la place, ni de bons balais ! Papa a dit qu'on rentrerait à Poudlard quand il aurait fini avec Severus et que toi, tu serais prêt...mais ça sera sans doute trop tard ! »
« Si on peut être prêt... », commenta Sirius en s'attaquant maintenant aux haricots avec détermination.
« Mais à l'aéroport, tu... jouais la comédie... très bien », se risqua Harry.
« Je ne jouais pas la comédie. J'étais vraiment content de te voir », lui assura Sirius.
« Mais tu as appelé Papa... papa... »
« Cyrus a été programmé pour considérer Remus comme son père », lui indiqua Sirius content de combler un trou dans la vérité.
« Je sais », répondit Harry avec un soupir résigné. « Mais ça paraissait si naturel, j'ai cru... Je suis désolé, bien sûr, ce n'était pas toi... »
« Je peux faire appel à lui si besoin », décida de lui révéler Sirius. « Et sans doute t'entendrais-tu bien avec lui ; il est plus drôle que moi... Il t'aurait déjà proposé d'aller jouer dans la piscine, lui ! Ou dehors »
Harry rosit furtivement pour affirmer : « On ne peut pas sortir comme ça ! Remus nous chercherait partout ! »
« Et tu évites qu'il ait besoin de te chercher », proposa Sirius en repensant à la conversation qu'il avait observée la veille.
Harry haussa les épaules.
« Je... je sais que toute cette histoire - toi, le rat, ce Peter... Azkaban, le Brésil... tout ça, ça le rend inquiet pour ma sécurité. Il ne... je crois qu'il ne rigolerait pas avec ça », finit-il par avouer., les joues un peu roses.
« Parce qu'il rigole d'autres choses ? », creusa Sirius en se demandant s'il ne risquait pas de détruire le début de confiance qu'il avait péniblement établi auparavant.
Les yeux ronds de Harry lui apprirent qu'il ne considérait pas les attentes de Remus envers lui comme fondamentalement exagérées.
« B'en oui », annonça l'enfant sur le ton de l'évidence.
« Tant mieux », commenta Sirius avec sincérité.
Harry accepta cette sortie avec un signe de tête et un sourire. Il allait même peut-être commenter quand la voix de Remus, amusée, les fit se retourner.
« Je te fais l'effet d'un rabat-joie, Patmol ? », demanda-t-il, accoudé contre la chambranle de la porte.
« Je réserve mon jugement », répondit Sirius en continuant de manger – Cyrus avait besoin de manger, il le sentait ; de manger, de dormir, et de rire...
Remus vint s'asseoir en face d'eux pour reprendre plus sérieusement mais toujours souriant :
« Comme Harry l'a bien compris, je suis avant tout soucieux de notre sécurité », affirma-t-il inutilement.
« Et je vous fais tous courir un grand danger », commenta Sirius sans s'arrêter de manger. Si on pouvait passer rapidement à autre chose que des évidences... ça serait aussi bien, non ?
« Un danger que nous acceptons avec joie, Sirius », s'empressa d'affirmer Remus.
« Mais je ne voudrais pas qu'il arrive quoi que ce soit à Harry, hein, ? C'est ce que tu allais dire?», lui répondit Sirius, désireux qu'ils partent sur les bases les plus claires possibles. Remus n'avait pas à le protéger au-delà des apparences, ni à le faire passer pour un irresponsable devant son filleul. « Jouer sur la mauvaise conscience des autres – t'as toujours eu un don pour ça, hein ? Et tu n'as pas perdu la main. Je t'ai vu face à Rogue et Albus, hier, tu sais y faire ! »
Harry regarda Remus, attendant clairement sa réaction, voire anticipant une contre-attaque, jugea Sirius, le coeur un peu battant.
« Je suis content que nous soyons d'accord sur le plus important », commenta sobrement le seul adulte officiel de la tablée – mais la grimace furtive d'Harry confirma à Sirius qu'il l'avait sans doute pas mal agacé.
« Je tiendrais ma part du contrat », décida -t-il de promettre comme une concession, posant ses couverts comme pour souligner son engagement.
« Moi aussi », assura Remus sans le quitter des yeux.
« Tant que cette comédie ne dure pas des mois ! », glissa Sirius, incapable de ne pas rappeler son principal souci.
Remus leva les yeux au ciel avant de répondre :
« Je ne sais pas quelles histoires tu te racontes, Patmol, mais nous cherchons Peter, activement. Et pas seulement pour que tu sois définitivement libre », ajouta-t-il avec cette pointe de colère franche assez rare dans ses souvenirs. A côté de lui, d'ailleurs, Harry se raidit comme une confirmation. « Pour que Harry soit en sécurité, aussi. J'espère que ça te paraîtra assez motivant! »
« Maître Remus », se risqua un elfe dans le silence tendu qui suivit, « vos bagages sont prêts à être envoyés à Poudlard... Et Maître Albus vous attend dans la bibliothèque ; il doit partir dans l'heure pour le Magenmagot... »
« Merci, nous y allons », répondit Remus en se levant.
Harry l'imita immédiatement, et Sirius dut lutter contre une furieuse envie de réclamer le temps de finir son assiette avant de les suivre. C'est quand il lut dans les yeux de Remus à quel point il était transparent qu'il décida qu'il marquerait son autonomie plus tard. Dans le couloir qui menait à la bibliothèque, Harry se rapprocha presque timidement de Remus qui le serra sans un mot contre lui, et Sirius se reprocha d'avoir été aussi agressif dans la cuisine envers son dernier ami vivant devant son filleul. Mais Lunard n'aurait-il pas dû protéger plus Harry de leurs histoires ? Comme il ne trouvait pas de réponses simples à cette question, il resta derrière eux, se demandant assez douloureusement où était sa place.
En entrant dans la bibliothèque de Finchley, la question se reposa entière. Albus s'était levé de son bureau pour s'installer sur un canapé, et Harry l'imita avec une simplicité que Sirius lui envia. Remus s'appuya contre des rayonnages à leur droite avec une aisance qui disait l'habitude, mais Sirius ne se vit pas faire la même chose. Il paraîtrait trop petit et extérieur à la conversation. Il choisit de se percher sur une chaise capitonnée. Ses pieds touchaient à peine le sol.
« Sirius... même avant de connaître votre... décision, nous savions que se poserait la question de votre ressemblance... avec vous même », expliqua Albus, une fois qu'ils eurent établi que tout le monde allait et avait dormi aussi bien que possible, « Nous avons songé à différentes formes de camouflage, mais toutes risquaient soit de causer des interactions avec les potions utilisées par ailleurs, soit de nous lâcher à un moment inopportun... »
« Il est difficile de trouver une explication convaincante à ce qu'un enfant ait une flasque de polynectar en permanence de sa poche », commenta Remus, appuyé contre la bibliothèque, avec un sourire furtif.
« Le risque reste par ailleurs mesuré – Andromeda et Minerva savent la vérité ; beaucoup de vos condisciples de l'époque ont gardé de vous l'image des posters demandant votre capture, il y a neuf ans, et oublié l'homme, l'adolescent ou l'enfant que vous avez été auparavant », continua Albus avec une gentillesse infinie.
« Et le reste de ma si charmante famille est soit morte, soit à Azkaban », grinça Sirius, volontairement imperméable à cette sympathie.
« Sauf Narcissa et Lucius », remarqua Remus. Les prénoms des Malfoy firent se tendre Harry – ainsi il les connaît, songea Sirius, sans savoir trop quoi en faire une nouvelle fois.
«Il reste aussi des gens à Pré-au-lard ou à Poudlard qui pourraient se rappeler d'un jeune Black», ajouta Albus, « et à qui nous ne pouvons pas livrer pour l'instant la vérité ».
« Donc ? », s'agaça Sirius aussi poliment qu'il le pouvait. Peut-être était-ce le corps de Cyrus qui le rendait aussi impatient.
« Donc, il nous a semblé préférable de faire courir notre propre rumeur », indiqua Albus sur un ton qui fit frissonner Sirius.
« Un nouveau plan ? », aboya-t-il.
« Une demi-vérité », intervint Remus en posant une main rassurante sur l'épaule de Harry. «Nous avons fait courir que la rumeur que Cyrus était ton fils naturel... »
« Mon fils ? », s'étonna Sirius, surpris lui-même de pouvoir encore s'étonner de quoi que ce soit.
« Remus l'aura adopté à sa naissance pour venir en aide à Laelia... », expliqua Albus.
« ...par pure nostalgie pour leur jeunesse, avec son idéalisme naïf bien connu de ses détracteurs», ajouta Remus sur un ton désabusé.
« Magnifique », coassa Sirius par pure défense.
Que n'as-tu fait cela, hurlait son cœur ! Que n'as-tu été aider Aesthélia et adopté Cruz quand j'étais à Azkaban, Lunard ! Tu lui aurais offert un père britannique dont elle n'aurait pas eu à avoir honte ! Harry et Cruz auraient grandi ensemble ! Le gâchis lui semblait de nouveau infini.
« Pour être franc, nous nous attendons à ce que Narcissa s'intéresse à toi », ajouta Lunard tout à sa propre logique, ancrée dans le présent britannique et non dans des possible passés brésiliens.
« Elle s'intéresse déjà à moi », glissa Harry avec un air de colère rentrée qui sidéra Sirius. Il avait fini par penser son filleul comme un garçon souriant et mesuré en toutes circonstances.
« Les Malefoy ont essayé de s'opposer à mon adoption de Harry », expliqua Remus calmement. «Et ils enquêtent assez régulièrement sur nos faits et gestes. »
« Ils sont furieux que Papa soit à Poudlard », jugea Harry avec un air protecteur pour Remus qui fit sourire ce dernier.
« Mais cette demi-vérité a d'autres vertus que d'expliquer votre ressemblance ou de renforcer l'image d'homme au grand cœur de Remus », ajouta Albus. « Je pense qu'elle peut intéresser Peter : vous avez disparu d'Azkaban, Sirius ; votre fils naturel arrive en Angleterre... Ce sont des évènements inquiétants pour un homme qui sait que nous avons découvert sa trahison et que vous êtes à même de le démasquer... Je serai étonné qu'il ne tente pas quelque chose... »
« Me supprimer ? », demanda froidement Sirius. Harry laissa échappé un petit « oh » inquiet qui le ravit.
« Vous enlevez pour posséder une monnaie d'échange me paraîtrait plus malin », jugea Albus avec l'air de le gronder pour son manque d'imagination.
Sirius aurait aimé faire un commentaire désobligeant. Dire que l'enlever était moins risqué que de raser le village où il était, par exemple. Sauf que l'idée même de revoir Peter, le privait de l'envie de revanche. S'il se retrouvait en face de lui, fondrait-il en larmes sur leur passé commun violé ou l'étranglerait-il à mains nues ? Bizarrement, il se pensait incapable d'utiliser la magie dans cette situation.
« Je vais te demander d'être plus que prudent », ajouta Remus en se penchant vers lui pour mettre leurs yeux à la même hauteur.
« Une nouvelle laisse ? Je devrais avoir peur de Peter et m'accrocher à tes robes ? », grinça Sirius.
« Les apparences et la sécurité demandent que je sache où tu es », riposta simplement Remus sans détourner les yeux. « Tout le temps. »
« Je dois toujours dire où je suis », ajouta Harry sans doute pour rendre ça plus acceptable.
« Et moi, saurai-je où tu es, ce que tu fais, et si même vous faites quelques chose ? », coassa Sirius sans regarder son filleul. C'était entre Lunard et lui.
« La plupart du temps, je suis dans un bureau directorial où je règle un nombre absolument délirant de problèmes matériels et relationnels », répondit Remus d'une voix égale. « Quand je n'y suis pas, c'est soit que j'assure certains cours soit que j'ai dû me rendre au Ministère... Je prends généralement mes repas à la Table Haute de la Grande Salle et je passe mon temps libre avec Harry... Tous les vingt-cinq jours, je dois me reposer pendant trois jours... Je dois compter parmi les hommes les plus prévisibles de toutes les îles britanniques ! »
« Tu sais très bien que je ne parle pas de ça », gronda Sirius, furieux de se sentir tourné en ridicule.
« Je sais que la confiance se mérite, Sirius, mais je n'arrive pas à voir pourquoi tu me soupçonnes autant ! », indiqua Remus avec un calme stupéfiant et une pointe de chagrin.
Tu voudrais que je me sente coupable, hein ? - songea amèrement Sirius. Tu voudrais que je suive aveuglement votre fichu plan en guise de réparation pour toutes les fois où je ne t'ai pas écouté ? Albus allait peut-être intervenir, mais Sirius aboya plus rapidement : « Passer neuf ans à Azkaban sans une seule visite ne donne pas grande confiance dans les autres ! »
Remus et Albus échangèrent un regard désolé – sans doute s'en veulent-ils, Sirius voulait bien en accepter l'hypothèse. Lui-même était saisi de la douleur qui avait percé au travers de ses paroles, comme un animal sauvage jusqu'alors endormi.
« Mais ils t'ont fait sortir », lui rappela Harry d'une voix un peu timide mais avec ce regard brave qui semblait bien être le sien face à l'adversité. Un raisonneur courageux, songea Sirius avec un élan d'affection. Un raisonneur fidèle aussi, rajouta-t-il, il défend Remus contre moi. C'est la deuxième fois. Et il se sentit immensément seul.
« Certaines blessures ont besoin de temps », jugea alors Albus plus pour Harry que pour Sirius – ce dernier ne lui en voulut pas, bien au contraire. Il était simplement frustré. Un vieil adulte aigri, trainant un passé peu glorieux et privé d'avenir.
« Et de preuves d'amour », ajouta alors Remus, comme sortant d'un songe. Quand il se rendit compte que Albus, Harry et Sirius le regardaient, il ajouta : « Je comprends que tu sois frustré de ne pas pouvoir agir toi même, trouver Peter et... J'ai été frustré de laisser d'autres te sortir d'Azkaban, et j'aimerais tout planter là pour pister moi-même celui qui a fichu nos vies et nos rêves en l'air, il y a neuf ans. Mais si je perdais la vie, si je mettais Harry en danger, qu'aurais-je accompli? Ce qui est notre force, c'est notre humilité : c'est laisser celui ou celle qui est le mieux placé réaliser ce qui doit être fait... »
« J'ai eu neuf années pour peser les risques d'une action irréfléchie », lui rappela Sirius avec moins d'agressivité qu'il aurait pu le craindre. La frustration était devenue amertume.
« Mais tu es pressé de retrouver ton identité », remarqua Remus presque sans cacher que ceci le surprenait. Sirius se demanda si le moment était venu de parler de Cruz et décida que la vérité allait les inquiéter. Il les avait déjà poussés à changer leur plan. Un pas après l'autre.
« Tu sauras où je suis », préféra-t-il promettre. « Je serai le petit garçon timide pendu à tes robes que tout le monde semble attendre... »
« Doux Merlin », soupira Remus, avec un sourire furtif et moqueur. « Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi toute la journée ! »
Harry ouvrit la bouche et la referma, hésitant visiblement sur le degré auquel il devait prendre leur échange, et Sirius décida de laisser là certaines querelles.
« Je pourrais me pendre à celles d'Harry, alors... »
Ooo
Pré au lard avait l'air tout droit sorti de ses souvenirs. Comme un village de poupées qu'il aurait sorti d'un carton entreposé au grenier. La cheminée d'Albus les avait conduits chez Abelforth – qui avait regardé Sirius sans réelle surprise, mais avec une curiosité assumée. Il avait servi d'autorité une limonade à Harry, une bière à Remus avant de demander à Sirius ce qu'il désirait.
« Comme Harry » avait soufflé Sirius, comme un gage à Lunard qui avait cessé de respirer.
« Tu sais, chez moi t,u peux demander ce que tu veux », avait insisté le frère de Dumbledore.
Sirius avait secoué la tête, incapable d'expliquer qu'à la fois il n'avait pas spécialement envie de bière et qu'il ne souhaitait pas jouer avec les limites des apparences. Pas maintenant, pas si vite. Abelforth lui avait servi une limonade en secouant la tête comme si c'était du gâchis.
Ils avaient ensuite traversé le village pour rejoindre les carrosses et Sirius n'avait pas dû se forcer beaucoup pour se coller à Remus. Il avait l'impression que tout le monde allait le reconnaître et dénoncer la supercherie. Une sueur froide et poisseuse lui coulait le long de la colonne vertébrale. Comme s'il sentait son malaise - ou qu'il le partageait, Remus lui avait résolument pris la main. Harry était le seul véritablement souriant de leur trio, saluant l'herboriste de la main, acceptant une pomme d'une vieille femme et riant aux pitreries d'un gamin sur un mur. « Il est chez lui, ici », songea Sirius. « Il a grandi ici et non à Godric Hollow. Avec Remus et non avec James. Tu dois te le mettre une fois pour toute dans la tête ! »
Ils avaient presque atteint les carrosses de Poudlard quand Madame Rosmerta sortit des Trois Balais pour se porter à leur rencontre.
« Professeur Lupin ! Quelle bonne surprise de vous voir ici au milieu d'une semaine ! »
C'était indubitablement resté une jolie femme, songea Sirius, toujours à demi dissimulé derrière Remus. Pour un peu il aurait laissé sa place à Patmol. Elle avait bien sûr vieilli, elle aussi, mais ça semblait surtout l'avoir rendue sûre de son charme. En fait, réalisa-t-il, elle drague éhontément mon vieux Lunard !
« Madame Rosmerta », la salua ce dernier. « Que puis-je pour vous ? »
« Entrez prendre un rafraîchissement, je vous invite », proposa la tenancière sans vergogne.
« Ce serait un véritable plaisir », répondit Remus. « Malheureusement nous sommes attendus à Poudlard. »
Madame Rosmerta ne sembla pas trop déçue par la rebuffade – sans doute l'avait-elle anticipée.
« Ah oui, vous étiez à Londres, parti chercher votre fils », fit-elle mine de se souvenir.
« Tout à fait », confirma Remus.
« C'est toi ? », questionna la tenancière en se penchant vers Sirius, dévoilant certains de ses meilleurs atouts. « Évidemment que c'est toi », murmura-t-elle quand elle l'eut dévisagé. « Tu parles anglais ? »
« Cyrus est surtout intimidé et il a vécu des choses très difficiles », répondit Remus pour lui. Un peu comme à l'aéroport, il met en avant le deuil, réalisa Sirius, impressionné que le timide Remus de ses souvenirs soit devenu aussi capable de manipulations.
« Évidemment, pauvre garçon », commenta Madame Rosmerta en se redressant. « J'espère que le Ministère ne va pas vous faire d'histoires, Professeur. Après tout, vous élevez Harry depuis tant d'années maintenant, pourquoi ne pourriez-vous pas élever votre...votre propre enfant ? »
« Merci de votre soutien, Madame Rosmerta », commenta sobrement Remus.
« Nous vous connaissons depuis trop d'années maintenant, professeur Lupin », répondit aimablement Madame Rosemerta. « Nous savons que vous n'avez rien que vous n'ayez mérité – quelles que soient les rumeurs, et surtout si elles sont vraies, vous avez démontré à tous votre courage, votre intégrité et votre grandeur d'âme !»
« Je suis touché de votre confiance », fit mine d'apprécier Lunard alors que Sirius trouvait la sortie surtout ridicule. Harry avait l'air de s'ennuyer.
« Je dis simplement ce que beaucoup pensent à Pré-au-lard », prétendit la tenancière. « Et vous avez fait vos preuves comme directeur de Poudlard aussi, tout le monde le dit. Vos professeurs viennent ici, vous savez, et ils sont élogieux ! »
« Je crois que je saurais où aller la prochaine fois que je voudrais me faire une idée de ma popularité », commenta Remus en riant.
Harry sourit en l'entendant rire et Sirius se dit une nouvelle fois que revenir après neuf années, ça pouvait être comme basculer dans un monde parallèle dont on croirait connaître les règles.
« Tout à fait », acquiesça Madame Rosmerta, souriante elle aussi. « J'en profiterais pour vous demandez quand vous allez ré-autoriser les sorties... »
« Ah ! Les sorties ! », commenta Remus toujours jovial mais maintenant aussi ouvertement sur ses gardes.
« Le professeur Quirrell est venu l'autre soir et je lui ai demandé quand était la prochaine sortie à Pré-au-lard, et il m'a appris que vous n'avez pas encore établi de calendrier, professeur Lupin », minauda la tenancière.
« C'est exact », répondit sobrement Lunard, sans sembler se sentir obligé de justifier sa position.
« Mais le printemps ne saurait tarder », insista la tenancière des Trois Balais. « Les sorties à Pré-au-lard font partie des coutumes de Poudlard... »
« Tout à fait », lui sourit Remus. « Différents incidents m'ont conduit à repousser ces sorties afin qu'elles soient appréciées à leur juste mérite. Et le calendrier de Quidditch n'était pas fixé. Je vais me pencher sur la question, ne vous inquiétez pas, Madame Rosmerta .»
« Vous devez bien sûr vous occuper d'abord de votre famille, professeur Lupin », proposa aimablement la tenancière.
« Je vais essayer de mener tout ça de front », corrigea simplement Remus en prenant congé.
« Tu prives tes élèves de sorties au Pré-au-lard ? », ne put s'empêcher de demander Sirius quand ils furent dans le carrosse pelucheux comme dans ses souvenirs. Un Lunard directeur de Poudlard, finalement, il allait devoir apprivoiser cette réalité-là aussi.
« Depuis que Peter nous a filé entre les doigts sans que je sache réellement comment... j'ai renforcé la sécurité », expliqua Remus avec un bref rosissement des joues.
« Mais tout le monde attend les sorties », l'informa Harry.
« J'imagine », commenta sobrement Lunard avec un soupir. « Nous allons voir comment les choses se passent – vous avez entendu Albus comme moi... »
« Dans cinq minutes, les pauvres gosses de cette école sont privés de leur seule sortie possible à cause de moi ! », plaisanta à demi Sirius – il voyait poindre les tours de Poudlard entre les arbres et sa gorge se serrait comme quand il les avait vues pour la première fois alors qu'il avait onze ans.
ooo
Non seulement, je sors de mon canon mais je n'ai qu'un chapitre d'avance sur vous ce qui m'inquiète plus que je ne saurais le dire...
Va falloir être patients et m'encourager !
